Parmi mon peuple

Chapitre 11 : Heureuse et macabre découverte

6935 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:45

 

-  Non non non… Où êtes-vous passés mes amis ?! lâcha la jeune naine d’une voix tremblotante.

            Amerys était à présent seule et complètement déstabilisée. La totalité de ses amis s’étaient soudainement éclipsés sous ses yeux ébahis sans que cette dernière puisse intervenir… Etaient-ils morts ? Avaient-ils survécu et étaient-ils prisonniers de la montagne ? Comment le savoir…? Un vent de panique s’insuffla alors en son être et c’est de plus près qu’elle examina le sol qui avait aspiré la compagnie entière. Le parterre redevenu vierge n’aurait su trahir une récente visite. Il n’y avait plus une seule trace de leur passage ici, sauf bien évidemment sa pauvre personne restée à la surface. Prenant alors le problème à bras le corps non sans un léger tremblement, la fille du forgeron tenta de sauter lourdement sur le sol pour rouvrir les trappes. Le but étant de rejoindre les nains et Bilbon. Mais rien n’y faisait, elle était condamnée à rester dans les hauteurs et continuer son trajet aventureux seule. Seule et perdue parmi l’immensité de ce monde inconnu et imprévisible.

            Amerys posa son séant sur un rocher granuleux et enfouit sa tête dans ses mains tremblantes avant de souffler bruyamment. « Que faire… ? » Il était impensable de rester ici indéfiniment mais d’un autre côté elle était totalement ignorante de l’état physique de ses amis et son inquiétude ne cessait de s'accroître. Ces trappes semblaient découler de constructions civilisées. Y avait-il ainsi une demeure au cœur de la montagne? A leur arrivée Thorïn avait l’air méfiant, c’est pourquoi il avait interdit de faire du feu. Se pourrait-il qu’ils soient tombés dans les griffes acérées d’un ennemi là-dessous ? Et surtout quel ennemi… ? D’un autre côté se retrouver seule dans ces pays sauvages lui faisait perdre totalement ses repères. Jusqu’alors elle avait bêtement et aveuglément suivi le chef de file mais maintenant qu’elle était isolée, un nombre incalculable de doutes l’assaillait. Etait-elle assez débrouillarde pour continuer seule le chemin ? N'allait-elle pas se perdre ? Elle avait jusqu'à lors apprécié de ne plus vivre en solitaire, de pouvoir de nouveau se raccorcher à des gens, compter sur eux pour la protéger... Avoir enfin de la compagnie lui avait fait tant de bien qu'elle en avait presque oublié sa récente solitude. Amerys tourna en rond un bon moment dans cette grotte, réfléchissant à tout un tas de choses. Elle se rendit compte qu'elle avait peut-être trop perdurée dans l'enfance, trop couvée par ses parents, surtout son père. Maintenant elle comprenait que cette surprotection de ne l'avait pas aidée bien au contraire, cela avait fait d'elle une femme faible et manquant de confiance en elle, ne supportant pas la solitude. N'était-elle ainsi pas capable de se débrouiller seule à présent...? « Pas de panique Amerys. Tu vas continuer ton chemin comme une grande fille. Non, plutôt comme une grande naine forte et courageuse et tu vas retrouver tes amis bientôt. Il ne leur est rien arrivé, ils sont forts et malins et tu les retrouveras hors de ces fichues et dangereuses montagnes !» se dit-elle alors à elle-même en essayant maigrement de se convaincre.

            C’est avec une confiance mi figue mi-raisin qu’elle décida malgré tout de continuer son périple en solitaire à travers le col, avec le futile espoir de rejoindre les siens au plus tôt. Même si cela lui semblait bien difficile, elle n’avait pas le choix et devait faire fit de ses peurs. Les nains allaient d’ailleurs probablement se demander où elle était et tenteraient eux aussi de la chercher… Malgré tout, son cœur se serra à l’idée de ne jamais revoir Fili, Thorïn Bilbon ou même Balïn… Elle chassa néanmoins les sombres images qui commençaient à hanter tristement son esprit et mis un pied devant l’autre pour sortir de cette maudite grotte.

