Te repousser pour mieux t'aimer

Chapitre 19 : Chapitre 18 : Lumière

5155 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 19:17

Chapitre 18 :

Lumière.



Je suis énervée. Énervée et blessée.


J'ai beau me dire qu'il ne fait rien de mal, le voir si proche d'une fille avec qui, en plus, il a couché, me donne envie de vomir et de les réduire tous les deux en charpie. Sans oublier le baiser qu'il m'a donné. C'est comme s'il s'était contenté de marquer son territoire, pour montrer à tous que je lui appartiens… Enfin, surtout à Eric. Et ça me met en colère, vraiment car s'il y a bien un de nous deux qui doit marquer son territoire ici, c'est moi. Histoire que cette conne de blonde stupide comprenne une bonne fois pour toute ce qu'elle risque en s'approchant si près de l'homme que j'aime.


Ma seule consolation, c'est que Dagonet et Bors ne semblent pas du tout apprécier ce qui se passe. Ils ne cessent de me jeter des coups d'œil pour ensuite jeter des regards meurtrier en direction de Blondie et Tristan.


Quand je vois la main de blondie toucher Tristan, je craque. Je prends une carafe – remplie bien évidemment – et me dirige vers eux avec un faux sourire. Je passe derrière elle et fais semblant de trébucher, renversant le contenu de la carafe sur elle.


— Oh, je suis désolée, je m'exclame alors qu'elle se relève en regardant les dégâts.


Elle me lance un sale regard alors que je la fixe dédaigneusement puis s'en va. Je la suis du regard, les mâchoires serrées. En me tournant vers les chevaliers, je ne m'attarde que sur un visage qui m'achève. Celui de Tristan, désapprobateur.


Je dépose violemment la carafe sur la table et pars sans demander mon reste. Qu'il aille retrouver cette sale… puisqu'il s'en soucie autant.


Je continue d'avancer quand j'entends qu'on me suit. Je me tourne pas, il me semble – malheureusement – reconnaître les pas de Tristan.


— Elle est partie de l'autre côté, je l'agresse.


— Vas-tu m'expliquer ce qu'il se passe ? me retient-il.


Je m'arrête et le regarde. Comment ose-t-il me le demander ? J'inspire pour me calmer et retenir les larmes qui menacent de couler – encore.


— On va rejouer aux questions, je décide en me dressant de toute ma hauteur, n'atteignant que difficilement son menton.


— Ce n'est pas le lieu ni le moment approprié, me rappelle-t-il.


— Crois-moi, on ne pourrait trouver meilleur moment, je crache.


Il soupire et croise les bras sur son torse alors qu'un sourire suffisant prend place sur mon visage.


— Quand tu me vois avec Eric, ça t'énerve n'est-ce pas ?


— Effectivement, acquiesce-t-il en fronçant les sourcils, se demandant où je veux en venir.


— Ta petite scène ridicule à ton arrivée, c'était bien parce que me voir si proche de lui, me voir le toucher te donnait des envies meurtres, non ?


— Je ne vois pas de quoi tu parles, nie-t-il cette fois.


— Tu es arrivé et tu m'as marquée comme une propriété privée Tristan, je m'écrie. Tu voulais faire croire à Eric que je t'appartenais…


— C'est le cas, réplique-t-il en serrant les mâchoires.


— Pardon, je demande alors qu'un rire incrédule m'échappe. Je n'appartiens à personne Tristan, c'est clair ? Et surtout pas à un abruti qui se laisse peloter par une misérable conne à la libido tellement élevé qu'elle ne se gêne pas pour sauter sur un homme apparemment pris. Oh mais suis-je bête, cet homme la laissait faire, c'est sûrement pour ça qu'elle ne s'est pas gênée ! Dis-moi, Tristan, combien de filles se sont laissé faire avant moi ? Parce que ce ne sera pas mon cas, je te le garantis.


Je m'arrête essoufflée alors qu'il arbore un visage impassible que j'ai envie d'arracher.


