Te repousser pour mieux t'aimer

Chapitre 5 : Chapitre 4 : Questions

2487 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/11/2020 14:46

Chapitre 4 :

Questions.


— Tu veux aller te promener ? demande Tristan au moineau. Allez, vas-y.


L'oiseau s'en va à mon plus grand soulagement. Il n'arrête pas de me fixer et ça commence à m'énerver. Je regarde Tristan et ne peux m'empêcher de lancer :


— Tu es plus bavard avec l'oiseau qu'avec les humains.


Mon Dieu, bâillonnez-moi maintenant ! Je me mords la lèvre mais il ne répond pas, ne me regarde même pas. J'essaye de dire quelque chose d'intelligent pour aujourd'hui et dis difficilement :


— Désolée pour la pêche.


— La quoi ? demande-t-il en fronçant les sourcils.


— Le coup, je me reprends. C'est juste que, les seules fois où j'ai été réveillée comme ça, ce n'était pas bon signe.


Je secoue la tête pour effacer les images qui reviennent. Il hoche juste la tête et ne dit plus rien. L'imbécile, il le prend comme ça ? Bien, puisque c'est ainsi, je laisse tomber le côté gentil pour passer au côté insupportable. Comment ? Simple, il semble aimer le silence et, dans mon infinie bonté, je lui gâche son silence en radotant. Je lui parle de tout et n'importe quoi. Commentant même ce paysage très… vert. Mais je lui parle surtout de choses qu'il ne peut pas comprendre. J'en viens même à lui parler de chaussures mais, il est plus fort que moi et reste impassible.


Il commence à faire nuit et Tristan s'arrête, laissant le temps aux autres d'arriver. Quand Arthur voit mon sourire satisfait et Tristan au bord de la crise de nerfs, il me lance un regard désapprobateur. Je hausse les épaules avec un innocent : « Bah quoi ? ».


— La prochaine fois, elle va avec Bors, dit simplement Tristan avant de descendre. Et puis, c'est quoi des Jimmy Choo ?


— On va s'arrêter pour la nuit, prévient Arthur en ignorant la réflexion de son compagnon.


Je descends en soupirant de soulagement.


— Non mais plus sérieusement, je réplique. Je peux changer de partenaire de voyage ? Parce qu'il a autant de conversation que ma grand-mère et elle ne parlait qu'à ses chats.


— Je suis éclaireur, se défend l'autre.


— Et alors ? Ça inclus d'être ennuyeux à en mourir ?


— Rappelez-moi pourquoi elle reste avec nous déjà ? fait-il aux autres qui sourient devant la scène.


— Elle m'amuse, propose Bors.


— Pardon ? je m'exclame faussement outrée. Je ne suis pas un chien non plus, ni un clown.


— Un quoi ? demande Gauvain.


— Ça ne va pas être la joie tous les jours, je soupire en m'éloignant vers le petit cours d'eau que j'ai aperçu.


Je m'assois au bord de l'eau et plonge mes pieds dedans en frissonnant. Là, je laisse mes pensées dériver vers ma famille et mes amis. Je me demande s'ils se rendent compte de mon absence, si c'est comme si je n'avais jamais existé, si je leur manque. Pourquoi c'est moi, qui étais plus que satisfaite de ma vie, qui débarque ici ? Je déteste ce lieu, je déteste ces gens sans les avoir rencontrés. Je regarde la rive quand mes yeux sont attirés par quelque chose de brillant. Je me relève et fronce les yeux, j'ai déjà vu cet objet quelque part.


J'entends qu'on m'appelle mais, je n'écoute pas et plonge dans l'eau pour rejoindre l'autre côté sous les exclamations des garçons. J'atteins l'autre bord facilement, remonte à la surface et grimpe. J'attrape l'objet et frissonne : mon pendentif, ça ne veut dire qu'une chose. Je l'attache et replonge pour rejoindre le groupe. Lancelot et Gauvain m'aident à remonter alors que Galahad me traite de folle.


