Te repousser pour mieux t'aimer

Chapitre 13 : Chapitre 12 : Parler du passé

2443 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/12/2020 10:37

Chapitre 12 :

Parler du passé.


Nous dînons tous ensemble ce soir. Même Vanora est avec nous pour une fois, les enfants étant chez les parents d'un de leurs amis. Si je n'étais pas autant occupée à éviter Tristan, gardant la tête dans mon assiette, émiettant mon pain pensivement, j'aurais pu trouver ça agréable. Mais je n'ose pas regarder Tristan depuis ce matin. L'entraînement a été reporté à cet après-midi et je suis déjà assez angoissée. Pour ce qui est de Dagonet, je n'ai pas besoin de le fuir, il a décidé de faire comme s’il n'avait rien vu. Je ne sais pas si c'est dans mon intérêt, pour éviter de me mettre mal à l'aise ou s’il est trop gêné pour faire une remarque. Honnêtement, tant qu'il n'en parle pas, je m'en moque. 


Mais à voir le regard insistant de Tristan, il n'est pas décidé à oublier. Et il n'avait pas bu assez pour une amnésie salutaire. Quand ai-je eu de la chance depuis mon arrivée au Moyen-Âge de tout façon ?


Au pire, ne va pas t'entraîner.


Tentant, mais lâche.


— Je me demandais Enora, m'interpelle Vanora, une lueur de curiosité dans les yeux. Tu n'avais pas… quelqu'un chez toi ? Personne ne t'attend ? Tu es en âge de te marier, après tout, se justifie-t-elle.


Je m’étouffe avec un morceau de pain et Dagonet me tape le dos avec générosité. De mon côté, j’ai beau aimer Vanora, j’ai soudainement envie de la tuer. D'une manière très douloureuse.


Je me fige en sentant tous les regards converger vers moi avec intérêt et je rougis jusqu'à la racine de mes cheveux. Bon sang, ce sont des chevaliers ou des commères de quartier ?


— Vu la couleur de son beau visage, je pense qu'il y avait quelqu'un, rigole Lancelot.


Le compliment du mouton me passe vraiment au-dessus. Je déglutis en apercevant un corps en particulier se tendre comme un arc et me retiens difficilement de laisser glisser sous table.


— Personne ne m'attend, je grince en priant que cette demi-vérité suffira.


Oui bien sûr, regarde. 3,2,1...


— Tu ne vas pas me dire qu'une jolie jeune fille comme toi n'avait aucun prétendant, s'exclame Bors en fronçant les sourcils.


Bingo.


— Je n'ai pas dit ça, je soupire en me dandinant.


— Donc, il y avait quelqu'un, s'enquit Vanora en plaçant une main sous son menton.


Bon sang, achevez-moi.


J’ai beau envoyer toutes les ondes négatives dont je suis capable, aucun d’eux ne semble disposer à comprendre que je n’ai pas envie de parler de ça.


— Plus ou moins, je soupire en déposant mon morceau de pain, m'avouant vaincue. Julian et moi, c'était… compliqué. On a grandi ensemble et, une chose en entraînant une autre, on… est devenu adultes ensemble.


Gauvain manque de s'étouffer avec son vin et je rougis encore plus si c'est possible. Peut-on s'exprimer plus mal ? Des ondes négatives me percutent et cette fois, ce ne sont pas les miennes.


— Je ne voulais pas… je ne parlais pas de ça, je me reprends en paniquant devant l'aura sombre qui me perfore du regard. C'était juste facile. On a pas eu besoin d'aller chercher très loin, j'explique à Vanora, me concentrant sur elle.


— Tu l'aimais ?


— D'une certaine façon, je réponds en regardant dans mon assiette, mélancolique. Certains de nos amis se doutaient que ça ne durerait pas mais, je pense que mon père espérait qu'on se marie un jour.


Le bruit de couvert tombant dans une assiette ainsi que d'une chaise qu'on traîne attire le regard. Tristan se lève, plus sombre que la nuit.


Un jour, j’apprendrai à me taire…


— Je n'ai plus faim, lance-t-il avant de s'en aller sous le regard médusé de la plupart des personnes présentes.


— J'ai raté quelque chose ? s'étonne Vanora.


Si tu savais…


Seul le silence lui répond alors que je me prends la tête dans les mains, le regard d'un Dagonet mitigé sur le dos.


Alors, tu vas être lâche ou tu vas aller t'entraîner ? Parce que là, tu vas prendre cher.


Pitié, achevez-moi.


***


Étrangement, j'ai décidé de ne pas être lâche. Parfois, je m'épate moi-même. Mes élans suicidaires sont impressionnants. 

