Te repousser pour mieux t'aimer

Chapitre 8 : Chapitre 7 : Le Mur D'Hadrien

2669 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/11/2020 19:00

Chapitre 7 :

Le mur d’Hadrien.


Ça y est, c'est la dernière ligne droite. 


On est en route pour le mur d'Hadrien et l'anxiété me ronge encore plus. Cette nuit, après ce « cauchemar », je me suis rendormie, bercée par mes larmes et je n'ai pas prononcé un mot depuis que je me suis réveillée. Je ne veux pas réfléchir à ce rêve ou cette prémonition — peu importe quel nom ce qui s'est passé porte. J'y réfléchirai quand je serai seule, au calme. Et puis, de toute façon, je n'ai simplement plus rien à dire et les autres semblent le comprendre puisqu'ils me laissent tranquille — même le moineau, c'est pour dire.


Mais je suppose que l'impatience de Bors — avec qui je monte — de rentrer semble lui faire oublier que je n'ai pas envie de discuter puisqu'il se met à me parler de sa vie. Je prête une légère attention à son discours pour ne pas le froisser sans pour autant participer. Mais, il pique ma curiosité en parlant d'une certain Vanora.


— Vanora ? je demande.


— Ma petite femme, s'exclame-t-il apparemment heureux que je m'intéresse vraiment à ce qu'il dit. Un sacré caractère, comme toi gamine…


— Hey, je proteste mais, il m'ignore.


— Elle est incroyable et si je dois me marier un jour, aucun doute que ce sera avec elle. Et puis, je dois bien lui avoir fait une douzaine d'enfants, termine-t-il alors que je m'étouffe avec ma salive.


— T'as fait accoucher cette pauvre femme douze fois ? je m'exclame.


— Bientôt onze en fait, intervient Gauvain qui semble avoir suivi.


— Nom de Dieu, je fais abasourdie.


— Enora, me reprend Arthur — il ne supporte pas que je blasphème apparemment.


— Faites pas votre précieuse, ce n'est pas comme si vous n'y étiez pas habitué. Bors jure comme un camionneur alors, les blasphèmes doivent pleuvoir avec lui.


Ils ne doivent pas savoir ce qu'est un camionneur mais, j'ai remarqué qu'ils commençaient à moins me reprendre devant mon vocabulaire incompréhensible pour eux. Ils doivent avoir peur que je disjoncte encore une fois.


— Et un point pour la gosse, s'esclaffe Bors alors que je le fusille du regard — je ne suis pas une gosse.


Je croise le regard de Dagonet qui lève les yeux au ciel en souriant. Je lui rends son sourire alors que Bors retourne dans son monologue. Ils semblent tous heureux de rentrer alors que moi, je dois me contrôler pour ne pas faire demi-tour. Oui je sais, risible de me voir avoir peur de ça alors que j'ai démoli le portrait d'un Picte la veille. Mais je suis une handicapée sociale. Je stresse toujours quand je dois rencontrer des gens que je ne connais pas. Et quand on sait que je vais rencontrer tout un peuple, il y a de quoi avoir la frousse. On s'arrête un moment sur ma demande — j'ai besoin d'une pause pipi et j'ai mal aux fesses. Je descends du cheval et m'étire.


— Nous serons bientôt arrivés, tente de me rassurer Lancelot alors que je grimace. Vous n'en semblez pas heureuse, remarque-t-il.


— Heureuse de rencontrer des gens qui vont me dévisager pendant des semaines comme une bête sauvage ? Pas trop non.


— C'est vrai que dit de cette manière, cela ne semble pas très attrayant, acquiesce-t-il. Mais vous ne serez pas seule, nous sommes là et je suis convaincu que vous vous entendrez très bien avec Vanora, c'est une femme délicieuse, fait-il avec un air entendu sur le visage.


Je ris en secouant la tête, il est vraiment irrécupérable à ce niveau-là. Tristan arrive et nous regarde intensément avant de détourner les yeux pour parler avec Arthur.