— Mais pourquoi tu as fait ça ? me demande-t-il -il semblant avoir abandonné le vouvoiement.


Pour toute réponse, je montre mon pendentif.


— Très joli, raille-t-il. Mais, ça ne répond pas à ma question.


— C'est mon pendentif, je soupire. Je l'avais quand… bref c'est ici qu'on m'a trouvée.


— Les Saxons ne viennent pas aussi près, me contredit Arthur en comprenant où je veux en venir.


— Il faut croire que si, je fais en tremblant, frigorifiée et paniquée. Je veux qu'on s'en aille.


— Ils ne viendront pas, tente de me rassurer Arthur.


— Oui et bien permettez-moi d'en douter, Ô grand Oracle. Ils sont déjà venus jusqu'ici puisqu'on m'a trouvée à cet endroit précis.


— Oui mais vous étiez seule alors qu'aujourd'hui nous sommes là, fanfaronne Lancelot.


Je lui lance un regard meurtrier, ruiné par mes tremblements de froid. J'inspire profondément, ils n'ont pas tort de toute façon. Et puis, je suis fatiguée de penser et j'ai froid. Arthur semble lire dans mes pensées car il retire sa cape rouge et me la passe sur les épaules en me frictionnant.


— Vous venez de vous remettre d'une forte fièvre et vous plongez dans l'eau glacée, s'exaspère-t-il.


Je lui fais un sourire désolé. Son contact ne me dérange pas. Peut-être parce qu'il m'a sauvée ou alors c'est son comportement paternel qui m'apaise. Je ne comprends pas pourquoi celui de Tristan ne m'incommode pas plus. J'arrive en tout cas à me raisonner et à garder mon esprit à l'instant présent. Je ne m'en serais pas crue capable. 


Un bâillement sort de ma bouche et Arthur me dit :


— Vous devriez dormir. Mais il faut que vous mangiez avant et pas d'excuses cette fois !


J'ai l'impression d'être une enfant avec lui. Il me donne de quoi manger et j'essaye de me nourrir en vain. La nourriture me dégoûte, tout me dégoûte. J'ai beau faire la fière qui ne ressent rien quant à ce qui s'est passé, ce n'est qu'une illusion. Une illusion à laquelle je pourrais presque croire moi-même. Mais, les marques sont là, indélébiles et je sais que je ne pourrais pas faire comme si de rien n'était encore longtemps. Les chevaliers poseront des questions, inévitablement ils en poseront et c'est ce qui me fait peur. Le moment où je serais confrontée à ce que j'ai traversé. 


Rien ne me prédestinait à ça. J'ai eu une vie parfaite. Je n'étais pas la reine du lycée ni même populaire mais j'avais mes amis, ma famille. Ils ont toujours tout fait pour que je sois heureuse et ils ont réussi. Et aujourd'hui, je me dis que ma rupture avec Julian n'était pas si grave, on serait restés amis. Ma vie me convenait sans le moindre doute. Je n'aurai rien changé.


Mais aujourd'hui, c'est trop tard.


— Enora ? m'appelle Arthur, me ramenant à la réalité. J'aimerais vraiment savoir ce que vous faisiez chez les saxons.


Tout mon corps se raidit alors que ma respiration se coupe. Je pensais qu'ils avaient compris que je ne voulais pas en parler. Soit ils sont stupides, soit ils ont compris mais ont décidé d'en parler quand même. Mais suis-je en position de leur en vouloir ? Ils viennent de récupérer une parfaite inconnue. Il est normal qu'ils s'interrogent.


— Je n'en sais rien, je souffle finalement en détournant le regard.


— Vous avez dit qu'ils vous avaient trouvée ici, insiste-t-il.


— C'est exact, j'acquiesce alors que je deviens de plus en plus nerveuse.


— Que s'est-il passé ? Que vous voulaient-ils ?