 

            Au dehors le voile noir dominait encore ce monde silencieux fait de roc, aussi sombre que les cimes qu’il couvrait. C'était un tableau bien ténébreux qui s’offrait à sa vue troublée. L’absence d’étoiles informa Amerys que le ciel était couvert mais fort heureusement la pluie ne s’était pas invitée cette fois-ci. Marcher sur le sentier escarpé en pleine nuit et seule de surcroît ne lui inspira aucune confiance et pendant un moment elle avança à tâton car la visibilité était très réduite et elle n’avait aucune faculté nyctalope. Jusqu’à ce que l’astre jaune commence timidement à montrer le bout de son nez et que ses yeux discernent mieux les contours grotesques des alentours.

            Soudain un nuage noir se profila à l’horizon, avançant comme une ombre hostile et fugace. Amerys discerna alors une simple nuée de corbeaux qui passa à travers le col dans des coassements aigus, jetant soudain un écho funeste dans le sombre paysage désolé. La jeune naine n’en fit pas cas et continua sa route. Seul le vide pouvait parfois la faire flancher mais elle s’accrocha avec vigueur aux parois jusqu’à en faire brûler ses muscles, gaina tout son corps et passa même les cheminements les plus étroits telle une adroite funambule. Peu à peu elle reprit confiance, voyant qu'elle avançait sans encombre c'est avec un peu plus de détermination qu'elle mis un pied devant l'autre. Après avoir bifurqué, son enthousiasme naissant s’envola en fumée car il manquait un bout du chemin et il était presque impossible de le franchir au vu de la distance à sauter. Amerys râla à cette surprise non désirée mais s’avança néanmoins pour observer le contre-bas. Tout un amas de cailloux était entassé au fond du ravin et sur ce même monticule de pierres se trouvait un cadavre décomposé qui laissait aisément apparaitre son squelette. La naine tira la grimace. Le miséreux avait sans nul doute voulu sauter et était finalement parti se fracasser dans le vide comme un vulgaire pantin désarticulé. La jeune voyageuse qui avait escompté sauter par-dessus revit ses prétentions à la baisse d’autant plus qu’elle n’était pas bien grande et qu’elle pesait son poids. N’ayant pas envie de rejoindre au creux de la falaise son prédécesseur elle fit la girouette pour tenter de dénicher habilement un autre sentier qu’elle pourrait emprunter. Rien. Elle était juchée sur le seul et l’unique…

-  Fichtre ! cracha-t-elle. Me voilà bien en veine…

            Si elle n’atteignait pas l’autre côté du sentier les chances de retrouver les siens s’amenuiseraient et elle se verrait obligée de rebrousser chemin, non sans peine après le fier parcours accompli. Elle avait déjà échappé à la mort à trois reprises. Une première fois avec les trolls, la deuxième fois face à l’orque et la troisième fois pas plus tard que la veille. Elle pouvait bien y échapper une quatrième fois avec un peu de veine… Le destin semblait vouloir la garder en vie alors autant tenter le tout pour le tout et prendre des risques.

            C’est ainsi que bien décidée à forcer la voie elle se prépara mentalement à sauter par-delà le précipice. Premièrement, elle se débarrassa de ses armes qu’elle envoya de l’autre côté du vide pour s’alléger. C’est ainsi qu’épée, arc et carquois volèrent non sans délicatesse contre le sol voisin.

            Amerys recula doucement et prit alors de l’élan, concentrée comme jamais, puis souffla pour apaiser son angoisse naissante.

-  Tu es forte et brave. Tu es une naine Amerys et tu en es capable ! se dit-elle pour se donner courage.

            C’est ainsi qu’elle s’envola, pleine de fougue et de vaillance, tel le jeune faucon exécutant son premier vol après des jours d’hésitation. Elle s’approchait indéfectiblement, courant toujours plus vite. Mais la fille de Daraïn Forgefer freina brutalement au dernier moment, penchant alors par-dessus le vide étourdissant elle s’accrocha à la paroi, râpant douloureusement ses petites mains. La demi-naine n’avait pu sauter, paralysée par la peur de s’écraser et mourir. « Tu es une lâche » pensa-t-elle alors.

            Elle se croyait naine et pourtant, une naine une vraie aurait inexorablement sauté sans hésiter pour retrouver les siens. Elle n’aurait pas manqué de courage à l’idée de franchir cet obstacle potentiellement meurtrier. Amerys s’assit alors un moment contre le mur de pierre et reprit son souffle tout en tournant machinalement un caillou dans sa main droite.