— Comment fait-il pour savoir que nous nous arrêtons ? je demande soudain.


— Personne ne le sait, répond Lancelot en haussant les épaules. Il ne parle pas beaucoup, enfin à part avec son faucon, sourit-il.


— Parfois les animaux sont plus dignes de confiance que l’Homme, je rétorque en frissonnant.


— C'est loin d'être faux, acquiesce-t-il. Vous êtes vraiment différente des autres femmes, me dit-il en me regardant de haut en bas.


— Lieu différent, éducation différente, je bredouille en haussant les épaules


— Oui sûrement mais, j'ai l'impression qu'il y a plus que ça, rétorque-il en continuant de me fixer, me mettant mal à l'aise


— Et bien…


— Enora vous devriez vous dépêcher, intervient Tristan en fixant Lancelot puis en se tournant vers moi — je n'ai jamais été si contente de le voir. Il y a encore du chemin et il serait bien d'arriver avant que la nuit ne tombe.


J'acquiesce et pars de mon côté pour me soulager. Si Lancelot savait à quel point je suis différente. J'ai déjà plus de deux millénaires de plus que lui. Sans oublier ma particularité, celle qui m'a abandonnée quand j'avais besoin d'elle, tout ça parce que mes émotions m'ont bloquée. La peur m'a bloquée, j'étais tellement terrorisée par eux que j'ai été incapable de me défendre mais aujourd'hui, c'est fini. La peur a disparu pour laisser place à la haine. Oh oui, je les hais tous. Et je leur ferai payer ce qu'ils m'ont fait un jour. Je ne reculerai plus jamais devant un Saxon.


Je regarde le petit lac et, prise d'une détermination féroce, me place devant. Je suis prête à laisser ma particularité revenir, je ne dois plus être effrayée par elle, elle fait partie de moi finalement. Je m'accroupis, pose mes paumes à plat sur la surface de l'eau et ferme les yeux. Je me concentre sur l'eau, sur la façon dont elle caresse mes mains, sur son clapotis, sa substance. J'ouvre les yeux, la fixe avec intensité, je sens la chaleur s'emparer de moi, de mes mains alors que l'eau remue de plus en plus. Je m'apprête à aller plus loin dans mon expérimentation quand je sens une présence derrière moi. Je me relève d'un bond pour faire face à Tristan.


— Vous allez vraiment finir par me tuer, je soupire.


— Je m'en voudrais beaucoup, ironise-t-il.


— Mais bien sûr, je raille en passant devant lui.


— Alors comme ça, reprend-t-il alors que je m'arrête, je vous fais… comment avez-vous dit déjà ? Ah oui, de l'effet.


— Je n'ai jamais dit ça, je nie en me tournant pour lui faire face. Et puis de toute façon, vous ne savez même pas ce que ça veut dire, je termine en haussant les épaules.


— J'ai réussi à m'en faire une vague idée en associant le reste.


— Je… nous ferions mieux d'y aller, je bégaye comme la jeune femme très courageuse que je suis.


Moi de l'ironie ? Jamais, voyons.


— Une dernière chose, intervient-il. Arthur insiste pour que je vous apprenne à vous battre, il pense que cela pourrait vous aider de pouvoir vous défendre seule. Bien que, à en juger par l'état du Picte, le corps à corps ne soit pas un problème, fait-il avec un sourire en coin.


Je soupire en secouant la tête.


— Pourquoi vous ? je geins.


— Arthur pense que je serais le seul à avoir assez de patience.


— Ben ça fait toujours plaisir, je grimace.


Je retourne vers les autres sans rien ajouter mais en sentant sa présence derrière moi. J'ai vraiment un sérieux problème avec ce type, je ne devrais pas ressentir ce que je ressens. Il m'intrigue, je me sens attirée par lui tout en ayant peur et en ne lui faisant pas confiance — ou plutôt je n'ai pas confiance en mes réactions et émotions en sa présence. J'ai toujours su qu'il me manquait une case mais je n'imaginais pas que ce soit à ce point-là.


