Parmi mon peuple

Chapitre 13 : Epidémie mortelle

8221 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/12/2016 21:15

Huit ans plus tôt…

 

           « Un… Deux… Trois coups. Une vrille. Esquive. Roulade. Percée. Coup d’estoc. Ennemi hors d’état de nuire.» pensait Amerys qui s’entrainait à l’épée depuis trois heures déjà à l’ombre d’un grand et vénérable chêne enraciné non loin de sa maison. L’été approchait à grand pas et les températures se faisaient douces à présent. Le soleil était au zénith et l’absence de l’habituelle brise avait rendu l’air plus lourd qu’à l’accoutumée, assez pour que la jeune naine transpire un peu plus. La sueur ruisselante zigzaguait sur sa peau lisse de quarantenaire. Malgré une grande avancée dans l’âge la demi-naine n’avait pas pris une ride et arborait encore et toujours le juvénile visage de sa vingtaine.

 

           Venir s’entrainer en solitaire était devenu une habitude, lorsqu’elle n’était pas auprès de sa mère pour l’aider dans ses tâches de guérisseuse. Le reste du temps elle prenait soin du potager et allait aider son père à la forge. De temps en temps Myrielle lui rendait visite et vice versa. Rien n’avait changé en vingt-sept ans. Enfin presque… si on omettait l’implacable dégradation de ses relations amicales. Elle exécutait inlassablement le même rituel depuis tout ce temps. Un temps qui n’avait que très peu d‘emprise sur son évolution physique à l’instar de ses amies vieillissantes et qui avaient fondé une famille depuis plus de vingt ans maintenant. Leurs enfants avaient bien grandi et certains arrivaient déjà à l’âge adulte. Le cycle était tel quel, infini, sans cesse en renouvellement à travers les générations. Il en était ainsi chez les hommes. Mais tandis que le cycle de la vie continuait celui d’Amerys était dans un éternel suspens. Les jours passaient et se ressemblaient et rien d’inattendu ne se passait jamais. La monotonie avait gagné le cœur de la jeune demi-naine qui avait pour seul sentiment que celui d’être socialement prisonnière de ce satané village. Village où il ne se passait rien d’intéressant hormis cette stupide fête du solstice d’été. Jamais elle n’avait remis sur le tapis son envie de partir vivre avec le peuple des nains, surtout auprès de son paternel qui était aisément agacé par ce sujet mais cette envie secrète la taraudait encore et toujours.

 

Amerys décida qu’elle s’était assez entrainée comme ça et porta sa carcasse jusqu’à l’étang où elle avait l’habitude de se délecter et où elle plongerait pour enlever la crasse et la sueur collante. Elle posa ainsi ses affaires sur le rebord herbeux, sans oublier la serviette pour s’éponger ensuite, ainsi après avoir enlevé ses habits glissa dans l’eau fraîche et miroitante. L’eau claire était parsemée de petites libellules vertes et bleues qui virevoltaient allègrement ici et là au dessus de l’eau dans un ballet plein de grâce. Elle nagea un peu de manière insouciante, éloignant les colverts qui pataugeaient paisiblement avant son arrivée. C’est alors qu’un bruit suspect parcourut les fourrés. En alerte elle stoppa sa nage et fureta les alentours calmement, le visage à demi noyé dans l’eau jusqu’aux pommettes. Elle chercha du regard un éventuel intrus humain ou animal mais rien ne pointa le bout de son nez. Après quelques instants elle se détendit et reprit sa nage.

 

Soudain, une bande d’enfants et d’adolescents fit son apparition près de la berge, tout près de ses affaires. Ils étaient cinq et parmi eux la jeune demi-naine reconnut le jeune fils d’Inia et celui de Myrielle âgés respectivement de quatorze et treize ans. Les trois autres étaient les enfants de connaissances. Leur sourire espiègle traduisait une indéniable envie de jouer un mauvais tour. Tous restèrent fixer malicieusement Amerys avant de prendre en otage toutes ses affaires et partir en courant en riant comme des fous, heureux de leur supercherie.

- Non ! Revenez ! Vous n’avez pas le droit ! cria à plein poumons Amerys qui, au contraire des enfants, n’était pas du tout amusée par cette mascarade de garnements.

Mais les farceurs étaient déjà bien loin… Agacée et face à l’incompréhension de ce mauvais petit jeu, la jeune femme regagna le rebord et vit que seule son épée n’avait pas été volée. Ainsi il n’y avait plus aucun de ses vêtements et sa serviette avait également été embarquée. Elle ragea entre ses dents en tapa sur l’herbe sèche, déclenchant dès lors une envolée de papillons orangés.

- Sales gosses ! Je vais vous faire la peau ! Soyez maudits ! s’exclama-t-elle furieuse.

 

Malgré sa colère elle allait honteusement devoir sortir et revenir près du village nue comme un ver… Fort heureusement sa maison était à l’orée des bois et elle ne devrait pas rencontrer grand monde. Il faudrait qu’elle se fasse discrète, aussi minuscule qu’une fourmi. Et quand elle serait à l’abri, elle irait de ce pas toucher un mot à Myrielle et tenterait de récupérer ses affaires par la même occasion.

