Le commencement
Chapitre 4 : Une succession d'ennuis.
Après seulement trois petites heures de sommeil, je suis brutalement réveillé par le vacarme des portes du labyrinthe qui s’ouvrent. Le choc du bruit me fait sursauter et je pose instinctivement une main sur ma tête : un mal de crâne lancinant me traverse les tempes. Je me glisse péniblement hors de mon lit, mes muscles endoloris par le sommeil trop court. Je me recoiffe à la hâte, enfile mes vêtements et m’assure d’être présentable avant de rejoindre les coureurs. Chaque matin, je tiens à les saluer avant leur départ. Surtout Minho… On ne sait jamais s’ils reviendront le soir. Cette pensée me serre la poitrine et me fait avancer d’un pas pressé, le cœur battant plus vite. Je marche jusqu’à la salle des cartes et, juste avant que je n’arrive à la porte, les coureurs s’élancent vers le labyrinthe. Tous sauf Minho. Dès qu’il me voit, il s’élance vers moi, le visage crispé par l’inquiétude et la colère. À ma hauteur, il me saisit le bras avec une force surprenante et me regarde d’un air accusateur.
- T’étais où hier soir ?
- Dans ma chambre, pourquoi ? Dis-je, surpris et déjà sur la défensive.
- Menteur…! grogne-t-il en resserrant son emprise sur mon bras. Je suis passé te voir et tu n’étais pas là…!
- Tu me fais mal… me plains-je en posant ma main sur son poignet pour qu’il me lâche.
Mais sa force est immense, et je n’arrive pas à me défaire de son étreinte. Il me tire légèrement vers lui, rapprochant son visage du mien. Ses yeux brun étincelant de reproche et de curiosité, et il répète avec insistance :
- Alors t’étais où… ? Ou devrais-je dire, dans quel plumard…?
- Sérieux, Minho ?! m’exaspère-je, posant ma main sur son épaule pour essayer de le repousser doucement. J’étais seul hier soir. Je me suis simplement endormi dans "notre endroit", et je suis allé me coucher dans ma chambre tard dans la nuit.
Il me regarde un instant, ses traits se détendent légèrement, une lueur de soulagement dans ses yeux.
- Vraiment ?
- Évidemment, idiot… Tu sais bien que je ne vois que toi, dis-je en retirant mon poignet d’un petit coup sec. Si tu n’as rien d’autre d’idiot à dire, je m’en vais… conclu-je vexé, lui tournant le dos.
- Newt… reprend-il, attrapant de nouveau mon bras. Pardon… Je suis con…
- Un peu, oui… confirme-je, mais le ton est plus tendre cette fois.
- Là, je n’ai pas trop le temps, mais ce soir, je dois te parler d’un truc.
- D’un truc ? m’étonne-je, intrigué.
- Ouais… On peut se rejoindre pour vingt heures ce soir, à notre endroit ? propose-t-il, sa voix plus douce que ses reproches matinaux.
- Heu… d’accord, accepte-je, le cœur un peu plus léger.
Il glisse sa main le long de mon bras, venant effleurer mes doigts avant de les laisser s’écarter, puis il m’adresse un dernier sourire avant de partir en trottinant vers le labyrinthe. Sa présence, sa chaleur et la douceur de son geste me laissent un frisson étrange. Malgré sa remarque un peu blessante, je ne peux m’empêcher de sourire intérieurement. Ce soir, j’aurai un tête-à-tête avec mon bel athlète… Et il semble qu’il ait quelque chose d’important à me dire. Peut-être veut-il simplement s’excuser pour son comportement avec moi à cause de l’histoire avec Jessy… Mais je me surprends déjà à rêver à plus : à un « Je t’aime » murmuré, à une proximité que je redoute autant que je désire… Et le reste de la journée qui s’annonce me paraît soudain interminable…
Mais en voyant Gally sortir du dortoir, mon sentiment de bien-être se fracasse aussitôt. La vision me revient en pleine figure : son corps plaqué contre celui d’Antoine, ses mains agrippées à ses hanches, le souffle lourd… Cette image résonne encore dans ma tête comme un écho obscène dont je n’arrive pas à me débarrasser. Je sens un froid courir le long de ma colonne, malgré la chaleur étouffante du matin. Il va vraiment falloir que j’éclaircisse les choses. Je ne peux pas me contenter de faire comme si de rien n’était. Et si Gally forçait Antoine…? Si ce que j’ai vu n’était pas consenti ? La pensée seule me soulève le cœur. Mais je n’ai pas le courage d’aller les confronter maintenant. Ma migraine pulse derrière mes yeux, un marteau battant à un rythme régulier, épuisant. Je dois d’abord réfléchir… trouver les bons mots… éviter de déclencher une tempête.