             Si Thorïn était là il se serait aisément moqué d’elle et si Fili avait été là aussi il aurait été bien déçu de sa lâcheté. Qu’avait-elle donc de si particulier à ses yeux ? Amerys n’était pas une naine pure souche et n’avait indéniablement pas le courage de ce peuple si fier et combatif. Non. Elle était pleine de faiblesses, la faiblesse des hommes à son plus grand firmament. Le mot « bâtarde » résonna dans sa tête, vieux souvenir ancré dans sa mémoire. C’est à ce moment même que le poids de son sang humain se fit sentir, comme une tache indélébile gravée dans la peau, qu’on aurait beau frotter mais qui ne s’en allait jamais. Qui était-elle vraiment ? Pas assez courageuse et adroite pour être une naine, mais bien trop différente pour être une humaine...  Quelle idée saugrenue avaient eu ses parents pour engendrer une enfant métisse ? Si un choix s’était présenté, elle aurait été naine et uniquement naine. Elle aurait grandi parmi ce peuple fort et fier, aussi habile que toutes les races de la Terre du Milieu réunies (à l’exception des elfes) et peut-être que sa vie en aurait été autrement… Une colère démesurée s’empara de son être et c’est avec rage qu’elle envoya valser le caillou jusqu’alors prisonnier de sa main. Il alla se cogner de l’autre côté du mont, contre la robuste paroi noire, puis ricocha bruyamment dans la vallée montagneuse, tel un écho infini rempli de lamentations. Une indéfectible odeur vint alors titiller ses narines, celle de l’échec cuisant.

 

            Au bout de quelques minutes d’intense réflexion, Amerys s’apaisa et mit de côté ses pensées personnelles et ses doutes car la priorité était de passer de l’autre côté coûte que coûte. Se relevant, elle recula une deuxième fois pour préparer son périlleux saut. Mais alors qu’elle allait s’élancer un bruit guttural familier résonna d’entre les falaises, ainsi quand elle pivota sur elle-même elle fut heureuse de voir qu’un orque approchait de sa démarche titubante, pas peu fier d’avoir trouvé une proie. Son facial s’étira en un rictus sévère et il trottina ridiculement pour rattraper la jeune naine. C’est alors que cette dernière, poussée par la volonté d’échapper à cette ignoble créature s’élança cette fois-ci pour de bon sans réfléchir et fit probablement le saut le plus long et le plus dangereux de toute sa vie. Elle préférait se tuer dans le ravin plutôt que de laisser cet orque la mettre en pièces.

            A son plus grand étonnement Amerys arriva saine et sauve de l’autre côté du sentier malgré un atterrissage brutal et douloureux. Cependant, son adversaire s’était également jeté sans peine à ses risques et périls mais au lieu d’arriver aux côtés de cette dernière, il s’accrocha délibérément à sa cape virevoltante et la fit déchoir violement. La jeune naine fut brusquement mise à terre et sa tête plongea dans le vide, sa longue tresse se balançant de droite à gauche de manière hypnotique, tandis que l’ennemi se cramponnait, horrifié, à sa cape. Elle se rattrapa de justesse aux rebords pour empêcher sa chute mais il était difficile de supporter le poids de son assaillant qui risquait de la faire basculer à tout moment. Le malheureux battait des jambes et essayait de se hisser au long vêtement de la voyageuse qui l’étranglait par la même occasion et la tirait vers le ravin pour un voyage sans retour. N’ayant pas le choix si elle voulait sauver sa vie, elle détacha alors sa cape en tirant d’un coup sec sur la ficelle pour que son agresseur dégringole avec. C’est ainsi, sans une once de pitié, qu’elle vit ce dernier s’écraser dans le contre-bas, inerte aux côtés des ossements du premier aventurier. Immédiatement après elle se hissa et s’éloigna le plus possible du vide.