— Tu as fini ? demande-t-il froidement.


— Non, je réponds de la même manière. Maintenant, on va jouer à un autre jeu. Ferme les yeux, j'ordonne.


Il se pince l'arête du nez mais s'exécute.


— Et ? soupire-t-il.


— Imagine qu'Eric soit juste à côté de moi et passe son temps à poser ses mains sur moi…


— Pas compliqué, grommelle-t-il en serrant les poings.


— Maintenant imagine que j'ai couché avec lui, je reprends sans prêter attention à ce qu'il a dit.


Il se crispe, les mâchoires serrées et un rire sans joie m'échappe quand il rouvre les yeux, dardant un regard meurtrier sur moi.


— Ce n'est pas agréable, n'est-ce pas ? je raille.


— Qu'attends-tu de moi exactement ? Que veux-tu ?


— Ce que je veux ? je demande avec incrédulité. Que tu arrêtes de la laisser t'approcher comme ça, que tu arrêtes de la laisser te toucher comme si je n'étais qu'un objet de décoration ou même inexistante. Mais pire encore, j'aurais voulu que tu n'aies jamais couché avec elle, je crie.


Je sens les rares passants se tourner vers nous.


— Tu ne me le pardonneras donc jamais ? s'enquit-il rageusement.


Je le regarde cherchant à savoir moi-même si je suis capable de lui pardonner ça. Je n'ai jamais été du genre rancunière et je sais donc que j'aurais pu pardonner tout venant de lui. Mais pas qu'il ait couché avec elle, je n'en serais pas capable, je suis trop faible pour ça. Si je n’avais plus jamais eu à voir cette fille, j’aurais pu oublier et passer à autre chose. Sauf qu’elle est toujours là et que la voir me remplit de rage. Cette découverte me frappe de plein fouet et je parle d'une voix tremblante.


— Non. Je pensais… J'ai vraiment cru que je pourrais mais… La voir si près de toi, c'est insupportable et je n'arrive pas à le gérer parce que je n'ai jamais eu à être… Jalouse avant aujourd'hui.


Il y a un silence pendant lequel il me fixe, toujours aussi impassible avant de parler.


— Qu'est-ce que cette conversation veut dire exactement ?


— … Je n'en sais rien, j'avoue. J'ai besoin… de réfléchir un peu.


Sur ce, je tourne les talons et pars. Cette fois, il n'essaye pas de me rattraper et même si une partie de moi l'a espéré, ça n'aurait pas été une bonne idée. J'ai vraiment besoin d'être seule, de réfléchir. Tout simplement de m'éloigner de lui.

Je n'arrive pas à oublier qu'il a touché cette fille mais, je n'arrive pas à imaginer continuer à vivre dans ce monde sans lui. Je l'aime, ça ne s'explique pas après tout. Même si nous sommes un couple pas très assortis.


Mais au final, sommes-nous vraiment un couple ? Je sais qu'il tient à moi, je ne suis pas aveugle et je sais qu'il a accepté certaines choses avec moi qu'il n'aurait jamais accepté venant d'une autre fille. Mais ça ne veut pas dire qu'il est amoureux. En est-il seulement capable ? Lui est-il déjà arrivé de ressentir de l'amour pour une fille ? Ou même un homme ?


Il n'est pas gay !


Comment savoir ?


Et votre partie de jambe en l'air torride ?


Il est peut-être bi… et puis ce n'est pas le sujet !


Bien, retourne à ta crise et laisse s'échapper l'homme que tu aimes parce que ton égo ne supporte pas qu'il ait commis une erreur.


Ce n'est pas une question d'égo, pas vraiment en tout cas. C'est vrai que ma fierté en a pris un coup mais… C'est qu'il continue à la laisser s'approcher si près qui me dérange le plus.


À peine cette pensée me traverse l'esprit que quelque chose me bouscule. Et il s’agit de… et oui, blondie. Elle s'apprête à s'excuser – preuve que ce n'était pas voulu – mais reste sans voix quand elle voit que c'est moi.


