Le commencement
Chapitre 8 : Je m'appelle Thomas !
Je reprends connaissance d’un coup, comme arraché aux profondeurs d’un cauchemar. Mon corps bondit du sol et je retombe aussitôt à quatre pattes, les muscles tétanisés. Je tousse, je suffoque, je crache mes tripes, un flot d’eau glacée me remonte dans la gorge et finit par s’écraser sur le métal humide sous moi. Quand la crise se calme enfin, je réalise que je suis enfermé dans… une cabine ? Un ascenseur ? Je ne sais pas. Rien n’a de sens… L’obscurité m’enveloppe, lourde, étouffante. Je suis trempé, gelé, et le grondement mécanique qui résonne autour de moi me transperce les tempes. Le sol vibre… Les parois tremblent. La machine monte vite, trop vite. Je n’ai aucune idée de ce que je fous là. Je n’ai aucune idée de qui je suis. Un souffle court me coupe la poitrine. Mon cœur cogne comme s’il voulait me briser les côtes de l’intérieur. Je transpire à grosses gouttes. Mes doigts tremblent, mes muscles vacillent. J’ai l’impression que le monde se referme sur moi. Pris d’un réflexe désespéré, je me jette contre la grille et je tire de toutes mes forces, hurlant d’une voix étranglée par la panique :
- À L’AIDE !!!
Mais l’ascenseur freine soudain. Un choc brutal me projette au sol. La montée cesse. Tout s’arrête. Le plafond glisse… et s’ouvre.
Une déchirure de lumière me frappe en pleine figure. Le soleil m’aveugle entièrement. Je plisse les yeux, crispé, le souffle coupé. Le ciel, trop bleu, trop vaste, m’écrase. Le monde hurle de clarté. Le temps que ma vue s’habitue, je distingue des formes… des ombres mouvantes… puis des silhouettes… Des voix se mêlent, indistinctes, moqueuses. Je ne comprends rien. Je ne comprends rien du tout. Où suis–je…?
Les silhouettes deviennent des visages. Une dizaine de garçons me fixent depuis le bord de la fosse, leurs rires secs résonnant comme des claques. La grille claque. L’un d’eux descend. Un rouquin massif, taillé comme un mur. Ses bras sont énormes, ses épaules prennent toute la place. Il me saisit par le col, me soulève comme si je ne pesais rien.
- Ça va ? Pas trop secoué ? lance-t-il d’un ton presque amusé.
Je n’arrive même pas à ouvrir la bouche. Je panique trop. Mon souffle se bloque, mes mots meurent dans ma gorge… Il n’attend pas ma réponse. D’un geste sec, il me balance hors de la cabine. Je tombe lourdement sur la terre, les paumes râpées, les genoux qui explosent de douleur. Autour de moi, des visages que je ne connais pas se penchent, tordus par des sourires narquois.
- J’crois que ce gars va m’aider en cuisine !
- Vu sa tronche, il fera un bon Torcheur !
Ils rient tous. Une vague de chaleur et de honte me monte aux joues, mais c’est surtout la terreur qui m’envahit. Ma poitrine se serre si fort que j’ai l’impression de manquer d’air. Je n’entends plus que mon cœur. Fuir… Je dois fuir.
Je bondis du sol. Je bouscule des épaules, des torses, des mains qui tentent de m’attraper. Je me mets à courir sans réfléchir, sans regarder où je vais, juste pour m’éloigner d’eux, de leurs regards, de cette folie.
- Hey !! Le nouveau est un Coureur !! hurle quelqu’un derrière moi.
Je n’écoute pas. Je sprint comme si ma vie dépendait de chaque foulée… Le sol est une pelouse irrégulière, mouillée de rosée. Des touffes d’herbes hautes fouettent mes jambes. J’aperçois des arbres dispersés, maigres, tordus. Et un petit champ. Et… des maisons ? Non… des cabanes. De simples constructions de bois, bancales, rafistolées avec des planches récupérées, des bouts de cordes, des morceaux de métal. Rien n’est droit. Rien n’est solide. Ça ressemble plus à un camp de fortune qu’à un endroit où vivre. Je trébuche. Une racine me prend les pieds. Je chute de tout mon poids, la bouche pleine de terre, le souffle violemment expulsé de ma poitrine. Des éclats de rire éclatent encore derrière moi. Je relève la tête, et je vois enfin…!
Des murs gigantesques. Immenses. Hauts comme des immeubles. Du métal froid, des plaques complexes, comme des machines figées. On est enfermés. On est piégés dans un carré d’herbe, encerclés par quatre murs qui semblent toucher le ciel. Et il n’y a qu’une seule ouverture… une faille béante dans cette prison de métal.
- Ouais regarde bien, tu vas comprendre ! lance l’un des garçons dans mon dos, hilare.
Une pression énorme me tombe sur les épaules. Le monde tourne. Je n’arrive plus à respirer. La peur me submerge tellement vite que je n’ai même pas le temps de lutter. Ma vision se brouille… Le sol se déforme. Tout devient noir. Je m’effondre. Et je perds connaissance.
…
Des voix lointaines me tirent lentement de ma léthargie, comme si elles traversaient un épais brouillard. J’ouvre les yeux, les paupières lourdes, chaque clignement me fait frissonner. Je comprends vite que je suis enfermé dans une sorte de cage… Non, une fosse, délimitée par des barrières de bois rugueux et de cordes usées, serrées jusqu’à la douleur. J’essaie de rassembler mes idées, mais elles s’éparpillent comme des feuilles au vent. Tout est flou. Mon premier souvenir est celui de la boîte, de ma chute, de cette montée vertigineuse… et je ne me rappelle même pas de mon nom. Qui suis-je…? Où suis-je…? L’angoisse serre ma poitrine et ma respiration s’accélère, irrégulière, presque douloureuse. Soudain, deux garçons passent devant la fosse. Je sursaute, crispé, et me blottis contre le mur du fond. Leurs pas résonnent comme des coups dans ma tête. Ils ne me remarquent même pas.
- Ramène ton cul bouffon, j’attends pas encore trente-six mille ans !
- Ouais ouais, deux minutes !!
Leurs voix s’éloignent. Avec prudence, j’ose avancer. Mes yeux s’ouvrent sur un monde étrange. Des garçons, que des garçons, travaillant la terre, s’occupant des animaux, construisant des cabanes bancales avec des planches fendues et des cordes effilochées. L’air est chargé d’odeurs de fumier, de bois humide et de sueur, de cette vie frêle mais obstinée. Autour de nous, un carré d’herbe, parsemé de quelques arbres maigres, est encerclé par des murs métalliques gigantesques, froids, imposants, dont une seule ouverture laisse entrevoir le monde extérieur. Peut-être la sortie… mais l’idée de fuir me paralyse presque. Je tente de défaire le cordage de ma cage. Mes mains tremblent, mes doigts sont engourdis et maladroits. Rien ne cède. L’impuissance serre mon estomac. Un mouvement à l’ombre me fait bondir en arrière. Un garçon à la peau brune surgit, ses traits marqués par le soleil, les épaules solides, les yeux alertes. Je recule au fond de la fosse, observant chaque détail : sa stature rassurante, la fermeté de ses gestes, la confiance tranquille qui émane de lui.
- Salut le nouveau.
Sa voix, calme mais ferme, tranche dans le tumulte de mes pensées. Il ouvre la cage.
- Je m’appelle Alby. Interdiction de se tirer maintenant. Je veux savoir ton nom, et si tu te souviens de quelque chose.
Je sens mes genoux se plier sous moi, les mains pressées contre ma tête.
- Je… je sais pas… Je ne me souviens de rien… Pourquoi…? Pourquoi je me souviens de rien ?!
Alby s’accroupit devant moi, posant sa main tendue avec une assurance douce.
- Calme-toi. On est tous passés par là. Viens, je vais t’expliquer.
Je reste une seconde à hésiter, le cœur battant à tout rompre, le souffle court, mais l’angoisse laisse place à une lueur d’espoir. Je saisis sa main et me laisse tirer hors de la fosse. Chaque pas me ramène lentement à la conscience. Alby m’entraîne à travers ce qu'il appelle le "Bloc". Le sol meuble craque sous nos pas, le parfum de l’herbe humide et de la terre fraîche me prend aux narines. Partout, des garçons travaillent, rient, s’entraident. Certains sont grands, musclés, leurs bras sculptés par le labeur, d’autres plus petits et vifs, mais tous affichent cette énergie obstinée qui semble tenir ce lieu en vie.
- Tout comme toi, nous sommes tous arrivés par la boîte sans souvenir. Chaque mois, elle remonte avec un petit nouveau et des vivres.
Je fronce les sourcils, intrigué, les yeux capturant chaque visage, chaque mouvement.
- Qui… nous a amenés là ? L’interroge-je en retour.
- On ne sait pas. On se contente de survivre. Le nombre de garçons me frappe.
- On est vachement nombreux… Alby croise mon regard.
- On est cinquante-deux avec toi. Mon esprit calcule, confus.
- Mais… ça veut dire que vous êtes là depuis longtemps ?
- Cinq ans et deux mois.
- Cinq ans…?
Je sens mon estomac se nouer. Cinq ans enfermés… et je viens d’arriver… Hors de question que je reste là aussi longtemps…! Mais une question me tourmente : si un nouveau remonte chaque mois, alors… pourquoi cinquante-deux et pas soixante-deux ?
- Grimpe, le nouveau !
Il m’entraîne vers une tour de guet. L’échelle de bois ripe sous mes mains, chaque barreau résonne contre mes paumes. Mon cœur tambourine, et quand je jette un regard en bas, je vois le carré d’herbe, les bâtiments éparpillés, quelques arbres maigres. Une vision à la fois triste et fragile, comme un rêve mal agencé.
- Ce n’est pas grand-chose, mais c’est tout ce qu’on a. On a travaillé dur pour former cette communauté et avoir ce minimum de confort.
Je m’accoude à la rambarde, observant les garçons dans le jardin, la lumière caressant leurs épaules, les visages marqués par l’effort et l’ardeur.
- Mais… on devrait être plus nombreux si ça fait cinq ans…?
- En effet… tu as raison. Mais on a connu des jours sombres.
Je répète ses mots dans ma tête. Des jours sombres… je sens un frisson parcourir mon dos.
- Écoute, on a trois règles ici. Première : tu fais ton boulot, on n’a jamais eu de glandeur. Deuxième : tu ne frappes jamais un Blocard. Troisième : tu ne vas jamais, jamais de l’autre côté.
Il désigne la faille dans le mur, et un frisson de peur m’envahit.
- Il y a quoi là-bas ?
- Rien de bon pour toi. Bien, maintenant suis-moi.
Sa main tapote mon épaule, rassurante et ferme à la fois. Je le suis, mon esprit tourbillonnant de questions, mes yeux ouverts sur ce monde étrange, ce Bloc où je suis prisonnier… mais vivant.
Alby m’entraîne jusqu’à un bâtiment qui semble être les dortoirs. Je fronce les sourcils en observant l’intérieur : une grande pièce éclairée par des ouvertures étroites, des lits disposés un peu partout, certains à l’écart derrière des rideaux ou des planches branlantes, d’autres carrément isolés dans de petites chambres séparées. Mais la plupart sont alignés, parfois à même le sol, et chaque matelas porte des traces d’usure et d’humidité. L’air sent le linge humide et le bois chaud, un mélange étrange de confort sommaire et de rudesse. Je ne peux m’empêcher de remarquer chaque détail, chaque égratignure sur le sol, la façon dont la lumière tombe sur les couvertures usées, la manière dont les garçons passent entre les lits, leur allure concentrée, presque mécanique.
- C’est là que tu vas dormir, m’indique Alby.
- Ah… d’accord…
- Ma chambre est juste derrière. Il me montre une cabane un peu à l’écart du dortoir. Mais si jamais tu as besoin, viens me voir. Je cligne des yeux, surpris.
- Tu as une chambre toi…?
- Oui, privilège d’être un ancien, me sourit-il. Tous les Matons ont le droit à une chambre à part.
Je me retiens de poser mille questions en une seule fois. Maton… chef… depuis combien de temps ils organisent tout ça ? Qu’est-ce que ça implique vraiment ?
- Ah… Maton, ça signifie chef…?
- C’est ça. Tu auras l’occasion de rencontrer les autres plus tard. Pour le moment, je vais te laisser entre les mains de Chuck. Ce soir, tu te reposes, mais demain… dit-il en me pointant du doigt, Newt te trouvera un travail.
- C’est qui ça ?
- Tu verras bien, conclut-il en passant à côté de moi, tapotant mon épaule.
Je regarde Alby s’éloigner, et presque immédiatement mon attention est attirée par un petit garçon, à qui il a fait un signe de la tête, qui tient un balai et un seau. Il est joufflu, son visage rond constellé de taches de rousseur, les cheveux légèrement frisés, entre roux et marron, la petite bouche cachée derrière un large sourire presque enfantin malgré sa taille assez grande et son corps plutôt imposant. Il me repère et court vers moi avec cette énergie exubérante qui semble emplir l’air autour de lui.
- Salut le nouveau ! Je m’appelle Chuck. Ravi de te connaître ! lance-t-il, ses yeux pétillant d’enthousiasme.
- Heu… Salut…
Il pose le balai et le seau et s’écrie, comme s’il devait me convaincre :
- Hé hé ! T’inquiète, le nouveau ! Au début c’est très dur ici, parce que tu te souviens de rien et tu ne connais personne… mais tu vas finir par trouver ta place.
Je hoche la tête, mais mon esprit tourne à mille à l’heure. Pourquoi je ne me souviens de rien ? Qui sont ces “anciens” dont il parle ? Que signifient ces règles, ces rôles ? Chaque détail me brûle les yeux, mon cerveau essaie de tout analyser, de tout cataloguer…
- Mais… je ne comprends rien… pourquoi on est là ? demande-je, troublé.
- On ne sait pas. Je crois qu’on doit être des sujets d’expérience. C’est ce que disent les anciens.
Je répète ses mots dans ma tête : des sujets d’expérience…? Comme des rats…? Un frisson me parcourt le dos et mes mains se crispent instinctivement. Une sensation étrange me serre la poitrine, un mélange de peur et de certitude diffuse. Quelque chose en moi me dit que c’est vrai… que nous sommes peut-être vraiment des expériences, mais l’image reste floue, inaccessible, comme si un voile recouvrait mes souvenirs. Je tente de rassembler mes idées, mais mon cerveau s’emballe. Pourquoi moi… pourquoi eux… pourquoi je ne me souviens de rien ? Qu’est-ce qu’ils ont fait à tous les autres avant moi ? Et qu’est-ce que ça veut dire pour moi… pour ce qui va m’arriver ? Chaque question en engendre une autre, et je me surprends à analyser chaque détail autour de moi, chaque geste de Chuck, chaque expression sur le visage des garçons. Tout devient suspect, tout semble porter un sens caché que je ne parviens pas à déchiffrer. Mon estomac se noue. J’ai l’impression de tourner en rond dans ma propre tête, piégé dans un labyrinthe de questions sans réponses. Et pourtant, une petite voix intérieure, incertaine mais persistante, me murmure : oui… c’est ça. Nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes… testés. Observés. Comme des rats dans une cage. Et plus je me concentre, plus cette certitude diffuse me serre le cœur et me glace le sang. Je sens mes pensées se multiplier, se heurter les unes aux autres, incapables de se poser. Tout ce que je sais, c’est que quelque chose est terriblement faux, quelque chose m’échappe, et que chaque détail de ce Bloc, de ces murs, de ces garçons, doit cacher une vérité que je n’arrive pas à atteindre.
- Bon aller, je vais te trouver un lit ! Reprit-il en en posant ses mains sur ses hanches résolues.
Puis, il se dirige vers un grand placard et en sort un vieux matelas pourri, crasseux, qu’il traîne jusqu’à un coin de la pièce près des chambres des Matons. Il le dépose à côté d’un matelas déjà couvert d’une couverture et de quelques objets maladroitement cachés sous l’oreiller. Puis, il ajoute une couverture plutôt propre et un oreiller avant de se tapoter les mains.
- Voilà ! Ici, ça sera parfait ! Juste à côté de mon lit !
- Par terre ?
Je fronce les sourcils, surpris. Un lit à même le sol… alors que les autres ont soit des sommiers de bois sommaires, soit des planches qui les isolent un peu, ou même des hamacs… Pourquoi moi ? Mon esprit analyse immédiatement la situation : position du matelas, proximité des autres, confort relatif, humidité du sol… chaque détail devient une donnée à décortiquer, comme si mon cerveau voulait cataloguer tout ce qu’il voit pour comprendre ce monde étrange.
- Ouais, désolé, mais les nouveaux ne sont pas prioritaires pour les vrais lits et encore moins pour les chambres, dit-il en jetant un coup d’œil à la chambre d’un Maton. Je le regarde, intriguée.
Je jette un coup d’œil au lit de Chuck. Il est posé sur des planches de bois qui le surélèvent un peu du sol, mais rien d’hyper confortable. Pas de sommier, juste de maigre planche posée les unes sur les autres. Ça me laisse deviner qu’il est assez nouveau, lui aussi.
- T’es nouveau aussi, alors ?
- Je suis là depuis trois mois ! Dans les derniers arrivés, il y a moi, puis Antoine, puis Fred, et enfin toi !
Je hoche la tête. Mon cerveau ne s’arrête jamais. Trois mois… et déjà il a trouvé sa place… combien de temps ça va me prendre ? Comment on fait pour survivre ici ? Tout est si… codé, organisé… mais incompréhensible pour moi.
- La vie ici n’est pas facile…! On doit bosser tous les jours. Mais heureusement, on est une communauté soudée !
- Ah…?
Je fronce légèrement les sourcils, intrigué. Une « communauté soudée »… À première vue, ça semble vrai. Les garçons que j’ai vus jusqu’ici s’entendent plutôt bien. Alby a été autoritaire, mais il avait une façon de l’être qui n’était pas déplaisante, et Chuck… Chuck est incroyablement gentil. Mais je ne peux m’empêcher de me poser des questions. Pourquoi ne sont-ils que des hommes ? Cela ne doit pas être facile tous les jours… les tensions doivent forcément surgir parfois, non ? Comment font-ils pour gérer ça, vivre ensemble, dormir ensemble, partager le moindre espace et chaque décision ? Et si quelqu’un ne suit pas les règles… Comment cela se passe-t-il vraiment derrière ces sourires et ces paroles rassurantes ? Un frisson me parcourt, mélange de curiosité et d’appréhension.
- Ouais ! Tu vas vite voir qu’ici c’est tous les jours pareil : on se lève, on mange, on travaille, on mange, on travaille, on dort, on se lève…
- Je vois…
Chuck sourit, visiblement content de pouvoir entrer dans les détails.
- Ah, et moi je suis torcheur, alors je vois tout ! Faut nettoyer les espaces communs, les chambres, la cuisine, les toilettes, la douche… Et puis ramasser le fumier dans la grange le faire sécher, avant de l’amener aux Scarleurs… Franchement, y a toujours un truc qui traîne, ou une odeur qui ne part pas, donc tu cours partout, tu nettoie tout… Après ça, tu aides à remettre de l’ordre dans les outils ou à déplacer des caisses, et si t’as un peu de chance, tu peux t’asseoir deux minutes avant de recommencer. C’est pas glamour, mais quelqu’un doit le faire, hein ! Poursuit-il sans fin.