La matinée s’écoule lentement, péniblement. En début d’après-midi, je rejoins les Scarleurs pour travailler dans les jardins. Aujourd’hui, nous avons encore beaucoup de travail : étendre nos plantations, préparer la terre, vérifier l’arrosage… Tout cela sous un soleil écrasant. L’air est si chaud qu’il semble vibrer autour de moi. Ma peau brûle, ma chemise colle à mon dos, et ma tête… Ma tête n’est plus qu’un étau serré autour de mes tempes… Après deux heures à peine, je commence réellement à flancher. Ma vision se trouble par vagues, mes oreilles bourdonnent, un vertige grimpe le long de ma nuque jusqu’à me donner la nausée. J’ai l’habitude de tenir, de ne pas me plaindre, de continuer à travailler même quand je suis au bout du rouleau… mais là, je sens le sol se dérober sous mes pieds.
- Zart… je vais prendre une petite heure, ça va pas trop… murmuré-je, la voix éteinte.
Il me répond d’un signe de tête compréhensif, et je m’éloigne lentement, essayant d’éviter que mes pas tremblants ne trahissent mon état. Je rejoins les dortoirs en cherchant de l’ombre, n’importe laquelle. La lumière blanche du soleil m’agresse, me pique les yeux et ravive ma migraine. Quand j’entre dans ma chambre, collée au dortoir principal, je ressens un mince soulagement : l’air y est plus frais, plus calme. Juste à côté se trouvent les chambres de Winston et Zart. C’est vrai que nous, les Matons, avons la chance d’avoir chacun notre propre espace. Une porte qui ferme. Un lit à nous. Un endroit où ranger nos affaires sans craindre qu’on nous les vole. Chaque fois que j’y pense, je me sens un peu coupable. Surtout quand je traverse le grand dortoir…
Je récupère des vêtements propres et mon savon, puis je ressors et pénètre dans le dortoir principal. Il y règne une odeur de foin, de poussière, et de sueur mêlée. Les lits sont serrés les uns contre les autres, irréguliers, certains avec de vrais matelas, d’autres avec de simples planches adoucies par des couvertures usées. Ici, on voit clairement les différences : plus t’es nouveau, moins tu as de confort. Et pourtant… malgré le manque, malgré la dureté, on finit toujours par trouver une place et quelques couvertures pour accueillir le dernier arrivé. Je traverse l’allée lentement, une main posée sur mon front brûlant. Ma tête pulse encore. Mais au moins, ici, il fait sombre. Ici, je peux respirer. Et peut-être… peut-être que l’eau fraîche de la douche réussira à calmer un peu cette migraine qui me ronge depuis le matin.
Au fond de la pièce, derrière une porte faite de bambou, se trouvent nos douches, puis un peu plus loin nos sanitaires. C’est vétuste, mais suffisant pour maintenir une hygiène correcte. Dix douches pour cinquante garçons… mais grâce aux bâtisseurs, et surtout à Alby, on a presque toujours de l’eau chaude. Et au pire, même froide, je me lave. Impossible de faire l’impasse sur l’hygiène, contrairement à certains Blocards qui se contentent d’un bain d’air quand ça leur chante. J’entre dans une cabine et je me déshabille, déposant mes vêtements sales dans le panier prévu pour ça. Mes mains tremblent un peu, la fièvre me donne des frissons sous la peau. Je me glisse sous la douche et tire la corde. L’eau me tombe dessus, fraîche, coupante. Mon corps sursaute, mais c’est surtout moi qui suis brûlant : la chaleur extérieure me tue, et ma migraine pulse à l’intérieur de mon crâne, lourde, poisseuse, comme si quelqu’un battait ma tête contre les murs… Je passe ma tête sous l’eau, laissant le filet glisser sur mon front brûlant… Ça fait du bien, oui, mais ça n’apaise rien. Ça ne fait que laver la sueur et la nausée qui m’étouffe. Je me lave rapidement, presque mécaniquement, mon savon contre ma peau brûlante… puis je me rince, vacillant légèrement, et sors de la douche.