Je suppose que toi, tu ne mérites pas d'excuse. Note que je comprends, t'y as été un peu fort.


La ferme, toi.


Je fusille cette conne du regard et me détourne avec un contrôle de moi-même que je me connaissais pas. Mais il faut croire que cette fille a un instinct de survie frôlant les moins cent cinquante pour cent parce qu'elle trouve judicieux de dire :


— Il ne t'appartient pas, tu sais.


— Loin de moi cette idée, je rétorque froidement. J'estime simplement qu'il ne faut pas avoir beaucoup de dignité pour sauter comme tu le fais sur un homme apparemment pris.


— Et moi j'estime que tu n'es pas la mieux placée de nous deux pour parler de dignité quand on sait que tu as eu la bassesse d'accepter de passer après moi, crache-t-elle.


Tout mon contrôle s'envole et je lui saute dessus, la plaquant au sol, les mains sur sa sale gorge de blonde.


— Je vais te montrer jusqu'où va ma bassesse, espèce de catin de seconde zone, je hurle alors qu'elle me griffe les avant-bras, essayant d'atteindre mon visage.


Je n'essaye pas de la tuer, loin de là. Mais je veux lui faire mal physiquement autant qu'elle m'a fait mal émotionnellement. Et si je peux atteindre son émotionnel en même temps, je ne dis pas non.


— Quelle classe, grince-t-elle en se débattant. C'est comme cela que tu l'as séduit ?


— Il a toujours eu… un faible pour les femmes… sans éducation, je souffle en essayant de la frapper mais, elle évite presque tous mes coups. Tu devrais le savoir non ?


Cette phrase semble l'énerver plus que les autres puisque, sans que je ne m'y attende, elle prend le dessus.


— Tu crois être la seule à avoir le droit de l'aimer ? crie-t-elle alors que des larmes coulent sur ses joues.


Elle se redresse, pleurant toujours et, étrangement… Je me sens super mal.


— Tu crois que je n'ai aucun honneur ? Aucune dignité ? Tu crois que je m'abaisserais à accepter la couche d'un autre homme si je ne l'aimais pas ? Et bien tu te trompes ! J'ai simplement profité du peu qu'il acceptait de me donner et j'ai essayé de le garder le plus longtemps possible parce que le premier jour où je t'ai vu, où j'ai vu sa manière de te regarder, j'ai su. J'ai su que je ne l'aurais plus pendant bien longtemps.


Ses larmes continuent de couler alors que je me relève. Elle ne semble même plus me remarquer, c'est comme si elle était seule. Pourtant, c'est à moi que ses mots s'adressent.


— Tu aurais fait pareil à ma place, parce que tu l'aimes autant que je l'aime. Et pourtant, je ne lui ai jamais suffi alors que toi… Tu es là depuis si peu de temps et déjà il ne voit que par toi et repousse les autres.


— Il ne t'a pas repoussée, je lui rappelle.


— Pauvre enfant naïve, raille-t-elle alors que je fais une moue vexée. Que voulais-tu qu'il fasse d'autre que de me demander de m'éloigner discrètement, ce soir ? Il ne voulait simplement pas créer de scandale et j'en ai profité, termine-t-elle avec un petit sourire trahi par les larmes qui continuent d'inonder ses joues.


Tu crois qu'elle fait des réserves ? Comme les hamsters sauf qu'elle ce n'est pas de la nourriture mais de l'eau salée ?


Soit gentille, tu vois bien qu'elle est mal.


Tu te radoucis trop vite.


Sûrement mais, je suis comme ça. Comme je l'ai dit, je ne suis pas rancunière et… Même si ça me tue de l'admettre, cette fille a raison. Pour Tristan, j'aurais sûrement agi de la même manière. Du moins, au début.


— C'est toi qu'il veut, souffle Blondie – que j'ai un peu oubliée dans ma conversation interne. Alors profites-en puisque tu l'aimes. Pourquoi cherches-tu des excuses pour le repousser ?