             C’est allongée, toute haletante et suante qu’elle tenta de reprendre ses esprits. Elle décolla une mèche poisseuse de sa joue et ferma les yeux un instant. Savourant le fait d’être en vie. Ce satané orque avait bien failli l’envoyer faire un petit tour chez les morts ! Cependant, ne voulant pas s’attarder de trop elle brava les douleurs de son corps tremblotant, raccrocha ainsi son épée, puis réenfila ses derniers équipements avant de reprendre sa route. Un dernier coup d’œil dans le vide l’assura une dernière fois de la mort imminente de son agresseur. La voyageuse avait finalement réussi à vaincre le mal mais comment se faisait-il qu’il y ait encore un orque à la suivre ? Etait-il seul ? L’avait-il suivit ? Que faisait-il dans ces montagnes désertes… Mais alors que tant de questions trituraient son esprit elle eut rapidement une réponse car deux autres chasseurs firent leur apparition, aussi laids que malfaisants ils brandissaient des épées en dents de scie tout en affichant un rictus euphorique.  

            Brandissant son arc de manière effrontée, la naine encocha par conséquent et avec une grande détermination une flèche, puis tira sur le premier assaillant qui touché, tomba dans le précipice à son tour, la flèche fièrement plantée dans la gorge. Le deuxième orque reçu quant à lui le projectile suivant en plein cœur et tomba sur le sentier en gesticulant de douleur dans des soubresauts mortels. Son corps resta là sans vie jusqu’à ce qu’un dernier agresseur se montre à son tour. « N’en finirais-je jamais avec eux ? Aussi prolifiques que la mauvaise herbe ces orques…» se désola-t-elle. Attiré par Amerys il imita bêtement ses confrères maléfiques mais la jeune naine poursuivit son chemin en trottinant pour tenter de le semer, elle ne voulait pas gaspiller trop de flèches. Après quelques pas, elle tourna la tête et vit l’orque galopant toujours pour la rattraper. Elle accéléra l’allure sans trop se fatiguer et disparut furtivement au premier virage. Le chemin s’élargit de nouveau à son plus grand plaisir et elle trouva une crevasse dans la roche, assez pour s’y cacher. Elle s’y glissa discrètement et attendit sagement son ennemi. Quand ses pas se firent de plus en plus entendre elle tenta de calculer le meilleur moment et quand il déboucha dans son champ de vision et passa devant sa cachette, Amerys, audacieuse, en sortit pour le bousculer brutalement dans le vide. L’orque effaré, n’eut pas tout à fait le temps de comprendre ce qui lui arrivait et dégringola de la montagne pour aller s’aplatir à flanc de colline comme une vulgaire poupée de chiffons. A ce moment elle n’éprouva aucun regret. Tuer ces orques ne lui avait procuré ni plaisir ni dégoût ou peur. Rien. Un néant d sentiments. Elle avait simplement défendu et sauvé sa propre vie. Depuis lors elle avait moins peur de faire face à un combat et affronter des adversaires. Balïn avait raison, on oublie très vite sa culpabilité, on s’endurcit et on se défend, on se protège coûte que coûte. Le calme revint alors mais malgré cette victoire agrémentée d’une once de fierté la demi-naine devait rester sur ses gardes car d’autres n’étaient peut-être pas loin…

-  Voici mon nouveau quotidien, sauver ma peau chaque jour, rit Amerys submergée de nervosité et qui malgré quelques incertitudes mit un pied devant l’autre pour poursuivre sa route.

 

            L’orbe vermeille dorait désormais les montagnes de brume dans un camaïeu de jaune. C’est à ce moment qu’Amerys apprécia dans toute sa splendeur la lumière du jour. Il est étrange que cela puisse avoir un effet bénéfique même sur les endroits les plus lugubres et la jeune naine avait l’impression de redécouvrir les cimes qui lui avaient donné autant de fil à retordre. Les montagnes semblaient moins hostiles et moins ternes et c’est remplie d’un peu de gaîté qu’elle continua son chemin dans un sentier baigné d’un pur rayonnement. Elle aimait tant cette lumière cette chaleur que pouvait proccurer le soleil et l'extérieur, c'est pourquoi elle se demandait finalement si elle réussirait à vivre cachée à l'intérieur d'une montagne... sans rarement voir le soleil et le sentir chauffer sa douce peau... Cela lui manquerait probablement.