Le petit Chuck est sympathique, mais je n’écoute presque plus ses paroles. Mon regard reste figé sur l’ouverture dans le mur, ce passage étroit et interdit qui semble aspirer toute mon attention. Chaque détail m’obsède : le métal froid et rugueux, les plaques solidement soudées, les rivets qui brillent faiblement sous la lumière du jour. Il y a quelque chose dans cette faille qui défie la raison, qui m’attire et m’intrigue en même temps. Mes pensées s’emballent, se succèdent sans fin. Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Pourquoi personne ne va jamais là-bas ? Que cachent ces murs immenses ? Est-ce un danger… ou quelque chose d’autre, que je ne peux même pas imaginer ? Et si je pouvais juste… voir un peu… rien qu’un instant ? Chaque question engendre une nouvelle interrogation, et mon esprit tourne en boucle, pesant les possibilités, imaginant des scénarios, des créatures, des dangers, des secrets… Je me surprends à détailler l’ombre qui filtre à travers l’ouverture, à imaginer le monde au-delà, invisible mais vivant, inaccessible. Mon cœur bat plus vite à cette idée, un mélange de peur, de curiosité et d’excitation. Je note chaque vibration, chaque son diffus provenant de là-bas, comme si le mur lui-même respirait et me défiait de franchir cette limite. Je reste figé là, incapable de détourner le regard, incapable de me concentrer sur Chuck ou sur les mots qu’il prononce. Mes pensées s’entrechoquent, s’emballent, se perdent dans mille et une questions sans réponses. Tout ce que je sais, c’est que cette faille… m’appelle, silencieusement, irrésistiblement… Et ma curiosité me pousse à agir. Avant que Chuck puisse continuer, mes pieds me portent déjà vers la faille dans le mur. La curiosité me dévore, et une partie de moi se sent plus vivant à l’idée d’oser regarder l’interdit.
- Hey…! Tu fais quoi ?! On n’a pas le droit d’y aller ! me crie Chuck, déjà en train de trottiner derrière moi pour m’emboîter le pas, ses joues tremblant légèrement sous l’effort et l’inquiétude.
- J’y vais pas, je regarde juste, répondis‑je en m’approchant encore un peu plus du long couloir sinistre…
Un souffle froid s’en échappe, glissant sur ma peau comme une caresse glaciale. Les parois de pierre semblent se resserrer en un couloir sans fin, sombre, avalant la lumière petit à petit.
- T’approche pas…! s’inquiète le garçon joufflu, sa voix étranglée, presque un couinement paniqué.
- T’inquiète, promis je ne passe pas… Je regarde… juste…
Je reste planté là, le cœur battant trop vite, comme si ce couloir maudit aspirait quelque chose en moi. L’air sent le métal humide, la poussière froide… J’observe attentivement la pénombre… ce gouffre sans horizon… Puis soudain, deux silhouettes émergent au bout, courant à toute allure. Le sol vibre légèrement sous leurs pas. Ils passent à côté de moi, la sueur perlent sur leurs tempes, leurs vêtements collés à leur peau. Ils me dévisagent de haut en bas, un regard rapide mais intense. L’un m’adresse un petit sourire essoufflé, presque encourageant… Mais l’autre, un asiatique plutôt balèze, les épaules larges, les yeux brûlants, me lance un sale regard. Tranchant. Agressif. Comme si ma simple présence l’agaçait… Il n’a vraiment pas l’air commode…
- Je pensais qu'on n'avait pas le droit d’y aller ? dis‑je en me retournant vers Chuck.
- Non, c’est nous qui n’avons pas le droit d’y aller. Mais les Coureurs si. C’est les seuls à avoir le droit de partir dans le Labyrinthe.
- Le labyrinthe ? m’étonne‑je, un frisson glacé me remontant la colonne.
- Comment ? Répète-t-il en me fixant.
- Tu as dis Labyrinthe ?
- Heu…! Non…! souffle Chuck en posant une main sur sa bouche comme s’il venait de lâcher la pire bêtise de sa vie.
- C’est un labyrinthe…?! souffle‑je, la gorge soudain sèche.
- Oublie ça, vaut mieux…!
La tension monte dans mon ventre, une sensation lourde, brûlante. Mon esprit s’emballe. Un labyrinthe… ? Comment un endroit peut-il être à la fois immense et fermé, avec des portes qui se verrouillent chaque soir ? Est‑ce que… on est piégés ici, coincés à l’intérieur de ce cauchemar de murs et de couloirs ? Et pourquoi personne ne semble effrayé ? Les Blocards marchent, parlent, rient presque comme si c’était normal… Mais moi, je sens l’angoisse qui me tord l’estomac. Combien de kilomètres ce labyrinthe peut‑il bien faire ? Et s’il y a des dangers là‑dedans… je veux dire, vraiment des dangers ? Des pièges, des créatures… quelque chose qui pourrait nous tuer ? Mes yeux parcourent à nouveau le couloir sombre, imaginant chaque tournant comme un gouffre. Chaque pas résonne dans ma tête, chaque souffle de vent dans les interstices de pierre semble un murmure menaçant. Je sens mes mains devenir moites, mon cœur battre trop fort. Comment font les Coureurs pour y entrer et en revenir vivants ? Un frisson me parcourt, du haut du crâne jusqu’au bas du dos. Ce labyrinthe… il n’est pas qu’un simple casse-tête. Il semble presque… vivant. Et moi, je suis juste… un intrus, perdu au milieu de ce monde qui m’écrase déjà.
Mais brusquement, alors qu’on discute, une masse me percute violemment…! Un rouquin immense, plus grand que tous les autres que j’ai croisés, me projette au sol sans ménagement. Mon dos frappe la terre dure, la poussière me pique les yeux. Il m’agrippe par le bras, ses doigts comme des pinces, et me traîne loin de la porte. Ma peau brûle sous sa poigne…
- Putain lâche‑moi enfoiré ! hurle‑je, la colère me déchirant la gorge.
Il me relâche enfin, d’un geste sec, me jetant délibérément dans l’herbe, dans la boue, de façon brutale et sèche
- T’as pas le droit de passer, tu piges pas, le nouveau ?! gueule le roux d’une voix grave, agressive, qui claque comme un ordre.
Je bondis du sol, le cœur battant à en exploser, mais sans une once de peur dans les veines, juste de la rage.
- C’est quoi ton problème ?! réplique‑je, prêt à lui faire face.
- Attends le nouveau, viens ! dit Chuck précipitamment, me tirant par le bras avec une panique désespérée.
- Ouais, cassez‑vous avant que je t’en colle une ! grogne l’abruti de rouquin en pointant son poing dans ma direction. Sa mâchoire serrée, ses narines dilatées… il a vraiment l’air prêt à exploser…
- Tss…! Souffle-je du nez furieux.
Même si je suis furieux, brûlant encore de l’humiliation et prêt à lui rendre ses coups, je préfère laisser tomber pour l’instant. Chuck me tire loin de lui, ses doigts tremblant autour de mon bras. Alors qu’on approche des dortoirs, un grondement énorme déchire l’air. Je me fige… Les immenses murs de métal coulissent lentement dans un vacarme assourdissant. Un frisson me transperce. La vibration parcourt le sol, remonte le long de mes jambes. Le Bloc se referme… comme la gueule d’une bête gigantesque. Et personne ne réagit… Les Blocards continuent leurs activités comme si c’était normal. Comme si le monde n’était pas en train de se verrouiller autour de nous.
- Mais qu’est‑ce que…? souffle‑je, abasourdi, la gorge serrée.
- Les portes se ferment pour la nuit.
- Mais… ?
- Elles s’ouvrent tous les matins à six heures, et se ferment tous les soirs à dix‑neuf heures, m’explique Chuck, comme s’il parlait de l’heure du dîner.
- Comment… c’est possible ?
- Je sais pas… dit‑il avant de me donner un coup du poing dans le ventre.
- Aïe ! T’es fou ?! me plaignais‑je, la douleur me traversant le ventre en une vague brûlante.
- Non, c’est toi le fou ! T’as failli te battre avec Gally ! Il aurait pu t’atomiser…!
- Pff… Il est vraiment con celui‑là. Et j’ai pas peur de lui…! grogne‑je encore, contrarié.
- Tu devrais ! me prévient Chuck, presque en chuchotant.
- Pourquoi ?
- C’est le Maton des Bâtisseurs… Il est super strict et autoritaire… Et super fort… souffle‑t‑il, comme si le simple fait d’en parler lui faisait peur.
Je fixe Chuck un instant, intrigué. Ses yeux… il y a quelque chose dans son regard que je n’ai jamais vu avant : une vraie terreur, une panique contenue qui me glace le sang. Et pourtant, moi, je ne ressens pas la peur. Juste de l’agacement. Gally… Est‑il vraiment aussi dangereux que Chuck le laisse entendre ? Personnellement, je sens juste une irritation sourde monter en moi. Ce type me tape sur les nerfs, c’est tout. Alors oui, il est imposant, autoritaire, peut-être vraiment fort… Mais est‑ce que ça change quelque chose ? Pas pour moi. Je n’ai pas peur.
Mais autre chose a retenu mon attention. Je fronce les sourcils, la curiosité me ronge malgré moi. Les Bâtisseurs… qu’est‑ce que ça veut dire exactement ? Ceux qui construisent quoi ? Et pourquoi un maton serait lié à ça ?
- Bâtisseur…? C'est-à-dire ? L’interroge-je
- Ah ! C'est ceux qui construisent les cabanes… et tout le matos aussi. Et le maton c'est Gally ! Et puis, si ça se trouve, demain tu vas te retrouver avec lui…!
Je déglutis. Mon ventre se noue. C’est vrai que demain un Blocard nommé Newt doit me trouver un travail… Mais si je me retrouve avec ce Gally, ça risque de très mal se passer. Mais de toute façon, je suis coincé ici… Alors on verra bien demain…
Pour le reste de la soirée, je suis Chuck, qui, avec une patience presque infinie, m’explique et me montre tout ce que je dois savoir sur le Bloc et comment y survivre. Chaque détail, même le plus minime, semble compter : où poser mes affaires, comment éviter les mauvaises surprises, quels comportements adopter… Je bois ses paroles, gravant mentalement chaque geste, chaque consigne, tout en sentant une tension étrange dans mon ventre, un mélange de fatigue et d’excitation, comme si chaque coin du Bloc pouvait me révéler un piège ou un secret. À l’heure du dîner, après un passage rapide à la salle de bain pour une douche plus que nécessaire, merci Gally et son arrogance qui m’a laissé couvert de sueur et de colère, nous nous dirigeons vers la salle à manger. Le sol grince sous mes pas, l’odeur de nourriture mêlée à celle de la sueur des Blocards me prend à la gorge. Il faut d’abord faire la queue pour avoir sa ration, distribuée par un grand type que tout le monde surnomme Frypan. Lorsque je passe face à lui, je reste un instant bloqué sur sa présence imposante. Il est grand, la peau d’un noir profond qui semble absorber la lumière autour de lui. Ses yeux noirs me scrutent avec chaleur et vivacité, brillants sous ses sourcils épais. Ses cheveux courts et crépus encadrent un visage large, musclé, et surtout son sourire… un sourire large et éclatant, presque étincelant, qui fait oublier un instant la rudesse du Bloc. Son corps costaud et large se tient avec une aisance tranquille, chaque mouvement précis et sûr, comme s’il pouvait gérer la salle entière d’un simple geste.
- Tiens, le nouveau ! Alors, pas trop dur ta première journée ? Tu te souviens de quelque chose ?
- Heu… Je… non pas vraiment, bafouille-je, surpris par sa bienveillance et le ton presque paternel de sa voix.
- T’inquiète pas ! Ça va venir ! Tiens, mange ça et tu m’en diras des nouvelles !
Je prends l’assiette, sentant la chaleur de la nourriture se diffuser dans mes doigts, contrastant avec le froid métallique du Bloc. Un léger frisson me parcourt le dos.
- Ouais, merci… dis-je simplement.
Lui au moins semble sympathique, exactement comme Chuck. Pour les autres, c’est différent… les Blocards me regardent à peine, échangent des regards furtifs, et leurs mots sont rares, distants. Je sens une tension sous-jacente dans la pièce, comme si tout le monde était sur le qui-vive. Je rejoins Chuck à une table et prends ma première bouchée, le goût chaud et simple de la nourriture me surprenant agréablement. Le garçon joufflu me regarde, un petit sourire aux lèvres.
- Alors le nouveau, tu aimes la bouffe du Bloc ?
- Ça va… C’est plutôt bon, dis-je, étonné par la saveur malgré le cadre austère.
- Frypan est un magicien de la cuisine ! Haha !
- Je vois ça… Approuve-je en savourant chaque bouché.
- Ce n’est pas pour rien qu’il est le maton des cuistots !
- Je suppose… soufflé-je, plongeant en pleine réflexion.
Ça ne fait pas longtemps que je suis là, mais je commence à comprendre comment fonctionne le Bloc. Chacun a un rôle précis et il y a plusieurs postes bien définis : Bâtisseurs, Scarleurs, Torcheurs, Trancheurs… et enfin, le seul et unique boulot qui m’intéresse : Coureur. Pour moi, il est hors de question de rester ici à bosser la terre ou à ranger des outils. Je veux sortir… comprendre pourquoi j’ai atterri dans cet enfer et surtout découvrir qui je suis. Une flamme brûle dans ma poitrine, une détermination féroce qui éclipse la fatigue. Chaque bouchée me rappelle que chaque Blocard a son rôle… mais moi, je veux plus que ça. Je veux le Labyrinthe.
Alors que le pauvre Chuck me raconte sa vie, je l’écoute à peine. Je sens mon impatience monter comme une vague brûlante dans ma poitrine, chaque mot de sa bouche me paraissant interminable. Finalement, je lui coupe la parole :
- Alby m’a dit que j’allais avoir un boulot demain, mais moi je veux devenir Coureur. Comment on fait ?
- Quoi ? Tu veux être Coureur ? s’étonne Chuck, la cuillère suspendue dans sa main.
- Ouais ! J’ai pas l’intention de rester là, les bras croisés, alors qu’on est piégés comme des rats.
Chuck soupire, hésitant, puis finit par hausser les épaules :
- Bah, je sais pas trop… Je crois qu’il faut être sélectionné.
- Par qui ?
- Je sais pas… tu demanderas à Newt demain, répond-il en haussant les épaules.
- C’est qui Newt ? Je peux pas lui demander ça maintenant ?
- Non, tu risques de te faire jeter par les autres matons qui l’accompagnent. Regarde… tu vois la table là-bas ?
Chuck pointe du doigt une grande table, désignant le garçon au centre. Et mon regard se pose sur lui. Cheveux courts, d’un blond presque doré, qui encadre un visage d’ange, fin, presque enfantin. Ses yeux marron miel en amande sont encadrés de longs cils blonds qui semblent accentuer la douceur de son regard. Ses traits sont délicats, presque féminins, et sa bouche, fine et légèrement relevée aux commissures, révèle un sourire de chat, adorable, ponctué de canines légèrement prononcées qui lui donnent un charme étrange. Son corps est fin, sa taille plus petite que la mienne, mais élancé, gracieux. Il dégage une présence lumineuse, naturelle, une aura presque magnétique qui m’attire spontanément à lui…
À côté de lui, un autre garçon retient mon attention. l'Asiatique appelé Minho... Carrure imposante, torse large, muscles dessinés que sa chemise bleu légèrement ouverte laisse deviner. Visage asiatique parfaitement sculpté, yeux marron foncé pénétrants, cheveux bruns en brosse impeccables. Il est propre sur lui, élégant même dans ce cadre rustique. Il dégage une force tranquille, un charisme indéniable, une présence qui impose le respect sans qu’il n’ouvre la bouche. Je le regarde et me demande comment il peut allier cette puissance et ce contrôle… et pourtant rester naturel.
En face d’eux, Alby : peau noire intense, carrure imposante comme celle de Minho mais avec un poids et une stature qui écrasent presque l’air autour de lui. Large sourire, lèvres épaisses, cheveux rasés, yeux sombres qui observent avec attention tout ce qui se passe dans la salle. Il impose la discipline rien qu’en se tenant là. Son autorité me donne un frisson d’appréhension, mais il y a aussi une forme de chaleur dans son regard quand il sourit…
À côté encore il y a un autre garçon dont j’ignore le nom… mais aussi Gally… Ce sale con est grand, musclé, avec une carrure robuste qui impose le respect dès qu’il bouge. Son visage est anguleux, marqué par la rudesse de la vie dans le Bloc, avec des traits durs et un regard perçant, marron-vert, qui semble toujours jauger les autres. Ses sourcils épais accentuent son air sévère et ses lèvres fines sont souvent pincées, comme si un rictus de défi ou d’irritation était prêt à apparaître. Il se tient droit, le torse large, les épaules puissantes, et sa chemise, souvent retroussée sur ses bras, laisse voir des avant-bras musclés et veineux, témoignant de sa force physique impressionnante. Tout chez lui respire la dangerosité et l’autorité : il est le type de personne capable de créer des problèmes rien qu’avec un geste ou un mot. Je fronce les sourcils en le regardant. Il a l’air strict et agressif, presque menaçant. Pourtant, je sens qu’il n’inspire pas la peur de tous ici… sauf peut-être des nouveaux comme moi. Pour moi, il me tape surtout sur les nerfs.
- Le blond plutôt mignon, c’est Newt, reprend Chuck avec un sourire admiratif. C’est lui qui va te trouver un travail demain !
Mes pensées s’emballent en songeant à demain. Est-ce qu’il est vraiment aussi sympa qu’il en a l’air ? Est-ce qu’il va accepter ma demande d'être coureur ? J’ai l’impression qu’il pourrait lire en moi comme dans un livre ouvert, que son sourire est à la fois doux et rassurant, mais que derrière se cache quelqu’un de finement observateur...
- Il est sympa ? demande-je à Chuck, incapable de masquer ma curiosité.
- Oh oui, très ! C’est mon Blocard préféré !
- Ah ?
- Tu verras ! Impossible que tu ne l’apprécies pas !
Je souffle, essayant de calmer l’excitation et la nervosité qui me traversent. Je me résigne à ne pas parler à Newt ce soir et termine mon repas en compagnie de Chuck. Pourtant, mes yeux ne quittent pas la silhouette du blond, notant chaque geste, chaque expression de son visage, chaque mouvement de ses mains. Je me demande comment il décide qui mérite quel travail, et si je serai assez bon pour être coureur. Une fois le dîner terminé, je ne lâche pas Chuck d’une semelle. Sa présence me rassure, comme un point fixe dans ce monde étrange et inconnu. Grâce à lui, je me sens un peu moins perdu ici.
Nous rejoignons le dortoir avec la majorité des Blocards. Nos lits se trouvent côte à côte, simples matelas posés sur le sol ou sur de maigres planches. Je m’allonge sur le mien, tirant la couverture sur moi, sentant la texture rêche contre ma peau. Je ne suis vraiment pas sûr de bien dormir avec ce matelas… mais il faudra que je m’en contente pour le moment…
- T’inquiète le nouveau, avec la cabane qui est sur pilotis, on est à l’abri de la plus grosse majorité des insectes ! dit Chuck pour me rassurer.