Je m’essuie, m’habille, essore mes cheveux encore trempés. Je glisse ma serviette mouillée dans le panier et m’apprête à sortir quand la porte s’ouvre brusquement. Je me retrouve face à Gally. Il est planté là, le torse légèrement bombé, les yeux brûlants d’une tension nerveuse qui me met immédiatement mal à l’aise.
- Oh désolé Newt, j’savais pas que t’étais là, dit-il en levant les mains.
- Pas grave… t’inquiète. J’ai fini. Tu peux y aller, soufflé-je, déjà épuisé rien qu’en parlant.
Je veux passer. Mais il m'attrape… Sa main se referme sur mon bras, chaude, ferme, possessive. Une poigne qui refuse le simple contact neutre : il me retient.
- Je voulais m’excuser… pour t’avoir saoulé au sujet d’Antoine. Je me suis excusé auprès de lui aussi. Ça va mieux entre nous. J’étais juste sur les nerfs…
Je hoche vaguement la tête, même si mon crâne pulse de plus en plus fort.
- Tant mieux. C’est le principal…
Mais une pensée me traverse, lourde, acide : Et si ce que j’ai vu hier soir… c’était parce qu’il “s’excusait” déjà ? Je refuse d’y croire… mais les images reviennent, poisseuses, obsédantes, déformées par mon propre dégoût…
- Je voudrais pas que tu aies une mauvaise image de moi, ajoute-t-il avec un sourire qui me glace.
- Ce n’est pas le cas, dis-je en me dégageant. Je tente encore de passer. Il se remet devant moi…
- Ce qu’a dit Jessy sur toi… c’est faux.
- Laisse tomber. Ça m’a pas touché.
Je ne veux pas parler… Je veux juste un lit, du calme, un remède… Ma tête tourne. L’air me semble lourd, étouffant… Mais Gally s’obstine, et sa main se referme de nouveau sur mon poignet, plus fort encore.
- Tu sais… Moi j’ai jamais couché avec Jessy. Contrairement à Minho.
- Minho non plus, répliqué-je, agacé malgré la migraine qui m’écrase.
- Comment peux-tu en être sûr ?
- Et toi comment peux-tu l’être…? grogne-je, crispé.
- Simple supposition.
- Garde-les pour toi, et lâche-moi.
Mais il ne lâche pas. Sa poigne se resserre, mes doigts picotent. Je sens son souffle, trop proche. Son regard glisse, lourd, avide, sur mon visage…
- Newt, je sais que tu m’as vu hier soir, murmure-t-il en me tirant vers lui.
- Je… je sais pas de quoi tu parles… soufflé-je, honteux, nauséeux, égaré. Je détourne les yeux.
- Ne mens pas. Je t’ai vu.
Je dépose mon panier, repoussant son torse. Cette fois je m’emporte, la colère montant malgré le voile de fièvre qui trouble ma vue…
- Vu que tu tiens tant à en parler… j’espère qu’Antoine était consentant !
- Bien sûr que oui ! Tu me prends pour qui ?
- Pour ce que t’es : une brute ! Et j’espère que t’utilises pas ton titre de Maton pour ça ! Mais la il se fâche… Moi aussi… La pièce tourne un peu… mais je tiens, poussé par la colère.
- Il l’était ! T’as qu’à lui demander !
- Je ne vais pas m’gêner…!
- Tsss… il te dira pareil que moi !
- J’espère…! soufflé-je en retirant mon bras avec un mouvement sec.
Mais Gally persiste… Et cette fois… il me chope avec violence. Son regard est brûlant, impatient, dévorant. Il me scrute comme s’il me déshabillait déjà des yeux.
- Tu sais… Tout le monde n’a pas la chance de Minho. Dès qu’il veut baiser, il te trouve dans son pieu…
- Qu… Qu’est-ce que tu racontes…? dis-je, mal à l’aise, le cœur battant à cause de la fièvre et de la peur mêlées.
- Je sais que tu couches avec lui. Tout le monde le sait ! Même Alby ! Je serre les dents… La nausée remonte. J’ai chaud. Trop chaud…
- Mes histoires ne te regardent pas ! Et ça n’a rien à voir avec ce qu’on disait !
