Te repousser pour mieux t'aimer

Chapitre 9 : Chapitre 8 : Mise au point et essai raté

3102 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/11/2020 20:59

Chapitre 8 :

Mise au point et essai raté.


Un bain, un merveilleux bain. Je ne me suis jamais sentie aussi bien depuis que j'ai débarqué chez ces malades.


Après m'avoir présentée à Vanora — femme charmante et courageuse car après tout, elle supporte l'humour de Bors et je l'admire pour ça —, m'avoir assuré que je ne dormirais pas chez Bors — merci Seigneur — mais que j'emprunterais les anciens quartiers d'un ancien Chevalier — ça par contre c'est glauque — et qu'on m'ait « installée », on m'a proposé un bain. Vous devinez ma réponse. Imaginez, par contre, ma tête quand des femmes sont venues pour « m'aider ». J'ai une tête à me faire laver ? Je suis allée trouver Arthur pour lui dire gentiment ma façon de penser — que j'étais une grande fille même si j'avais une taille de naine et que ma mère avait arrêté de me laver à l'âge de cinq ans parce que je l'avais décidé ainsi et qu'il était hors de question qu'une bande d'inconnues me matent dans mon bain et PIRE, me lavent comme un bébé. 


Évidemment, les chevaliers — à croire qu'ils ne se quittent jamais ceux-là — ont bien rigolé encore une fois. Lancelot n'a pas hésité sur les sous-entendus douteux proposant sa compagnie vu qu'il n'est pas une femme sous le regard exaspéré et amusé de la plupart des personnes présentes — Tristan n'avait pas d'expression particulière, se contentant de fixer Lancelot d'un air impassible, Arthur semblait se demander ce qu'il allait faire de lui et moi… et bien disons que j'ai dû me retenir de me jeter dessus pour lui arracher ses bouclettes une à une histoire de lui faire passer l'envie de rire.


Bref, on m'a préparé mon bain — je n'ai pas protesté, n'étant pas informée de comment ça fonctionne exactement puisque je suppose qu'il ne doivent pas avoir la plomberie — et les femmes sont parties pour me laisser mon intimité. Tout est bien qui finit bien… du moins pour l'instant.


Je me laisse aller dans l'eau maintenant tiède, essayant de me détendre. Encore une fois, j'ai perdu le contrôle, c'est aussi pour ça que je voulais me laver seule en plus des raisons évidentes. Le besoin de me nettoyer, d'effacer toute trace m'obsède chaque fois que je me trouve face à de l'eau et je frotte chaque partie de mon corps au point que ma peau soit rougie et presque à sang. Mais ça ne suffit pas. Je ne serai plus jamais propre. J'enfonce ma tête dans l'eau pour chasser les mauvais souvenirs qui essayent de refaire surface. Pas maintenant, on m'attend.


Je sors de l'eau et m'enroule dans ce qui sert de serviette de bain. Je m'essuie et prends les vêtements que l'on m'a attribués. Au moins une bonne chose, je vais enfin être habillée correctement. J'enfile la robe et me regarde dans le miroir. Cette robe me va bien. En fait, le bleu me va bien. C'est simple ; les seules fois où je suis satisfaite de moi, je porte du bleu. Mais, j'ai l'impression d'avoir un teint maladif dû au manque de sommeil et à l'angoisse et mes cheveux ressemblent à un nid d'oiseaux. Heureusement, la robe cache toutes mes cicatrices exceptée celle de mon cou qui, bien qu'elle soit fine, se voit trop à mon goût. Si j'avais été chez moi, j'aurais camouflé le tout avec du maquillage.


On toque à la porte, me faisant sursauter.


— Oui ?


— C'est moi, chantonne Vanora en entrant. Je viens m'occuper de toi pendant que les enfants sont occupés.


— C'est gentil mais je peux…


— Te débrouiller toute seule, je sais, sourit-elle. Mais vu l'état de tes cheveux, j'en doute.


Je passe ma main dedans en me disant qu'elle n'a pas tout à fait tort. Elle me prend la main et me fait m'asseoir. Elle prend une grosse brosse et se met à démêler mes cheveux délicatement, essayant de ne pas me faire mal, de dompter mes boucles. Moi, je lui dis bonne chance.


— Tes cheveux ne sont pas très réceptifs, constate-t-elle.


— Oui je sais, j'acquiesce. Les vôtres par contre, ils sont tellement beaux, je soupire.


— C'est très gentil mais, je t'assure que c'est un long travail pour en arriver à ce résultat, me confie-t-elle légèrement mal à l'aise. La robe te va très bien. Tu es très belle.