— Je ne cherche pas d'excuse pour le repousser, je grimace.


— Vraiment ? Alors pourquoi es-tu tellement obsédée par ses erreurs ?


Ça me tue de l'admettre parce que j'aimerais arracher les yeux de cette fille et donner son corps aux Pictes pour qu'ils la prennent comme femme à tout faire mais… Là elle marque un point.


Je me mordille la lèvre. Oui, elle a sans doute un peu raison.


Un peu ?


Bon beaucoup mais… Je ne peux pas m'attacher autant à quelqu'un.


Pourquoi ?


Et là, l'évidence me frappe. Parce que je veux toujours partir d'ici. Parce que je déteste cette époque bien que Tristan – ainsi que tous les chevaliers – ait adouci et rendu agréable le temps passé ici. Parce que quand – je ne veux même pas penser à un si – j'aurais l'occasion de partir d'ici pour rejoindre ma famille, Tristan sera un frein à ma décision. Parce qu'il pourrait me convaincre de rester, ou tout simplement me faire regretter la décision de rentrer à la maison. Et ce n'est pas envisageable. Alors, j’intercepte le moindre de ses faux pas et me concentre dessus dès que j’ai la sensation que la situation m’échappe. Et, en l’occurrence, cette femme m’a donné le plus beau des prétextes pour repousser un Tristan que j’aime un peu trop.


Blondie remarque que j'ai compris et admet qu'elle a raison et souris doucement, presque tendrement et c'est presque flippant.


— Contente-toi de l'aimer, reprend-t-elle. Moi je ne le peux pas. Ou plutôt, il ne le veut pas.


Sur ce, elle tourne les talons et me laisse derrière comme une conne. Ben merde alors. Il vient de se passer quoi exactement ?


***


Je me réveille avec des coups frappés à ma porte. Je me lève – complètement à l'ouest – et me dirige en zigzaguant vers ma porte – il n'y a pas à dire, je ne suis pas du matin en ce moment. J'ouvre la porte et me retrouve face à un Bors paniqué, ce qui me réveille totalement.


— Qu'est-ce qui se passe ? je demande.


— Le bébé arrive, dit-il simplement. On a besoin de toi.


J'ouvre la bouche, la referme, lui fais signe d'attendre, m'habille le plus vite possible et le rejoins. Il m'attrape le poignet et me tire avec lui alors que je lui pose la question que je me pose depuis qu'il m'a demandé de venir.


— En quoi je pourrais aider ?


— J'en sais rien, avoue-t-il. C'est Vanora qui te demande.


On arrive à destination alors que mon poignet demande grâce d'avoir été serré et tiré si fort. Arthur, Dagonet, Gauvain et – à ma grande surprise – Tristan sont là. J'interroge Dag du regard.


— Bors devient un peu… excité quand Vanora accouche, explique-t-il en haussant les épaules.


— J'avais remarqué, je grimace en me massant le poignet.


Arthur fronce les sourcils et vient me prendre le poignet alors que Tristan s'immobilise après avoir fait un pas dans ma direction.


— Bors, gronde Arthur d'une voix réprobatrice – il joue le rôle de la mère ou du père dans cette charmante famille ?


— Hum, fait ce dernier, semblant enfin revenir parmi nous alors qu'il regardait la porte derrière laquelle se trouve Vanora comme s'il voyait à travers.


— Tu aurais pu y aller plus doucement avec son bras, explique Dag.


— Désolée gamine, souffle-t-il comme s'il ne savait même pas de quoi il s'excuse.


Je lève les yeux au ciel, reprends mon poignet et avance pour entrer dans la chambre. Vanora est allongée, de la sueur sur le front mais pourtant toujours aussi jolie. Je lui souris et vais lui prendre la main.


— Comment va ? je demande.