- On serait quand même mieux sur un sommier… souffle-je, sentant le bois dur sous mon dos à travers le matelas.
- Hé hé ! Peut-être que si tu deviens un Coureur, tu auras le droit à un vrai lit !
- Peut-être…
- Bon, je suis fatigué le nouveau ! Je risque de ne pas mettre longtemps à m’endormir, dit-il en s’étirant, ses bras potelés se détendant dans un craquement de bois.
- Pareil…
- Tu verras, parfois le soir il fait super froid ici et parfois très très chaud ! Donc prévois toujours une couverture bien chaude à côté de ton lit !
- D’accord… Merci du conseil et… pour tout le reste, Chuck, lui souris-je.
- De rien le nouveau ! me répond-il avec son large sourire, ses yeux pétillants de malice. Allez, bonne nuit ! conclut-il en s’enroulant dans sa couverture.
- Bonne nuit à toi aussi.
Je lui tourne le dos et ferme les yeux quelques instants… mais l’épuisement ne suffit pas à calmer mon esprit. Je sens le vieux matelas dur sous mes épaules, la couverture rêche contre ma peau. J’essaie de me souvenir de mon nom, de quelque chose, n’importe quoi avant que je ne me réveille dans la boîte… rien ne vient. Rien que le vide et l’angoisse. Puis, des bruits provenant du Labyrinthe me tirent de mes pensées. Des cliquetis métalliques, comme si de grandes chaînes ou des engrenages bougeaient quelque part… Mon cœur s’accélère. Chaque bruit résonne dans mes oreilles, amplifié par le silence du dortoir. Les autres Blocards dorment paisiblement, indifférents, comme si ce vacarme était normal. Moi, je sens l’adrénaline qui me parcourt le corps, la tension dans mes muscles, mes mains crispées sur la couverture. Il me faut de longues minutes avant que mon esprit ne commence à s’apaiser, avant que je ne trouve enfin le sommeil, à moitié inquiet, à moitié fasciné par le Labyrinthe que je ne connais pas encore mais qui semble déjà vivant et menaçant.
…
« Wicked est bon… ! »
« C’est dans l’intérêt de tous, comprends-le… ! Tu n’es pas un traître… »
« Un traître… ! »
…
Le souffle me manque un instant. C’est un cauchemar, mais les images me frappent comme des éclairs. Des flashes s’imposent dans mon esprit : deux voix féminines, des silhouettes floues dont je ne distingue pas les visages, des éclats de lumière et d’ombre qui me rendent la poitrine lourde. Je me souviens de ces voix… je les connais, j’en suis sûr, mais… pourquoi me parlent-elles de traîtrise ? Est-ce de moi qu’elles parlent… ? Suis-je un traître, et est-ce pour ça que je suis… là… ?
Sept heures plus tard, j’ouvre brusquement les yeux, encore secoué par le rêve. Mon cœur bat à tout rompre et la sueur froide me couvre le front. Les voix résonnent encore dans mon esprit, et je frissonne à l’idée qu’elles soient un avertissement, un rappel, ou pire… une vérité que je refuse d’accepter.
- Debout, le nouveau ! Lève-toi ! s’écrit soudain Chuck dans mon dos.
Je sursaute, tombant presque du lit. Ses yeux pétillants me fixent avec une énergie qui me tire instantanément de mes pensées tourmentées.
- Tu m’as fait peur… souffle-je en passant une main sur mon visage, encore tremblant.
- Il est déjà huit heures du matin ! Je vais manger !
Chuck part vers le réfectoire, et je bondis de mon lit pour ne pas le perdre de vue. Je ne suis pas encore à l’aise ici, alors je reste collé à lui, observant ses gestes avec attention. Chaque détail compte, chaque mouvement semble m’enseigner quelque chose sur la vie dans ce Bloc. Nous rejoignons Frypan, toujours derrière son comptoir, distribuant les rations avec son grand sourire éclatant.
- Alors le nouveau ! Comment tu trouves ma bouffe ? me questionne-t-il en me tendant une assiette.
- Oh bah… c’est super bon, franchement, lui réponds-je sans mentir, sentant la chaleur de la nourriture se diffuser dans mes mains.
- Ah bien ! Haha ! J’espère que tu vas venir bosser avec nous ! On a toujours besoin de Blocards en cuisine !
- J’en serais ravi, lui souris-je. Même si intérieurement, je ne pense qu’à devenir Coureur.
Je récupère mon plateau et m’assois en compagnie de Chuck. Il engloutit son repas avec une énergie étonnante, tandis que moi je reste pensif, la cuillère suspendue entre mes doigts. Des questions tourbillonnent dans mon esprit : sur le Labyrinthe, sur les Coureurs, sur Newt… Je sens mon estomac se nouer, mais je me force à manger. Je sais que la journée va être longue, et je dois prendre des forces…
- Tu ne manges pas ? me demande Chuck, intrigué.
- Oh… si, t’inquiète, dis-je en plongeant ma cuillère dans mon bol, goûtant la nourriture chaude.
- Surtout, ne loupe pas le petit-déjeuner ! Il est servi entre cinq heures et neuf heures.
- D’accord… mais c’est pas un peu tôt cinq heures ?
- Bah, les Coureurs se lèvent à cinq heures pour partir dès l’ouverture des portes dans le Labyrinthe. Les matons se lèvent en général à cette heure-là aussi.
- Ah, d’accord…
Chuck se lève d’un bond, l’énergie bouillonnante comme toujours :
- Bon, je te laisse, j’ai du travail ce matin ! Je dois récolter tout le fumier pour les Scarleurs !
- Ah… super…
- À plus tard le nouveau ! Dit-il en me saluant, me laissant seul face à mon bol.
Je le regarde partir, me demandant comment il peut être si motivé, si joyeux, alors qu’on est coincés ici. Le bruit de ses pas qui résonne dans la cabane me laisse un mélange d’admiration et d’incompréhension. D’où lui vient cette énergie, cette vitalité, alors que nous sommes enfermés dans ce… cauchemar éveillé ? Je me penche sur mon bol, machinalement, mais mes pensées restent accrochées à l’inconnu, au Labyrinthe, aux Coureurs, et à ce job que je veux plus que tout. Mon cœur bat un peu plus vite à l’idée de ce qui m’attend… et de ce que je vais découvrir…
Je termine mon repas seul et, après avoir apporté ma vaisselle sale à la cuisine, je me retrouve planté là, sans savoir quoi faire. Mon regard cherche instinctivement le fameux Newt, et bientôt je le vois venir vers moi, un sourire chaleureux illuminant son visage. Contrairement aux autres gars du Bloc, lui semble soigné, presque impeccable. Sa chemise large glisse sur sa fine carrure, laissant deviner un débardeur rouge argile près du corps. Son pantacourt léger et ses petites savates lui donnent une allure décontractée, presque enfantine. Mais ce qui attire le plus mon attention, c’est sa façon de marcher. Il semble légèrement boiter d’une jambe, pourtant sa démarche reste fluide et mesurée, presque gracieuse. Quand il arrive à ma hauteur, il me tend la main. Je la saisis immédiatement, frappé par sa chaleur et la douceur de sa peau. Une tension étrange me traverse, et je me demande pourquoi je ressens une sorte d’attirance immédiate pour lui. Comme si je le connaissais… comme si je devais le connaître… Mais c’est absurde.
- Salut le nouveau, je m’appelle Newt.
Sa voix est douce, chaleureuse, rassurante. Je remarque chaque détail : ses cheveux blonds, courts et soigneusement coiffés, ses yeux marron miel en amande, ses longs cils blonds qui lui donnent un air presque fragile, son visage fin presque enfantin… Et pourtant il y a dans son sourire une assurance tranquille, presque désarmante. Chaque mouvement de ses lèvres, la courbe délicate de sa bouche de chat, tout me fascine et m’ensorcelle sans que je comprenne pourquoi.
- Salut… balbutié-je, incapable de détacher mes yeux de lui.
Je sens mon cœur battre plus vite et mes mains devenir moites. Pourquoi est-ce que je suis aussi attentif… Attiré par lui… ? Comme si… je le connaissais… ?
- Donc, on t’a mis au parfum, je suppose ? demande-t-il en posant ses mains sur ses hanches fines.
Je remarque la manière dont ses doigts s’étalent, gracieux, et la façon dont il se tient : détendu, sûr de lui. Pourquoi est-ce que ça me fascine autant ? Je me surprends à analyser chacun de ses gestes, chacune de ses expressions.
- Ouais… plus ou moins. Tu dois me trouver un travail, c’est ça ?
- Exactement. Personne ne glande ici, me prévient-il.
- J’avais pas l’intention de glander, précisé-je.
- Parfait alors, dit-il en tapotant mon épaule, m’entraînant avec lui.
Sa proximité me fait un drôle d’effet. Je sens la chaleur de son corps effleurer le mien. Je détourne les yeux une seconde, honteux de mon attention, puis je reviens sur lui. Il est captivant. Chaque détail, chaque expression, tout m’absorbe. Pourquoi est-ce que je ressens ça… ?
- Donc, je dois faire quoi ? demandé-je, le suivant avec curiosité.
- Avant toute chose, je vais t’expliquer les différents postes.
Pendant qu'il parle, j’observe la finesse de ses épaules, la façon dont ses jambes fines mais solides portent son corps avec équilibre…
- Je suis déjà un peu au courant… Et je voudrais…
- Ici, me coupe-t-il, en arrivant face à un bâtiment, tu as le stockage des outils des Torcheurs.
Je soupire intérieurement. Voilà ma chance de lui parler de mon envie d’être un Coureur, mais je dois attendre qu’il finisse sa phrase… Sa voix est douce, posée, et je l’écoute tout en préparant la meilleure réponse.
- D’accord, mais…
- Un Torcheur est chargé d’effectuer les tâches de ménage et d’entretien. Leur rôle, c’est de garder nos espaces de vie communs nickel, continue-t-il sans s’arrêter.
Mon esprit fait des allers-retours : je veux l’interrompre, je veux qu’il sache, mais je ne veux pas paraître impoli. Je veux qu'il m’apprécie…
- Ok… Seulement… soufflé-je en essayant de l’interrompre en douceur. Mais Newt est lancé :
- Là, tu as le bâtiment des Trancheurs. Ils élèvent le bétail et le tuent pour qu’on puisse manger.
Je me retiens de toutes mes forces, attendant le moment idéal pour le couper. Et en même temps, je l’observe, chaque détail, chaque expression, et je me sens fasciné, troublé par l’étrange sentiment que je dois lui faire confiance…
- Ici, c’est l’infirmerie, avec les deux Medjacks, Clint et Jeff. Ils sont très souvent occupés à soigner les plaies des Trancheurs, dit-il en riant légèrement.
Je l’observe, captivé par la façon dont ses yeux brillent légèrement lorsqu’il rit, comme s’il essayait de rendre l’information agréable. C’est troublant… Il est vraiment agréable à écouter et à regarder. J'ai le sentiment de déjà connaître ses mimiques…
- Là, c’est le domaine des Bâtisseurs et des Briquetons. Ce sont eux qui entretiennent les bâtiments et fabriquent le mobilier, les outils, etc. Tu me suis, le nouveau ?
- Je te suis…
Son regard s’accroche au mien, léger, encourageant. Mais je sens que mon impatience monte. Il faut que je le dise avant qu’il ne continue sa liste interminable… mais une fois de plus il enchaîne :
- Parfait ! Car voici le domaine des Scarleurs ! Enchaîne-t-il, me montrant les jardins où poussent les légumes. Les Scarleurs s’occupent des plantations, c’est là que je travaille la majorité du temps.
Seulement cette fois, je décide de me lancer et de lui demander sans détour : ma patience à bout.
- D’accord, mais si moi je veux devenir Coureur ? demandé-je, la détermination me brûlant la poitrine.
- Tu veux devenir Coureur ? s’étonne-t-il, son sourire s’élargissant.
- Oui, pourquoi ? Grimace-je.
- Tu sais quoi, le nouveau, dit-il en posant sa main sur mon épaule, son contact me faisant frissonner, j’ai cru que tu avais le potentiel pour devenir Coureur, quand je t’ai vu partir en sprint à ton arrivée… mais ça c’était avant que tu te vautres ! Hihi ! Super ta gamelle ! se moque-t-il.
- Je suis sérieux, je veux vraiment être un Coureur, insiste-je.
- Écoute, le nouveau, être Coureur n’est pas dans les cordes de tout le monde. Le Labyrinthe est dangereux… Crois-moi.
Je sens que mon cœur bat plus fort. Ses yeux me fixent, attentifs, et je me surprends à vouloir lui prouver que je peux. Sa confiance en moi, même implicite, me pousse à me surpasser.
- Je m’en fiche, je ne veux pas rester là à attendre que le temps passe ! Je veux me sentir utile ! argumenté-je.
- Je comprends. Mais tu sais, il ne s’agit pas que de courir bêtement pour trouver une sortie. Une fois dans le Labyrinthe, il faut mémoriser chaque couloir, chaque tournant, et surtout rentrer avant que les portes ne se referment. Sinon…
- Sinon… ? Blêmisse-je.
- Sinon tu es mort. Aucune des personnes qui se sont retrouvées piégées dans le Labyrinthe ne sont revenues…
Mes doigts se crispent sur mes poings. Je sens une montée d’adrénaline. Et pourtant, chaque mot de Newt s'ancre plus profondément, sa voix me rassurant malgré l’horreur…
- Ils meurent de quoi… ? demandé-je, le cœur serré.
- À cause des Griffeurs, dit-il, une expression de peur traversant son visage comme s’il avait déjà été face à une de ces créatures.
Je sens un frisson glacé me parcourir l’échine. Les Griffeurs… Je ferme un instant les yeux, essayant d’imaginer ces créatures. Qui rôdent la nuit, prêts à tuer tous ceux qui restent coincés. Mon esprit se met à bouillonner, des questions affluent à toute vitesse : à quoi ressemblent-ils ? Comment attaquent-ils ? Sont-ils rapides ? Intelligents ? Et… pourquoi ici ? Pourquoi nous avoir jetés dans ce Labyrinthe, nous comme des rats avec des bêtes ?
- C’est quoi… ? demandé-je, ma voix plus basse, presque tremblante.
- Des créatures… Elles sortent la nuit et tuent tous ceux qui sont bloqués dans le Labyrinthe.
Je hoche la tête, incapable de détourner mon regard. Et malgré la peur qui serre ma poitrine, malgré les images horribles qui traversent mon esprit, une résolution brûlante s’allume en moi. Je veux savoir. Je veux comprendre. Je veux voir le Labyrinthe, découvrir ses secrets, et surtout… survivre… Alors oui, j’ai peur. Mais cette peur se transforme en détermination. Je ne peux pas rester là, à attendre que la vie passe, à me cacher derrière les autres. Je dois bouger, agir… Je dois devenir Coureur. Peu importe les Griffeurs, peu importe la nuit et ses horreurs, je veux courir, mémoriser chaque couloir, explorer chaque recoin. Je veux comprendre pourquoi nous sommes ici et ce qu’est vraiment ce Labyrinthe. Mon cœur bat vite, mes mains se crispent légèrement, mais au fond de moi, la décision est claire. Je veux courir. Je veux être utile. Et rien, même pas ces Griffeurs terrifiants, ne m’arrêtera.
- D’accord… mais comment on fait pour être Coureur, à qui je dois m’adresser ? demandé-je, la détermination me donnant du courage.
- Heu… t’as pas dû bien entendre… Tout le monde fuit le boulot de Coureur… tu as peu de chances de survivre là-bas…
- C’est ce que je veux faire ! le coupe-je.
- Bon… Dans ce cas, si tu es vraiment déterminé, fais tes preuves dans le Bloc avant.
- Comment ? M’emballe-je.
- Intègre-toi au groupe, me conseille-t-il.
- Et c’est toi qui décide ensuite ? Espère-je.
- Oh non, c’est Minho. Le chef des Coureurs
- Ah… super… il a l’air aussi sympa que Gally celui-là… soupire-je. Newt éclate de rire de bon cœur.
- Tu sais, si tu veux te faire bien voir par Minho, évite ce genre de comparaison !
- Désolé… c’est sorti tout seul… passe-je une main dans mes cheveux.
- Bon, allez, suis-moi. Je t’emmène pour ton premier job ! Dit-il en posant sa main sur mon épaule.
- Ok… Super… Grimace-je agacé de ne pas pouvoir être coureur tout de suite…
- Le but des prochains jours, c’est qu’on te trouve le boulot où tu te sens le mieux et le plus utile. Chaque jour, tu iras dans un groupe différent, ça te permettra de faire connaissance avec tout le monde.
- D’accord… et je commence par quoi ?
- Bâtisseurs, lâche-t-il comme une sentence.
- Rah… super… soupire-je encore.
Ça ne pouvait pas tomber plus mal… Je sais que le maton des Bâtisseurs, c’est le rouquin… et je ne l’apprécie pas spécialement celui-là. Rien que de penser à lui, mes épaules se crispent. Je sens déjà que ça va mal tourner… Une pointe d’appréhension serpente dans mon ventre, même si je tente de la masquer. Mais vu que je n’ai pas vraiment le choix, je suis le blondinet jusqu’au fameux groupe des Bâtisseurs, son pas souple, presque silencieux, contraste avec le martèlement nerveux du mien. La lumière du matin accroche ses cheveux d’or et mon regard se perd un peu trop longtemps sur lui… Je me reprends aussitôt, le cœur battant quand on arrive face au rouquin.
- Gally, l’interpelle Newt.
Le rouquin relève la tête. Il a cette aura brute, agressive, qui semble toujours prête à exploser.
- Tiens, Newt… Ça va ? dit-il en venant lui serrer la main.
- Ça va, répond-il avec un sourire aimable. Je te confie le nouveau pour la journée.
Il m’attrape doucement par le bras pour me pousser face au rouquin…
- Ah… le nouveau…! répond Gally en croisant les bras, bombant le torse comme s’il essayait de dominer l’air autour de lui.
- Salut, dis-je en me redressant aussi. Hors de question qu’il pense que j’ai peur de lui. Je refuse de baisser les yeux devant cet abruti.
- Sois sympa avec lui, d’accord Gally ? demande gentiment Newt.
Il glisse sa main le long du bras du maton, un geste léger, presque tendre… et ça me serre le cœur sans que je comprenne vraiment pourquoi. Gally cligne des yeux, manifestement troublé par la main du blond.
- Ouais… Je vais essayer, répond-il.
Je les observe, un frisson de malaise me remontant l’échine. Il dévisage le blond de la tête aux pieds et j’avoue que cette scène… est très bizarre. Comme si Newt usait de ses charmes pour adoucir Gally. Et le pire ? Ça semble marcher. J’espère que ce n’est pas une façon de faire… qu’il utilise souvent. La pensée me pince de l’intérieur, un mélange étrange de jalousie et de frustration. Je me fais sûrement des films… mais quand même.
- Bon, je vous laisse, reprend Newt en lâchant le bras du maton.
Il se rapproche de moi, juste assez pour que son odeur chaude et rassurante m’enveloppe un instant. Sa main se pose sur mon épaule, son pouce effleurant ma clavicule. Mon souffle se coupe légèrement. Il me souffle, d’une petite voix qui me fait frissonner :
- Si tu as besoin de quoi que ce soit, viens me trouver.