Déambuler dans les bois les fesses à l’air fut relativement facile car l’endroit était désert. Néanmoins elle tenta de se cacher du mieux qu’elle put au cas où elle ferait une rencontre fortuite. Elle était bien évidemment gênée au plus haut point et appréhendait déjà les moqueries. Par moment l’envie de s’arrêter et se cacher en attendant qu’un miracle se produise était tentante. S’il pouvait pleuvoir des vêtements ou des draps elle aurait à l’instant été la plus heureuse des femmes… Malgré ces rêveries elle poursuivit sa marche avant d’être interpellée par une voix proche derrière son dos. Paniquée elle mit rapidement son épée devant soit pour cacher son pubis elle la pressa contre sa peau en croisant les bras sur sa poitrine pour cacher ce qui pouvait être caché, c’est-à-dire pas grand-chose. Un trottinement de cheval résonna et la voix se fit plus claire :

- Madame ! S’il vous plait, Madame ! haleta la voix masculine.

           Amerys se retourna alors et fit face à son interlocuteur en se tortillant. L’homme juché sur son cheval était de constitution frêle et devait probablement avoir plus de cinquante ans. Il trainait derrière lui un âne couvert de babioles et de sacs bombés. Le visage livide et suant il écarquilla légèrement les yeux quand il vit Amerys de plus près.

- Jeune fille, vous êtes nue ! Que vous-est-il arrivé ?

- Oh euh… rougie la jeune demi-naine. Je me baignais à l’étang quand des garnements ont volatilisé mes vêtements.

           L’inconnu descendit subitement de son cheval et fouilla dans un des sacs sur le dos de son compagnon à quatre pattes. Il en sortit un grand tissu bleu nuit de belle qualité et le lui offrit pour se couvrir. Amerys accepta généreusement et apprécia la politesse de ce geste. Finalement sa prière avait été entendue, même si les vêtements n’étaient pas tombés du ciel. Elle s’emmitoufla dedans, enfin apaisée et protégée des regards indiscrets.

- Merci infiniment Monsieur, je vous serai éternellement reconnaissante. Que faites-vous ici, je ne crois pas vous avoir déjà rencontré ?

- Je cherche simplement le village de Kerdiga Madame. Je m’appelle Yanno Duis. Voyez-vous je suis marchand ambulant et je voyage à travers les terres du milieu en faisant du troc et de la vente.

           L’homme paraissait bien fatigué remarqua alors Amerys. Il avait bien fait de vouloir s’arrêter dans son village pour prendre un peu de repos, d’autant plus qu’il suait beaucoup sous cette soudaine chaleur. Cela apporterait un peu de piment au quotidien des villageois et certains seraient ravis d’acquérir des objets venant des contrées lointaines.

- Oh c’est mon village, il est tout près. Nous serons ravis de vous accueillir et vous pourrez prendre du repos à l’auberge située au bourg. Madame Pomopam prépare de délicieuses tartes, vous allez vous régaler !

Le marchand ambulant s’essuya le front en grimaçant.

- Allez-vous bien ? s’inquiéta soudainement la demi-naine.

- Oui je vous remercie. Je suis simplement fatigué et depuis deux jours j’ai un peu mal partout. Cela doit être musculaire, c’est pourquoi j’ai besoin de repos.

           Il esquissa un léger sourire mais Amerys voyait bien qu’il n’était probablement pas au meilleur de sa forme, cependant elle n’insista pas.

- Suivez-moi je vais vous y conduire, lança-t-elle alors, nous somme tout près. Malheureusement vous m’excuserez de ne pas vous accompagner jusqu’au bout. Je ne tiens pas à me montrer sous cet angle au village.

           Le marchand hocha de la tête en signe d’acquiescement et fit claquer sa langue pour faire avancer son cheval et son âne. Ils marchèrent pendant quelques minutes avant d’arriver à l’entrée du village et des premières habitations.

- Vous voilà arrivé Monsieur Duis, annonça solennellement Amerys. Vous trouverez l’auberge sur la grande place, tout droit. Il n’y en a qu’une vous ne pourrez pas la louper. Je passerai vous voir pour vous rendre votre tissu.

- Gardez-le, cette teinte de bleu vous va à merveille, je n’aurais pu trouver meilleure personne pour le porter. Il est d’une grande qualité, je l’ai acquis auprès d’un nain des Montagnes Bleues il y a de cela quelques semaines, avec celui-ci vous pourrez vous coudre une belle robe.

           La naine se sentit véritablement touchée et remercia infiniment le marchand ambulant pour ce beau cadeau. Le fait que le tissu provienne de cet endroit si particulier à ses yeux lui procura une satisfaction inopinée qu’elle avait irrésistiblement envie de garder secrète.

- Je m’appelle Amerys. Si vous avez besoin de quoi que ce soit pour vos douleurs, n’hésitez pas à venir me voir. Ma mère et moi-même sommes guérisseuses. Nous habitons à l’orée de la forêt plus au sud et si vous ne trouvez pas, demandez aux villageois ils sauront vous indiquer le chemin.

