Porte à porte

Chapitre 2 : Le seuil du deuil

731 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 01:14

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Odrazàr git dans son sang, une lance fichée dans son flanc. Après ses gestes, le poison a paralysé sa respiration, et fige maintenant ses traits dans un rictus de souffrance et d’amertume.

Ses compagnons combattent depuis des heures. Leur formation défensive, le thangail des fantassins lourds de Numenor, repousse les assauts au fil de leur retraite. Mais le harcèlement des archers légers ennemis réduit leurs rangs et leur endurance, lentement mais inexorablement.

La campagne a échoué. La puissante Numenor limitera donc son hégémonie au bassin du Gwathlo, d’où elle tire le matériau pour ses hautes flottes. Elle ne tentera plus, pour longtemps, de soumettre les turbulentes tribus des collines.

Avacuna, anéantie, n’a pas de larmes pour pleurer. L’empire tout juste achevé de son esprit n’a pas encore embrassé l’amertume du regret et de l’impuissance. Seule demeure la rage, tonitruante litanie du malheur. Mais son âme ne sait contre qui diriger sa fureur - les tribus sauvages incapables de résister à la tentation du pillage, ou leur victime Odrazàr, mûe par son intransigeante vision de suprématie.

La sauvageonne reste accroupie au-dessus du cadavre de son homme, goûtant les pépins amers des fruits de ses espoirs anéantis. Les hommes ne tiennent pas leurs promesses lorsque leurs espérances sont démesurées.

Au petit matin, elle emporte le défunt et gagne lentement sa retraite.

Une immense pierre plate en couronne le sommet, soutenue par cinq mégalithes. Seuls les puissants de la création ont pu pétrir ce promontoire au premier âge du monde. Une dense forêt hirsute de chênes bas et d’aubépines noueuses la recouvre. Entre les gigantesques piliers de roche brute s’enchevêtrent des racines millénaires, des cloisons de pierre assemblées avec art, des entrelacs de tissus anciens, des motifs d’osier tressé. Des plantes aux fleurs vivaces prolifèrent aux murs et au plafond, renforçant la sensation d’une grotte naturelle aux multiples ramifications.

Dans ces alcôves aux mosaïques hétéroclites, s’entassent des tartans des Hommes des collines, des soieries aux teintures rares vendues sur les rives de Tharbad, et d’éternels tulles elfiques. Un bouquetin des monts de brume, sculpture de buis polie par les ans, semble surgir des limbes au-delà de la mémoire. Les peintures murales évoquent des terreurs animales du fond des âges. D’antiques sagaies les ont clouées à la paroi, figeant leurs appétits carnassiers, tandis que des instruments de musique oubliés des Hommes égrènent leurs râles d’agonie. L’antre d’Avacuna reflète la mémoire de ses années d’errance.

La jeune femme se rend dans sa chambre à coucher. Elle y brûle cérémonieusement le lit qui abrita leurs amours, avant de ménager une cavité dans le roc. Avacuna se défait de sa rancœur et se vide de sa peine en s’acharnant sur la roche friable. L’alcôve cèlera désormais la chambre mortuaire de son amour déçu, du champion mort par son ambition démesurée.

Elle dépose sa lance et son épée d’acier devant l’empilement révérencieux mais dérisoire de son attirail - cuirasse, casque et jambières de bronze, chamarrés d’aigrettes et de panaches pourpres.

Avacuna suspend la cape du guerrier défunt, en travers de la porte d’entrée de l’alcôve. Par cette porte bannissant le passé, seul s’écoule enfin le flot de ses larmes…

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