- Pourquoi il n’y a que lui qui a le droit de te toucher ?! crie-t-il en me secouant.
Son souffle est chaud sur mon visage… Le mur tangue derrière lui. Ma migraine cogne plus fort, et la peur grimpe dans ma gorge…
- Arrête, Gally…! Lâche-moi !
- Hors de question…
Sa voix descend d’un ton… rauque… Affamée. Et je me rends compte, avec un frisson glacé malgré la fièvre, qu’il ne compte pas me laisser partir. Au contraire : il me saisit encore plus fort et me projette violemment contre le mur de la cabine de douche. Le choc me coupe le souffle, ma tête cogne légèrement, ravivant ma migraine qui explose dans mon crâne comme un coup de marteau. Avant même que je puisse reprendre l’air, il écrase sa bouche contre la mienne. Je pousse un gémissement étouffé de dégoût, sa bouche est dure, pressante, sa respiration brûlante contre ma peau. Je pose mes mains sur ses épaules pour le repousser mais il est trop fort. Sa masse me plaque contre le mur, son torse lourd m’écrase presque. Moi, avec ma fièvre, mes tremblements, mes jambes molles… je ne suis rien face à lui… Je le sens lécher mes lèvres, et pour forcer ma bouche à s’ouvrir, il attrape mon menton d’une main large et cale ses doigts douloureusement sur ma mâchoire. Je grimace, sa poigne me fait mal. Il appuie plus fort encore, m’oblige à céder, et sa langue visqueuse s’enfonce dans ma bouche, me donnant la nausée. Je tente de le repousser, je frappe contre son torse, contre ses épaules, mais ma force ne vaut rien contre la brutalité animale de Gally. Il ne bouge pas d’un centimètre…
Il finit par détacher sa bouche de la mienne, un fil de salive me colle encore aux lèvres, et descend immédiatement dans mon cou, qu’il mord, lèche, suce, avec une violence fiévreuse. Sa barbe râpe ma peau, m’arrache presque un cri de douleur.
- Gally…! Lâche-moi !! Lâche-moi tout de suite ! hurlé-je, paniqué.
Mais il n’écoute rien… Rien…. C’est comme si ma voix ne lui parvenait pas. Je sens sa main descendre, glisser sur mon flanc, puis pincer mes fesses avec une force qui me fait sursauter.
- Gally…! Stop…!
Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser sous ma peau brûlante. Je suis malade, faible, tremblant… et lui en profite. Sa main glisse jusqu’à mon intimité, puis mon pantalon tombe, arraché avec une brutalité déchirante. Je pousse un cri étranglé… la peur monte, sourde, paralysante.
- Arrête…! Lâche-moi putain…! paniqué-je en griffant son visage, frappant comme je peux, désespéré.
Du sang perle à la commissure de sa lèvre où mes ongles ont raclé, mais il ne s’arrête pas. Il s’énerve… Sa respiration devient rauque.
- Arrête de gigoter ! crache-t-il, rouge de colère.
Il plaque sa main contre mon cou, me coupant presque l’air. Je tends les mains vers son poignet, je tente de le faire lâcher, mais ma vision se trouble, les contours tremblent, la migraine martèle. Je sens la fièvre pulser dans mes joues, dans mes tempes… De son autre main, je le vois défaire son pantalon, qu’il laisse glisser jusqu’à ses chevilles, et il colle son corps nu contre moi… Je sens son sexe dressé presser contre mon ventre, énorme, dur, menaçant… Un haut-le-cœur me serre. Je suis paralysé, pris au piège… Je ne suis plus qu’une poupée molle et malades dans les bras d’une bête…
Il revient m’embrasser avec une violence encore plus intrusives, ses mains serrant mes fesses, me broyant presque. Puis il attrape brutalement ma cuisse et la soulève d’un seul geste, m’arrachant presque du sol.
- Gally…! N… Non…!!! ma voix se brise, les larmes montent d’un coup. Il… il ne va pas me faire ça…?
- Hum… t’es bon… souffle-t-il contre ma gorge, qu’il mordille, suce, avec une faim écœurante.
- Gally…! Arrête…! Ne fais pas ça…! supplie-je, désespéré.