— Merveilleusement bien, dit-elle avec un peu de difficulté. Ma guérisseuse est partie je ne sais où chercher ce qu'il lui fallait, Bors est angoissé comme si c'était lui qui devait faire sortir cet enfant et j'ai mal.


— Oui question stupide, je ris alors que la porte s'ouvre sur une veille femme que je ne connais pas.


— Nous pouvons commencer, fait-elle joyeusement.


— Oui et bien, il n'a pas voulu vous attendre, fait sèchement Vanora en montrant son ventre. Enora, me fait-elle ensuite d'une voix suppliante. Va chercher l'abruti qui sert de père à mes enfants s'il te plaît, je dois lui dire quelque chose.


J'acquiesce et sors.


— Elle te demande, je dis à un Bors tout nerveux.


Il s'empresse d'entrer alors que je souris. Il est tellement adorable avec elle, elle en a de la chance. Je vais me poster près de Dag, qui est le plus loin de Tristan. Dagonet m'interroge du regard en me voyant faire mais je hausse les épaules.


— Bors est-il toujours aussi stressé ? je lui demande.


— Non mais d'après ce que j'ai compris, c'est un peu tôt, répond-t-il.


Je hoche la tête avant de croiser le regard de Tristan. Un regard intense, comme s'il essayait de répondre à une question. Je baisse la tête en soupirant.


Pourquoi ne veux-tu pas profiter ?


Parce qu'il vaut mieux arrêter ça maintenant avant que ça n'aille trop loin.


En as-tu seulement la force ?


L'arrivée de Bors me sauve de ce questionnement intérieur. Il me regarde et me dit :


— Elle te demande.


— Moi ? Pourquoi ?


— Elle a dit que je l'angoissais à tourner en rond comme ça et que de toute façon mon utilité serait la même que les autres fois, autrement dit que je ne servirais à rien, dit-il en haussant les épaules.


— Vu comme ça, je soupire en entrant.


Je vais près d'elle et lui demande :


— Comment je peux aider ?


— Contente-toi de me donner ta main, grimace-t-elle.


Le reste du temps se passe dans les gémissements de douleur et les poussées de Vanora. Cette femme est la plus courageuse que je n'ai jamais vue. Elle accouche quand même sans péridurale. Et elle ne crie même pas… Elle broie juste ma main et j'espère que je pourrais encore m'en servir plus tard. Au bout de ce qui me semble une éternité, les cris d'un nouveau-né retentissent enfin.


L'enfant est déposé sur Vanora qui soupire de soulagement.


— On peut dire qu'il a mis du temps à sortir, sourit-elle, fatiguée alors que la veille femme sort chercher Bors.


Il entre dans un fracassement de porte et fonce près de Vanora et de son nouvel enfant alors que je m'éloigne.


— Où est numéro onze ? s'écrie-t-il.


— Moins fort, tu vas le faire pleurer alors qu'il vient de s'arrêter, le gronde Vanora.


Je les regarde un instant mais me sens vite de trop, je sors donc rejoindre les autres. Ils sourient tous, heureux que ce soit fini – enfin sauf Tristan qui garde un visage impassible. Mais moi, je ne me réjouis pas, je ne suis qu'une égoïste mais je ne peux m'empêcher de me dire que je ne pourrais jamais avoir ça ici.


— Enora, m'appelle Dagonet. Tout va bien ?


— Oui, je souris. J'ai juste besoin d'air.


Je sors donc, l'air frais ne m'aide pas, je suis toujours dans une espèce d'état second, coincée entre ici et chez moi. Je vais m'asseoir contre un arbre et regarde le ciel et les étoiles quand je sens quelqu'un s'installer près de moi. Non, pas quelqu'un, Tristan. Son odeur m'emplit les narines, engourdit mes sens, efface tout ce qui n'est pas lui. Comment peut-il avoir cet effet sur moi ? Comment peut-il être devenu si important en si peu de temps ?


— Tu as pu réfléchir ? demande-t-il.


Je ne réponds pas, je n'ai rien à répondre. Alors, je me contente d'expliquer ce qui m'a incitée à le repousser une nouvelle fois.