— Ils voulaient… savoir d'où je venais… entre autres, je marmonne plus bas.


—C'est-à-dire ? demande Tristan qui semble m'avoir entendue.


Cette conversation qui m'énerve depuis le début, finit de me mettre en colère et j'explose.


— Mais qu'est-ce que ça peut faire à la fin ? C'est fini, non ? Qu'est-ce que ça va changer de savoir ce qu'ils m'ont fait ou demandé ?


— Nous devons savoir Enora, insiste Arthur.


Je le darde d'un regard dur. Qu'il garde son air compatissant pour quelqu'un d'autre, je refuse de faire pitié à qui que ce soit. Et je refuse de me remémorer certaines choses juste pour assouvir sa curiosité. C'est pourquoi je ne crache qu'une moitié de vérité.


— Vous voulez savoir ? Mais quoi exactement ? Que leur chef m'a trouvée amusante quoi qu'un peu trop rebelle et avec trop de caractère ? Qu'ils voulaient me briser ? Qu'on m'a battue tellement de fois que j'ai arrêté de compter ? Que ces malades n'arrêtaient pas de poser des questions auxquelles j'étais incapable de répondre ? Ben voilà, vous savez. Vous vous sentez mieux ? Parce que moi, non. Je n'avais rien d'intéressant à leur dire. Ils voulaient juste s'amuser, je finis en fronçant le nez de dégoût.


— C'est tout ?


— … Oui.


Je me lève et m'éloigne d'eux le plus possible tout en faisant attention à ne pas me perdre. Pourquoi insister ? Qu'est-ce que ça change de toute façon ? Ce n'est pas comme si le fait d'énoncer les tortures allait les rendre moins douloureuses ou allait me les faire oublier. Ni comme si j'avais pu donner des informations cruciales à ces monstres. Ils m'ont récupérée alors que je venais juste d'atterrir dans ce trou paumé. 


Je m'assois contre un arbre et passe ma colère — je ne sais même pas pourquoi je suis en colère — sur l'herbe et les brindilles. Un bruit de battements d'ailes se fait entendre et le moineau du mec taciturne — Tristan — se plante devant moi et me fixe. Cet oiseau me fiche la trouille, depuis quand les oiseaux ont l'air aussi… humains ?


— Qu'est-ce que tu veux ? je le rabroue.


Il continue de me fixer.


— Tu comptes rester là longtemps ? (Toujours aucune réaction). Allez ouste… Mais arrête de me fixer comme ça !


Rien à faire. Bon, quitte à passer pour une folle en parlant avec un moineau stupide, autant jouer le jeu jusqu'au bout, non ?


— Ok, tu veux que je parle ? Bien. Je m'appelle Enora, j'ai 19 ans — bien qu'en ce moment je réagis comme une enfant ou une folle. J'ai atterri ici je ne sais comment et je n'ai qu'une envie : massacrer la personne qui m'a fait ce plan pourri, avant de retourner chez moi près de ma famille et mes amis dans mon mode bien civilisé, je termine d'une traite, essoufflée. Voilà, satisfait ? Maintenant va-t’en !


— Je ne sais pas s'il est satisfait mais, moi beaucoup, me fait soudain sursauter la voix de Tristan.


Je me relève, manquant de retomber sur mes fesses comme une imbécile et rougis en voyant son air passablement amusé. Il est où le visage impassible quand on en a besoin ? Je me le demande. Pour effacer mon embarras, j'enfile une carapace d'agressivité.


— Vous me suivez ou quoi ? je l'agresse.


— Non, je faisais simplement un repérage pour voir si tout allait bien dans les environs quand je vous ai entendue crier.


— Je ne criais pas, je nie. Je m'exprimais, c'est différent !


— Mais bien sûr, raille-t-il. Vous semblez énervée, remarque-t-il en penchant la tête sur le côté, ce qui lui donne un air vraiment craquant.