- Merci jeune Amerys, vous êtes une âme généreuse. Peut-être nous verrons nous plus tard à l’occasion d’un troc ! ricana-t-il.

 

           Une fois séparée de ce gentil homme Amerys trottina en direction de sa maison. Emmitouflée dans le tissu bleu elle passa le pas de sa porte en soufflant de soulagement. Son père était encore à la forge et sa mère n’était pas là. Pressée, elle courut à l’étage dans sa chambre, puis enfila une robe avant de repartir à toute vitesse.

           Elle se rendit de ce pas chez Myrielle et une fois devant sa porte frappa sans retenue. Son amie lui ouvrit rapidement, la surprise se lisait sur son visage couvert de cicatrices et de ridules.

- Bonjour Amerys, quel bon vent t’amène ? demanda son amie sur la réserve.

           La demi-naine n’en fit pas cas et oubliant les politesses jeta un œil à l’intérieur de la maison, espérant dénicher le voleur. Mais la seule personne présente ici était Inia. Probablement pour prendre le thé et papoter de tout et de rien. Surtout de rien…

- Je cherche ton fils et celui d’Inia par la même occasion.

- Pour quelle raison ?

- Pour la raison que je me baignais dans l’étang, qu’ils sont venus voler mes vêtements et sont partis avec en courant comme des malotrus ! s’extasia-t-elle non sans dégager un soupçon de colère. J’aimerais simplement les récupérer. Je ne peux pas les corriger, ce ne sont pas mes fils mais crois-moi ils méritaient une bonne rouste.

- Comment peux-tu donner des leçons d’éducation toi qui n’a pas d’enfant ! s’étonna Inia depuis le salon.

           Amerys qu’il ne fallait surtout pas défier, ne put s’empêcher de laisser libre cours à son impulsivité et répliqua sèchement.

- Si c’est pour avoir un fils comme le tiens je suis bien contente de ne pas en avoir. Il ressemble bien à son père celui-là…

           Amerys entendit soudain une tasse qu’on repose brutalement dans sa coupelle, suivit de petits talons qui piétinent le parquet. Inia, furieuse apparut à la porte aux côtés de Myrielle. La jeune fille frêle et menue avait bien changée. Elle avait pris beaucoup de poids avec ses grossesses et les rides avaient creusé sont front. Quant à ses cheveux longs ils grisonnaient.

- Petite sotte ! cracha-t-elle. Comment oses-tu… Tu as quarante-huit ans et tu n’es pas mariée et n’as pas d’enfants. Tu es mal placée pour donner des leçons. Regarde-toi, tu es encore une enfant toi-même. Pas une seule ride ! Un visage lisse et doux comme à tes vingt ans. Tu n’as pas changé ! Tu me dégoûtes…

           Amerys sourit intérieurement à ces remarques puériles et comprit qu’Inia l’enviait simplement, elle enviait sa jeunesse et son physique inchangé.

- Serais-tu jalouse Inia ? minauda la demi-naine.

- Mes amies ! s’exclama Myrielle entre deux piques. Inutile de se chamailler. Amerys, je suis désolée de ce que nos enfants t’ont fait car c’est mal. Sois tranquille, tu récupéreras tes vêtements je te le promets. J’en toucherai deux mots à mon fils et cela ne se reproduira plus…

- Merci Myrielle.

 

           Ainsi Amerys ne s’attarda pas auprès des deux femmes car elle n’en avait aucune envie, surtout après les remarques cinglantes de l’autre folle furieuse. Alors sans demander son reste et après un au revoir poli elle repartit aussi vite qu’elle était venue et se rendit à la forge de son père.

Elle lui raconta dès lors sa mésaventure avec les garnements et sa rencontre inopinée avec le marchand.

- J’irai le voir sur la place, il a peut-être des objets intéressants, déclara son père. Je voudrais également le remercier d’avoir aidé ma chère fille.

- Oh papa c’est inutile…

           Amerys embrassa alors son père sur son front humide et charbonneux avant de retourner chez elle.

 

           Le lendemain, alors que la jeune femme préparait le déjeuner avec sa mère, on vint frapper à leur porte. Un villageois avait accouru pour prévenir que Monsieur Duis avait fait un malaise au milieu de la place pendant le troc du matin En bonnes guérisseuses, Amerys et Aenor enfilèrent sans perdre de temps leur tablier blanc et munies de leur trousse de guérison se rendirent auprès du marchand.

          Le malheureux avait été amené dans sa chambre à l’auberge et c’est dans cette pièce confinée qu’elles le trouvèrent bien mal en point. Allongé sur le lit il suait de fièvre en tremblant de douleur.

Amerys partagea avec sa mère un regard inquiet.

Cette dernière commença alors à l’inspecter sous toutes les coutures, son œil inquisiteur examinant les moindres détails. Le malheureux était bien vivant mais encore inconscient ce qui était frustrant car cela l’empêchait de poser des questions sur son état et ses douleurs.

- Qu’a-t-il maman ? interrogea alors sa fille soucieuse.

- Je l’ignore Amerys. Je ne vois aucune blessure qui aurait pu causer une infection. La fièvre parle d’elle-même pourtant, c’est très étrange.