— Oui, elle est très belle.


— J'ai dit que tu étais belle Enora, la robe le fait juste ressortir… ainsi que ton bain, rit-elle en continuant de travailler ce qui me sert de cheveux alors que je rougis.


Moi belle ? Je ne vois pas trop où elle va chercher ça. Je ne suis pas le genre de pauvre fille qui se plaindra de son physique pendant des heures en espérant que les autres me couvriront de compliments. Je sais que je ne suis pas moche et que j'ai été plutôt gâtée par rapport à certaines personnes mais de là à dire que je suis belle, il y a une marge. Elle passe encore un bon moment sur mes cheveux pendant lequel je réalise que je ne saurais même plus dire quelle heure il est.


— Et voilà, s'exclame Vanora. Ce n'était pas si difficile finalement.


— Merci, je réponds simplement.


— On va descendre manger, soupire-t-elle en allant jusqu'à la porte avant de se tourner vers moi avec un air sérieux. Je ne sais pas ce qui te rend si triste mais, je suis sûre que tu ne le méritais pas. Si Bors t'apprécie, c'est que tu es quelqu'un de bien, termine-t-elle en hochant la tête comme pour se convaincre elle-même.


Elle sort alors que je reste un court moment immobile avant de secouer la tête et de la suivre. Elle me guide dans la — très — grande demeure. Nous arrivons dans une pièce où les chevaliers sont attablés, des plats sur la table, en train de se goinfrer pour certain — et je ne vise personne, ou juste Bors.


— Vous auriez pu attendre, fait la voix exaspérée de Vanora en dardant un regard accusateur sur son compagnon.


— J'avais faim, réplique-t-il en haussant les épaules. Et en plus, je suis un chevalier et les chevaliers ont besoin de bien se nourrir pour bien travailler.


— Et moi je suis enceinte, le contre-t-elle.


Il soupire en levant les yeux au ciel avant que ses yeux ne tombent sur moi. Il s'écarquille et il manque de s'étouffer. Les autres semblent me remarquer et ont à peu près la même réaction sauf qu'ils ne s'étouffent pas — oui, oui même Tristan a quitté son air impassible, c'est dire. Je devais vraiment faire peur tout à l'heure pour qu'ils réagissent comme ça. 


— Il y a un truc qui ne va pas ? je demande mal à l'aise.


— Et ben gamine, tu nous avais caché ça, fait-il en affichant un air appréciateur alors que je rougis comme jamais. Aïe mais, ma petite fleur, s'exclame-t-il alors que Vanora lui met une claque derrière la tête.


— Merci… enfin je crois, je marmonne en tripotant ma robe et en regardant le sol.


— Il a raison Enora, vous êtes magnifique, intervient Arthur.


— Oui, elle est très belle, vous êtes tous également très beaux et je sais que je suis pas mal non plus. Alors, on mange s'il vous plaît, demande Bors d'une voix de gamin. Ce soir, on ira tous boire pour fêter notre retour, s'exclame-t-il


Je souris pour le remercier car il m'a sortie d'un moment très embarrassant — oui, je parle bien de mon ours. Je m'assieds entre Gauvain et — cruel destin — Tristan, Dagonet en face de moi.


Le repas se fait dans l'animation — enfin sauf pour Tristan et Dagonet — et je remarque que les chevaliers, Vanora et les enfants ressemblent à une grande famille, c'est… mignon mais je ne me sens pas à ma place. J'ai l'impression d'être décalée par rapport à eux — ce qui est le cas, en fait. Et je reste donc silencieuse moi aussi, me contentant de picorer dans mon assiette et de soupirer. Le bras de Tristan et le mien se frôlent plus d'une fois mais, il fait à chaque fois comme si de rien était. Pourtant, je suis presque sûre que certaine fois étaient faites exprès — à moins que je ne vire parano. Au bout d'un moment, tout le monde se lève. D'après ce que j'ai compris, ils vont dans un « bar » où Vanora travaille. Ne me voyant pas bouger, ils me regardent tous avec interrogation.


— Je crois que je préférerais aller dormir, j'explique doucement.


— Tu es sûre ? me demande tendrement Vanora. Tu pourrais rester avec moi.


— C'est gentil mais je suis vraiment fatiguée, je mens en me forçant à sourire.


