Porte à porte

Chapitre 5 : Porte à faux

925 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 08:56

Les deux jeunes hobbits se précipitent dans l’allée du potager, sous les bourrasques automnales. Les tourtereaux se réfugient sous l’avancée du toit de la resserre, blottis sur le banc.

Gerry déploie une entreprenante et mâle assurance - son bras protecteur réchauffe la jeune fille frissonnante. Le langoureux regard azur tantôt s’abaisse, modeste et troublé, tantôt s’élève, curieux et inquiet, jusqu’aux glyphes menaçantes qui enserrent la cabane. Les talismans cloués au mur, dit-on, veillent sur la resserre depuis le départ du Grand-père, mais la réputation d’étrangeté de l’abri est ancienne. De sombres charmes secrets garderaient l’or, les draperies, les merveilles et les ornements équivoques que l’aïeul y aurait cachés.

Mais la pluie et les feuilles d’ormes rousses et trempées cinglent les jeunes gens grelottants. Le galant, n’écoutant que son courage, met sa belle à l’abri –il actionne le verrou nain, se gausse du carillon et l’entraîne dans la cabane. Mais le timbre aigrelet ne sonne pas de son air bénin et blasé. Une imperceptible nuance d’avertissement, une dissonance furtive, un accord renversé, laissent à Gerry la sensation fugitive d’un doute insaisissable.

Mais les séducteurs ne s’embarrassent pas de doutes. L’apprenti gentil-hobbit fait gracieusement les honneurs de la resserre, où se trouvent rassemblés, au nid des premières amours du Grand-père, les objets qui lui rappelaient sa défunte épouse, pour évoquer son souvenir en paix. Ses meilleures bouteilles, cachées là à l’abri, soutenaient grandement la mémoire du vieux Hobbit dans les derniers temps. La légère cleptomanie du Grand-père avait encombré son repère d’ornements surannés et d’objets inutiles mais précieux et agréables à l’œil.

Bientôt une antique lampe à huile anime d’une vie vacillante les outils et les colifichets du Grand-père. Au-dehors le vent mugit et la pluie cingle. La belle se pare de tulles et de colliers, à présent princesse trônant sur les coussins de brocard imaginaire - en réalité des sacs de noisettes et des balles d’étoffes. Les jeunes gens se rapprochent, sensibles au crépitement inoffensif de la cataracte sur le toit de la resserre, écrin de leur intimité. Gerry, en hobbit du monde, entreprend de réchauffer sa compagne, qui s’abandonne volontiers au réconfort protecteur de son prince.

La jeune dame alanguie et conquise avance ses lèvres… Il se penche sur elle… et se redresse vivement lorsqu’il s’avise qu’on les observe !

Le Grand-père et la Grand-mère le toisent, les yeux brillants et le sourire narquois. Le portrait est ancien, mais une lueur moqueuse danse au fond de leurs pupilles.

Irrité, le jeune hobbit bondit, décroche le tableau et le dissimule vivement sous une pile de livres poussiéreux. Lorsqu’il se retourne vers sa belle, la bouche en cœur et la mèche aguicheuse, il rencontre un regard agacé et impatient.

Mais le godelureau est prince en son domaine. Son sourire charmeur et sa verve captivante ont tôt fait de ramener la jeune fille froissée à des dispositions romantiques. Allongé à son côté, il énumère ses appâts des pieds menus à l’ovale parfait du visage. Parvenu à mi-chemin, le polisson habile et conquérant prolonge et accentue le frisson, lorsqu’un curieux cliquetis l’interrompt.

L’horloge s’est réveillée. La vieille horloge naine des montagnes bleues, figée depuis des années, s’est mise en branle, lentement d’abord. Comme par une hésitation calculée, l’engin hoquète, s’arrête puis reprend sa syncope. Les jeunes gens reviennent à leur tête à tête, mais le cliquetis les interrompt, imposant son propre rythme erratique. L’esprit de la belle s’égare et la confiance de Gerry s’émousse.

Alors la mécanique s’emballe. Deux nains de bois surgissent de leurs guérites en brandissant leurs marteaux et s’acharnent sur une enclume à onze reprises laborieuses. Enfin, un portail semi-circulaire s’ouvre brusquement, expulsant une grotesque tête de nain au nez obscène. La main experte de Gerry se crispe de surprise, tirant un cri de douleur à sa compagne.

Lentement le portail se referme sur le pantin voyeur et grimaçant, tandis que claque celui de la resserre. La belle outragée et meurtrie s’en retourne chez sa mère, fuyant les délices équivoques de la resserre…

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