— Je suis désolée. Le problème venait de moi, tu n'y étais pour rien. C'est juste… Un jour, je rentrerai chez moi, je murmure. Je ne sais pas quand ou même comment mais dès que l'occasion se présentera, je partirai et… On ne se verra plus jamais. Du moins, c'est ce dont j'essaye de me convaincre car plus le temps passe et plus les gens d'ici deviennent importants pour moi. Et j'ai peur que cet attachement m'empêche de rentrer à la maison le moment venu, je termine en me tournant vers lui.


— Mais il n'y a que moi que tu rejettes vraiment, me reproche-t-il.


Je le regarde hésitant à lui dire pourquoi mais je ne le peux pas. Je n'y arrive pas. Alors j'opte pour une semi-vérité.


— Je ne peux pas tomber amoureuse de toi Tristan. Si ces sentiments naissaient et devenaient trop forts… Je pourrais regretter de rentrer à la maison et c'est hors de question. Je ne veux pas rentrer chez moi avec le regret de vous… de t'avoir laissé derrière moi. Et c'est très égoïste, je sais.


Je soupire et me passe la main sur le visage.


— Mais en même temps, je reprends d'une voix tremblante. Je n'arrive pas à m'éloigner, j'ai besoin… j'ai besoin de toi, j'avoue, la gorge nouée. Et ça me fait très peur.


Je me suis détournée pendant mon petit discours, je ne l'ai donc pas vu s'approcher. Je ne le sais que lorsque son souffle chaud atteint ma nuque et je ne peux m'empêcher de pencher la tête sur le côté avec un soupir de bien-être.


— Ne pense pas à ce qui se passera, souffle-t-il. Pense à ce qui se passe maintenant. À quoi bon redouter ce qu'il adviendra ? Tu te fais du mal inutilement.


Je soupire et tourne la tête sur le côté et nos lèvres se rejoignent. Oui, ne penser qu'au présent pour le moment. Ne pas voir trop loin. Je peux essayer de le faire.


***

Trois jours passent. Je m'occupe comme d'habitude si ce n'est que j'ai repris les entraînements avec Tristan et qu'il m'apprend à tirer à l'arc. Je me révèle plus douée qu'à l'épée et je pourrais presque jurer que Tristan en est fier. Mais avec lui on ne peut jamais être sûr.


Ce soir, nous nous retrouvons tous à la taverne – même Vanora – et alors que je vais prendre mon « service », Bors m'attire en arrière et j'atterris sur une chaise.


— Tu ne travailles pas aujourd'hui, s'exclame-t-il.


— Et pourquoi pas ? je rigole.


— Parce que maintenant que ma petite femme m'a libéré, je vais fêter la naissance de mon nouveau fils.


Et oui, le pauvre s'est retrouvé enfermé avec sa charmante femme ces trois derniers jours. La pauvre était épuisée – qui ne le serait pas après un onzième accouchement ? – et a eu besoin de plus d'aide qu’à l’accoutumée. Comme je n'avais pas beaucoup de temps pour moi avec les entraînements intensifs avec Tristan – et je parle bien de s’exercer à l'épée, pas d'autre chose… ça c'était le soir – je n'ai pas pu l'aider énormément et Bors s'en est donc chargé avec un enthousiasme étonnant.


— Je rêve ou tu sens le vin à plein nez ? je grimace.


— On n'a pas réussi à l'arrêter depuis qu'il est sorti de chez lui, répond Lancelot avec une mine blasé que je ne lui connais pas.


— T'en veux ? me demande Bors en me tendant son verre.


Je le prends et le bois en entier sous le regard ébahi des chevaliers – même Tristan et Arthur. Au bout d'un moment où ils se contentent de me fixer sans rien dire, je rougis.


— Ben quoi ? je demande.


— Et bien tu sais boire ! s'étonne Gauvain en riant.


— C'est juste du vin, je rétorque en haussant un sourcil.