- Ok… approuvé-je, la gorge un peu serrée malgré moi.
- À plus tard.
Il tapote mon épaule avant de s’éloigner. Je le regarde partir malgré moi, attiré par la douceur de sa démarche, et soudain, tout me semble un peu plus silencieux. Puis je me retrouve seul… face au Maton des Bâtisseurs.
- Bon le nouveau, commence-t-il, sa voix râpeuse déjà saturée de mépris, je vais pas y aller par quatre chemins : ici c’est moi le boss. Tu obéis. Tu râles pas. Et surtout, tu fermes ta grande gueule.
- Tu vas arrêter de m’appeler “le nouveau”, grogne-je entre mes dents.
Un silence tombe une demi-seconde. Le genre de silence chargé d’électricité, celui qui se forme juste avant la tempête. Ma réponse, ma provocation ouverte, attire tous les regards. Les Bâtisseurs et les Briquetons arrêtent presque de respirer, s'attroupent autour de nous comme des corbeaux flairant le drame. Gally arque un sourcil, un sourire carnassier étirant sa bouche.
- Ah ouais ? Et comment tu veux qu’on t’appelle ? … La Tâche ?!
Ses potes éclatent d’un rire lourd, gras, moqueur. Ce rire qui gratte la peau comme du sable. Il poursuit, euphorique de sa propre méchanceté :
- Ouais voilà les gars ! On va l’appeler la Tâche !
Les ricanements redoublent. Ça me brûle de l’intérieur, une chaleur acide, mais je ravale ma rage. Je sais que s’il peut me faire exploser, il aura gagné…
- Allez bouge-toi, la Tâche ! crache-t-il en me bousculant du bout du doigt, comme si je n’étais rien de plus qu’une poussière collée à son ongle. On a du boulot et j’ai pas l’intention de mater tes états d’âme !
Je serre la mâchoire si fort que j’ai l’impression que mes dents vont se fissurer.
- Et je dois faire quoi ? Grimace-je en le suivant malgré moi, chaque pas lourd d’un dégoût mêlé de frustration.
Gally pointe du doigt un minuscule garçon brun, pas plus haut que trois pommes, qui tient un outil trop grand pour lui.
- Tu vas bosser avec Antoine. Tu vas réparer ce foutu mur. Compris ?
Le garçon lève à peine les yeux. Cheveux noirs, courts. Teint pâle, presque cireux. Visage creusé comme si la fatigue l’avait sculpté. Corps tellement maigre qu’on dirait qu’un souffle trop fort pourrait le faire basculer. Ses yeux marron, immenses sur son petit visage, brillent d’une tristesse effrayée. Pas la timidité… non. Plutôt la peur. Celle qui s’installe dans les os. Celle qu’on apprend à cacher. Je reste figé une seconde. Tout s’emboîte. L’atmosphère autour de lui. Sa façon de se recroqueviller. Son silence lourd. Et le regard satisfait, malsain, que Gally pose sur lui avant de reporter son attention sur moi…
- J’ai pas entendu ! gronde Gally en me saisissant par le t-shirt, me tirant vers lui comme un prédateur agacé.
- Compris, répondis-je en repoussant sa main d’un geste sec.
- Bien. Au boulot, fainéant ! aboie-t-il avant de tourner les talons.
Enfin, il s’en va. L’air semble respirable de nouveau, même s’il reste chargé de son odeur d’agressivité. Je me retrouve seul avec Antoine. Il est vraiment petit et semble dix fois plus fragile que les autres Blocard. Pas un mot ne franchit ses lèvres. Il garde la tête baissée, ses épaules minuscules tremblant presque à chaque respiration. Il continue de travailler avec une minutie automatique, comme s’il avait appris à disparaître dans ses gestes.
- Heu… Alors… je dois faire quoi ? demande-je, un peu mal à l’aise, presque gêné d’exister.
- Tu prends les planches et tu les clous, dit-il toujours sans me regarder.
Il parle bas, comme s’il craignait d’attirer l’attention de quelqu’un. Ou comme s’il avait appris à se réduire lui-même au silence.
- Heu… ok…
Je me baisse, attrape les planches, les outils. Mes gestes sont mécaniques. Ça me saoule déjà de faire ça… Je sens mes épaules s’affaisser. J’ai l’impression de perdre du temps, d’être coincé dans un rôle qui n’est pas le mien… J’ai pas envie de traîner ici. Pas envie d’être “la Tâche”. Pas envie de rester enfermé entre quatre planches quand, juste derrière ces murs, le Labyrinthe s’étend comme une promesse. J’ai envie d’y aller. D’aller courir, comprendre, chercher, fuir ce foutu Bloc. Fuir ces regards, cette oppression. Et peut-être… peut-être retrouver un morceau de moi-même. Pourquoi je suis ici ? Pourquoi on m’a envoyé ici ? Pourquoi nous ? Je cloue, je cogne, mais tout résonne creux dans ma tête. Puis Antoine m’arrache doucement le marteau des mains.
- Pas comme ça, le nouveau. Je te montre. Je relève la tête, surpris.
- D’accord, merci… lui souris-je, un sourire qui se veut chaleureux, mais qui se débat avec ma lassitude.
- Tu dois la positionner comme ça, dit-il en montrant la planche, et mettre les clous ici… et ici.
- D’accord, approuve-je en m’exécutant.
- Bien, parfait.
Son compliment est si discret, qu’il ressemble presque à un souffle. Il disparaît aussitôt dans l’air. Pendant que je pose la planche, je repense aux paroles de Chuck… Antoine serait l’un des derniers arrivés. Comme moi. Un autre paumé sans souvenirs. Un autre gamin jeté ici sans explication. Peut-être qu’il a compris des choses. Peut-être qu’il peut me donner des conseils. Peut-être que moi aussi, je peux trouver un repère quelque part… quelqu’un qui sait ce que c’est que d’avoir peur.
- Alors c’est comment de vivre au Bloc ? lui demande-je sans détour, surpris moi-même de ma franchise.
- Difficile, répond-il en penchant la tête. Une réponse simple, honnête. Qui tombe lourdement.
- De survivre ? insisté-je.
- Non. De cohabiter avec certains blocards, souffle-t-il. Je plisse les yeux.
- Ah ouais, je vois… Comme avec ce connard de Gally.
- Chut…! fait-il immédiatement, posant un doigt devant sa bouche.
Son visage se fige. Ses yeux s’écarquillent. Son souffle se coupe. Il panique. Vraiment… Un gamin ne réagit pas comme ça juste parce qu’un chef est un peu dur… Non. Là, c’est de la terreur. Pure. Mon ventre se serre malgré moi.
- Pourquoi ? m’étonne-je.
- S’il t’entend… tu vas passer un sale quart d’heure, me prévient-il. Je sens une bouffée de colère monter à la gorge.
- Qu’il vienne…, grogne-je, prêt à lui faire face. Prêt à lui montrer que je suis pas un enfant tremblant.
- Tu devrais le craindre, tu sais…?
Je me tourne vers lui. Antoine a ce regard… comme un animal blessé qui a compris que le monde ne ferait jamais rien pour lui.
- Pourquoi ? demandé-je, mais une partie de moi devine déjà la réponse.
- Il est capable de tout, grimace-t-il, comme s’il revivait quelque chose rien qu’en le disant.
Mon souffle se bloque un instant. Ça se lit dans son visage. Dans les creux de ses joues. Dans cette façon qu’il a de s’excuser d’exister…
- Jamais j’aurai peur d’un type comme lui, rétorqué-je. Puis les autres Matons sont là pour nous protéger, non ? Il secoue la tête, un rictus triste sur les lèvres.
- Non pas vraiment… Gally est le bras droit d’Alby. Personne n’ose le contredire.
- Ah…
Je sens un frisson glacé remonter dans mon dos… Super. Je me rends compte que ce n’est peut-être pas une communauté aussi soudée que ce que prétendait Alby. Ce n’est pas une fraternité. Ce n’est pas un foyer. Visiblement… On a plutôt affaire à une dictature déguisée en camp de survie. Et au milieu de tout ça, il y a ce gamin… trop petit, trop maigre, trop effrayé… Et moi, encore plus paumé que je le pensais.
- Alors, ça bosse ici ?! s’exclame soudainement Gally dans notre dos.
Je sursaute, le cœur bondissant dans ma poitrine. Antoine, lui, se ratatine littéralement sur place.
- Heu… Oui… oui…, souffle-t-il, sa voix minuscule glissant à peine hors de sa gorge.
Je déteste la façon dont il répond. Pas lui, mais ce que Gally provoque chez lui. Cette peur viscérale. Cette obéissance forcée. Et la colère me chauffe déjà les veines. Sans prévenir, Gally nous bouscule, arrache les planches qu’on vient de poser et les jette plus loin.
- Tu fous quoi putain ?! grogne-je, furieux.
La rage me traverse comme un éclair. Pas seulement pour les planches. Pour Antoine. Pour tout ce qu’il lui fait subir. Pour cette ambiance de terreur permanente.
- C’est n’importe quoi ce travail…! hurle Gally en envoyant tout valser.
Il se retourne, chope Antoine par le bras, le soulève comme une poupée trop légère.
- C’est pas comme ça que je t’ai montré, abruti…!
Le petit est blême. Figé. Ses jambes pendent dans le vide comme si elles ne lui appartenaient plus. Son regard se vide complètement, comme s’il se retirait quelque part à l’intérieur de lui-même pour ne pas sentir. Ça me transperce. Ça m’écorche. Je ne réfléchis même pas : j’agis. Je pose ma main sur le poignet de Gally, le forçant à lâcher.
- Pas la peine de t’énerver comme ça !
Il lâche immédiatement Antoine… mais me balance un énorme coup de coude dans les côtes, me pliant en deux.
- Un problème, la Tâche ?! crache-t-il, les yeux injectés de haine.
Chaque mot est un crachat. Une provocation. Une tentative de domination. Et pourtant, je sens quelque chose d’étrange… Je n’ai pas peur. Même si je devrais. Même si tout en lui hurle le danger.
- Ouais, c’est toi le problème ! ose-je lui répondre.
Un silence brutal tombe autour de nous. Tous les Bâtisseurs se figent, choqués que j’aille aussi loin. Gally, lui, devient écarlate. Il m’attrape par le col, sa poigne brûlante serrant ma gorge.
- Tu ferais mieux de faire attention à ce que tu dis, sale connard…
Je plante mes yeux dans les siens. Je vois la folie dedans. La brutalité. Mais je refuse de baisser la tête.
- Ah ouais ? Sinon quoi ?!
Je sens Antoine derrière moi, immobile, tremblant. J’entends presque son souffle se couper.
- T’as de la chance qu’on puisse pas frapper un Blocard…, gronde Gally en serrant encore plus, sinon crois-moi, tu serais déjà au tapis, la Tâche…!
- Tss… si tu crois que j’ai peur de toi…!
C’est plus fort que moi. Une pulsion. Un instinct. Peut-être une connerie monumentale. Mais je refuse d’être écrasé comme Antoine… Gally me relâche avec un geste brutal.
- Continue ton boulot, abruti ! Et correctement cette fois ! Que je ne revienne pas… sinon ça va barder…!
- T’as qu’à le faire toi-même si t’es pas content ! le provoqué-je encore.
Une seconde de silence. Une seconde où je sens que j’ai dépassé une limite. Une seconde où je vois son regard changer. Il se retourne brusquement et son poing s’abat sur ma tête. Je ne vois même pas le coup venir. La douleur explose. Un flash blanc… Puis tout se renverse…
Je vole en arrière, mon corps heurtant le sol si violemment que le monde tourne autour de moi. Ma vue se brouille. Les voix deviennent lointaines, déformées. J’entends des cris, des rires, des « Baston ! Baston ! » qui frappent mes tympans comme des tambours barbares. Je tente de me relever… mais mes bras tremblent. Tout tangue. Je sens le sang pulser dans ma tempe. J’ai l’impression que ma tête va céder sous la pression. Je… je crois que je vais m’évanouir… Et soudain… Des mains délicates se glissent sous ma tête, la soutiennent avec une douceur qui me coupe le souffle. Une odeur familière, chaude, apaisante. Le monde reprend forme… Au-dessus de moi, une silhouette se penche… Ses cheveux blonds forment une auréole. Son visage d’ange… strié d’inquiétude. Newt… Je le vois, flou d’abord. Puis net. Ses traits crispés, sa mâchoire serrée. Ses yeux… pleins d’une peur que je n’ai jamais vue chez lui. Une peur pour moi… Il se tourne brusquement vers Gally, son regard devenu glacial.
- Gally… qu’est-ce que tu viens de faire ? murmure-t-il d’une voix si froide que même l’air semble se figer.
- C’est de sa faute ! Il me provoque ! réplique le rouquin, les yeux injectés de rage.
- Et alors ?! T’as oublié l’une de nos règles principales ?! s’époumone Newt, sa voix d’habitude si douce devenant un fouet.
- Mais c’est de sa faute, putain !! hurle Gally, incapable d’entendre autre chose que sa propre colère.
- Medjacks, venez s'il vous plaît…!
Deux garçons me saisissent et me redressent, mes jambes vacillent encore sous le choc. Ma tête pulse comme si quelque chose battait à l’intérieur, prêt à éclater. Le décor autour de moi tangue, floue, et je lutte pour rester conscient. Juste avant qu’ils ne m’embarquent, j’entends Newt lâcher, d’une voix sèche, tranchante comme une lame :
- J’ai fermé les yeux sur plein de choses… mais là, tu dépasses les bornes, Gally.
Je ne comprends pas encore ce qu’il veut dire… Mais Antoine avait raison : Gally semble intouchable, protégé par on ne sait quelle règle tacite. Je voudrais y penser, vraiment… mais ma tête tourne trop. On m’allonge sur un lit de l’infirmerie, on étale une crème fraîche sur ma tempe battante. Je me laisse tomber dans le matelas, mes paupières devenant lourdes… Je sombre.
“Wicked est bon.
Tu nous as trahis.
Thomas.”
Je sursaute. Ma respiration se bloque. Un frisson me traverse de part en part. J’ouvre les yeux, lentement, douloureusement, et une sensation froide coule sur ma peau… Et puis… lui. Newt… Son visage apparaît comme une éclaircie dans un ciel noir. Ses cheveux blonds forment un halo autour de ses traits fins. Ses yeux noisette, pleins de douceur inquiète, me scrutent. Sa bouche, cette bouche de chat, délicate, s’étire en un sourire qui me fait oublier la douleur un instant.
- Ça va mieux, le nouveau ? murmure-t-il, sa voix comme un baume.
Et là… la vérité me frappe. Mon prénom. Il remonte, se fraie un chemin dans le chaos de ma tête. Un soulagement si immense que ma gorge se serre.
- Thomas, dis-je en me redressant légèrement. Je m’appelle Thomas. Newt cligne des yeux, surpris.
- Thomas ?
- Oui. Thomas.
- Oh… d’accord, Thomas, répond-il avec un sourire qui me traverse comme un courant tiède. Mais la colère remonte brutalement.
- Cet enfoiré… grogné-je en serrant le poing, sentant mes jointures blanchir sous la pression. La douleur sur ma tempe se mélange à ma colère, un feu qui pulse dans mes veines.
Newt fronce les sourcils, ses yeux noisette se plissant légèrement. Ses mains se crispent sur le tissu qu’il tient encore contre ma tête, comme pour canaliser son inquiétude.
- Pourquoi Gally t’a frappé ? demande-t-il doucement mais avec insistance, sa voix tremblant presque sous l’émotion.
Je serre les dents, me redresse un peu sur le lit, le corps encore lourd du choc. Mes muscles endoloris protestent à chaque mouvement.
- Parce que je lui ai dit de faire son foutu boulot tout seul ! Je laisse ma voix résonner dans la pièce, un mélange de colère et de frustration.
Newt incline légèrement la tête, l’air d’essayer de comprendre, et un pli se forme sur son front parfait.
- Pourquoi ça ? murmure-t-il, presque incrédule, laissant son inquiétude transparaître dans le tremblement léger de ses lèvres.
Je laisse échapper un soupir tremblant, serrant encore un peu plus les poings, mes doigts s’enfonçant dans le tissu du lit. La rage et la douleur se mêlent, m’empêchant de calmer mon souffle.
- Il a détruit notre travail et il a hurlé sur nous sans aucune raison ! expliqué-je, chaque mot chargé de ressentiment. Ma poitrine se soulève rapidement, comme si je venais de courir un long chemin, et mes yeux restent rivés sur Newt, espérant qu’il comprenne l’injustice.
Newt laisse échapper un petit ah, un souffle presque inaudible, et détourne légèrement le regard, la mâchoire crispée. Il semble peser chaque mot, son silence révélant un mélange de frustration et de compréhension.
- Ah ? C’est tout ? m’indigne-je, le cœur encore battant trop fort.
Sa réaction me surprend, comme si… tout cela n’était que la routine. Le monde autour de nous semble se figer, et pourtant, la douleur à ma tempe persiste, rappel cruel du chaos qu’il vient de se produire.
- C’est Gally… murmure-t-il, détournant les yeux. Son regard glisse vers le sol, la mâchoire serrée, et une ombre passe sur son visage fin, trahissant la tension qu’il tente de cacher.
- Ce n’est pas une excuse ! réplique-je, ma voix tremblante d’émotion, mes doigts s’accrochant au bord du matelas.
- Je sais… souffle-t-il simplement, mais ses yeux me trahissent : il ressent la même frustration que moi, même s’il garde son calme.
Je le fixe, le regard planté dans le sien, scrutant la sincérité qui s’y reflète. Le silence qui s’installe entre nous est lourd, chargé de mots non dits et de douleurs partagées.
- Ouais, et moi je sais que toi et les autres Matons vous fermez les yeux sur plein de trucs le concernant…! Balance-je tranchant.
Newt grimace, un léger frisson traverse son corps. Sa voix se durcit d’un coup, froide mais maîtrisée :
- Tu ne sais rien, Thomas. Alors si j’étais toi… je me ferais petit. Ses yeux croisent les miens un instant, et je sens la tension contenue comme un ressort prêt à craquer.
- Hors de question. Je ne me laisserai jamais marcher dessus par un connard pareil ! Je me redresse un peu, le souffle encore court, le poing se détendant lentement.
Newt se lève doucement, chaque geste calculé, son visage redevenu grave mais protecteur :
- J’irais en parler à Alby, décide-t-il. Ça ne peut pas rester sans conséquence.
- Oui… Merci… soufflé-je, relâchant un peu la pression, le cœur encore tambourinant mais réconforté par sa présence.
Il esquisse un petit sourire, tendre et presque rassurant, qui fait naître un léger apaisement dans ma poitrine :
- En attendant, repose-toi. Tu retourneras bosser demain, d’accord ?
- Pas avec lui, j’espère ?
- Non, t’inquiète.
- Merci, Newt… dis-je doucement, le regard accroché à son dos.
- De rien, Thomas.
Il quitte l’infirmerie. Sa silhouette fine disparaît derrière le rideau, et je reste là, le souffle un peu plus calme. La tête lourde, le corps encore endolori… mais mon cœur un peu moins. Newt est… un mec bien. Il m’a défendu, il a été là au moment où tout se brouillait. Et puis… grâce au coup de Gally, grâce à ce chaos imposé… je me souviens enfin de mon nom.