- Hier il m’a fait part du fait qu’il avait mal partout, confia la jeune guérisseuse.

- Huum…

           Elle sembla réfléchir un instant, frotta entre ses mains son mince visage encadré par ses cheveux gris ramassés en tresse.

- Aide-moi à le déshabiller entièrement, ordonna-t-elle alors peu après.

           Dès lors, toutes deux s’exécutèrent et quelque chose d’inhabituel attira l’attention de la demi-naine. Elle désigna à sa mère un bouton blanc aussi gros qu’un œuf sur le haut de sa cuisse.

- Je n’ai encore jamais vu ça, regarde.

           Aenor s’approcha et toucha la zone bombée, elle resta perplexe face à ce mystère.

- Peut-être a-t-il été piqué par un insecte ? proposa Amerys.

- Possible mais j’ai un doute, dit-elle gravement en continuant à inspecter dans les moindres détails le malade. Pour le moment je vais lui administrer une décoction pour faire baisser sa fièvre. Nous allons également lui mettre un linge froid sur le front puis bien le couvrir. Nous reviendrons plus tard voir s’il va mieux.

 

           Le lendemain matin, de bonne heure, Amerys se rendit de retour au chevet de Monsieur Duis avec sa mère. Malheureusement son état ne s’était pas arrangé, au contraire il était encore plus fiévreux et il n’y avait plus un mais plusieurs gros boutons blancs, noircis autour à présent et éparpillés un peu partout. Aenor fronça les sourcils. Madame Pomopam qui avait veillé le malade assura qu’il s’était peu réveillé et le peu de fois où cela s’était produit il avait déliré à cause de la fièvre.

- Il y a quelque chose d’anormal dans ses symptômes, affirma à contre cœur la guérisseuse. Cela me rappelle vaguement une histoire entendue de la bouche de ma grand-mère à l’époque de sa vie à Dale.

- Quelle histoire ?questionna Amerys qui sentait que ça n’augurait rien de bon.

- Quand ma grand-mère était guérisseuse elle a semble-t-il connu une sombre période où une maladie étrange et inconnue a fait des ravage au sein de la ville. Poussées subites de fièvre, douleurs, gros boutons situés sur les zones des cuisses, des aisselles et du cou… Cette maladie était aisément transmissible et beaucoup de gens l’attrapèrent.

- Et comment la guérit-on alors ?

           Aenor tira une mine grave et déconfite.

- Il n’y a pas de guérison possible. J’ignore comment la combattre malheureusement… Peut-être existe-t-il un remède mais je ne l’ai pas.

- Va-t-il… murmura Amerys qui connaissait déjà la sombre réponse.

- Mourir ? Oui très prochainement. S’il a contracté cette même maladie bien entendu, rien n’est sûr car je n’étais pas là à cette époque, je n’ai pas connu cette période et ce mal mortelle.

           Amerys comprit tout de suite la gravité de ce que cela pouvait entrainer. Si cette maladie était bien la même et qu’elle était contagieuse, non guérissable et de surcroît mortelle, le village courrait un énorme danger. Le marchand avait été en contact avec des villageois, ainsi que les aubergistes, sa mère… et elle-même. Une inquiétude grandissante s’empara de son être et même si sa mère essayait de paraitre calme, les plissures de son front trahissaient une contrariété jusque-là rarement vu.

- La seule chose que l’on puisse faire, si c’est cette même maladie bien entendu, c’est de l’empêcher de se propager, il faudra l’a contenir et vite avant qu’elle ne touche trop de monde.

- Devons-nous le dire à tout le monde ? demanda alors la jeune femme. Au moins au maître du village ?

           Sa mère secoua la tête instinctivement et se gratta la tête comme elle avait l’habitude de le faire dans les moments où un choix difficile devait s’imposer. Elle essuya alors ses mains moites sur son tablier et commença à faire des allers et retours dans la chambrette.

- Personne ne doit le savoir pour l’instant, inutile de créer une panique si jamais Monsieur Duis n’a attrapé qu’une simple maladie qui ne se transmet pas. On ne sait pas ce qu’il lui est arrivé avant sa venue ici. Nous allons attendre et si jamais les symptômes se déclenchent chez des villageois, à ce moment nous pourrons nous inquiéter et informer la population.

           Amerys acquiesça sans rien dire, préférant laisser sa mère décider ce qui était le mieux pour le village.

-  Et papa ?

- Ne dis rien non plus à ton père sinon il m’interdira de soigner ces gens. Je ne veux pas qu’il m’en empêche et surtout je ne veux pas qu’il s’inquiète. Je reviendrai voir ce monsieur ce soir mais je préfère que toi tu restes à la maison. Je ne veux plus que tu sois en contact avec lui jusqu’à ce qu’on soit sûres de ce qu’est cette maladie. Et ne t’avise pas de contester ma décision !

           Amerys avala difficilement sa salive car si la maladie était contagieuse sa mère risquait sa vie à être autant présente auprès du patient. Mais elle n’avait osée contester l’autorité de ce petit bout de femme. Après tout Monsieur Duis avait peut-être simplement attrapé froid ou avait contracté une maladie non virale. Elle avait raison, il fallait attendre avant de tirer des conclusions hâtives. Demain serait un autre jour….