Mais rien à faire… Il est lancé… Déchaîné. Il se positionne entre mes jambes, je le sens, je le devine, je panique, son sexe presse contre mon intimité, prêt à… Mais soudain …
SPLASH…
Un seau d’eau glacée lui explose au visage. J’en prends aussi une partie en plein torse, ce qui me fait frissonner violemment. Le choc stoppe Gally net. Il sursaute et recule d’un pas, désorienté… Je glisse au sol, tremblant, et je me précipite pour remonter mon pantalon, mes mains tremblent tellement fort que je peine à l’attraper. Je me réfugie derrière Chuck. Oui, Chuck, le petit nouveau torcheur, qui tient un balai à frange comme une arme. Son visage est blême, ses yeux écarquillés de peur. Gally, lui, tire son pantalon en tremblant, la honte et la colère se disputant son regard désormais brouillé.
- D-Désolé… Je… Je sais pas ce qu’il m’a pris… balbutie-t-il.
Je ne réponds rien… Je n’y arrive pas. Je tremble tellement que mes dents s’entrechoquent. Mon cœur bat trop vite, trop fort. Mon souffle refuse de se stabiliser. Ma fièvre me brouille presque la vue. Je suis au bord du malaise… Au bord de… je ne sais même pas. Mais sûrement pas loin de tomber…
- Newt, pardon… Je… dit Gally d’une voix étranglée, avançant d’un pas, les mains levées vers nous comme pour s’excuser physiquement.
- T’approche pas ! lui répond Chuck avec un courage que je ne soupçonnais pas, agitant son balai comme une arme.
- Chuck… laisse-moi lui parler… insiste Gally en avançant encore d’un demi-pas, ses yeux fixés sur moi avec une supplique désespérée.
- Newt, vas voir Alby ! me conseille Chuck sans détour, sa voix tremblante mais ferme. Il ne quitte pas Gally des yeux, prêt à bondir si nécessaire.
Mais… je ne tiens plus… Un vertige brutal me traverse, ma vision se brouille et mes jambes deviennent soudain en coton. Ma tête tourne, mes oreilles bourdonnent… Je sens la chaleur de la fièvre remonter d’un coup, comme un mur qui s’effondre sur moi. Je veux dire quelque chose, rassurer Chuck, m’éloigner… mais mes lèvres ne bougent plus… Je m’effondre… Le sol me heurte violemment… Puis plus rien.
Dix minutes plus tard
- Newt…?
- …
- Hé ho Newt…? Tu m’entends…? Je reconnais cette voix… douce, calme… Clint.
- Clint… soufflé-je en ouvrant difficilement les yeux.
- Il reprend connaissance ! signale le Medjack derrière lui.
Ma vision se clarifie à peine et je vois aussitôt Alby et… Gally penchés au-dessus de moi. Chuck aussi, en retrait, les lèvres pincées, le regard inquiet. Alby passe immédiatement sa main contre ma joue ; sa paume est fraîche, rassurante. Son visage est tendu, les sourcils froncés.
- Tu vas bien ?! Qu’est-ce qui s’est passé…!? Tu as fait un malaise ?! demande-t-il, la voix tremblante d’inquiétude.
- Oui… approuvé-je faiblement.
Mon regard glisse malgré moi vers Gally. Il me regarde comme si sa vie dépendait de ma réponse… les yeux ouverts, presque terrifiés. Il me supplie silencieusement de me taire. Je ravale ma salive.
- Raconte-moi ? insiste Alby, sa main glissant sur mon front.
Je ferme un instant les yeux… Ma poitrine se serre. J’ai peur… Peur de ce que Gally pourrait faire… mais peur aussi qu'il soit banni si je parle trop… Mais mes lèvres bougent toutes seules.
- J’étais… soufflé-je d’une voix faible, en train de discuter avec Gally et Chuck… puis je me suis senti mal et… je suis tombé.
Je sens Gally expirer silencieusement, soulagé. Chuck détourne les yeux, mal à l’aise.
- Je vois… sûrement un coup de chaleur. dit Alby en reposant sa main sur mon front. Tu es encore brûlant.
- Hum… pardon de vous inquiéter… murmuré-je.
- Ne t’excuse pas voyons. répond Alby avec un sourire tendre, presque trop tendre.
Son regard brille d’une douceur qui me met mal à l’aise… surtout après ce qu’il vient de se passer. Une douceur qui ressemble… à de la possession.