Je reprends connaissance d’un coup, comme arraché aux profondeurs d’un cauchemar. Mon corps bondit du sol et je retombe aussitôt à quatre pattes, les muscles tétanisés. Je tousse, je suffoque, je crache mes tripes, un flot d’eau glacée me remonte dans la gorge et finit par s’écraser sur le métal humide sous moi. Quand la crise se calme enfin, je réalise que je suis enfermé dans… une cabine ? Un ascenseur ? Je ne sais pas. Rien n’a de sens… L’obscurité m’enveloppe, lourde, étouffante. Je suis trempé, gelé, et le grondement mécanique qui résonne autour de moi me transperce les tempes. Le sol vibre… Les parois tremblent. La machine monte vite, trop vite. Je n’ai aucune idée de ce que je fous là. Je n’ai aucune idée de qui je suis. Un souffle court me coupe la poitrine. Mon cœur cogne comme s’il voulait me briser les côtes de l’intérieur. Je transpire à grosses gouttes. Mes doigts tremblent, mes muscles vacillent. J’ai l’impression que le monde se referme sur moi. Pris d’un réflexe désespéré, je me jette contre la grille et je tire de toutes mes forces, hurlant d’une voix étranglée par la panique :
- À L’AIDE !!!
Mais l’ascenseur freine soudain. Un choc brutal me projette au sol. La montée cesse. Tout s’arrête. Le plafond glisse… et s’ouvre.
Une déchirure de lumière me frappe en pleine figure. Le soleil m’aveugle entièrement. Je plisse les yeux, crispé, le souffle coupé. Le ciel, trop bleu, trop vaste, m’écrase. Le monde hurle de clarté. Le temps que ma vue s’habitue, je distingue des formes… des ombres mouvantes… puis des silhouettes… Des voix se mêlent, indistinctes, moqueuses. Je ne comprends rien. Je ne comprends rien du tout. Où suis–je…?
Les silhouettes deviennent des visages. Une dizaine de garçons me fixent depuis le bord de la fosse, leurs rires secs résonnant comme des claques. La grille claque. L’un d’eux descend. Un rouquin massif, taillé comme un mur. Ses bras sont énormes, ses épaules prennent toute la place. Il me saisit par le col, me soulève comme si je ne pesais rien.
- Ça va ? Pas trop secoué ? lance-t-il d’un ton presque amusé.
Je n’arrive même pas à ouvrir la bouche. Je panique trop. Mon souffle se bloque, mes mots meurent dans ma gorge… Il n’attend pas ma réponse. D’un geste sec, il me balance hors de la cabine. Je tombe lourdement sur la terre, les paumes râpées, les genoux qui explosent de douleur. Autour de moi, des visages que je ne connais pas se penchent, tordus par des sourires narquois.
- J’crois que ce gars va m’aider en cuisine !
- Vu sa tronche, il fera un bon Torcheur !
Ils rient tous. Une vague de chaleur et de honte me monte aux joues, mais c’est surtout la terreur qui m’envahit. Ma poitrine se serre si fort que j’ai l’impression de manquer d’air. Je n’entends plus que mon cœur. Fuir… Je dois fuir.
Je bondis du sol. Je bouscule des épaules, des torses, des mains qui tentent de m’attraper. Je me mets à courir sans réfléchir, sans regarder où je vais, juste pour m’éloigner d’eux, de leurs regards, de cette folie.
- Hey !! Le nouveau est un Coureur !! hurle quelqu’un derrière moi.
Je n’écoute pas. Je sprint comme si ma vie dépendait de chaque foulée… Le sol est une pelouse irrégulière, mouillée de rosée. Des touffes d’herbes hautes fouettent mes jambes. J’aperçois des arbres dispersés, maigres, tordus. Et un petit champ. Et… des maisons ? Non… des cabanes. De simples constructions de bois, bancales, rafistolées avec des planches récupérées, des bouts de cordes, des morceaux de métal. Rien n’est droit. Rien n’est solide. Ça ressemble plus à un camp de fortune qu’à un endroit où vivre. Je trébuche. Une racine me prend les pieds. Je chute de tout mon poids, la bouche pleine de terre, le souffle violemment expulsé de ma poitrine. Des éclats de rire éclatent encore derrière moi. Je relève la tête, et je vois enfin…!
Des murs gigantesques. Immenses. Hauts comme des immeubles. Du métal froid, des plaques complexes, comme des machines figées. On est enfermés. On est piégés dans un carré d’herbe, encerclés par quatre murs qui semblent toucher le ciel. Et il n’y a qu’une seule ouverture… une faille béante dans cette prison de métal.
- Ouais regarde bien, tu vas comprendre ! lance l’un des garçons dans mon dos, hilare.
Une pression énorme me tombe sur les épaules. Le monde tourne. Je n’arrive plus à respirer. La peur me submerge tellement vite que je n’ai même pas le temps de lutter. Ma vision se brouille… Le sol se déforme. Tout devient noir. Je m’effondre. Et je perds connaissance.
…
Des voix lointaines me tirent lentement de ma léthargie, comme si elles traversaient un épais brouillard. J’ouvre les yeux, les paupières lourdes, chaque clignement me fait frissonner. Je comprends vite que je suis enfermé dans une sorte de cage… Non, une fosse, délimitée par des barrières de bois rugueux et de cordes usées, serrées jusqu’à la douleur. J’essaie de rassembler mes idées, mais elles s’éparpillent comme des feuilles au vent. Tout est flou. Mon premier souvenir est celui de la boîte, de ma chute, de cette montée vertigineuse… et je ne me rappelle même pas de mon nom. Qui suis-je…? Où suis-je…? L’angoisse serre ma poitrine et ma respiration s’accélère, irrégulière, presque douloureuse. Soudain, deux garçons passent devant la fosse. Je sursaute, crispé, et me blottis contre le mur du fond. Leurs pas résonnent comme des coups dans ma tête. Ils ne me remarquent même pas.
- Ramène ton cul bouffon, j’attends pas encore trente-six mille ans !
- Ouais ouais, deux minutes !!
Leurs voix s’éloignent. Avec prudence, j’ose avancer. Mes yeux s’ouvrent sur un monde étrange. Des garçons, que des garçons, travaillant la terre, s’occupant des animaux, construisant des cabanes bancales avec des planches fendues et des cordes effilochées. L’air est chargé d’odeurs de fumier, de bois humide et de sueur, de cette vie frêle mais obstinée. Autour de nous, un carré d’herbe, parsemé de quelques arbres maigres, est encerclé par des murs métalliques gigantesques, froids, imposants, dont une seule ouverture laisse entrevoir le monde extérieur. Peut-être la sortie… mais l’idée de fuir me paralyse presque. Je tente de défaire le cordage de ma cage. Mes mains tremblent, mes doigts sont engourdis et maladroits. Rien ne cède. L’impuissance serre mon estomac. Un mouvement à l’ombre me fait bondir en arrière. Un garçon à la peau brune surgit, ses traits marqués par le soleil, les épaules solides, les yeux alertes. Je recule au fond de la fosse, observant chaque détail : sa stature rassurante, la fermeté de ses gestes, la confiance tranquille qui émane de lui.
- Salut le nouveau.
Sa voix, calme mais ferme, tranche dans le tumulte de mes pensées. Il ouvre la cage.
- Je m’appelle Alby. Interdiction de se tirer maintenant. Je veux savoir ton nom, et si tu te souviens de quelque chose.
Je sens mes genoux se plier sous moi, les mains pressées contre ma tête.
- Je… je sais pas… Je ne me souviens de rien… Pourquoi…? Pourquoi je me souviens de rien ?!
Alby s’accroupit devant moi, posant sa main tendue avec une assurance douce.
- Calme-toi. On est tous passés par là. Viens, je vais t’expliquer.
Je reste une seconde à hésiter, le cœur battant à tout rompre, le souffle court, mais l’angoisse laisse place à une lueur d’espoir. Je saisis sa main et me laisse tirer hors de la fosse. Chaque pas me ramène lentement à la conscience. Alby m’entraîne à travers ce qu'il appelle le "Bloc". Le sol meuble craque sous nos pas, le parfum de l’herbe humide et de la terre fraîche me prend aux narines. Partout, des garçons travaillent, rient, s’entraident. Certains sont grands, musclés, leurs bras sculptés par le labeur, d’autres plus petits et vifs, mais tous affichent cette énergie obstinée qui semble tenir ce lieu en vie.
- Tout comme toi, nous sommes tous arrivés par la boîte sans souvenir. Chaque mois, elle remonte avec un petit nouveau et des vivres.
Je fronce les sourcils, intrigué, les yeux capturant chaque visage, chaque mouvement.
- Qui… nous a amenés là ? L’interroge-je en retour.
- On ne sait pas. On se contente de survivre. Le nombre de garçons me frappe.
- On est vachement nombreux… Alby croise mon regard.
- On est cinquante-deux avec toi. Mon esprit calcule, confus.
- Mais… ça veut dire que vous êtes là depuis longtemps ?
- Cinq ans et deux mois.
- Cinq ans…?
Je sens mon estomac se nouer. Cinq ans enfermés… et je viens d’arriver… Hors de question que je reste là aussi longtemps…! Mais une question me tourmente : si un nouveau remonte chaque mois, alors… pourquoi cinquante-deux et pas soixante-deux ?
- Grimpe, le nouveau !
Il m’entraîne vers une tour de guet. L’échelle de bois ripe sous mes mains, chaque barreau résonne contre mes paumes. Mon cœur tambourine, et quand je jette un regard en bas, je vois le carré d’herbe, les bâtiments éparpillés, quelques arbres maigres. Une vision à la fois triste et fragile, comme un rêve mal agencé.
- Ce n’est pas grand-chose, mais c’est tout ce qu’on a. On a travaillé dur pour former cette communauté et avoir ce minimum de confort.
Je m’accoude à la rambarde, observant les garçons dans le jardin, la lumière caressant leurs épaules, les visages marqués par l’effort et l’ardeur.
- Mais… on devrait être plus nombreux si ça fait cinq ans…?
- En effet… tu as raison. Mais on a connu des jours sombres.
Je répète ses mots dans ma tête. Des jours sombres… je sens un frisson parcourir mon dos.
- Écoute, on a trois règles ici. Première : tu fais ton boulot, on n’a jamais eu de glandeur. Deuxième : tu ne frappes jamais un Blocard. Troisième : tu ne vas jamais, jamais de l’autre côté.
Il désigne la faille dans le mur, et un frisson de peur m’envahit.
- Il y a quoi là-bas ?
- Rien de bon pour toi. Bien, maintenant suis-moi.
Sa main tapote mon épaule, rassurante et ferme à la fois. Je le suis, mon esprit tourbillonnant de questions, mes yeux ouverts sur ce monde étrange, ce Bloc où je suis prisonnier… mais vivant.
Alby m’entraîne jusqu’à un bâtiment qui semble être les dortoirs. Je fronce les sourcils en observant l’intérieur : une grande pièce éclairée par des ouvertures étroites, des lits disposés un peu partout, certains à l’écart derrière des rideaux ou des planches branlantes, d’autres carrément isolés dans de petites chambres séparées. Mais la plupart sont alignés, parfois à même le sol, et chaque matelas porte des traces d’usure et d’humidité. L’air sent le linge humide et le bois chaud, un mélange étrange de confort sommaire et de rudesse. Je ne peux m’empêcher de remarquer chaque détail, chaque égratignure sur le sol, la façon dont la lumière tombe sur les couvertures usées, la manière dont les garçons passent entre les lits, leur allure concentrée, presque mécanique.
- C’est là que tu vas dormir, m’indique Alby.
- Ah… d’accord…
- Ma chambre est juste derrière. Il me montre une cabane un peu à l’écart du dortoir. Mais si jamais tu as besoin, viens me voir. Je cligne des yeux, surpris.
- Tu as une chambre toi…?
- Oui, privilège d’être un ancien, me sourit-il. Tous les Matons ont le droit à une chambre à part.
Je me retiens de poser mille questions en une seule fois. Maton… chef… depuis combien de temps ils organisent tout ça ? Qu’est-ce que ça implique vraiment ?
- Ah… Maton, ça signifie chef…?
- C’est ça. Tu auras l’occasion de rencontrer les autres plus tard. Pour le moment, je vais te laisser entre les mains de Chuck. Ce soir, tu te reposes, mais demain… dit-il en me pointant du doigt, Newt te trouvera un travail.
- C’est qui ça ?
- Tu verras bien, conclut-il en passant à côté de moi, tapotant mon épaule.
Je regarde Alby s’éloigner, et presque immédiatement mon attention est attirée par un petit garçon, à qui il a fait un signe de la tête, qui tient un balai et un seau. Il est joufflu, son visage rond constellé de taches de rousseur, les cheveux légèrement frisés, entre roux et marron, la petite bouche cachée derrière un large sourire presque enfantin malgré sa taille assez grande et son corps plutôt imposant. Il me repère et court vers moi avec cette énergie exubérante qui semble emplir l’air autour de lui.
- Salut le nouveau ! Je m’appelle Chuck. Ravi de te connaître ! lance-t-il, ses yeux pétillant d’enthousiasme.
- Heu… Salut…
Il pose le balai et le seau et s’écrie, comme s’il devait me convaincre :
- Hé hé ! T’inquiète, le nouveau ! Au début c’est très dur ici, parce que tu te souviens de rien et tu ne connais personne… mais tu vas finir par trouver ta place.
Je hoche la tête, mais mon esprit tourne à mille à l’heure. Pourquoi je ne me souviens de rien ? Qui sont ces “anciens” dont il parle ? Que signifient ces règles, ces rôles ? Chaque détail me brûle les yeux, mon cerveau essaie de tout analyser, de tout cataloguer…
- Mais… je ne comprends rien… pourquoi on est là ? demande-je, troublé.
- On ne sait pas. Je crois qu’on doit être des sujets d’expérience. C’est ce que disent les anciens.
Je répète ses mots dans ma tête : des sujets d’expérience…? Comme des rats…? Un frisson me parcourt le dos et mes mains se crispent instinctivement. Une sensation étrange me serre la poitrine, un mélange de peur et de certitude diffuse. Quelque chose en moi me dit que c’est vrai… que nous sommes peut-être vraiment des expériences, mais l’image reste floue, inaccessible, comme si un voile recouvrait mes souvenirs. Je tente de rassembler mes idées, mais mon cerveau s’emballe. Pourquoi moi… pourquoi eux… pourquoi je ne me souviens de rien ? Qu’est-ce qu’ils ont fait à tous les autres avant moi ? Et qu’est-ce que ça veut dire pour moi… pour ce qui va m’arriver ? Chaque question en engendre une autre, et je me surprends à analyser chaque détail autour de moi, chaque geste de Chuck, chaque expression sur le visage des garçons. Tout devient suspect, tout semble porter un sens caché que je ne parviens pas à déchiffrer. Mon estomac se noue. J’ai l’impression de tourner en rond dans ma propre tête, piégé dans un labyrinthe de questions sans réponses. Et pourtant, une petite voix intérieure, incertaine mais persistante, me murmure : oui… c’est ça. Nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes… testés. Observés. Comme des rats dans une cage. Et plus je me concentre, plus cette certitude diffuse me serre le cœur et me glace le sang. Je sens mes pensées se multiplier, se heurter les unes aux autres, incapables de se poser. Tout ce que je sais, c’est que quelque chose est terriblement faux, quelque chose m’échappe, et que chaque détail de ce Bloc, de ces murs, de ces garçons, doit cacher une vérité que je n’arrive pas à atteindre.
- Bon aller, je vais te trouver un lit ! Reprit-il en en posant ses mains sur ses hanches résolues.
Puis, il se dirige vers un grand placard et en sort un vieux matelas pourri, crasseux, qu’il traîne jusqu’à un coin de la pièce près des chambres des Matons. Il le dépose à côté d’un matelas déjà couvert d’une couverture et de quelques objets maladroitement cachés sous l’oreiller. Puis, il ajoute une couverture plutôt propre et un oreiller avant de se tapoter les mains.
- Voilà ! Ici, ça sera parfait ! Juste à côté de mon lit !
- Par terre ?
Je fronce les sourcils, surpris. Un lit à même le sol… alors que les autres ont soit des sommiers de bois sommaires, soit des planches qui les isolent un peu, ou même des hamacs… Pourquoi moi ? Mon esprit analyse immédiatement la situation : position du matelas, proximité des autres, confort relatif, humidité du sol… chaque détail devient une donnée à décortiquer, comme si mon cerveau voulait cataloguer tout ce qu’il voit pour comprendre ce monde étrange.
- Ouais, désolé, mais les nouveaux ne sont pas prioritaires pour les vrais lits et encore moins pour les chambres, dit-il en jetant un coup d’œil à la chambre d’un Maton. Je le regarde, intriguée.
Je jette un coup d’œil au lit de Chuck. Il est posé sur des planches de bois qui le surélèvent un peu du sol, mais rien d’hyper confortable. Pas de sommier, juste de maigre planche posée les unes sur les autres. Ça me laisse deviner qu’il est assez nouveau, lui aussi.
- T’es nouveau aussi, alors ?
- Je suis là depuis trois mois ! Dans les derniers arrivés, il y a moi, puis Antoine, puis Fred, et enfin toi !
Je hoche la tête. Mon cerveau ne s’arrête jamais. Trois mois… et déjà il a trouvé sa place… combien de temps ça va me prendre ? Comment on fait pour survivre ici ? Tout est si… codé, organisé… mais incompréhensible pour moi.
- La vie ici n’est pas facile…! On doit bosser tous les jours. Mais heureusement, on est une communauté soudée !
- Ah…?
Je fronce légèrement les sourcils, intrigué. Une « communauté soudée »… À première vue, ça semble vrai. Les garçons que j’ai vus jusqu’ici s’entendent plutôt bien. Alby a été autoritaire, mais il avait une façon de l’être qui n’était pas déplaisante, et Chuck… Chuck est incroyablement gentil. Mais je ne peux m’empêcher de me poser des questions. Pourquoi ne sont-ils que des hommes ? Cela ne doit pas être facile tous les jours… les tensions doivent forcément surgir parfois, non ? Comment font-ils pour gérer ça, vivre ensemble, dormir ensemble, partager le moindre espace et chaque décision ? Et si quelqu’un ne suit pas les règles… Comment cela se passe-t-il vraiment derrière ces sourires et ces paroles rassurantes ? Un frisson me parcourt, mélange de curiosité et d’appréhension.
- Ouais ! Tu vas vite voir qu’ici c’est tous les jours pareil : on se lève, on mange, on travaille, on mange, on travaille, on dort, on se lève…
- Je vois…
Chuck sourit, visiblement content de pouvoir entrer dans les détails.
- Ah, et moi je suis torcheur, alors je vois tout ! Faut nettoyer les espaces communs, les chambres, la cuisine, les toilettes, la douche… Et puis ramasser le fumier dans la grange le faire sécher, avant de l’amener aux Scarleurs… Franchement, y a toujours un truc qui traîne, ou une odeur qui ne part pas, donc tu cours partout, tu nettoie tout… Après ça, tu aides à remettre de l’ordre dans les outils ou à déplacer des caisses, et si t’as un peu de chance, tu peux t’asseoir deux minutes avant de recommencer. C’est pas glamour, mais quelqu’un doit le faire, hein ! Poursuit-il sans fin.