La vérité étant que j'ai besoin d'être seule mais que je ne veux pas la vexer. Je me lève et m'en vais après les avoir salués. J'entre dans mes nouveaux quartiers et me couche de tout mon long avec toute la grâce qui me caractérise — autant dire, pas du tout. Maintenant que je suis seule et que je ne risque pas de faire une crise devant les autres, il est temps de faire un résumé de la situation, je ne peux plus repousser ce moment.


Donc, je me suis endormie chez moi après m'être faite plaquer par mon premier petit copain qui m'a dit que ce qu'on ressentait l'un pour l'autre n'était pas de l'amour. Et au fond, plus je réfléchis et plus je me dis qu'il n'a pas tort et que ce qui nous retenait, c'était la peur d'être seul. Ensuite, je me suis réveillée en pleine forêt et me suis fait attraper par des Saxons, une bande de barbares violents et sans aucune moralité. Avec eux, j'ai été traitée comme un animal, j'ai été battue, humiliée, attachée à une laisse comme un chien mais surtout, la chose que je n'ai jamais voulu considérer, j'ai été… violée. Oui, c'est ça le mot.


Une boule douloureuse se forme dans ma gorge alors que j'ai du mal à respirer et que l'envie de me laver et de me frotter jusqu'au sang me reprend de nouveau. Me l'avouer me fait mal, les souvenirs flous affluents. À chaque fois que j'avais à faire à un Saxon, je faisais en sorte de me déconnecter de la réalité pour moins souffrir. Mais aujourd'hui, je me rends compte que j'ai été très conne. Oui, évidemment, sur le moment je souffrais moins, mais maintenant, en ce moment, la douleur me ronge, la honte aussi, je me sens tellement sale. Mais pas de culpabilité. J'ai entendu des témoignages de filles violées et elles se sentaient toujours coupables mais pas moi. Je sais que ce n'est pas ma faute. Je n'ai jamais rien demandé à personne, je ne devrais même pas être ici. Et c'est peut-être cette absence de culpabilité qui me fait tenir.


Ensuite, j'ai été sauvée par Arthur et ses chevaliers Sarmates dont l'un d'eux à bien trop d'effet sur moi. Et c'est là que je me dégoûte. Comment je peux encore ressentir ça pour un homme — ou même une femme d'ailleurs — et en même temps ne même pas supporter l'idée qu'il me touche. Rien que d'imaginer ses mains sur moi me donne envie de vomir. Pas parce qu'il est repoussant — Tristan est tout sauf repoussant — mais, parce qu'imaginer qu'il puisse poser ses mains sur une chose aussi abîmée, sale ou usée que moi me répugne. Et j'ai beau me dire que finalement, je ne m'en sors pas si mal dans cette histoire, que ça aurait pu être pire et que tout va bien aller, je sais que je me trompe. Je ne sais pas pourquoi mais, j'ai le mauvais pressentiment que les réponses que j'attends n'arriveront pas tout de suite et que les choses ne se passeront pas bien du tout.


Sans parler de ce rêve — dont je ne suis pas sûre que s'en soit un. Mon père disait que ça faisait cinq ans que j'avais disparu alors que ça doit faire tout au plus deux mois que je suis là. Est-ce que c'était une sorte de prémonition ou encore est-ce que tout simplement le temps ne s'écoule pas de la même manière chez moi ? Je sais que ces suppositions sont un peu tirées par les cheveux mais soyons sincère : cette situation est tirée par les cheveux, ce qui m'est arrivé jusqu'ici est tiré par les cheveux alors au point où j'en suis…


Je me passe les mains sur le visage en soupirant. Réfléchir à tout ce qui s'est passé ne m'a pas aidée, j'ai juste mis des mots sur les événements et je ne vois pas en quoi ça pourrait m'être utile. Le pire c'est que j'ai l'impression d'être une pleurnicheuse qui ne cesse de demander « Pourquoi moi ? ». J'ai beau avoir eu la vie facile jusqu'ici, je ne suis pas faible, je refuse de l'être, je refuse de montrer mes faiblesses — ma crise de larmes le soir du rêve me reste déjà en travers de la gorge. J'ai toujours eu un caractère fort et indépendant et on peut dire qu'il m'a été utile ici.


Mais là, en réfléchissant aux questions qui arrivent par dizaines sans aucune réponse, je craque. Je commence vraiment à étouffer, j'ai besoin d'air. Je me lève d'un coup et descends en essayant de me rappeler le chemin que j'ai emprunté pour l'aller. Une fois dehors, j'avance sans faire attention aux personnes autour de moi et vais m'asseoir dans un coin tranquille, à l'ombre, là où personne ne viendra me déranger. Je lève les yeux vers le ciel, observant les étoiles. S'il y a bien quelque chose de positif ici, c'est l'absence totale de pollution qui permet de voir les étoiles le soir. Sans vraiment m'en rendre compte, je me mets à chantonner.