- Entendu, souffla-t-elle simplement pour accepter ce qu’elle ne pouvait pas contester. 

 

           Le soir venu la jeune naine eut beaucoup de mal à s’endormir, elle tourna et se retourna dans ses draps, trop perturbée par cette journée. Son sommeil fut ponctué de mauvais rêves. Sa mère était rentrée depuis un moment et n’avait montré aucun signe de faiblesse ou de maladie à son tour. Ainsi elle n’avait pas pu lui demander comment allait Monsieur Duis pour ne pas éveiller les soupçons de son père.

 

           Le lendemain cependant, sa mère l’informa que l’état du patient s’était aggravé et le soir venu Monsieur Duis rendit même son dernier soupir. L’annonce de la mort du marchand ambulant attisa la curiosité mais aussi l’inquiétude et même un peu de tristesse. Amerys ne cacha pas sa peine car cet homme avait été bon avec elle. Elle eut un pincement au cœur en revoyant le tissu qu’il lui avait offert et ce pincement s’intensifia quand elle se rendit au village et qu’elle vit sa carriole avec son cheval et son âne. Qui allait s’en occuper maintenant ? Yanno Duis n’était même pas encore enterré que les villageois s’étaient rués sur ses affaires afin d’en tirer le meilleur parti. Deux femmes se chamaillèrent pour une simple casserole… La carriole totalement vidée, il ne resta plus que la fière jument qui n’avait pas bougé et l’âne toujours attaché. Un homme d’une quarantaine d’années détacha soudainement ce dernier, c’est alors qu’Amerys l’interpella, outrée par cette étrange possessivité à s’emparer des biens du défunt.

- Qu’allez-vous faire de cet âne ? Il ne vous appartient pas.

- Il ne vous appartient pas non plus et son maître est mort, si personne ne le récupère il deviendra quoi ?

- Peut-être que d’autres personnes seraient intéressées… supposa alors la jeune demi-naine. Saurez-vous au moins vous en occuper ?

- J’en possède déjà un sans vous offusquer, je pense que je suis assez prédisposé à m’en occuper.

- Et la jument ne vous intéresse-t-elle pas ?

- Non pas le cheval, ça coûte trop cher en entretien, ils sont plus gros, mangent plus et n’ont pas la résistance des ânes. Personne ici n’en voudra croyez-moi. Le seul qui ne tardera pas à venir le réclamer c’est Monsieur Kergoz le boucher car c’est une viande chère et il pourra en retirer beaucoup.

           L’idée que le boucher vienne chercher la jument lui déplut au plus haut point. Elle était si belle et si calme, elle méritait mieux que de finir dans une assiette. 

- A moins que vous ne décidiez de la recueillir…

- Je… je ne sais pas, je n’ai jamais pensé à avoir de cheval à vrai dire. Quelle utilité je pourrais en tirer…

           Amerys s’approcha de la bête qui se laissa caresser. Elle était si douce, son pelage alezan était terne et poussiéreux à force de gambader sur les routes mais elle savait qu’une fois bien brossée il brillerait de mille feux. De carrure large et robuste elle n’était pas très haute, de taille moyenne elle avait une croupe bien arrondie et une queue blonde qui fouettait l’air, tentant de chasser par là quelques mouches curieuses. Son grand œil marron et oblique la fixa. Attendrie par la jument elle fut néanmoins tirée de ce moment de complicité par l’homme qui était toujours là.

- En parlant de boucher, le voilà !

           La demi-naine fronça les sourcils à l’arrivée de l’artisan des couteaux et de la chair fraîche. Déterminé il avançait à pas de géant, pressé de mettre la main sur la bête pour mieux remplir son porte-monnaie. Amerys s’agrippa derechef à la jument comme pour la protéger de son sort. Monsieur Kergoz la jucha alors sévèrement de ses yeux verts et de ses sourcils noirs broussailleux. Sous sa dégaine de travail et son tablier tâché de sang, le jeune quarantenaire aux cheveux noirs grisonnant posa les mains sur ses hanches.

- Je viens récupérer le cheval, annonça-t-il solennellement comme si tout était normal et qu’il lui été déjà acquis.

- Et de quel droit pensez-vous qu’il vous appartient ? répondit la jeune demi-naine sur un ton de défi.

- Je crois que personne d’autre n’est venu le réclamer à ce que je vois. Ainsi je prends la liberté de l’emmener avec moi à la boucherie, je suis persuadé que sa viande est véritablement succulente.

- Je ne vous laisserai pas l’emmener, elle mérite mieux que ça, tonna Amerys. Elle a l’air jeune et est en bonne santé physique. Elle peut servir j’en suis persuadée.

- Petite, j’ai beaucoup de respect pour ton père alors ne me fais pas regretter certaines paroles. Laisse-moi la jument et je ne te ferai pas de tracas.

           Amerys frustrée, lâcha l’encolure de la jument et se posta face à l’homme de bouche qui osait l’insulter publiquement.