Ok, pause, on rembobine, encore un peu… voilà. Comment ça craquant ? Non mais je suis malade ou quoi ? Ce mec est encore plus taciturne que mon arrière-grand-père — ce qui est vraiment compliqué puisqu'il est mort — et puis, il est vieux ! Bon ok, il n'est pas vraiment vieux mais… il n'est pas craquant il est…


Canon, je pense en le regardant de la tête aux pieds. 


Et bien plus civilisé que les malades que j'ai rencontrés jusqu'ici. Mais le malaise reste. Après tout, je suis seule avec un homme et je n'ai plus réellement confiance en eux. Même en lui bien qu'il soit beau, mystérieux, sexy et… Bref. Ce n'est pas une question d'esthétique. J'ai vu la pire facette de l'homme et je me passerais bien d'y être à nouveau confrontée. Ce Tristan n'a pas l'air d'être de ce genre-là mais, après tout, qu'est-ce que j'en sais ? Je ne le connais pas.


— Je ne suis pas énervée, je dis finalement. Je n'aime pas qu'on me pose des questions inutiles.


— Elles n'étaient pas inutiles, me corrige-t-il. Nous devions savoir à qui nous avions à faire. Et je sais que vous n'avez pas été totalement honnête avec ce qui s'est passé chez les Saxons. Voilà ce qui vous met vraiment en colère, termine-t-il avec un air satisfait.


Je me fige une nouvelle fois, le regard braqué sur lui. Puis, ma colère revient. Non mais quel connard, il se prend pour qui avec son air supérieur ? Il ne me connaît pas.


— Et qu'est-ce que vous en savez hein ?


— Cette réaction veut tout dire, se justifie-t-il. Votre regard fuyant en permanence, le malaise de rester seule avec un homme ou qu'il vous touche…


— Je ne vois toujours pas ce que ça prouve, je fais d'une manière hautaine pour reprendre contenance.


— J'ai vu les marques sur votre corps, commence-t-il à s'énerver — comme si c'était à lui de s'énerver. Non, me coupe-t-il alors que je vais protester. N'insultez pas le bon guérisseur que je suis femme, je sais faire la différence entre les marques d'une femme battue et d'une femme violée.


C'est sans doute le plus long discours auquel j'ai eu droit venant de sa part mais, j'aurais préféré qu'il se taise. Je hais ce mot. Viol. Non, je refuse de l'admettre ou toute cette force que j'ai réussi à préserver s'effondrera. Les coups, l'humiliation d'être traitée comme un animal, je peux le supporter, je peux passer au-dessus mais ça ? Non, je n'y arriverai pas.


– Comment avez-vous fait pour arriver jusqu'ici ? me demande-t-il soudain, visiblement satisfait de me clouer le bec. Si votre terre est si loin, pourquoi vous en êtes-vous autant éloignée ?


Encore une fois, que répondre ? Je m'assieds en soupirant, ramenant mes jambes contre mon buste. Bien que je sois contente qu'il ait changé de sujet, je me retrouve encore une fois dans le doute. Peut-être que je devrais leur dire d'où je viens réellement ? Non, d'après ce que j'ai écouté de mon prof d'histoire — plutôt courageux, ce prof quand on voit ce qu'il a supporté avec notre classe —, il risque de me prendre pour une sorcière ou pire et me brûler vive ! Ce serait bête d'avoir échappé aux Saxons pour finir brûler.


— Je… je n'en sais rien, je souffle.


Ce qui n'est pas vraiment un mensonge. Il fronce les sourcils puis hausse les épaules, se disant sûrement que, de toute façon, il s'en fiche royalement. Il me fait un signe de tête et repars alors que je soupire en laissant mon regard dévier sur sa silhouette. Ses épaules, son dos, ses fesses… Je rougis violemment en m'en rendant compte, me demandant quel est mon problème au juste et retourne près des autres pour dormir.

Laisser un commentaire ?