            Cela faisait maintenant deux bonnes heures qu’elle serpentait à travers les monts et nul orque ne s’était montré depuis. Elle se détendit un peu, relâchant la tension qui s’était emparée de ses épaules, puis commença à apprécier la vue qui s’offrait à elle. Un sourire illumina son visage fatigué, elle y était presque. Le sentier commençait à descendre doucement et elle aperçut de la verdure et des arbres non loin de là. Encore quelques efforts et elle pourrait se reposer auprès d’un pin, boire l’eau fraîche d’un petit ruisseau et peut-être même revoir la compagnie entière et vivante. Elle s’en délectait d’avance.

            Continuant d’arrachepied sa route elle rencontra par un heureux hasard un autre renfoncement dans la pierre qui attira son attention. Plus profond, il semblait de même plus caverneux. Curieuse elle s’inséra prudemment, restant sur ses gardes au cas où un orque lui sauterait au cou par surprise. Plutôt vaste elle faisait un bon abri pour d’humbles voyageurs. Parsemé de grains de sable et de roc réduit en poussière, le sol apportait chaleur et réconfort tout comme dans l’autre antre, ainsi la jeune naine se méfia, retirant les leçons de son expérience caverneuse passée. Des stalactites au plafond semblaient par ailleurs  vouloir foudroyer quiconque ce serait introduit ici. Elle fit néanmoins une découverte inattendue car trois cadavres poussiéreux l’occupaient silencieusement. L’un était assis dos contre la paroi tandis que les deux autres étaient en position allongée. Funeste découverte que voilà. Des loques, probablement leurs vêtements, les couvraient ici et là, se confondant parfois avec les lambeaux de chair dans un scénario cadavérique. Cela devait faire bien longtemps qu’ils reposaient ici, isolés du reste du monde dans cette grotte perdue. A cause de l’odeur elle porta son bras devant son nez et avança, curieuse de comprendre ce que ces dépouilles faisaient dans cet abri de fortune, dernière demeure de leur vie passée.

-  Que-vous est-il donc arrivé ? murmura-t-elle comme si les morts avaient la capacité de l’éclairer.

            Amerys s’approcha de plus près et au vu de la taille des squelettes en conclut que c’était des nains, ou bien de petits hommes ou des femmes, peut-être même des enfants humains. Difficile de trancher. Elle remarqua alors que le cadavre en position assise tenait entre ses mains un gros livre cuirassé et curieuse s’en empara doucement, évitant tout contact avec les os qu’elle trouvait dégoûtants. Malgré un amas de poussière dessus il était en bon état à l’intérieur. Les pages, un peu sèches et rugueuses étaient remplies d’écriture et pas dans n’importe quelle langue, puisque l’ouvrage était rédigé en langue khuzdul.

-  Ainsi vous êtes des nains… souffla la voyageuse maintenant sûre de l’identité raciale de ces occupants. Drôle de coïncidence.

            Elle referma le livre dans une envolée d'âcre poussière qui s’éparpilla dans l’air, car elle ne savait pas lire le khuzdul. Néanmoins elle souhaita l’emmener avec elle et le garda sous le coude avant de le glisser dans un vieux sac vide et encore en assez bon état qu’elle trouva à terre. Ses amis sauraient sûrement le déchiffrer, peut-être contenait-il des informations intéressantes. D’un autre côté, en observant de plus près le trio elle repéra un élément essentiel : l’absence d’armes ou d’armures. Se pourrait-il que ce soient de simples marchands ou voyageurs nains ? S’approchant d’un autre corps d’un peu plus près, un bijou niché entre les mains de ce dernier attira son œil vif et curieux. Scintillement chatoyant parmi la désolation cadavérique, le pendentif était serti d’un magnifique saphir d’un bleu intense et hypnotisant, doucement entremêlé de fins dessins d’argent représentant d’un côté le soleil et de l’autre la lune. Le bijou très délicat ne pouvait être que de manufacture naine ou elfique mais elle aurait été incapable de l’identifier totalement. Amerys qui voulut toucher de plus près l’artefact repoussa non sans répugnance la petite main de son possesseur et saisit le bijou, satisfaite de sa trouvaille. Il était froid mais intact comme si un enchantement l’avait jusqu’alors protégé de l’agression du temps. Le joyau était si beau qu’elle crut momentanément entendre un son cristallin se répercuter en écho contre la caverne rocheuse. Le saphir exposé à la lumière du soleil reflétait une douce mais non moins puissante lumière comme s’il souhaitait indiquer un chemin à travers la pénombre.