- Ne m’appelez pas petite, je vous signale que je suis plus âgée que vous ! Mais vous le savez sûrement… A moins que vous ne vouliez me manquer de respect Monsieur Kergoz. Si vous respectez mon père, pourquoi alors ne me respectez-vous pas en ce moment même ?

           Le boucher grogna, tandis que l’homme qui s’était emparé de l’âne restait pantois, n’osant intervenir dans cette altercation. La jeune femme était indéniablement déterminée à défendre cette jument (et son amour propre, même si elle paraissait avoir la vingtaine elle en avait quarante-huit bon sang !)

- Si je ne peux pas l’amener à la boucherie, qui va s’en occuper ? interrogea le boucher résigné.

- Moi, affirma-t-elle sûre de sa soudaine et folle décision.

- Toi ? rit le boucher. Mais tu ne sais pas t’occuper d’un cheval, et tu ne sais pas monter. Ton père est-il d’accord au moins ?

- Je n’ai pas besoin de l’accord de mon père, je suis une femme adulte, grincha-t-elle. Je vais emmener avec moi cette jument et en prendre soin comme elle le mérite. Je pense que ce pauvre Monsieur Duis aurait aimé qu’elle soit entre de bonnes mains.

           L’homme de bouche souffla mais aussi étrange que cela puisse paraître n’insista pas et abandonna le combat pour entrer en possession de l’équidé.

- Garde donc cette satanée bourrique avec toi si ça te chante mais ne viens pas pleurer si jamais tu ne peux pas assumer sa charge. Si un jour tu veux t’en débarrasser ma boucherie t’est grande ouverte.

           Amerys resta le défier du regard, un regard haut et fier tandis que Monsieur Kergoz s’en retournait dans son atelier. Jusqu’alors contractée elle relâcha instantanément ses muscles tétanisés par la confrontation, puis agrippa la crinière de sa nouvelle amie, non sans un sourire aux lèvres.

- Félicitation fille de forgeron, vous voilà maîtresse de cette belle jument. Prenez-en soin et si vous avez besoin de conseils n’hésitez pas à venir me voir. Un cheval ou un âne c’est un peu pareil. Je m’y connais pas mal dans ces bestioles.

- Merci beaucoup Monsieur, c’est gentil de votre part je ne l’oublierai pas.

 

           Il acquiesça respectueusement et s’en alla tranquillement avec l’âne de Yanno Duis tandis qu’Amerys tournait les talons pour rentrer chez elle avec sa jument. Sa jument… Quelle idée lui était passée par la tête ?! Comment réagiraient ses parents en voyant arriver cette animal chez eux ? Où allait-elle la mettre ? Certes ils avaient une belle parcelle de terrain mais il faudrait monter une clôture, lui trouver de quoi s’abriter les jours de pluie, acheter de foin… Quelle folie s’était emparée d’elle… ? Au moins elle avait bonne conscience de l’avoir sauvée de la boucherie…

Ainsi sur le chemin du retour elle fit halte à la forge de son père qui arrêta son travail en voyant la monture apparaître dans son antre.

 

- Monsieur Duis t’a confié sa jument ? interrogea le forgeron qui ignorait que le marchand était mort.

           Le nain s’approcha doucement de la bête qui la dominait de sa hauteur. Il tapota son encolure de sa grosse main noircie.

- Non il ne me l’a pas confiée papa. Monsieur Duis est mort ce matin… Le boucher voulait s’en emparer alors…

- Ne me dis pas qu’elle est à toi maintenant ? fit son père les yeux ronds.

           Amerys se mordit instinctivement les lèvres, redoutant la colère de son paternel.

Ce dernier passa alors sa main dans sa barbe et fit la moue.

- Ma fille tu as trop bon cœur, ça te perdra un jour… Ramène-la à la maison, nous commencerons à monter une clôture demain.

           La jeune naine qui s’attendait à se faire sermonner, s’étonna de la réaction de son père et ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras en le remerciant. Elle lui expliqua qu’un villageois était prêt à lui donner des conseils et affirma qu’elle s’investirait à fond dans les soins de sa jument.

- Comment s’appelle-t-elle ? se demanda alors Daraïn.

- Je l’ignore à vrai dire…

           Son père inspecta de ce fait la selle et tout son attirail, tentant de dénicher un indice sur l’identité de cette brave bête. C’est là qu’il vit une inscription gravée grossièrement sur le cuir de la selle.

- Plum… ette… Plumere… Plumerette ! Elle s’appelle Plumerette !

- Ça lui va bien, sourit Amerys heureuse que son père approuve la venue d’un nouveau membre de la famille.

           Soudain sa mine se fit grave

- Qu'est-il arrivé à ce marchand ambulant Amerys ? Comment a-t-il pu rendre l’âme si rapidement ?

- Il… Il était malade. Maman et moi n’avons rien pu faire.

- Mort de quelle maladie ? insista-t-il.