- Bon, intervient Clint, je vais amener Newt à l’infirmerie pour qu’il se repose le reste de l’après-midi.
- Compris. Mais je me charge de l’amener. dit Alby en se redressant.
Avant même que je ne proteste, il se penche et glisse son bras sous mes jambes pour me porter.
- Ça va Alby, je peux marcher… dis-je, gêné par cette proximité soudaine, par son besoin de me garder contre lui.
- Je t’amène. Ne discute pas. Allons-y Clint.
Il me maintenant contre son torse comme si j’étais quelque chose de précieux… ou de fragile. Son bras serré dans mon dos me donne presque le vertige émotionnel. Gally nous suit. Pas pour m’aider. Juste pour vérifier que je ne parle pas… Arrivé à l’infirmerie, Alby me dépose sur un lit et s’éloigne seulement quand Clint lui assure qu’il s’occupe de tout. Gally s’approche alors de moi, juste assez pour que seul moi l’entende.
- Merci… souffle-t-il, avant de suivre Alby, les épaules rigides.
Je ferme les yeux, écœuré. Clint me donne une infusion brûlante et infecte. Je l’avale quand même d’une traite, trop fatigué pour protester. Je me couche enfin, épuisé, vidé… Tout se mélange dans ma tête : la chaleur, la peur, la nausée… Le poids de Gally contre moi… ses mains… ses dents… sa force… sa respiration de bête… le son de mon propre cœur paniqué… J’ai encore du mal à croire que c’est arrivé. Si Chuck n’était pas intervenu… Gally m’aurait… Il m’aurait violée. Je frissonne, une larme glissant silencieusement sur ma tempe… Et Antoine… Mon Dieu… Antoine… Si Gally a pu me faire ça… à moi… malade, fiévreux, Maton… Qu’a-t-il fait au pauvre Antoine…? Ou qu’est-ce qu’il pourrait encore lui faire, si je continue à me taire ? S’il recommence… s’il force encore quelqu’un… Alors oui. Il faudra le bannir… Même si ça me terrorise d’y penser. Mais pour l’heure… je dois juste… dormir. Ma fièvre m’écrase. Je sombre presque aussitôt dans un sommeil lourd et trouble.
…
Je me réveille après plusieurs heures de sommeil et je réalise que la nuit est tombée. Je me sens encore lourd, fiévreux, vidé… mais mon premier réflexe est pour Minho. On devait se retrouver ce soir, à notre endroit. Et s’il fait déjà nuit… ça veut dire que j’ai tout raté. La panique me traverse d’un coup et je sors précipitamment de l’infirmerie. Une fois sur place, l’emplacement est vide. Pas une ombre. Pas une trace de lui. Mon cœur se serre. J’espère qu’il ne m’a pas attendu. J’espère qu’on l’a prévenu… Je retourne vers le dortoir, me glissant dans l’ombre pour éviter les regards. Entrer dans la chambre de Minho en pleine nuit ferait parler, et je n’ai vraiment pas besoin de ça. Je soulève doucement le rideau et me faufile à l’intérieur. Minho dort profondément. Sa respiration est régulière, presque apaisante. Sa peau blanche capte la lueur de la bougie, ses cils tremblent légèrement… Il ressemble à un gamin épuisé qui aurait enfin trouvé le repos. Je sens mon cœur se serrer encore plus fort. Je n’ose pas le réveiller. Il a besoin de dormir. Et moi… moi, j’ai juste manqué notre moment. Je me penche et dépose un baiser léger sur son front. Sa chaleur contre mes lèvres m’enveloppe, me calme juste une seconde… puis la frustration remonte. Demain. Demain, il faudra qu’on se retrouve. Je ressors en silence et sur le chemin du retour, une silhouette immobile près du feu attire mon attention. Chuck. Il fixe les flammes sans cligner, complètement absorbé. Ses épaules sont tendues, sa petite silhouette semble minuscule dans la clarté mouvante du brasier. Je m’approche.
- Chuck ? Ça va ?
Il sursaute, puis se précipite contre moi en m’enlaçant. Son petit corps tremble légèrement.
- Hé, doucement… Tu vas bien ? dis-je en lui ébouriffant les cheveux.
- J’sais pas trop… murmure-t-il en se détachant, ses doigts s’entortillant nerveusement entre eux. Je pose ma main sur son épaule, doucement.