Le petit Chuck est sympathique, mais je n’écoute presque plus ses paroles. Mon regard reste figé sur l’ouverture dans le mur, ce passage étroit et interdit qui semble aspirer toute mon attention. Chaque détail m’obsède : le métal froid et rugueux, les plaques solidement soudées, les rivets qui brillent faiblement sous la lumière du jour. Il y a quelque chose dans cette faille qui défie la raison, qui m’attire et m’intrigue en même temps. Mes pensées s’emballent, se succèdent sans fin. Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Pourquoi personne ne va jamais là-bas ? Que cachent ces murs immenses ? Est-ce un danger… ou quelque chose d’autre, que je ne peux même pas imaginer ? Et si je pouvais juste… voir un peu… rien qu’un instant ? Chaque question engendre une nouvelle interrogation, et mon esprit tourne en boucle, pesant les possibilités, imaginant des scénarios, des créatures, des dangers, des secrets… Je me surprends à détailler l’ombre qui filtre à travers l’ouverture, à imaginer le monde au-delà, invisible mais vivant, inaccessible. Mon cœur bat plus vite à cette idée, un mélange de peur, de curiosité et d’excitation. Je note chaque vibration, chaque son diffus provenant de là-bas, comme si le mur lui-même respirait et me défiait de franchir cette limite. Je reste figé là, incapable de détourner le regard, incapable de me concentrer sur Chuck ou sur les mots qu’il prononce. Mes pensées s’entrechoquent, s’emballent, se perdent dans mille et une questions sans réponses. Tout ce que je sais, c’est que cette faille… m’appelle, silencieusement, irrésistiblement… Et ma curiosité me pousse à agir. Avant que Chuck puisse continuer, mes pieds me portent déjà vers la faille dans le mur. La curiosité me dévore, et une partie de moi se sent plus vivant à l’idée d’oser regarder l’interdit.
- Hey…! Tu fais quoi ?! On n’a pas le droit d’y aller ! me crie Chuck, déjà en train de trottiner derrière moi pour m’emboîter le pas, ses joues tremblant légèrement sous l’effort et l’inquiétude.
- J’y vais pas, je regarde juste, répondis‑je en m’approchant encore un peu plus du long couloir sinistre…
Un souffle froid s’en échappe, glissant sur ma peau comme une caresse glaciale. Les parois de pierre semblent se resserrer en un couloir sans fin, sombre, avalant la lumière petit à petit.
- T’approche pas…! s’inquiète le garçon joufflu, sa voix étranglée, presque un couinement paniqué.
- T’inquiète, promis je ne passe pas… Je regarde… juste…
Je reste planté là, le cœur battant trop vite, comme si ce couloir maudit aspirait quelque chose en moi. L’air sent le métal humide, la poussière froide… J’observe attentivement la pénombre… ce gouffre sans horizon… Puis soudain, deux silhouettes émergent au bout, courant à toute allure. Le sol vibre légèrement sous leurs pas. Ils passent à côté de moi, la sueur perlent sur leurs tempes, leurs vêtements collés à leur peau. Ils me dévisagent de haut en bas, un regard rapide mais intense. L’un m’adresse un petit sourire essoufflé, presque encourageant… Mais l’autre, un asiatique plutôt balèze, les épaules larges, les yeux brûlants, me lance un sale regard. Tranchant. Agressif. Comme si ma simple présence l’agaçait… Il n’a vraiment pas l’air commode…
- Je pensais qu'on n'avait pas le droit d’y aller ? dis‑je en me retournant vers Chuck.
- Non, c’est nous qui n’avons pas le droit d’y aller. Mais les Coureurs si. C’est les seuls à avoir le droit de partir dans le Labyrinthe.
- Le labyrinthe ? m’étonne‑je, un frisson glacé me remontant la colonne.
- Comment ? Répète-t-il en me fixant.
- Tu as dis Labyrinthe ?
- Heu…! Non…! souffle Chuck en posant une main sur sa bouche comme s’il venait de lâcher la pire bêtise de sa vie.
- C’est un labyrinthe…?! souffle‑je, la gorge soudain sèche.
- Oublie ça, vaut mieux…!
La tension monte dans mon ventre, une sensation lourde, brûlante. Mon esprit s’emballe. Un labyrinthe… ? Comment un endroit peut-il être à la fois immense et fermé, avec des portes qui se verrouillent chaque soir ? Est‑ce que… on est piégés ici, coincés à l’intérieur de ce cauchemar de murs et de couloirs ? Et pourquoi personne ne semble effrayé ? Les Blocards marchent, parlent, rient presque comme si c’était normal… Mais moi, je sens l’angoisse qui me tord l’estomac. Combien de kilomètres ce labyrinthe peut‑il bien faire ? Et s’il y a des dangers là‑dedans… je veux dire, vraiment des dangers ? Des pièges, des créatures… quelque chose qui pourrait nous tuer ? Mes yeux parcourent à nouveau le couloir sombre, imaginant chaque tournant comme un gouffre. Chaque pas résonne dans ma tête, chaque souffle de vent dans les interstices de pierre semble un murmure menaçant. Je sens mes mains devenir moites, mon cœur battre trop fort. Comment font les Coureurs pour y entrer et en revenir vivants ? Un frisson me parcourt, du haut du crâne jusqu’au bas du dos. Ce labyrinthe… il n’est pas qu’un simple casse-tête. Il semble presque… vivant. Et moi, je suis juste… un intrus, perdu au milieu de ce monde qui m’écrase déjà.
Mais brusquement, alors qu’on discute, une masse me percute violemment…! Un rouquin immense, plus grand que tous les autres que j’ai croisés, me projette au sol sans ménagement. Mon dos frappe la terre dure, la poussière me pique les yeux. Il m’agrippe par le bras, ses doigts comme des pinces, et me traîne loin de la porte. Ma peau brûle sous sa poigne…
- Putain lâche‑moi enfoiré ! hurle‑je, la colère me déchirant la gorge.
Il me relâche enfin, d’un geste sec, me jetant délibérément dans l’herbe, dans la boue, de façon brutale et sèche
- T’as pas le droit de passer, tu piges pas, le nouveau ?! gueule le roux d’une voix grave, agressive, qui claque comme un ordre.
Je bondis du sol, le cœur battant à en exploser, mais sans une once de peur dans les veines, juste de la rage.
- C’est quoi ton problème ?! réplique‑je, prêt à lui faire face.
- Attends le nouveau, viens ! dit Chuck précipitamment, me tirant par le bras avec une panique désespérée.
- Ouais, cassez‑vous avant que je t’en colle une ! grogne l’abruti de rouquin en pointant son poing dans ma direction. Sa mâchoire serrée, ses narines dilatées… il a vraiment l’air prêt à exploser…
- Tss…! Souffle-je du nez furieux.
Même si je suis furieux, brûlant encore de l’humiliation et prêt à lui rendre ses coups, je préfère laisser tomber pour l’instant. Chuck me tire loin de lui, ses doigts tremblant autour de mon bras. Alors qu’on approche des dortoirs, un grondement énorme déchire l’air. Je me fige… Les immenses murs de métal coulissent lentement dans un vacarme assourdissant. Un frisson me transperce. La vibration parcourt le sol, remonte le long de mes jambes. Le Bloc se referme… comme la gueule d’une bête gigantesque. Et personne ne réagit… Les Blocards continuent leurs activités comme si c’était normal. Comme si le monde n’était pas en train de se verrouiller autour de nous.
- Mais qu’est‑ce que…? souffle‑je, abasourdi, la gorge serrée.
- Les portes se ferment pour la nuit.
- Mais… ?
- Elles s’ouvrent tous les matins à six heures, et se ferment tous les soirs à dix‑neuf heures, m’explique Chuck, comme s’il parlait de l’heure du dîner.
- Comment… c’est possible ?
- Je sais pas… dit‑il avant de me donner un coup du poing dans le ventre.
- Aïe ! T’es fou ?! me plaignais‑je, la douleur me traversant le ventre en une vague brûlante.
- Non, c’est toi le fou ! T’as failli te battre avec Gally ! Il aurait pu t’atomiser…!
- Pff… Il est vraiment con celui‑là. Et j’ai pas peur de lui…! grogne‑je encore, contrarié.
- Tu devrais ! me prévient Chuck, presque en chuchotant.
- Pourquoi ?
- C’est le Maton des Bâtisseurs… Il est super strict et autoritaire… Et super fort… souffle‑t‑il, comme si le simple fait d’en parler lui faisait peur.
Je fixe Chuck un instant, intrigué. Ses yeux… il y a quelque chose dans son regard que je n’ai jamais vu avant : une vraie terreur, une panique contenue qui me glace le sang. Et pourtant, moi, je ne ressens pas la peur. Juste de l’agacement. Gally… Est‑il vraiment aussi dangereux que Chuck le laisse entendre ? Personnellement, je sens juste une irritation sourde monter en moi. Ce type me tape sur les nerfs, c’est tout. Alors oui, il est imposant, autoritaire, peut-être vraiment fort… Mais est‑ce que ça change quelque chose ? Pas pour moi. Je n’ai pas peur.
Mais autre chose a retenu mon attention. Je fronce les sourcils, la curiosité me ronge malgré moi. Les Bâtisseurs… qu’est‑ce que ça veut dire exactement ? Ceux qui construisent quoi ? Et pourquoi un maton serait lié à ça ?
- Bâtisseur…? C'est-à-dire ? L’interroge-je
- Ah ! C'est ceux qui construisent les cabanes… et tout le matos aussi. Et le maton c'est Gally ! Et puis, si ça se trouve, demain tu vas te retrouver avec lui…!
Je déglutis. Mon ventre se noue. C’est vrai que demain un Blocard nommé Newt doit me trouver un travail… Mais si je me retrouve avec ce Gally, ça risque de très mal se passer. Mais de toute façon, je suis coincé ici… Alors on verra bien demain…
Pour le reste de la soirée, je suis Chuck, qui, avec une patience presque infinie, m’explique et me montre tout ce que je dois savoir sur le Bloc et comment y survivre. Chaque détail, même le plus minime, semble compter : où poser mes affaires, comment éviter les mauvaises surprises, quels comportements adopter… Je bois ses paroles, gravant mentalement chaque geste, chaque consigne, tout en sentant une tension étrange dans mon ventre, un mélange de fatigue et d’excitation, comme si chaque coin du Bloc pouvait me révéler un piège ou un secret. À l’heure du dîner, après un passage rapide à la salle de bain pour une douche plus que nécessaire, merci Gally et son arrogance qui m’a laissé couvert de sueur et de colère, nous nous dirigeons vers la salle à manger. Le sol grince sous mes pas, l’odeur de nourriture mêlée à celle de la sueur des Blocards me prend à la gorge. Il faut d’abord faire la queue pour avoir sa ration, distribuée par un grand type que tout le monde surnomme Frypan. Lorsque je passe face à lui, je reste un instant bloqué sur sa présence imposante. Il est grand, la peau d’un noir profond qui semble absorber la lumière autour de lui. Ses yeux noirs me scrutent avec chaleur et vivacité, brillants sous ses sourcils épais. Ses cheveux courts et crépus encadrent un visage large, musclé, et surtout son sourire… un sourire large et éclatant, presque étincelant, qui fait oublier un instant la rudesse du Bloc. Son corps costaud et large se tient avec une aisance tranquille, chaque mouvement précis et sûr, comme s’il pouvait gérer la salle entière d’un simple geste.
- Tiens, le nouveau ! Alors, pas trop dur ta première journée ? Tu te souviens de quelque chose ?
- Heu… Je… non pas vraiment, bafouille-je, surpris par sa bienveillance et le ton presque paternel de sa voix.
- T’inquiète pas ! Ça va venir ! Tiens, mange ça et tu m’en diras des nouvelles !
Je prends l’assiette, sentant la chaleur de la nourriture se diffuser dans mes doigts, contrastant avec le froid métallique du Bloc. Un léger frisson me parcourt le dos.
- Ouais, merci… dis-je simplement.
Lui au moins semble sympathique, exactement comme Chuck. Pour les autres, c’est différent… les Blocards me regardent à peine, échangent des regards furtifs, et leurs mots sont rares, distants. Je sens une tension sous-jacente dans la pièce, comme si tout le monde était sur le qui-vive. Je rejoins Chuck à une table et prends ma première bouchée, le goût chaud et simple de la nourriture me surprenant agréablement. Le garçon joufflu me regarde, un petit sourire aux lèvres.
- Alors le nouveau, tu aimes la bouffe du Bloc ?
- Ça va… C’est plutôt bon, dis-je, étonné par la saveur malgré le cadre austère.
- Frypan est un magicien de la cuisine ! Haha !
- Je vois ça… Approuve-je en savourant chaque bouché.
- Ce n’est pas pour rien qu’il est le maton des cuistots !
- Je suppose… soufflé-je, plongeant en pleine réflexion.
Ça ne fait pas longtemps que je suis là, mais je commence à comprendre comment fonctionne le Bloc. Chacun a un rôle précis et il y a plusieurs postes bien définis : Bâtisseurs, Scarleurs, Torcheurs, Trancheurs… et enfin, le seul et unique boulot qui m’intéresse : Coureur. Pour moi, il est hors de question de rester ici à bosser la terre ou à ranger des outils. Je veux sortir… comprendre pourquoi j’ai atterri dans cet enfer et surtout découvrir qui je suis. Une flamme brûle dans ma poitrine, une détermination féroce qui éclipse la fatigue. Chaque bouchée me rappelle que chaque Blocard a son rôle… mais moi, je veux plus que ça. Je veux le Labyrinthe.
Alors que le pauvre Chuck me raconte sa vie, je l’écoute à peine. Je sens mon impatience monter comme une vague brûlante dans ma poitrine, chaque mot de sa bouche me paraissant interminable. Finalement, je lui coupe la parole :
- Alby m’a dit que j’allais avoir un boulot demain, mais moi je veux devenir Coureur. Comment on fait ?
- Quoi ? Tu veux être Coureur ? s’étonne Chuck, la cuillère suspendue dans sa main.
- Ouais ! J’ai pas l’intention de rester là, les bras croisés, alors qu’on est piégés comme des rats.
Chuck soupire, hésitant, puis finit par hausser les épaules :
- Bah, je sais pas trop… Je crois qu’il faut être sélectionné.
- Par qui ?
- Je sais pas… tu demanderas à Newt demain, répond-il en haussant les épaules.
- C’est qui Newt ? Je peux pas lui demander ça maintenant ?
- Non, tu risques de te faire jeter par les autres matons qui l’accompagnent. Regarde… tu vois la table là-bas ?
Chuck pointe du doigt une grande table, désignant le garçon au centre. Et mon regard se pose sur lui. Cheveux courts, d’un blond presque doré, qui encadre un visage d’ange, fin, presque enfantin. Ses yeux marron miel en amande sont encadrés de longs cils blonds qui semblent accentuer la douceur de son regard. Ses traits sont délicats, presque féminins, et sa bouche, fine et légèrement relevée aux commissures, révèle un sourire de chat, adorable, ponctué de canines légèrement prononcées qui lui donnent un charme étrange. Son corps est fin, sa taille plus petite que la mienne, mais élancé, gracieux. Il dégage une présence lumineuse, naturelle, une aura presque magnétique qui m’attire spontanément à lui…
À côté de lui, un autre garçon retient mon attention. l'Asiatique appelé Minho... Carrure imposante, torse large, muscles dessinés que sa chemise bleu légèrement ouverte laisse deviner. Visage asiatique parfaitement sculpté, yeux marron foncé pénétrants, cheveux bruns en brosse impeccables. Il est propre sur lui, élégant même dans ce cadre rustique. Il dégage une force tranquille, un charisme indéniable, une présence qui impose le respect sans qu’il n’ouvre la bouche. Je le regarde et me demande comment il peut allier cette puissance et ce contrôle… et pourtant rester naturel.
En face d’eux, Alby : peau noire intense, carrure imposante comme celle de Minho mais avec un poids et une stature qui écrasent presque l’air autour de lui. Large sourire, lèvres épaisses, cheveux rasés, yeux sombres qui observent avec attention tout ce qui se passe dans la salle. Il impose la discipline rien qu’en se tenant là. Son autorité me donne un frisson d’appréhension, mais il y a aussi une forme de chaleur dans son regard quand il sourit…
À côté encore il y a un autre garçon dont j’ignore le nom… mais aussi Gally… Ce sale con est grand, musclé, avec une carrure robuste qui impose le respect dès qu’il bouge. Son visage est anguleux, marqué par la rudesse de la vie dans le Bloc, avec des traits durs et un regard perçant, marron-vert, qui semble toujours jauger les autres. Ses sourcils épais accentuent son air sévère et ses lèvres fines sont souvent pincées, comme si un rictus de défi ou d’irritation était prêt à apparaître. Il se tient droit, le torse large, les épaules puissantes, et sa chemise, souvent retroussée sur ses bras, laisse voir des avant-bras musclés et veineux, témoignant de sa force physique impressionnante. Tout chez lui respire la dangerosité et l’autorité : il est le type de personne capable de créer des problèmes rien qu’avec un geste ou un mot. Je fronce les sourcils en le regardant. Il a l’air strict et agressif, presque menaçant. Pourtant, je sens qu’il n’inspire pas la peur de tous ici… sauf peut-être des nouveaux comme moi. Pour moi, il me tape surtout sur les nerfs.
- Le blond plutôt mignon, c’est Newt, reprend Chuck avec un sourire admiratif. C’est lui qui va te trouver un travail demain !
Mes pensées s’emballent en songeant à demain. Est-ce qu’il est vraiment aussi sympa qu’il en a l’air ? Est-ce qu’il va accepter ma demande d'être coureur ? J’ai l’impression qu’il pourrait lire en moi comme dans un livre ouvert, que son sourire est à la fois doux et rassurant, mais que derrière se cache quelqu’un de finement observateur...
- Il est sympa ? demande-je à Chuck, incapable de masquer ma curiosité.
- Oh oui, très ! C’est mon Blocard préféré !
- Ah ?
- Tu verras ! Impossible que tu ne l’apprécies pas !
Je souffle, essayant de calmer l’excitation et la nervosité qui me traversent. Je me résigne à ne pas parler à Newt ce soir et termine mon repas en compagnie de Chuck. Pourtant, mes yeux ne quittent pas la silhouette du blond, notant chaque geste, chaque expression de son visage, chaque mouvement de ses mains. Je me demande comment il décide qui mérite quel travail, et si je serai assez bon pour être coureur. Une fois le dîner terminé, je ne lâche pas Chuck d’une semelle. Sa présence me rassure, comme un point fixe dans ce monde étrange et inconnu. Grâce à lui, je me sens un peu moins perdu ici.
Nous rejoignons le dortoir avec la majorité des Blocards. Nos lits se trouvent côte à côte, simples matelas posés sur le sol ou sur de maigres planches. Je m’allonge sur le mien, tirant la couverture sur moi, sentant la texture rêche contre ma peau. Je ne suis vraiment pas sûr de bien dormir avec ce matelas… mais il faudra que je m’en contente pour le moment…
- T’inquiète le nouveau, avec la cabane qui est sur pilotis, on est à l’abri de la plus grosse majorité des insectes ! dit Chuck pour me rassurer.