Je retrouve Tristan dans la cour d'entraînement, assis en train de nettoyer son épée. Sa mine est sombre, il semble vraiment énervé. Je prends sur moi pour ne pas faire demi-tour. Concrètement, je n'ai rien fait de mal. Il a sûrement un passé plus chargé que le mien à ce niveau-là… Enfin, un passé consenti, s'entend. 


Si tu arrives à faire de l’esprit là-dessus, c’est que tu vas vraiment mieux…


Je me racle la gorge, usant de ma dernière dose de courage. Tristan relève les yeux vers moi, insondable. Voilà qui commence bien. Une véritable invitation à la communication.


— C'est pour ça que tu veux tellement rentrer chez toi ? Tu dois te marier ?


Je me fige une demi seconde, me demandant s’il est sérieux. Au vu de son expression, il l'est. Là, c'est moi qui suis énervée !


— Quoi ? Bien sûr que non ! je m'offusque. Si tu m'avais laissée finir, tu saurais que Julian et moi sommes séparés.


Je croise les bras sur ma poitrine dans une attitude revêche. Pour qui me prend-t-il ? On s'est quand même embrassé !


— Pourquoi ?


— Parce qu'on ne s'aimait pas, je grince.


J'ai la désagréable sensation de passer un interrogatoire. Sur un sujet qui me met particulièrement mal à l’aise : les sentiments et tout ce qui tourne autour.


— Je ne comprends pas, qu'est-ce que ça peut te faire ? je grogne. C'est à cause de ce qu'il s'est passé hier ?


Tristan plante son épée dans le sol avec rage avant de se diriger vers moi à grandes enjambées. Je suis pétrifiée sur place, l'impression de me faire foncer dessus par un fauve enragé me fige complètement. Arrivé devant moi, il me prend par la nuque et plaque ses lèvres contre les miennes. C'est court et la possessivité est un peu trop présente à mon goût. Après ça, il plonge ses yeux en feu dans les miens.


— Je ne le dirai qu'une fois, me prévient-il. Après ça, tu n'auras plus d'échappatoire. Si tu t'embarques là-dedans, il n'y a plus de retour en arrière. Et il n'y aura personne d'autre !


Il s'éloigne alors que je reprends ma respiration, sous le choc.


Un tantinet possessif, non ?


Je n'ai même pas les mots pour répondre à ça. Je suis complètement paumée et je ressens le besoin de m'isoler.


Une fois dans mes quartiers, je m'allonge et tente de me vider la tête. Mais je ne pense qu'aux lèvres de Tristan. Ai-je vraiment la place pour ça ? Je passe tellement de temps à essayer de contrôler la douleur au fond de moi. Malgré le temps qui passe, mon esprit n'est toujours pas guéri et je me sens souvent partir. Les baisers de Tristan sont aussi bons que douloureux car ils font inévitablement remonter des souvenirs que j'essaie d'oublier. Et pourtant, je sens que Tristan tente de suivre mon rythme, de ne pas dépasser la limite. Il fait preuve d'une patience étonnante et je lui en suis reconnaissante.

Je me redresse sur le lit, agitée. Être avec lui, c'est accepter la vague de souvenirs, c'est accepter de perdre le contrôle. Et rien que d'y penser, je sens la crise d'angoisse arriver. J'essaie de respirer profondément pour me calmer mais honnêtement ce n'est pas très efficace. Pourquoi je n'arrive pas à passer outre ce qui s'est passé ? Je sais que tous les hommes ne sont pas mauvais. J'ai rencontré des monstres de la pire espèce qui ont tout saccagé sur leur passage. Mais au fond de moi, je garde également le souvenir de la tendresse d'un homme. De la bonté, de la douceur. Je ne me souviens pas de ce que ça fait quand on se donne à une personne qui nous aime mais, je sais que ça existe. Je sais qu'il n'y pas que la douleur dans les rapports homme-femme.


Et si Tristan pouvait me guérir ?


Je peux peut-être juste arrêter de me prendre la tête. Tristan me sort de mon obscurité pour me tirer vers la lumière, ramenant la vie à l'intérieur de moi. Pourquoi ne pas en profiter ? Au moins un peu ?


Je reste dans ma chambre toute la journée, revivant la conversation avec Tristan. D'un côté, il est un peu excessif mais, je ne peux pas lui en vouloir. Je suis la seule à savoir que même si j'aimais Julian, je ne pourrais pas le retrouver. Ce n'est pas une distance de carte qui nous sépare. C'est carrément la ligne du temps… Autrement dit, à peu près mille cinq cents ans. Et je n’ai, pour l’instant, aucun moyen de rentrer chez moi. Je ne sais même pas si c’est possible…


Quand je l'entends claquer la porte de ses quartiers, signalant sa présence, mon cœur s'emballe. Et je réalise, aussi simplement que ça, que je ne veux pas réfléchir à si c'est bien ou non. Je me fiche de savoir si c'est une bonne idée. Je sais juste que j'en ai envie et que, après tout ce que j'ai vécu ici, j'ai bien le droit de me reconstruire comme je le décide.