- Nous ne savons pas…

 

           Les jours qui suivirent la mort du marchand ambulant, d’autres villageois tombèrent malades à leur tour comme l’avait redouté la guérisseuse. La maladie était bien contagieuse et de surcroît mortelle. Aenor avait essayé tant bien que mal de la contenir mais celle-ci s’était déjà répandue. En accord avec le maître du village une annonce fut faite à la population, avec des indications précises sur ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Chacun fut invité à rester chez soi et à éviter tout contact physique avec qui que ce soit, même les membres de sa propre famille. Les malades furent rassemblés dans une seule et même pièce innocupée mais Aenor dépassée ne savait plus quoi faire. Dès lors elle avait dû se résoudre à accepter l’aide de sa fille, non sans regret, ainsi que celle d’autres volontaires. Les gens avaient indéniablement les mêmes symptômes que Monsieur Duis et il était difficile d’endiguer une telle contamination. Les jours passèrent, certains villageois passèrent de vie à trépas. Amerys assistait impuissante à cette horreur et tentait avec l’aide de sa mère de délivrer le maximum de soins pour soulager ces gens qu'aucun remède ne semblait pouvoir guérir. Elles brûlaient régulièrement les linges, les vêtements… Par miracle aucune des deux femmes n’avaient contracté la maladie et c’est ainsi qu’elles avaient pu continuer à prodiguer soin et réconfort au grand dam de Daraïn qui voyait les deux femmes de sa vie mettre chaque jour leur vie en danger. En plus du marchand, sept personnes avaient trouvé la mort, cependant le jour où Amerys vit le fils de son ancienne amie Inia, la maladie prit une ampleur encore plus féroce. Allongé sur un lit de fortune parmi les autres souffrants, il tremblait et suait tandis que sa mère serrait désespérément sa pauvre petite main. Le désespoir se lisait dans les yeux de la malheureuse. Amerys qui avait éprouvé autant de colère contre elle ainsi que ce garnement lorsqu’il avait volé ses vêtements, ne sentait maintenant que de la pitié et de la tristesse. Jamais elle ne leur aurait souhaité ça. Mais alors qu’elle passait à côté pour soigner un autre malade, Inia s’agrippa à elle dans un cinglant désespoir.

- Je t’en prie Amerys, sauve mon petit, sauve-le je t’en conjure… supplia-t-elle pleine de larmes.

           Le cœur de la jeune demi-naine se serra, il était si difficile de promettre la guérison de quelqu’un quand il avait peu de chance de survivre… Mais à ce moment même, sur ce lit, était étendu l’enfant d’une personne qui avait compté pour elle à une époque. Inia n’aurait pas dû être là, elle aurait dû se trouver chez elle à l’abri mais elle n’osa réprimander une mère au chevet de son enfant.

- Je te promets que je ferai de mon mieux, déclara-t-elle alors sans trop se prononcer sur de belles promesses.

- Merci…

 

           La journée fut fort éreintante et deux personnes décédèrent ce jour-là, dont Madame Pomopam l’aubergiste, ce qui attrista une fois de plus Amerys. Chaque mort était une ultime souffrance. Voir ces gens mourir sans rien pouvoir faire était en tout point horrible, jamais la jeune femme n’avait autant été confrontée à la mort qu’en cet instant lugubre. Tous étaient impuissants contre ce mal fatal. De même il était étonnant de voir à quel point ce il se répandait chez certaines personnes tandis que d’autres ne contractaient rien du tout, comme elle ou sa mère. Elle dut se résoudre que certains corps étaient plus résistantes que d’autres. Il n’y avait pas d’autre explication.

           Le soir, après une brève visite à Plumerette, elle se coucha encore une fois très préoccupée. Le poids des responsabilités de guérisseuse commençait à devenir lourd et l’impuissance se muait en frustration immense, à voir ses âmes partir sans pouvoir les sauver. Ces morts… ces morts étaient difficiles à supporter. Amerys les revoyait avant de s’endormir et ces nuits n’étaient que torture infinie. Elle avait peur que cette maladie ne cesse jamais et que tout le village y passe.

 

           Le lendemain sa mère ne vint pas la réveiller comme à l’habitude depuis l’apparition de la maladie, elle descendit alors avec appréhension et c’est son père qui lui annonça l’affligeante nouvelle.

- Ta mère est souffrante Amerys…

           Non pas sa mère, pas après tout ce temps sans aucun symptôme, c’était impossible. Impossible ! Elle retint alors ses larmes et prit sur elle pour ne pas s’effondrer.

- Où est-elle ?! Je veux la voir…

           Sa pauvre maman était bien évidemment allongée dans sa chambre, les draps remontés jusqu’à son cou couvraient sa faible personne. Des gouttes de sueur perlaient sur son doux visage. Celle-ci était encore consciente ainsi Amerys s’approcha d’elle et prit sa main qu’elle serra fort contre elle comme Inia avait pu le faire avec son fils.

- Maman… commença-t-elle à sangloter. Non pas toi maman, tu ne peux pas… Pourquoi toi, pourquoi pas moi ?

- Ma chérie, tout va bien aller, susurra-t-elle car trop faible pour parler correctement. Tu n’as pas été touchée car ton sang nain te procure une résistance plus élevée que celle des humains. Lors du grand mal de Dale ma grand-mère a affirmé qu’aucun nain n’est tombé malade malgré la présence de beaucoup d’entre eux dans la ville.