-  Vous ne m’en voudrez pas que j’emporte avec moi vos affaires, lança-t-elle à l’adresse des morts et culpabilisant un peu de les dépouiller irrespectueusement. Je crois que vous n’en aurez plus besoin.

 

            Par conséquent bien heureuse de sa trouvaille, elle fourra le précieux pendentif au fond de la poche de son pantalon et passa le sac en bandoulière autour d’elle. Voyant le côté positif de cette escapade en solitaire à la suite de sa jolie découverte elle esquissa un sourire avant de sortir du tombeau. Un soudain vent d’optimisme l’encercla telle une aura bienfaitrice et c’est avec un grand espoir et un très bon pressentiment qu’elle retourna cheminer sur le sentier qui, elle en était sûre maintenant, la conduirait tout droit vers la compagnie. La voyageuse avait grande hâte de revoir les yeux pétillants de Fili, le sourire malin de Bilbon, ainsi que ce bougre de Thorïn, car malgré un mauvais caractère elle devait bien avouer qu’elle s’était attachée à lui. Elle s’était attachée à tous autant qu’ils étaient.

            La descente de la montagne s’effectua sans aucun obstacle et le plaisir de retrouver un peu de verdure lui procura un immense plaisir. Trouvant un peu plus loin un peu d’eau pour se rafraîchir elle ne perdit par de temps par la suite pour partir à la recherche de ses amis ou en tout cas d’éventuelles traces de leur passage, bien déterminée à les rejoindre.

 

                                                                            ***

 

            Thorïn avait enfin mis à l’abri les siens et ce fut un réel plaisir que de revoir la surface de la terre pour en finir avec ces maudites montagnes, ce qui était propice au paradoxe, surtout pour un nain. Le séjour au cœur de Gobelinville n’avait pas été de tout repos. Ils avaient bien cru vivre leur dernière heure en ce monde mais l’arrivée de Gandalf au moment le plus opportun avait fait mouche et leur avait probablement sauvé la vie.

 

            En effet, après être tombés de la caverne truffée de pièges ils avaient glissé dans de longs tunnels avant de finir dans une cage à proie. Et pas n’importe laquelle de surcroît car c’était celle des gobelins, ces repoussantes créatures, pas peu fières d’avoir capturé toute une panoplie de nains. Ils avaient été traînés de force auprès de leur roi, le plus immense de tous et probablement l’un des plus laids aussi. L’arrivée s’était faite en chanson comme si leur capture fut propice à la fête, ce qui pour eux devait probablement être le cas. Le débat fut long pour tenter de repousser leur sacrifice, les gobelins n’étaient pas bien malins mais leur chef avait su démontrer une intelligence remarquable et une résistance à toute épreuve. Il avait néanmoins partagé une information qui déplut à Thorïn car il affirma qu’Azog, l’orque pâle, son pire ennemi qu’il croyait mort après la bataille d’Azanulbizar était bien vivant et d’autant plus à sa recherche. D’abord incapable d’accepter le fait, le souverain émit des doutes mais devrait le voir pour le croire.  Le roi nain avait su trouver la faille auprès du gobelin mais bien vite la situation tourna au vinaigre. Fort heureusement, Gandalf avait fait une apparition remarquable voire inattendue et brandissant son bâton magique avait mis à terre et étourdi tous les êtres alentours. S’en était suivi une ultime et rocambolesque course poursuite à travers les chemins suspendus de Gobelinville où ses neveux avaient, force est de constater, démontré toute leur habilité et leur bravoure au combat. Au bout d’un moment il avait cherché Amerys du regard mais avait été horrifié de voir que la demi-naine n’était pas là. Comment avait-il pu ne pas se rendre compte de son absence ? Trop empêtré dans ce problème de gobelins il avait omis de vérifier l’état de ses amis. Depuis quand n’était-elle plus avec eux ?

-  Fili ! avait alors scandé Thorïn à l’adresse de son protégé qui venait subtilement d’empaler une fripouille. Où est Amerys ?!

            Le rictus que le jeune guerrier avait affiché ne lui avait alors rien dit de bon.