- On serait quand même mieux sur un sommier… souffle-je, sentant le bois dur sous mon dos à travers le matelas.
- Hé hé ! Peut-être que si tu deviens un Coureur, tu auras le droit à un vrai lit !
- Peut-être…
- Bon, je suis fatigué le nouveau ! Je risque de ne pas mettre longtemps à m’endormir, dit-il en s’étirant, ses bras potelés se détendant dans un craquement de bois.
- Pareil…
- Tu verras, parfois le soir il fait super froid ici et parfois très très chaud ! Donc prévois toujours une couverture bien chaude à côté de ton lit !
- D’accord… Merci du conseil et… pour tout le reste, Chuck, lui souris-je.
- De rien le nouveau ! me répond-il avec son large sourire, ses yeux pétillants de malice. Allez, bonne nuit ! conclut-il en s’enroulant dans sa couverture.
- Bonne nuit à toi aussi.
Je lui tourne le dos et ferme les yeux quelques instants… mais l’épuisement ne suffit pas à calmer mon esprit. Je sens le vieux matelas dur sous mes épaules, la couverture rêche contre ma peau. J’essaie de me souvenir de mon nom, de quelque chose, n’importe quoi avant que je ne me réveille dans la boîte… rien ne vient. Rien que le vide et l’angoisse. Puis, des bruits provenant du Labyrinthe me tirent de mes pensées. Des cliquetis métalliques, comme si de grandes chaînes ou des engrenages bougeaient quelque part… Mon cœur s’accélère. Chaque bruit résonne dans mes oreilles, amplifié par le silence du dortoir. Les autres Blocards dorment paisiblement, indifférents, comme si ce vacarme était normal. Moi, je sens l’adrénaline qui me parcourt le corps, la tension dans mes muscles, mes mains crispées sur la couverture. Il me faut de longues minutes avant que mon esprit ne commence à s’apaiser, avant que je ne trouve enfin le sommeil, à moitié inquiet, à moitié fasciné par le Labyrinthe que je ne connais pas encore mais qui semble déjà vivant et menaçant.
…
« Wicked est bon… ! »
« C’est dans l’intérêt de tous, comprends-le… ! Tu n’es pas un traître… »
« Un traître… ! »
…
Le souffle me manque un instant. C’est un cauchemar, mais les images me frappent comme des éclairs. Des flashes s’imposent dans mon esprit : deux voix féminines, des silhouettes floues dont je ne distingue pas les visages, des éclats de lumière et d’ombre qui me rendent la poitrine lourde. Je me souviens de ces voix… je les connais, j’en suis sûr, mais… pourquoi me parlent-elles de traîtrise ? Est-ce de moi qu’elles parlent… ? Suis-je un traître, et est-ce pour ça que je suis… là… ?
Sept heures plus tard, j’ouvre brusquement les yeux, encore secoué par le rêve. Mon cœur bat à tout rompre et la sueur froide me couvre le front. Les voix résonnent encore dans mon esprit, et je frissonne à l’idée qu’elles soient un avertissement, un rappel, ou pire… une vérité que je refuse d’accepter.
- Debout, le nouveau ! Lève-toi ! s’écrit soudain Chuck dans mon dos.
Je sursaute, tombant presque du lit. Ses yeux pétillants me fixent avec une énergie qui me tire instantanément de mes pensées tourmentées.
- Tu m’as fait peur… souffle-je en passant une main sur mon visage, encore tremblant.
- Il est déjà huit heures du matin ! Je vais manger !
Chuck part vers le réfectoire, et je bondis de mon lit pour ne pas le perdre de vue. Je ne suis pas encore à l’aise ici, alors je reste collé à lui, observant ses gestes avec attention. Chaque détail compte, chaque mouvement semble m’enseigner quelque chose sur la vie dans ce Bloc. Nous rejoignons Frypan, toujours derrière son comptoir, distribuant les rations avec son grand sourire éclatant.
- Alors le nouveau ! Comment tu trouves ma bouffe ? me questionne-t-il en me tendant une assiette.
- Oh bah… c’est super bon, franchement, lui réponds-je sans mentir, sentant la chaleur de la nourriture se diffuser dans mes mains.
- Ah bien ! Haha ! J’espère que tu vas venir bosser avec nous ! On a toujours besoin de Blocards en cuisine !
- J’en serais ravi, lui souris-je. Même si intérieurement, je ne pense qu’à devenir Coureur.
Je récupère mon plateau et m’assois en compagnie de Chuck. Il engloutit son repas avec une énergie étonnante, tandis que moi je reste pensif, la cuillère suspendue entre mes doigts. Des questions tourbillonnent dans mon esprit : sur le Labyrinthe, sur les Coureurs, sur Newt… Je sens mon estomac se nouer, mais je me force à manger. Je sais que la journée va être longue, et je dois prendre des forces…
- Tu ne manges pas ? me demande Chuck, intrigué.
- Oh… si, t’inquiète, dis-je en plongeant ma cuillère dans mon bol, goûtant la nourriture chaude.
- Surtout, ne loupe pas le petit-déjeuner ! Il est servi entre cinq heures et neuf heures.
- D’accord… mais c’est pas un peu tôt cinq heures ?
- Bah, les Coureurs se lèvent à cinq heures pour partir dès l’ouverture des portes dans le Labyrinthe. Les matons se lèvent en général à cette heure-là aussi.
- Ah, d’accord…
Chuck se lève d’un bond, l’énergie bouillonnante comme toujours :
- Bon, je te laisse, j’ai du travail ce matin ! Je dois récolter tout le fumier pour les Scarleurs !
- Ah… super…
- À plus tard le nouveau ! Dit-il en me saluant, me laissant seul face à mon bol.
Je le regarde partir, me demandant comment il peut être si motivé, si joyeux, alors qu’on est coincés ici. Le bruit de ses pas qui résonne dans la cabane me laisse un mélange d’admiration et d’incompréhension. D’où lui vient cette énergie, cette vitalité, alors que nous sommes enfermés dans ce… cauchemar éveillé ? Je me penche sur mon bol, machinalement, mais mes pensées restent accrochées à l’inconnu, au Labyrinthe, aux Coureurs, et à ce job que je veux plus que tout. Mon cœur bat un peu plus vite à l’idée de ce qui m’attend… et de ce que je vais découvrir…
Je termine mon repas seul et, après avoir apporté ma vaisselle sale à la cuisine, je me retrouve planté là, sans savoir quoi faire. Mon regard cherche instinctivement le fameux Newt, et bientôt je le vois venir vers moi, un sourire chaleureux illuminant son visage. Contrairement aux autres gars du Bloc, lui semble soigné, presque impeccable. Sa chemise large glisse sur sa fine carrure, laissant deviner un débardeur rouge argile près du corps. Son pantacourt léger et ses petites savates lui donnent une allure décontractée, presque enfantine. Mais ce qui attire le plus mon attention, c’est sa façon de marcher. Il semble légèrement boiter d’une jambe, pourtant sa démarche reste fluide et mesurée, presque gracieuse. Quand il arrive à ma hauteur, il me tend la main. Je la saisis immédiatement, frappé par sa chaleur et la douceur de sa peau. Une tension étrange me traverse, et je me demande pourquoi je ressens une sorte d’attirance immédiate pour lui. Comme si je le connaissais… comme si je devais le connaître… Mais c’est absurde.
- Salut le nouveau, je m’appelle Newt.
Sa voix est douce, chaleureuse, rassurante. Je remarque chaque détail : ses cheveux blonds, courts et soigneusement coiffés, ses yeux marron miel en amande, ses longs cils blonds qui lui donnent un air presque fragile, son visage fin presque enfantin… Et pourtant il y a dans son sourire une assurance tranquille, presque désarmante. Chaque mouvement de ses lèvres, la courbe délicate de sa bouche de chat, tout me fascine et m’ensorcelle sans que je comprenne pourquoi.
- Salut… balbutié-je, incapable de détacher mes yeux de lui.
Je sens mon cœur battre plus vite et mes mains devenir moites. Pourquoi est-ce que je suis aussi attentif… Attiré par lui… ? Comme si… je le connaissais… ?
- Donc, on t’a mis au parfum, je suppose ? demande-t-il en posant ses mains sur ses hanches fines.
Je remarque la manière dont ses doigts s’étalent, gracieux, et la façon dont il se tient : détendu, sûr de lui. Pourquoi est-ce que ça me fascine autant ? Je me surprends à analyser chacun de ses gestes, chacune de ses expressions.
- Ouais… plus ou moins. Tu dois me trouver un travail, c’est ça ?
- Exactement. Personne ne glande ici, me prévient-il.
- J’avais pas l’intention de glander, précisé-je.
- Parfait alors, dit-il en tapotant mon épaule, m’entraînant avec lui.
Sa proximité me fait un drôle d’effet. Je sens la chaleur de son corps effleurer le mien. Je détourne les yeux une seconde, honteux de mon attention, puis je reviens sur lui. Il est captivant. Chaque détail, chaque expression, tout m’absorbe. Pourquoi est-ce que je ressens ça… ?
- Donc, je dois faire quoi ? demandé-je, le suivant avec curiosité.
- Avant toute chose, je vais t’expliquer les différents postes.
Pendant qu'il parle, j’observe la finesse de ses épaules, la façon dont ses jambes fines mais solides portent son corps avec équilibre…
- Je suis déjà un peu au courant… Et je voudrais…
- Ici, me coupe-t-il, en arrivant face à un bâtiment, tu as le stockage des outils des Torcheurs.
Je soupire intérieurement. Voilà ma chance de lui parler de mon envie d’être un Coureur, mais je dois attendre qu’il finisse sa phrase… Sa voix est douce, posée, et je l’écoute tout en préparant la meilleure réponse.
- D’accord, mais…
- Un Torcheur est chargé d’effectuer les tâches de ménage et d’entretien. Leur rôle, c’est de garder nos espaces de vie communs nickel, continue-t-il sans s’arrêter.
Mon esprit fait des allers-retours : je veux l’interrompre, je veux qu’il sache, mais je ne veux pas paraître impoli. Je veux qu'il m’apprécie…
- Ok… Seulement… soufflé-je en essayant de l’interrompre en douceur. Mais Newt est lancé :
- Là, tu as le bâtiment des Trancheurs. Ils élèvent le bétail et le tuent pour qu’on puisse manger.
Je me retiens de toutes mes forces, attendant le moment idéal pour le couper. Et en même temps, je l’observe, chaque détail, chaque expression, et je me sens fasciné, troublé par l’étrange sentiment que je dois lui faire confiance…
- Ici, c’est l’infirmerie, avec les deux Medjacks, Clint et Jeff. Ils sont très souvent occupés à soigner les plaies des Trancheurs, dit-il en riant légèrement.
Je l’observe, captivé par la façon dont ses yeux brillent légèrement lorsqu’il rit, comme s’il essayait de rendre l’information agréable. C’est troublant… Il est vraiment agréable à écouter et à regarder. J'ai le sentiment de déjà connaître ses mimiques…
- Là, c’est le domaine des Bâtisseurs et des Briquetons. Ce sont eux qui entretiennent les bâtiments et fabriquent le mobilier, les outils, etc. Tu me suis, le nouveau ?
- Je te suis…
Son regard s’accroche au mien, léger, encourageant. Mais je sens que mon impatience monte. Il faut que je le dise avant qu’il ne continue sa liste interminable… mais une fois de plus il enchaîne :
- Parfait ! Car voici le domaine des Scarleurs ! Enchaîne-t-il, me montrant les jardins où poussent les légumes. Les Scarleurs s’occupent des plantations, c’est là que je travaille la majorité du temps.
Seulement cette fois, je décide de me lancer et de lui demander sans détour : ma patience à bout.
- D’accord, mais si moi je veux devenir Coureur ? demandé-je, la détermination me brûlant la poitrine.
- Tu veux devenir Coureur ? s’étonne-t-il, son sourire s’élargissant.
- Oui, pourquoi ? Grimace-je.
- Tu sais quoi, le nouveau, dit-il en posant sa main sur mon épaule, son contact me faisant frissonner, j’ai cru que tu avais le potentiel pour devenir Coureur, quand je t’ai vu partir en sprint à ton arrivée… mais ça c’était avant que tu te vautres ! Hihi ! Super ta gamelle ! se moque-t-il.
- Je suis sérieux, je veux vraiment être un Coureur, insiste-je.
- Écoute, le nouveau, être Coureur n’est pas dans les cordes de tout le monde. Le Labyrinthe est dangereux… Crois-moi.
Je sens que mon cœur bat plus fort. Ses yeux me fixent, attentifs, et je me surprends à vouloir lui prouver que je peux. Sa confiance en moi, même implicite, me pousse à me surpasser.
- Je m’en fiche, je ne veux pas rester là à attendre que le temps passe ! Je veux me sentir utile ! argumenté-je.
- Je comprends. Mais tu sais, il ne s’agit pas que de courir bêtement pour trouver une sortie. Une fois dans le Labyrinthe, il faut mémoriser chaque couloir, chaque tournant, et surtout rentrer avant que les portes ne se referment. Sinon…
- Sinon… ? Blêmisse-je.
- Sinon tu es mort. Aucune des personnes qui se sont retrouvées piégées dans le Labyrinthe ne sont revenues…
Mes doigts se crispent sur mes poings. Je sens une montée d’adrénaline. Et pourtant, chaque mot de Newt s'ancre plus profondément, sa voix me rassurant malgré l’horreur…
- Ils meurent de quoi… ? demandé-je, le cœur serré.
- À cause des Griffeurs, dit-il, une expression de peur traversant son visage comme s’il avait déjà été face à une de ces créatures.
Je sens un frisson glacé me parcourir l’échine. Les Griffeurs… Je ferme un instant les yeux, essayant d’imaginer ces créatures. Qui rôdent la nuit, prêts à tuer tous ceux qui restent coincés. Mon esprit se met à bouillonner, des questions affluent à toute vitesse : à quoi ressemblent-ils ? Comment attaquent-ils ? Sont-ils rapides ? Intelligents ? Et… pourquoi ici ? Pourquoi nous avoir jetés dans ce Labyrinthe, nous comme des rats avec des bêtes ?
- C’est quoi… ? demandé-je, ma voix plus basse, presque tremblante.
- Des créatures… Elles sortent la nuit et tuent tous ceux qui sont bloqués dans le Labyrinthe.
Je hoche la tête, incapable de détourner mon regard. Et malgré la peur qui serre ma poitrine, malgré les images horribles qui traversent mon esprit, une résolution brûlante s’allume en moi. Je veux savoir. Je veux comprendre. Je veux voir le Labyrinthe, découvrir ses secrets, et surtout… survivre… Alors oui, j’ai peur. Mais cette peur se transforme en détermination. Je ne peux pas rester là, à attendre que la vie passe, à me cacher derrière les autres. Je dois bouger, agir… Je dois devenir Coureur. Peu importe les Griffeurs, peu importe la nuit et ses horreurs, je veux courir, mémoriser chaque couloir, explorer chaque recoin. Je veux comprendre pourquoi nous sommes ici et ce qu’est vraiment ce Labyrinthe. Mon cœur bat vite, mes mains se crispent légèrement, mais au fond de moi, la décision est claire. Je veux courir. Je veux être utile. Et rien, même pas ces Griffeurs terrifiants, ne m’arrêtera.
- D’accord… mais comment on fait pour être Coureur, à qui je dois m’adresser ? demandé-je, la détermination me donnant du courage.
- Heu… t’as pas dû bien entendre… Tout le monde fuit le boulot de Coureur… tu as peu de chances de survivre là-bas…
- C’est ce que je veux faire ! le coupe-je.
- Bon… Dans ce cas, si tu es vraiment déterminé, fais tes preuves dans le Bloc avant.
- Comment ? M’emballe-je.
- Intègre-toi au groupe, me conseille-t-il.
- Et c’est toi qui décide ensuite ? Espère-je.
- Oh non, c’est Minho. Le chef des Coureurs
- Ah… super… il a l’air aussi sympa que Gally celui-là… soupire-je. Newt éclate de rire de bon cœur.
- Tu sais, si tu veux te faire bien voir par Minho, évite ce genre de comparaison !
- Désolé… c’est sorti tout seul… passe-je une main dans mes cheveux.
- Bon, allez, suis-moi. Je t’emmène pour ton premier job ! Dit-il en posant sa main sur mon épaule.
- Ok… Super… Grimace-je agacé de ne pas pouvoir être coureur tout de suite…
- Le but des prochains jours, c’est qu’on te trouve le boulot où tu te sens le mieux et le plus utile. Chaque jour, tu iras dans un groupe différent, ça te permettra de faire connaissance avec tout le monde.
- D’accord… et je commence par quoi ?
- Bâtisseurs, lâche-t-il comme une sentence.
- Rah… super… soupire-je encore.
Ça ne pouvait pas tomber plus mal… Je sais que le maton des Bâtisseurs, c’est le rouquin… et je ne l’apprécie pas spécialement celui-là. Rien que de penser à lui, mes épaules se crispent. Je sens déjà que ça va mal tourner… Une pointe d’appréhension serpente dans mon ventre, même si je tente de la masquer. Mais vu que je n’ai pas vraiment le choix, je suis le blondinet jusqu’au fameux groupe des Bâtisseurs, son pas souple, presque silencieux, contraste avec le martèlement nerveux du mien. La lumière du matin accroche ses cheveux d’or et mon regard se perd un peu trop longtemps sur lui… Je me reprends aussitôt, le cœur battant quand on arrive face au rouquin.
- Gally, l’interpelle Newt.
Le rouquin relève la tête. Il a cette aura brute, agressive, qui semble toujours prête à exploser.
- Tiens, Newt… Ça va ? dit-il en venant lui serrer la main.
- Ça va, répond-il avec un sourire aimable. Je te confie le nouveau pour la journée.
Il m’attrape doucement par le bras pour me pousser face au rouquin…
- Ah… le nouveau…! répond Gally en croisant les bras, bombant le torse comme s’il essayait de dominer l’air autour de lui.
- Salut, dis-je en me redressant aussi. Hors de question qu’il pense que j’ai peur de lui. Je refuse de baisser les yeux devant cet abruti.
- Sois sympa avec lui, d’accord Gally ? demande gentiment Newt.
Il glisse sa main le long du bras du maton, un geste léger, presque tendre… et ça me serre le cœur sans que je comprenne vraiment pourquoi. Gally cligne des yeux, manifestement troublé par la main du blond.
- Ouais… Je vais essayer, répond-il.
Je les observe, un frisson de malaise me remontant l’échine. Il dévisage le blond de la tête aux pieds et j’avoue que cette scène… est très bizarre. Comme si Newt usait de ses charmes pour adoucir Gally. Et le pire ? Ça semble marcher. J’espère que ce n’est pas une façon de faire… qu’il utilise souvent. La pensée me pince de l’intérieur, un mélange étrange de jalousie et de frustration. Je me fais sûrement des films… mais quand même.
- Bon, je vous laisse, reprend Newt en lâchant le bras du maton.
Il se rapproche de moi, juste assez pour que son odeur chaude et rassurante m’enveloppe un instant. Sa main se pose sur mon épaule, son pouce effleurant ma clavicule. Mon souffle se coupe légèrement. Il me souffle, d’une petite voix qui me fait frissonner :
- Si tu as besoin de quoi que ce soit, viens me trouver.