Nous nous remettons en route pour la dernière fois. Peu de temps passe avant qu'on ne se retrouve devant une grande étendue d'herbe, on aurait presque l'impression d'être dans une prairie mais plus de cent fois plus grande et juste devant : un mur. Je suppose que ça doit être le mur dont Arthur et les autres ne cessent de parler. Le mur d'Hadrien. Le tout donne un résultat…


— Wouah, je souffle.


Et c'est le mot. Je n'ai jamais été une grande fan de la nature mais, ça, c'est époustouflant.


— Ouais c'est pas mal, admet Bors.


— Tu es blasé, je le rabroue. Tu as vu ce spectacle un nombre incalculable de fois, moi c'est la première fois alors, laisse-moi profiter.


Il rit en secouant la tête et part sans prévenir au galop avec les autres, m'arrachant un petit cri de surprise. On arrive rapidement sur le petit chemin menant à la grande porte et le malaise me reprend.


— Pourquoi je suis là déjà ? je demande en soupirant.


— Parce que tu n'as nulle part où aller fillette, réplique-t-il en ignorant mon regard noir à mon surnom — je jure de finir par le frapper au risque de me faire plus de mal à moi qu'à lui. Personne ne va te manger tu sais, essaye-t-il de me rassurer.

Enfin sauf peut-être Tristan, s'esclaffe-t-il alors que je rougis au point de faire concurrence à une tomate.


Je lui file un coup de coude et, croyez-le ou non mais, il est tout en muscle cet ours. Ce qui a pour conséquence de me faire mal. Moi qui croyais qu'il devait cacher au moins un peu de ventre. Je me frotte le coude d'une manière que j'espère discrète mais qui n'a pas l'air de l'être du tout au vu de l'air narquois et supérieur de mon compagnon de fortune. Je souris malgré moi parce que ce grand gamin m'a détournée de mon stress pendant un moment et que ça fait du bien.


— Alors Enora, comment vous sentez-vous ? me demande innocemment — enfin ça, ça reste à prouver vu son air amusé — Lancelot.


Je le regarde alors que l'angoisse me rattrape et décide de donner une réponse franche — un peu trop franche d'ailleurs.


— J'ai envie de vomir et de faire pipi, je fais avant de réaliser ce que je viens dire. Oh merde, je m'exclame en plaquant une main devant ma bouche. Je veux dire… pardon, c'est sorti tout seul.


Bors se tord de rire si fort que j'ai presque peur qu'il ne tombe du cheval — enfin peur, tout est une question de point de vue parce que s'il continue, je le fous à terre moi-même. Lancelot l'a suivi après quelques secondes de stupeur. Oui, au risque de me répéter, faut vraiment que j'apprenne à me la fermer.


— Enora qu'avez-vous encore fait ? rétorque la voix réprobatrice de… je vous donne dans le mille : Arthur-rabat-joie-Castus.


— Moi ? je fais en ouvrant de grands yeux innocents.


Il soupire en secouant la tête. Il regarde Bors toujours écroulé de rire ainsi que Lancelot d'une manière que je dirais blasé — en même temps, je le comprends un peu. Lancelot s'avance vers son officier-ami, essuie une larme de rire — si vous voulez mon avis, il en fait un peu trop non ? — tape sur son épaule et dit enfin :


— On a bien fait de la garder finalement.


— Hé, je ne suis pas un chien err… Comment ça finalement ? je finis en plissant des yeux et en dardant un regard menaçant vers Lancelot qui grimace et évite mon regard.


Je fais une moue vexée en comprenant enfin de qui vient la fameuse phrase que j'ai entendue avant de tomber dans les vapes, le jour où ils m'ont retrouvée — je crois bien que, finalement, je peux facilement être considérée comme un chien errant.


— Alors c'était de vous le « Tu ne sais même pas qui elle est Arthur, c'est peut-être l'une des leurs », je fais en imitant — très mal — sa voix.