-  Thorïn, Amerys est encore à la surface, avait ainsi répondu son neveu en sautillant pour éviter un projectile. J’ai tenté de te le dire mais au vu de la situation je n’ai pas pu et crois-moi c’est une torture de ne pas savoir ce qu’il lui est arrivé… Je suis très inquiet.

-  Pourquoi n’a-t-elle pas chuté avec nous ? demanda perplexe Thorïn tandis qu’en même temps il tranchait la tête d’un gobelin crachouillant.

-  Elle dormait sur un rocher quand nous sommes tombés, lui épargnant ainsi la chute à travers les trappes…

            Malgré une inquiétude grandissante il avait axé sa concentration sur le combat dans le but de mettre prioritairement en sécurité ses chers amis. Si Amerys était restée dans les hauteurs elle devait probablement avoir la vie sauve. Il est vrai qu’il était régulièrement sévère avec elle mais il devait bien avouer que cette petite était surprenante et d’autant plus attachante car elle lui rappelait sans cesse Lerï. Il était sûr qu’elle pouvait s’orienter à travers le col et en sortir indemne.

C’est par conséquent que grâce à leur courage et leur compétences de guerriers ainsi qu’aux tours de Gandalf, le groupe avait triomphalement échappé aux gobelins et avait en plus de cela, totalement traversé les montagnes.

 

            Bien vite, alors que Gandalf comptait les nains il remarqua l’absence de Bilbon et Amerys. Si la naine était simplement restée dans la caverne il émit un doute pour l’alibi du cambrioleur. Dori lui assura que le hobbit était près de lui dans Gobelinville mais qu’il s’était éclipsé  à la vue et au nez des gobelins et des nains. Depuis lors, personne ne l’avait vu…

            Soudain le petit homme apparut d’on ne sait où à la plus grande surprise et joie de ses amis. Fili avait demandé au hobbit de quelle manière il avait échappé aux gobelins mais l’explication fournie fut étrange. Thorïn insista outre mesure pour en savoir plus sur les aventures solitaires du hobbit mais Gandalf, dans une pirouette, négligea la question en affirmant que ce n’était pas important. Le principal était qu’il soit en vie et à leurs côtés. Malgré cela, le souverain persistait à croire que Bilbon était faible et n’avait pas sa place ici.

            Ce n’est qu’ensuite que l’attention fut reportée sur la jeune Amerys.

-  Je vous assure qu’elle n’est pas tombée avec nous, affirma Fili sûr de lui.

-  Je le rejoins, se mêla alors à son tour Bilbon. Je l’ai vue moi aussi, elle doit encore probablement être dans les montagnes, se demandant si nous sommes encore en vie et s’il est possible de nous rejoindre. A moins que…

-  …qu’elle ne soit morte, finit Thorïn. Comment le savoir…

-  Ne soyez pas trop pessimiste Thorïn Ecu-de-Chêne, rassura alors le sage magicien. Je suis certain que cette jeune femme ne se trouve pas loin et se languit de nous retrouver.

-  Elle était seule… elle… elle ne sait pas encore bien se battre ni se défendre. Elle trébuche facilement…

-  Thorïn… souffla Gandalf. Faites-moi confiance, je sens qu’Amerys est vivante.

            Le souverain, finalement plus inquiet qu’il ne l’aurait pensé prit le risque de faire confiance au Gris. Un coup d’œil à Fili lui fit comprendre que son neveu avait de la peine et était bien plus soucieux que lui.  

            Soudain, un hurlement de warg résonna inhabituellement à travers la vallée, signe d’un grand danger approchant.

-  Vite fuyons ! s’écria Gandalf.

 

            Thorïn le savait, c’était encore les orques montés sur leur wargs qui les poursuivaient. Ne seraient-ils jamais tranquilles, ou se pourrait-il que ce soit… ? Pas le temps de tergiverser les paroles de ce fou de roi gobelin. Il aurait souhaité partir à la recherche d’Amerys mais il n’avait pas le choix que de fuir le danger et s’assurer de la survie de sa compagnie. C’est alors avec un pincement au cœur et une pensée pour la fille de son ami Daraïn que Thorïn galopa à l’opposé des montagnes, suivant un Gandalf sûr de lui. Il espéra victorieusement semer leurs assaillants et que tôt au tard la naine les rejoindrait, entière et bien vivante.

 

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