- Ok… approuvé-je, la gorge un peu serrée malgré moi.
- À plus tard.
Il tapote mon épaule avant de s’éloigner. Je le regarde partir malgré moi, attiré par la douceur de sa démarche, et soudain, tout me semble un peu plus silencieux. Puis je me retrouve seul… face au Maton des Bâtisseurs.
- Bon le nouveau, commence-t-il, sa voix râpeuse déjà saturée de mépris, je vais pas y aller par quatre chemins : ici c’est moi le boss. Tu obéis. Tu râles pas. Et surtout, tu fermes ta grande gueule.
- Tu vas arrêter de m’appeler “le nouveau”, grogne-je entre mes dents.
Un silence tombe une demi-seconde. Le genre de silence chargé d’électricité, celui qui se forme juste avant la tempête. Ma réponse, ma provocation ouverte, attire tous les regards. Les Bâtisseurs et les Briquetons arrêtent presque de respirer, s'attroupent autour de nous comme des corbeaux flairant le drame. Gally arque un sourcil, un sourire carnassier étirant sa bouche.
- Ah ouais ? Et comment tu veux qu’on t’appelle ? … La Tâche ?!
Ses potes éclatent d’un rire lourd, gras, moqueur. Ce rire qui gratte la peau comme du sable. Il poursuit, euphorique de sa propre méchanceté :
- Ouais voilà les gars ! On va l’appeler la Tâche !
Les ricanements redoublent. Ça me brûle de l’intérieur, une chaleur acide, mais je ravale ma rage. Je sais que s’il peut me faire exploser, il aura gagné…
- Allez bouge-toi, la Tâche ! crache-t-il en me bousculant du bout du doigt, comme si je n’étais rien de plus qu’une poussière collée à son ongle. On a du boulot et j’ai pas l’intention de mater tes états d’âme !
Je serre la mâchoire si fort que j’ai l’impression que mes dents vont se fissurer.
- Et je dois faire quoi ? Grimace-je en le suivant malgré moi, chaque pas lourd d’un dégoût mêlé de frustration.
Gally pointe du doigt un minuscule garçon brun, pas plus haut que trois pommes, qui tient un outil trop grand pour lui.
- Tu vas bosser avec Antoine. Tu vas réparer ce foutu mur. Compris ?
Le garçon lève à peine les yeux. Cheveux noirs, courts. Teint pâle, presque cireux. Visage creusé comme si la fatigue l’avait sculpté. Corps tellement maigre qu’on dirait qu’un souffle trop fort pourrait le faire basculer. Ses yeux marron, immenses sur son petit visage, brillent d’une tristesse effrayée. Pas la timidité… non. Plutôt la peur. Celle qui s’installe dans les os. Celle qu’on apprend à cacher. Je reste figé une seconde. Tout s’emboîte. L’atmosphère autour de lui. Sa façon de se recroqueviller. Son silence lourd. Et le regard satisfait, malsain, que Gally pose sur lui avant de reporter son attention sur moi…
- J’ai pas entendu ! gronde Gally en me saisissant par le t-shirt, me tirant vers lui comme un prédateur agacé.
- Compris, répondis-je en repoussant sa main d’un geste sec.
- Bien. Au boulot, fainéant ! aboie-t-il avant de tourner les talons.
Enfin, il s’en va. L’air semble respirable de nouveau, même s’il reste chargé de son odeur d’agressivité. Je me retrouve seul avec Antoine. Il est vraiment petit et semble dix fois plus fragile que les autres Blocard. Pas un mot ne franchit ses lèvres. Il garde la tête baissée, ses épaules minuscules tremblant presque à chaque respiration. Il continue de travailler avec une minutie automatique, comme s’il avait appris à disparaître dans ses gestes.
- Heu… Alors… je dois faire quoi ? demande-je, un peu mal à l’aise, presque gêné d’exister.
- Tu prends les planches et tu les clous, dit-il toujours sans me regarder.
Il parle bas, comme s’il craignait d’attirer l’attention de quelqu’un. Ou comme s’il avait appris à se réduire lui-même au silence.
- Heu… ok…
Je me baisse, attrape les planches, les outils. Mes gestes sont mécaniques. Ça me saoule déjà de faire ça… Je sens mes épaules s’affaisser. J’ai l’impression de perdre du temps, d’être coincé dans un rôle qui n’est pas le mien… J’ai pas envie de traîner ici. Pas envie d’être “la Tâche”. Pas envie de rester enfermé entre quatre planches quand, juste derrière ces murs, le Labyrinthe s’étend comme une promesse. J’ai envie d’y aller. D’aller courir, comprendre, chercher, fuir ce foutu Bloc. Fuir ces regards, cette oppression. Et peut-être… peut-être retrouver un morceau de moi-même. Pourquoi je suis ici ? Pourquoi on m’a envoyé ici ? Pourquoi nous ? Je cloue, je cogne, mais tout résonne creux dans ma tête. Puis Antoine m’arrache doucement le marteau des mains.
- Pas comme ça, le nouveau. Je te montre. Je relève la tête, surpris.
- D’accord, merci… lui souris-je, un sourire qui se veut chaleureux, mais qui se débat avec ma lassitude.
- Tu dois la positionner comme ça, dit-il en montrant la planche, et mettre les clous ici… et ici.
- D’accord, approuve-je en m’exécutant.
- Bien, parfait.
Son compliment est si discret, qu’il ressemble presque à un souffle. Il disparaît aussitôt dans l’air. Pendant que je pose la planche, je repense aux paroles de Chuck… Antoine serait l’un des derniers arrivés. Comme moi. Un autre paumé sans souvenirs. Un autre gamin jeté ici sans explication. Peut-être qu’il a compris des choses. Peut-être qu’il peut me donner des conseils. Peut-être que moi aussi, je peux trouver un repère quelque part… quelqu’un qui sait ce que c’est que d’avoir peur.
- Alors c’est comment de vivre au Bloc ? lui demande-je sans détour, surpris moi-même de ma franchise.
- Difficile, répond-il en penchant la tête. Une réponse simple, honnête. Qui tombe lourdement.
- De survivre ? insisté-je.
- Non. De cohabiter avec certains blocards, souffle-t-il. Je plisse les yeux.
- Ah ouais, je vois… Comme avec ce connard de Gally.
- Chut…! fait-il immédiatement, posant un doigt devant sa bouche.
Son visage se fige. Ses yeux s’écarquillent. Son souffle se coupe. Il panique. Vraiment… Un gamin ne réagit pas comme ça juste parce qu’un chef est un peu dur… Non. Là, c’est de la terreur. Pure. Mon ventre se serre malgré moi.
- Pourquoi ? m’étonne-je.
- S’il t’entend… tu vas passer un sale quart d’heure, me prévient-il. Je sens une bouffée de colère monter à la gorge.
- Qu’il vienne…, grogne-je, prêt à lui faire face. Prêt à lui montrer que je suis pas un enfant tremblant.
- Tu devrais le craindre, tu sais…?
Je me tourne vers lui. Antoine a ce regard… comme un animal blessé qui a compris que le monde ne ferait jamais rien pour lui.
- Pourquoi ? demandé-je, mais une partie de moi devine déjà la réponse.
- Il est capable de tout, grimace-t-il, comme s’il revivait quelque chose rien qu’en le disant.
Mon souffle se bloque un instant. Ça se lit dans son visage. Dans les creux de ses joues. Dans cette façon qu’il a de s’excuser d’exister…
- Jamais j’aurai peur d’un type comme lui, rétorqué-je. Puis les autres Matons sont là pour nous protéger, non ? Il secoue la tête, un rictus triste sur les lèvres.
- Non pas vraiment… Gally est le bras droit d’Alby. Personne n’ose le contredire.
- Ah…
Je sens un frisson glacé remonter dans mon dos… Super. Je me rends compte que ce n’est peut-être pas une communauté aussi soudée que ce que prétendait Alby. Ce n’est pas une fraternité. Ce n’est pas un foyer. Visiblement… On a plutôt affaire à une dictature déguisée en camp de survie. Et au milieu de tout ça, il y a ce gamin… trop petit, trop maigre, trop effrayé… Et moi, encore plus paumé que je le pensais.
- Alors, ça bosse ici ?! s’exclame soudainement Gally dans notre dos.
Je sursaute, le cœur bondissant dans ma poitrine. Antoine, lui, se ratatine littéralement sur place.
- Heu… Oui… oui…, souffle-t-il, sa voix minuscule glissant à peine hors de sa gorge.
Je déteste la façon dont il répond. Pas lui, mais ce que Gally provoque chez lui. Cette peur viscérale. Cette obéissance forcée. Et la colère me chauffe déjà les veines. Sans prévenir, Gally nous bouscule, arrache les planches qu’on vient de poser et les jette plus loin.
- Tu fous quoi putain ?! grogne-je, furieux.
La rage me traverse comme un éclair. Pas seulement pour les planches. Pour Antoine. Pour tout ce qu’il lui fait subir. Pour cette ambiance de terreur permanente.
- C’est n’importe quoi ce travail…! hurle Gally en envoyant tout valser.
Il se retourne, chope Antoine par le bras, le soulève comme une poupée trop légère.
- C’est pas comme ça que je t’ai montré, abruti…!
Le petit est blême. Figé. Ses jambes pendent dans le vide comme si elles ne lui appartenaient plus. Son regard se vide complètement, comme s’il se retirait quelque part à l’intérieur de lui-même pour ne pas sentir. Ça me transperce. Ça m’écorche. Je ne réfléchis même pas : j’agis. Je pose ma main sur le poignet de Gally, le forçant à lâcher.
- Pas la peine de t’énerver comme ça !
Il lâche immédiatement Antoine… mais me balance un énorme coup de coude dans les côtes, me pliant en deux.
- Un problème, la Tâche ?! crache-t-il, les yeux injectés de haine.
Chaque mot est un crachat. Une provocation. Une tentative de domination. Et pourtant, je sens quelque chose d’étrange… Je n’ai pas peur. Même si je devrais. Même si tout en lui hurle le danger.
- Ouais, c’est toi le problème ! ose-je lui répondre.
Un silence brutal tombe autour de nous. Tous les Bâtisseurs se figent, choqués que j’aille aussi loin. Gally, lui, devient écarlate. Il m’attrape par le col, sa poigne brûlante serrant ma gorge.
- Tu ferais mieux de faire attention à ce que tu dis, sale connard…
Je plante mes yeux dans les siens. Je vois la folie dedans. La brutalité. Mais je refuse de baisser la tête.
- Ah ouais ? Sinon quoi ?!
Je sens Antoine derrière moi, immobile, tremblant. J’entends presque son souffle se couper.
- T’as de la chance qu’on puisse pas frapper un Blocard…, gronde Gally en serrant encore plus, sinon crois-moi, tu serais déjà au tapis, la Tâche…!
- Tss… si tu crois que j’ai peur de toi…!
C’est plus fort que moi. Une pulsion. Un instinct. Peut-être une connerie monumentale. Mais je refuse d’être écrasé comme Antoine… Gally me relâche avec un geste brutal.
- Continue ton boulot, abruti ! Et correctement cette fois ! Que je ne revienne pas… sinon ça va barder…!
- T’as qu’à le faire toi-même si t’es pas content ! le provoqué-je encore.
Une seconde de silence. Une seconde où je sens que j’ai dépassé une limite. Une seconde où je vois son regard changer. Il se retourne brusquement et son poing s’abat sur ma tête. Je ne vois même pas le coup venir. La douleur explose. Un flash blanc… Puis tout se renverse…
Je vole en arrière, mon corps heurtant le sol si violemment que le monde tourne autour de moi. Ma vue se brouille. Les voix deviennent lointaines, déformées. J’entends des cris, des rires, des « Baston ! Baston ! » qui frappent mes tympans comme des tambours barbares. Je tente de me relever… mais mes bras tremblent. Tout tangue. Je sens le sang pulser dans ma tempe. J’ai l’impression que ma tête va céder sous la pression. Je… je crois que je vais m’évanouir… Et soudain… Des mains délicates se glissent sous ma tête, la soutiennent avec une douceur qui me coupe le souffle. Une odeur familière, chaude, apaisante. Le monde reprend forme… Au-dessus de moi, une silhouette se penche… Ses cheveux blonds forment une auréole. Son visage d’ange… strié d’inquiétude. Newt… Je le vois, flou d’abord. Puis net. Ses traits crispés, sa mâchoire serrée. Ses yeux… pleins d’une peur que je n’ai jamais vue chez lui. Une peur pour moi… Il se tourne brusquement vers Gally, son regard devenu glacial.
- Gally… qu’est-ce que tu viens de faire ? murmure-t-il d’une voix si froide que même l’air semble se figer.
- C’est de sa faute ! Il me provoque ! réplique le rouquin, les yeux injectés de rage.
- Et alors ?! T’as oublié l’une de nos règles principales ?! s’époumone Newt, sa voix d’habitude si douce devenant un fouet.
- Mais c’est de sa faute, putain !! hurle Gally, incapable d’entendre autre chose que sa propre colère.
- Medjacks, venez s'il vous plaît…!
Deux garçons me saisissent et me redressent, mes jambes vacillent encore sous le choc. Ma tête pulse comme si quelque chose battait à l’intérieur, prêt à éclater. Le décor autour de moi tangue, floue, et je lutte pour rester conscient. Juste avant qu’ils ne m’embarquent, j’entends Newt lâcher, d’une voix sèche, tranchante comme une lame :
- J’ai fermé les yeux sur plein de choses… mais là, tu dépasses les bornes, Gally.
Je ne comprends pas encore ce qu’il veut dire… Mais Antoine avait raison : Gally semble intouchable, protégé par on ne sait quelle règle tacite. Je voudrais y penser, vraiment… mais ma tête tourne trop. On m’allonge sur un lit de l’infirmerie, on étale une crème fraîche sur ma tempe battante. Je me laisse tomber dans le matelas, mes paupières devenant lourdes… Je sombre.
“Wicked est bon.
Tu nous as trahis.
Thomas.”
Je sursaute. Ma respiration se bloque. Un frisson me traverse de part en part. J’ouvre les yeux, lentement, douloureusement, et une sensation froide coule sur ma peau… Et puis… lui. Newt… Son visage apparaît comme une éclaircie dans un ciel noir. Ses cheveux blonds forment un halo autour de ses traits fins. Ses yeux noisette, pleins de douceur inquiète, me scrutent. Sa bouche, cette bouche de chat, délicate, s’étire en un sourire qui me fait oublier la douleur un instant.
- Ça va mieux, le nouveau ? murmure-t-il, sa voix comme un baume.
Et là… la vérité me frappe. Mon prénom. Il remonte, se fraie un chemin dans le chaos de ma tête. Un soulagement si immense que ma gorge se serre.
- Thomas, dis-je en me redressant légèrement. Je m’appelle Thomas. Newt cligne des yeux, surpris.
- Thomas ?
- Oui. Thomas.
- Oh… d’accord, Thomas, répond-il avec un sourire qui me traverse comme un courant tiède. Mais la colère remonte brutalement.
- Cet enfoiré… grogné-je en serrant le poing, sentant mes jointures blanchir sous la pression. La douleur sur ma tempe se mélange à ma colère, un feu qui pulse dans mes veines.
Newt fronce les sourcils, ses yeux noisette se plissant légèrement. Ses mains se crispent sur le tissu qu’il tient encore contre ma tête, comme pour canaliser son inquiétude.
- Pourquoi Gally t’a frappé ? demande-t-il doucement mais avec insistance, sa voix tremblant presque sous l’émotion.
Je serre les dents, me redresse un peu sur le lit, le corps encore lourd du choc. Mes muscles endoloris protestent à chaque mouvement.
- Parce que je lui ai dit de faire son foutu boulot tout seul ! Je laisse ma voix résonner dans la pièce, un mélange de colère et de frustration.
Newt incline légèrement la tête, l’air d’essayer de comprendre, et un pli se forme sur son front parfait.
- Pourquoi ça ? murmure-t-il, presque incrédule, laissant son inquiétude transparaître dans le tremblement léger de ses lèvres.
Je laisse échapper un soupir tremblant, serrant encore un peu plus les poings, mes doigts s’enfonçant dans le tissu du lit. La rage et la douleur se mêlent, m’empêchant de calmer mon souffle.
- Il a détruit notre travail et il a hurlé sur nous sans aucune raison ! expliqué-je, chaque mot chargé de ressentiment. Ma poitrine se soulève rapidement, comme si je venais de courir un long chemin, et mes yeux restent rivés sur Newt, espérant qu’il comprenne l’injustice.
Newt laisse échapper un petit ah, un souffle presque inaudible, et détourne légèrement le regard, la mâchoire crispée. Il semble peser chaque mot, son silence révélant un mélange de frustration et de compréhension.
- Ah ? C’est tout ? m’indigne-je, le cœur encore battant trop fort.
Sa réaction me surprend, comme si… tout cela n’était que la routine. Le monde autour de nous semble se figer, et pourtant, la douleur à ma tempe persiste, rappel cruel du chaos qu’il vient de se produire.
- C’est Gally… murmure-t-il, détournant les yeux. Son regard glisse vers le sol, la mâchoire serrée, et une ombre passe sur son visage fin, trahissant la tension qu’il tente de cacher.
- Ce n’est pas une excuse ! réplique-je, ma voix tremblante d’émotion, mes doigts s’accrochant au bord du matelas.
- Je sais… souffle-t-il simplement, mais ses yeux me trahissent : il ressent la même frustration que moi, même s’il garde son calme.
Je le fixe, le regard planté dans le sien, scrutant la sincérité qui s’y reflète. Le silence qui s’installe entre nous est lourd, chargé de mots non dits et de douleurs partagées.
- Ouais, et moi je sais que toi et les autres Matons vous fermez les yeux sur plein de trucs le concernant…! Balance-je tranchant.
Newt grimace, un léger frisson traverse son corps. Sa voix se durcit d’un coup, froide mais maîtrisée :
- Tu ne sais rien, Thomas. Alors si j’étais toi… je me ferais petit. Ses yeux croisent les miens un instant, et je sens la tension contenue comme un ressort prêt à craquer.
- Hors de question. Je ne me laisserai jamais marcher dessus par un connard pareil ! Je me redresse un peu, le souffle encore court, le poing se détendant lentement.
Newt se lève doucement, chaque geste calculé, son visage redevenu grave mais protecteur :
- J’irais en parler à Alby, décide-t-il. Ça ne peut pas rester sans conséquence.
- Oui… Merci… soufflé-je, relâchant un peu la pression, le cœur encore tambourinant mais réconforté par sa présence.
Il esquisse un petit sourire, tendre et presque rassurant, qui fait naître un léger apaisement dans ma poitrine :
- En attendant, repose-toi. Tu retourneras bosser demain, d’accord ?
- Pas avec lui, j’espère ?
- Non, t’inquiète.
- Merci, Newt… dis-je doucement, le regard accroché à son dos.
- De rien, Thomas.
Il quitte l’infirmerie. Sa silhouette fine disparaît derrière le rideau, et je reste là, le souffle un peu plus calme. La tête lourde, le corps encore endolori… mais mon cœur un peu moins. Newt est… un mec bien. Il m’a défendu, il a été là au moment où tout se brouillait. Et puis… grâce au coup de Gally, grâce à ce chaos imposé… je me souviens enfin de mon nom. Thomas.
A suivre...!