- Au fait… merci pour ce que t’as fait aujourd’hui.
- De rien… souffle-t-il. C’est normal. Mais… Gally… Il grimace dégoûté mais surtout apeuré.
- Quoi ? Il t’a dit quelque chose ? dis-je pour l’aider à parler.
- Non… mais il doit me haïr, maintenant. Il va me le faire payer… j’en suis sûr… Je secoue la tête.
- Il devrait plutôt te remercier de lui avoir remis les idées en place. Et t’en fais pas, je te protégerai. Il relève un peu les yeux vers moi, hésitant.
- Newt… faut le dire à Alby. Il t’a agressé ! Et si j’avais pas été là, il aurait peut-être continué ! Je baisse un peu la tête. La vérité me brûle les lèvres.
- Non. Tu dis rien à Alby. S’il apprend ça, Gally sera banni. Je… Je ne veux pas en arriver là.
- Mais toi ? proteste-t-il, les yeux brillants. Il t’a…?
- Non, t’en fais pas. Il m’a à peine touché. Et puis… tout le monde a le droit à un moment de faiblesse.
Même si, au fond, je n’y crois pas une seconde. Même si la peur me serre encore le ventre. Même si mes doigts tremblent encore un peu. J’ai juste pas la force de porter ça tout seul ce soir…
- Tu es sûr que ça va ? demande Chuck en prenant ma main dans la sienne, inquiet comme un enfant.
- Mieux, oui. Rassure-toi.
- D’accord… Je lui souris doucement.
- Allez, va dormir, Chucky.
- Ok… Bonne nuit, Newt.
- Bonne nuit.
Chuck s’éloigne vers le dortoir, l’air encore soucieux. Moi, je reprends la direction de ma chambre, la tête pleine de questions lourdes et confuses. Est-ce que je dois en parler à Alby…? Est-ce que Gally mérite une seconde chance…? Je n’en sais rien. Je n’ai plus l’énergie de réfléchir… Alors que j’arrive près de ma porte, un bruit sec me fait sursauter. Comme quelque chose qui se casse dans la chambre d’Alby. Par réflexe, par curiosité, et peut-être aussi parce que j’ai besoin de comprendre quelque chose, n’importe quoi, je m’approche. Je pousse légèrement la porte, juste assez pour voir. Alby est au lit avec un Blocard. Je referme aussi vite. Une vague d’agacement me traverse immédiatement. Pas de la jalousie. Juste… de l’incompréhension. Pourquoi il me ment ? Pourquoi il dit qu’il n’a aucune relation ? Pourquoi il critique ceux qui le font ? C’est insensé… Ça me laisse un goût amer. Un malaise…. Je croyais pouvoir lui faire confiance… Mais mon pressentiment s'est avéré vrai. Ce sentiment de malaise que j’ai avec lui depuis un moment… Tout devient clair…
Je rejoins ma chambre, épuisé, et je m’allonge en espérant trouver un peu de calme. Mais alors que mes yeux commencent à se fermer, la porte s’ouvre brusquement. C’est Gally. Il entre comme si c’était chez lui. Et rien qu’à sa silhouette, mon ventre se noue. Je me redresse d’un bond sur mon lit, me reculant instinctivement, le plus loin possible de lui. Mon cœur rate un battement. Mes mains deviennent moites. La panique remonte, sourde, immédiate… Gally referme la porte derrière lui, et mon cœur se met immédiatement à battre plus vite. Je sens ma gorge se serrer, mes mains devenir moites. Il y a encore son ombre sur les murs, encore la sensation de ses mains sur ma peau… et je n’arrive pas à respirer normalement. Il avance d’un pas dans la pièce, et mes épaules se crispent.
- Newt… il faut que je te parle, dit-il en s’approchant encore un peu plus de mon lit.
Je me recule instinctivement, même si je ne peux pas aller plus loin, le dos déjà collé contre le mur.
- Heu… Je… J’allais dormir… balbutié-je, la voix presque inaudible.
- Je te dérangerai pas longtemps… insiste-t-il, d’un ton qui n’a rien de vraiment apaisant pour moi.
Je hoche la tête, incapable de refuser. Je n’ai même pas la force d’inventer une excuse.
- Ok… Je t’écoute…?