Je vois quelqu'un au fond de la taverne, nos regards se croisent et je lui fais un hochement de tête, ajoutant même un petit sourire. Bors suit mon regard et se tourne vers moi, étonné.


— La dernière fois que vous vous êtes vues, tu lui renversais du vin sur elle et maintenant vous vous saluez ?


Je souris. Blondie n'est peut-être pas mon amie mais, je pense que je ne la déteste plus vraiment. Après tout, comment lui en vouloir d'être tombée amoureuse ? Et même si je n'approuve pas toutes ses méthodes, ne dit-on pas qu'à l'amour comme à la guerre, tous les coups sont permis ?


— Nous avons eu une conversation enrichissante, j'explique simplement alors que Tristan a les sourcils plus froncés que jamais dans une expression incrédule assez comique.


Le pauvre n'a pas dû tout comprendre mais, je suppose qu'il commence à s'y habituer. La soirée passe doucement, avec des rires et aucune blague sur les blondes. Bref, une soirée géniale… Enfin presque. Premièrement, il manque Eric que je n'ai pas vu depuis ma dispute avec Blondie et deuxièmement, une discussion entre Bors et Vanora se retourne contre moi.


— Allez Vanora chante, supplie presque Bors.


— Non, je suis fatiguée, répond celle-ci.


— S'il te plaît, continue Bors.


— J'ai dit non ! Demande… Demande à Enora, lâche-t-elle soudain comme si c'était l'idée du siècle.


Je n'y prête d'abord pas attention mais, au bout d'un moment je sens le regard de tous les chevaliers sur moi. Je les regarde et ils semblent attendre quelque chose. Ensuite l'information me monte enfin au cerveau, comme une alarme incendie, me disant que je suis encore dans la merde mais que, cette fois, ma seule erreur a été d'être présente.


— Non, je réplique en me levant pour m'échapper.


Je me sens encore tirée en arrière mais cette fois, au lieu d'atterrir sur une chaise, j'atterris sur les genoux de Lancelot.


— On ne s'échappe pas, rit-il.


Ce mec est carrément suicidaire. Non, je vous jure. Déjà, moi je ne suis pas commode avec les contacts physiques ce qui fait que je suis crispée comme pas possible et me retiens de le frapper. Et en plus, Tristan est juste en face et est tendu comme un guépard s'apprêtant à sauter sur sa proie – et pas pour lui faire un câlin –, d'ailleurs, il en a même l'expression. C'est donc pour sa survie que je me dégage de ses jambes pour me relever.


— Je ne m'échappe pas, je nie honteusement.


— Alors chante, raille-t-il.


— Non !


— Pourquoi ?


— Je ne sais pas chanter.


— Menteuse, souffle Vanora. Je t'ai entendue plusieurs fois avec le petit.


Traîtresse. Je n'arrive pas à croire que je l'ai qualifiée d'amie.


— Je n'aime pas chanter devant les gens, je contre.


— La taverne est presque vide, intervient Gauvain.


— Toi si tu ne veux pas te retrouver avec une coupe au carré, la ferme, je grince.


Même s'il n'a pas tort. Il ne reste que les chevaliers et Blondie accompagnée d'une femme assez âgée. Bizarre que l'endroit soit si vide de monde.


— Je ne pense pas que nous ayons la même culture musicale, je dis en désespoir de cause. Mes chansons ne vous plairont sûrement pas.


— Moi je les aime, intervient encore la traîtresse.


— Je doute que les chevaliers aiment les chansons d'amour, je ricane.


— Peu importe ce que tu chantes, soupire Gauvain – il ne tient pas à ses cheveux lui. Nous voulons juste entendre ta voix.


Je les regarde. Je supplie Tristan du regard mais il me fait un petit sourire moqueur.


— Arthur ! je m'écrie d'une voix suppliante en me tournant vers lui.


— J'avoue être assez curieux d'entendre, sourit-il.