Égoïsme quand tu nous tiens.


Alors je sors et me dirige vers les quartiers du chevalier qui réanime mon corps blessé. Je ne prends même pas la peine de toquer et entre.


Je le trouve devant une bassine en train de se mettre de l'eau sur le visage. Il me jette un coup d'œil avant de s'essuyer et de me faire face. Son visage est impassible et il semble attendre. Il ne parlera pas le premier. Comme c'est étonnant. Alors j'inspire et me lance.


— J'ai plutôt sale caractère, je confesse.


— Moi aussi, répond-t-il en levant un sourcil, pas sûr de savoir où je veux en venir.


Je lève les yeux au ciel. Il ne m'aidera pas. Mais au moins, il sait qu'il n'est pas facile à vivre non plus. J'intercepte une goutte d'eau sur sa joue qui glisse doucement jusqu'à son menton.


— Je suis aussi assez égoïste, je reprends en tentant de rester concentrée.


— J'avais remarqué, réplique Tristan.


Un sourire en coin naît sur ses lèvres et mon cœur loupe un battement. Je remercie le ciel de ne pas être cardiaque car avec lui, c'est la mort assurée.


La goutte d'eau continue sa route sur sa gorge, glissant encore et encore. Décidant d'arrêter la torture avant de perdre la tête, je rejoins Tristan à grande enjambée, prend la serviette et essuie cette traîtresse. Tristan frisonne et attrape ma main en la serrant plus fort que nécessaire.


— Je pensais que tu voulais parler, insinue-t-il goguenard.


Je lui lance un regard menaçant et il lève les deux mains en signe de paix. Crétin. 


— Ce que j'essaie de dire, je reprends en serrant les poings. C'est que je ne suis pas facile à vivre et que tu risques d'avoir pas mal de migraine. On sera amené à faire des efforts, tous les deux, je termine en lui lançant un regard entendu.


— Et que devrais-je donc améliorer ? grogne le chevalier.


J'espère sincèrement qu'il n'est pas sérieux. Parce que sinon, ce sera encore plus difficile à gérer.


— Pour commencer, arrête de me couper la parole et laisse-moi m'expliquer. Ça éviterait des tensions inutiles. J'ai bien compris que la communication n'était pas ton fort et j'avoue que je ne suis pas toujours très claire. Mais il va falloir qu'on parle si on ne veut pas s'étriper, je finis.


Il semble réellement considérer la chose, cherchant sûrement quand il a pu manquer de communication. On a du boulot.


— Ensuite, j'espère que tu sais que… tu ne peux pas attendre exactement la même chose de moi que d'une femme sans histoire, j'enchaîne, embarrassée. Et je ne suis pas sûre que tu pourras l'espérer un jour.


— Je le sais.


— Et, ça ne te pose aucun problème ?


— Je serais ailleurs si c'était le cas, grommelle-t-il.


Il est au courant qu’on est dans sa chambre ?


J’évite de lui faire remarquer. Parler sentiments, ce n'est clairement pas son fort. J'ai vraiment l'impression de l'ennuyer mais il n'y échappera pas.


— Pour ce qui est de Julian…


— On va vraiment parler de ça ? s'emporte-t-il.


Je le regarde en haussant les sourcils, lui rappelant le point où il doit me laisser parler. Il se pince l'arête du nez — je sais, je suis exaspérante comme fille — et me fait signe de continuer.


— La relation qu'on avait était terminée quand je suis partie. Parce qu'il correspond plus à un ami qu'un mari. Et même si je devais le revoir un jour, ça ne changerait absolument rien. Et avant que tu ne dises quoi que ce soit, même si Eric lui semble physiquement, il n'est qu'un ami également. C'est complètement différent de ce que je ressens avec toi, je termine à bout de souffle.


Bon, ça y est, je l'ai dit. Je vois Tristan analyser mes paroles. Je suis surprise quand un éclat de colère traverse son visage. Je ne m'attendais pas à cette émotion. Il me prend le bras en inspirant profondément. Ça sent les ennuis.


Qu’est-ce que j’ai fait encore ?


— Tu as dit quoi à propos d'Eric ?


Je me remémore mes paroles, cherchant à savoir ce qui a pu l'agacer avant de me figer.


Oups.


Deux solutions s'offrent à moi.


Fuir. Mais il me tient le bras, il a dû anticiper ma tentative avant même de parler. Il commence à bien me connaître. Il ne reste donc que la deuxième solution. Ça repoussera au moins l'échéance et il sera peut-être un peu calmé.


Je mets sur la pointe des pieds et l'embrasse à en perdre haleine.  

***

Merci à BakApple pour la correction

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