J'ai pas de problèmes, j'ai pas de problèmes

C'est ce qu'on dit de moi

Mais moi pour qu'on m'aime

Tu sais, j'aurais fait n'importe quoi

Comme un ange un peu blessé

Mon auréole est tachée

Arrachée

Quand mes démons se déploient


Je donne les sourires, je donne les sourires

Qu'on attend de moi

Est-ce qu'on peut subir à plein temps en gardant son éclat ?

J'avoue, j'avance écorchée

J'arrive plus à me forcer

Tout me blesse

Et mon envie m'a laissée


J'ai le cœur sans maison

Et je pleure sans raison

Voilà ce qu'ils disent

Sans savoir qu'au fond, tout au fond, tout au fond

La vérité m'épuise


J'ai le cœur sans maison

Et au fil des saisons

L'hiver se déguise en amour, en printemps

En ivresse, en âme-sœur

Au fond, je suis l'âme seule


Un soupir sort de ma bouche. Quelle idée de se déprimer toute seule. Je vais me lever, décidée à me reprendre quand une voix retend, me faisant sursauter.


— Vous avez une très belle voix.


Je retourne et reste muette devant l'homme qui me fait face. Il est très… beau. Il est grand — d'après ce que je peux voir en étant assise —, il a des cheveux blonds, courts, un visage harmonieux, des lèvres fines magnifiques et des yeux saphir indescriptibles. Il aurait pu être parfait… si j'avais envie de parler à quelqu'un ce qui n'est, malheureusement pour lui, pas le cas. De plus, être seule avec un homme me donne des frissons — et ils sont bien de peur ceux-là — et me donne envie de m'enfuir le plus vite possible. Bref, je ne suis pas à l'aise.


— Merci, je réponds simplement en détournant le regard.


— Vous êtes l'étrangère qui est arrivée avec Arthur, n'est-ce pas ?


Pourquoi je sens que je vais avoir du mal à m'en débarrasser de celui-là ?


— Exact.


— Vous n'êtes pas très bavarde, remarque-t-il (serait-il vexé si je lui dis que c'est lui qui me fait cet effet-là ?).


— Je sais.


Il va ouvrir la bouche quand j'entends la voix d'Arthur m'appeler. Je crois que je ne l'ai jamais autant aimé qu'en cet instant. Il se rapproche avec Lancelot et Tristan et coule un regard discret vers l'homme, lui fait un signe de tête et se tourne de nouveau vers moi.


— Je pensais que vous étiez fatiguée, réplique Arthur d'un ton de reproche.


Et là, sans que je ne comprenne pourquoi exactement, moi la fille qui ne s'est jamais au grand jamais sentie coupable face à quelqu'un d'autre que ses parents et bien… je baisse la tête comme une gamine prise en faute et marmonne un truc que même moi, je n'arrive pas à identifier. Je retourne vraiment en enfance quand il est dans les parages.


— Je vais vous raccompagner, soupire-t-il.


Je ne me le fais pas dire deux fois et me lève pour le suivre quand pot-de-colle me retient — mais sans me toucher ce qui prouve qu'il a un minimum d'instinct de survie.


— Comment avez-vous dit que vous vous appeliez ?


Je plisse des yeux en le regardant. Je n'arrive pas à croire que cette technique de drague graveleuse existe déjà à cette époque. Je hausse un sourcil et finis par bougonner :


— Je ne vous l'ai pas dit.


Et je m'éloigne alors que Arthur essaye de cacher son sourire amusé, que Tristan sourit franchement — ô miracle des miracles. Je dirais même que je pourrais apercevoir de la satisfaction mais, il n'a pas vraiment de raison d'être satisfait alors je dois me tromper. Lancelot, lui, ne se retient pas pour éclater de rire.


— J'aurai au moins essayé, fait la voix amusée de mon pot-de-colle — moi qui pensais l'avoir vexé, merde alors.


— On y va avant que je l'étrangle ? je demande.


— Moi je suis d'avis de rester encore un peu, histoire de voir jusque quand elle tiendra, fait Tristan de manière narquoise en toisant l'homme derrière moi.


— Il y a eu assez de morts pour la semaine, je marmonne en avançant sans les attendre.


J'avais bien dit que j'étais asociale.

***

Merci à BakApple pour la correction :)

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