           Amerys fut un peu abasourdie par cette révélation mais submergée par la mal-être de sa mère, ce sentiment s’évapora en un instant comme si plus rien n’avait d’importance.

- Tu vas t’en sortir maman, murmura-t-elle les joues dégoulinantes en lui épongeant le front avec un linge humide.

           Elle lui fit une décoction et prodigua tout un tas de soins qu’elle savait inutiles sinon les autres patients ne seraient pas morts… Le désespoir devait probablement se lire sur son visage fatigué.

           Aenor ordonna néanmoins à sa fille de ne pas insister car c’était inutile puis elle resta momentanément la fixer, avec un sourire attendri.

- Je suis fière de toi Amerys. Tu as grandi si vite… Tu… tu mérites tellement de trouver ton bonheur car tu es une belle personne, je ne dis pas ça parce que tu es ma fille… mais parce que c’est la vérité. Je… Je sens au plus profond de mon être que tu es destinée à de grandes choses… Je le sens si fortement.

- Non ne commence pas à me dire ça, à sortir les violons et faire comme si tu n’étais déjà plus de ce monde, c’est encore plus difficile. Tu peux guérir, certains y sont arrivés !

         Aenor claqua sa langue machinalement et lâcha la main de sa fille, soudainement agacée par la réaction de son enfant qui n’arrivait pas à admettre la réalité. Elle posa un regard sur Daraïn posté derrière elle, la mine si attristée qu’il semblait perdu dans un autre monde.

- Je suis malade et je suis vieille c’est amplement suffisant pour connaître mon sort. Va aider ton père à finir de monter la clôture pour Plumerette, ne… ne va pas aider les malades aujourd’hui car d’autres le feront, je… je veux que tu te reposes, continua-t-elle avec une voix faible. On se voit tout à l’heure.

- Je ne veux pas te laisser seule… Papa… commença-t-elle en cherchant son soutien.

           Mais son père, accablé par la possible mort de son épouse s’était muré dans le mutisme. Le nain portait sur son visage une effroyable tristesse que même la dureté de ses traits ne pouvait cacher. Ses yeux gonflés trahissaient ses récentes larmes, jamais elle n’avait vu le forgeron dans cet état.

- Ton père et moi nous sommes déjà tout dit cette nuit Amerys.

 

           La demi-naine accablée à son tour par le sort de sa chère mère pleura derechef avant de déposer un baiser sur son front et sortir de la pièce comme si le monde autour d’elle s’effondrait. A contre cœur elle suivit son père pour aller monter la clôture de Plumerette et hormis les termes techniques de travail, rien ne sortit de la bouche de ce nain. Amerys ne donna pas le meilleur d’elle-même dans cette tâche et c’est même colérique qu’elle abandonna le montage en criant au monde sa souffrance. Deux bonnes heures avaient passé quand elle retourna au chevet de sa mère, laissant son père seul s’acharner à la tâche.

 

           Sa mère dormait quand elle revint la voir et ne se réveilla que deux heures après. Son visage était devenu très pâle et ses lèvres sèches étaient craquelées. La sueur avait rendu poisseux ses longs cheveux.

- Aussi têtue que ton père… murmura-t-elle en voyant sa fille à son chevet.

           Dès lors les deux femmes discutèrent de tout et de rien pendant un long moment jusqu’à ce que Daraïn les rejoigne en fin de soirée. Posté de l’autre côté du lit en face de sa fille il chérit sa femme tendrement. Aenor plongea un peu plus tard dans l’inconscient et entre deux regards entre sa fille et son époux, rendit son dernier soupir dans la nuit. Les larmes d’Amerys coulèrent en silence tandis qu’elle resta regarder un moment le visage détendu de sa mère et le léger sourire qui resterait à jamais figé dans la mort. Plus rien ne serait jamais comme avant, la souffrance ressentie en ce moment même était incommensurable et elle ne réalisait pas encore que sa mère ne serait plus jamais près d’elle… La douleur était telle qu'elle semblait insurmontable et pourtant elle ne pourrait rien y faire, tel était le cycle de la vie.

 

           

           Deux semaines plus tard, la maladie avait enfin cessé de s’étendre mais le bilan s'avéra bien lourd. Au total, ce fut quarante personnes qui moururent dont la mère d’Amerys et le jeune fils d’Inia, ainsi que le mari de Myrielle, tandis que vingt autres avaient miraculeusement survécu et se remettaient doucement de ce mal qui avait semé la terreur parmi toutes les familles environnantes. Deux semaines de deuil pour tout le monde, deux semaines que la mère d’Amerys s’en était allée et deux semaines que le quotidien avait littéralement changé. Daraïn était sorti de son mutisme et commençait seulement à accepter la mort de sa femme alors qu’Amerys noyait sa peine dans les moments qu'elle passait avec Plumerette. La jument était son réconfort, son appui, ce qui lui permettait alors de tenir et d’oublier cette souffrance. Elle avait perdu un être, elle en avait gagné un autre, gardant alors un certain équilibre et acquérant une force jusque-là insoupçonnée pour avancer et continuer sa vie malgré la douleur.


 

 


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