Gally s’avance et s’assoit sur mon lit sans me demander, roulant tout son poids contre le matelas, juste à côté de ma jambe. Je retiens un frisson. Mon ventre se tord. L’odeur de sueur et de terre qu’il porte encore sur lui me ramène brutalement à la scène de tout à l’heure. La proximité me rend malade. Mais je reste immobile. Parce que je sais très bien ce dont il est capable. Il fixe le vide un long moment. La bougie sur ma table projette une lueur dorée qui glisse sur son visage, un visage que j’ai vu tordu par la colère, par la force brute. À présent ses yeux brillent, mais d’une autre manière. Et soudain, il s’effondre. Sa tête tombe sur mes genoux, son corps secoué de sanglots.
- Gally…? soufflé-je, sidéré.
Je n’arrive même pas à bouger. Mes mains restent figées de part et d’autre de mes cuisses. J’ai peur que le moindre geste, le moindre refus, rallume la bête qu’il était sous la douche.
- Pardon…! Je… Je suis tellement désolé, Newt… Je ne sais pas ce qui m’a pris…! Je voulais pas te faire de mal…! Je voulais pas…! Pardon…!
Il pleure contre moi, et le contact me brûle. Mon instinct me hurle de le repousser, de lui dire de sortir, de fermer la porte à clé. Mais mon corps reste docile, figé, paralysé par une peur sourde qui monte dans ma poitrine. Je me sens minuscule sous son poids, vulnérable, pris au piège entre lui et le mur.
- Gally… soufflé-je faiblement. Il relève légèrement la tête, ses joues mouillées, ses yeux rouges.
- Juste que… tu me plais beaucoup… lâche-t-il dans un souffle tremblant. J’avais envie de t’avoir… Je me suis laissé emporter par mes émotions… et ma colère… Mais je regrette tellement… Je déglutis de peur.
- J’ai cru comprendre ça… murmuré-je avec une petite grimace. Il essuie ses joues du revers de la main, prenant une grande inspiration.
- J’aimerais que tu me pardonnes… Si tu le peux…?
Je reste silencieux, mon estomac se nouant encore davantage. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Mais ses yeux me scrutent avec une intensité qui me fait baisser le regard. Je crains trop sa réaction si je dis non. Je crains qu’il explose encore. Qu’il me touche encore…
- Newt… S’te plaît…? insiste-t-il, suppliant, mais si proche… trop proche.
Mon cœur cogne, cogne, cogne. Et les mots sortent tout seuls, comme arrachés…
- D’accord… soufflé-je après un court silence. Il expire, soulagé.
- Merci…
Le silence retombe d’un coup. Il me regarde longuement, comme s’il cherchait à deviner ce que je pense réellement. Moi, je fixe mes mains qui tremblent légèrement sur mes genoux. Même si je lui dis que je lui pardonne… Je sais que je ne me sentirai plus jamais en sécurité avec lui…
- J’imagine que tu dois vraiment me voir comme un monstre… dit-il en soupirant. Et maintenant, tu doutes sûrement encore plus pour Antoine… Je comprends…
- Gally… n’en parlons plus… murmure-je pour mettre fin à cette conversation.
Il attrape soudain ma main. Mon cœur rate un battement. Sa paume est chaude, lourde, enfermant mes doigts. Je réprime un frisson.
- Je te jure qu’Antoine était d’accord, Newt ! Va lui demander si tu veux !
- Gally… c’est bon… Je suis fatigué… dis-je en retirant ma main aussi vite que possible, presque brusquement. Il finit par se lever, lentement.
- Je vais te laisser, alors… mais crois-moi quand je dis que je suis vraiment désolé, Newt… Et… ne dis rien à Minho, s’te plaît…
Je ne réponds pas. Je veux juste qu’il parte… Il se dirige vers la porte et finit par sortir. Quand la porte se referme enfin, un souffle que je retenais depuis trop longtemps s’échappe de ma poitrine. Mes mains se mettent à trembler pour de vrai cette fois. Je me sens écrasé par la fatigue, par la peur qui redescend lentement en moi comme un poison. Je suis soulagé qu’il soit parti… mais terrifié à l’idée qu’il revienne un jour dans cet état. Il a peut-être pleuré… peut-être regretté… mais la peur, elle, ne disparaîtra jamais vraiment.
A suivre... !
Prochain chapitre : Une douce nuit.
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