Bon, en clair, je suis seule contre tous ? Génial, on se sent soutenu. Et je leur chante quoi moi maintenant ? Bon, je laisse tomber tous ce qui est rap ou rock déjà, même si j'en connais des bonnes. Je croise le regard de Blondie et j'ai une illumination. Je connais deux chansons qui nous correspondent bien à toutes les deux mais l'une d'entre elles se chante à deux. J'opte donc pour l'autre et commence d'une voix tremblante d'anxiété. Ce n’est pas chanter en public qui me stresse. C’est chanter en public au Moyen-Âge !


Tous les murs que j'ai construits

Sont en train de s'écrouler

Sans faire le moindre bruit

Sans même résister

J'ai décidé de laisser faire

Oui mais je n'ai pas douté longtemps

Éclairée par ta lumière

J'ai mon ange maintenant


Comme si l'on me réveillait

Brisant les règles que j'ai fixées

C'est un risque que je prendrais

Je ne te laisserai jamais tomber


Là où je suis maintenant

Je suis entourée par ta lueur

Bébé, je peux voir ta lumière

Je sais que tu es mon sauveur


Tu es tout ce dont j'ai besoin

Je peux le voir écrit dans tes yeux

Bébé, je vois cette lumière

Briller entre nous deux


Je vois ta lumière

Je vois ta lumière

Lumière

Je vois ta lumière

Lumière

Je vois ta lumière

Lumière

Ouhou


Comme un rayon de soleil

Brûlant dans mes nuits les plus sombres

C'est toi que je veux à mon réveil

Je serai comme ton ombre

Moi qui pensais ne plus aimer

Avec toi je me sens emportée

Mais j'espère ne pas oublier

Comment revenir sur la terre après

Comment si l'on me réveillait

Brisant les règles que j'ai fixées

C'est un risque que je prendrais

Je ne te laisserai jamais tomber


Là où je suis maintenant

Je suis entourée par lueur

Bébé, je peux voir ta lumière

Je sais que tu es mon sauveur

Tu es tout ce dont j'ai besoin

Je peux le voir écrit dans tes yeux

Bébé, je vois cette lumière

Briller entre nous deux


Je vois ta lumière

Je vois ta lumière

Lumière

Je vois ta lumière

Lumière

Ouhou…


Comme un rayon de soleil

Brûlant dans mes nuits les plus sombres

C'est toi que je veux à mon réveil

Je serai comme ton ombre


Le silence est complet. Je n'ose regarder personne, je n'ai même pas osé regarder Tristan. Au moins, c’est fait.


— J'aime beaucoup cette chanson, souffle Vanora. Et tu la chantes tellement bien.


Je rougis et hausse les épaules.


— Sensible aux compliments ? raille Lancelot.


Je lui fais une moue agacée et me détourne.


— L'as-tu écrite pour un homme ? demande Vanora avec un sourire.


— Ce n'est pas moi qui l'ai écrite, je réponds en levant les yeux au ciel.


— Pourquoi avoir choisi celle-là ? demande Galahad avec un sourire moqueur. Te sens-tu concernée ?


— Heu… non… enfin… soit.


Quelle élocution, je suis impressionnée.


Arthur vient à mon secours et je le remercie presque, jusqu'à ce que j'entende ce qu'il a à dire :


— Je ne voudrais pas gâcher ce moment…


C'est là que tu es sûre qu'il va justement gâcher ce moment. Tellement cliché.


— Mais le devoir nous appelle encore une fois…


Ce qu'il peut être pompeux. Il pourrait simplement dire qu'il va encore une fois les envoyer à la mort. Clair, net et précis.


— Les Saxons causent quelques problèmes pas très loin du mur et bien plus proche que d’ordinaire. Nous devons les éloigner.


Bon, il a définitivement foutu en l'air la soirée.


Et j'approuve ma conscience alors que je me sens blanchir comme jamais à l'entente de ce nom que je hais et qui me terrorise.


***

Merci à BakApple pour la correction

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