— Ce n'était que de la méfiance et je n'ai pas du tout une voix comme ça.


— Espèce de … de… de


— De, raille-t-il.


— De sale petit mouton prétentieux, je termine en lui faisant un sourire narquois.


J'entends un toussotement cachant avec mal un petit rire. Je me retourne pour en découvrir la source et manque d'avoir une crise cardiaque en voyant que ça provient de Tristan. Je ne suis pas la seule surprise — en fait le seul qui ne semble pas l'avoir remarqué est Lancelot qui boude comme un gamin dans son coin.


— Quoi ? fait Tristan-pince-sans-rire d'un ton froid en nous fusillant du regard.


N'importe qui de sensé aurait certainement détourné le regard. N'importe qui de sensé se serait tu pour toujours en sa présence en se rappelant avec terreur ce regard noir qui lui donne l'air d'un psychopathe super sexy — faut pas se voiler la face, il est beau, point. N'importe qui de sensé aurait tout simplement fait en sorte de ne plus jamais avoir à recevoir ce regard. Mais mon compagnon de route est soit suicidaire, soit n'a vraiment pas envie de se marier à Vanora car il rit en répliquant :


— Rien sauf que la dernière fois que je t'ai vu amusé c'est quand ton oiseau… pardon ton faucon s'était attaqué à l'évêque. Autant dire que ça date.


— Et que c'était encore porté sur ce piaf de malheur, je marmonne tout bas.


Apparemment pas assez bas car je reçois un sale regard — bien que moins flippant que celui qu'il a adressé aux autres — de la part du propriétaire du dit piaf qui me fixe encore sur son épaule. Il n'y a vraiment que moi pour attirer l'attention d'un volatile.


On arrive devant la porte qui s'est ouverte alors que nous nous approchons. On avance dans ce qui ressemble à un petit village — ça doit en être un mais, en plus sale que de là d'où je viens. Et les gens nous suivent et nous regardent comme s'ils avaient affaire au roi lui-même. Une petite grille — en tout cas petite par rapport à la porte du mur — s'ouvre et nous entrons au trot. Bors descend et fait preuve d'une galanterie étonnante en m'aidant à descendre du cheval. Tous les regards sont portés vers nous et surtout vers moi, me rendant mal à l'aise. Ils n'ont jamais vu d'étrangers ou quoi ? Un homme pas franchement canon mais qui a l'air gentil — Jols — vient prendre les rênes des chevaux alors que je me cache derrière l'immense gabarit de mon ours. Il se tourne vers moi et hausse un sourcil railleur avant de me prendre le poignet et de me tirer derrière lui.


Il s'arrête et j'entends un bruit ressemblant fortement à une gifle. Je penche la tête sur le côté et aperçoit une femme. Elle est belle, pas un canon de beauté ou une bombe comme on dirait chez moi mais, elle a un charme certain et des cheveux magnifiques qui pourrait me rendre jalouse tant ils semblent faciles à coiffer. Derrière elle, tout une ribambelle d'enfants. 

Bon, je suppose que je suis face à Vanora. Ce qui se certifie quand je l'entends engueuler Bors qui la regarde comme s'il allait lui sauter dessus et… Enfin, il ne vous faut pas un dessin, je suppose.


— Tu peux me dire ce qui t'as pris tout ce temps ? lâche Vanora au milieu de son engueulade.


Bors l'attire vers lui et l'embrasse comme s'il voulait lui faire un douzième bébé — il pourrait attendre quand même, elle a petit ventre rond qui montre que le onzième n'est pas encore sorti. Je les regarde avec les yeux ronds et me retourne en entendant des ricanements. Je regarde Arthur avec un regard suppliant et dit :


— Dites, je ne dors pas chez eux, hein ? Parce qu'avec le bruit qu'ils vont faire, je vais jamais pouvoir fermer l'œil de la nuit.

***

Merci à BakApple pour la correction :)

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