Porte à porte

Chapitre 6 : Porte aux nues

906 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:17

Des noisetiers, des sureaux et des pruneliers sauvages ceinturent le promontoire où nul n’ose s’aventurer. Les épouvantables cris qui s’élèvent de la porte de pierre préviennent toute curiosité. Les hurlements rappellent les protestations de terreur du porc mené au boucher. Pourtant Gerry gravit la pente.

-« On me tue, on m’arrache à moi-même ! Qui aura pitié d’une pauvre pelisse de blaireau ?

- Mais veux-tu bien te taire, vilain carcajou ! Ta concupiscence n’est-elle pas responsable de tes douleurs ?

- Est-ce ma faute, si Grimberthe ma compagne s’est réfugiée sous les genêts épineux ? »

Une sauvageonne se penche avec sollicitude mais fermeté vers le malade qui prétend souffrir le martyre et se plaint sans discontinuer. Maintenant d'une forte poigne le blaireau tapageur, la jeune femme retire une à une, avec énergie et dextérité, les épines de genêts plantées dans le dos et le derrière du patient. Des boucles auburn encadrent son long visage ovale d'une grâce elfique. D'audacieuses tresses sophistiquées domestiquent sa longue crinière rebelle. Sa pâleur se rehausse de mille taches de rousseur qui scintillent comme des lucioles brunes un clair soir d'été. Ses yeux de félin en amande, d'un azur profond et hypnotique, se posent sur Gerry qui, figé par le charme, remarque à peine les longues oreilles pointues et mobiles de la fille.

La jeune femme et le Hobbit se contemplent interdits un long moment. Gerry entend le feulement du lynx de Dorthonion  lorsque le monde était jeune, chantant la liberté des monts enneigés ou rôdant dans les profondes forêts. L’appel du fauve s’élève, impérieux et vital, mais le Hobbit ne discerne pas si l’injonction pousse à tuer pour nourrir les petits ou s’unir à la femelle pour en produire de nouveaux. Lorsqu'Avacuna scrute le Hobbit, chacun de ses mouvements évoque irrésistiblement la grâce limpide et la souple force du félin en maraude. Elle se meut en silence, perchée sur la pointe de ses longs pieds nus, couverts d’une fourrure beige, et dont seuls les orteils, musculeux et dotés de griffes acérées, adhèrent à toutes les surfaces sans y laisser la moindre trace. Sa tunique de lin clair semble refléter les lumières et les couleurs alentours, s'harmonisant avec les tons fauves de la chevelure d'Avacuna lorsqu'elle s'échauffe, ou se fondant aux teintes forestières lorsqu'elle s'y coule avec nonchalance. Son visage aux aguets trahit à chaque instant le prédateur, particulièrement lorsque tressaillent ses longues oreilles au panache de poils sombres, ou que frémissent ses courtes moustaches.

La sauvageonne contemple l’enfant-Homme avec la concupiscence mêlée du prédateur et de la femelle en chaleur. Mais son patient, maintenu par une implacable poigne, s'impatiente avec véhémence :

- « Allez-vous laisser un pauvre blaireau souffrir les cents morts avant de le soulager ? »

Avacuna, comme fouettée par cette égoïste ingratitude, se tourne hargneuse vers le patient immobilisé :

-« As-tu idée des souffrances de dame blaireau lorsqu'elle enfante du fruit de tes empressements ? Souffre donc encore un peu, toi qui n'hésitas pas à la poursuivre de tes assiduités jusques aux buissons de genêts épineux ! »

La jeune femme reprend derechef son œuvre, arrachant tout à la fois des cris de douleur et les longues épines qui en sont la cause. Lorsqu’elle a terminé, elle pose sur le dos de l’animal un cataplasme de feuilles enduites d’un baume collant. Ses yeux magnétiques se posent à nouveau sur Gerry :

- « Trop souffrir rend aigre, pas assez, niais.  Quelle est votre souffrance, enfant des mortels ? »

Gerry a repris le contrôle de ses sens et la maîtrise de la rhétorique Hobbite :

- La plupart des Hobbits souffrent de niaiserie tout autant que d’aigreurs d’estomac. Puissiez-vous en déduire que nous avons trop souffert pour négliger les plaisirs, mais pas suffisamment pour en craindre le manque.

La jeune fille lève un sourcil ravi – ce jeune Hobbit manie le paradoxe avec grâce ! L’étincelle de désir fauve que Gerry entrevoit dans ce regard lui noue quelque peu l’estomac. Mais Avacuna le saisit par le coude, lui sourit aimablement et s’éloigne en sa compagnie, adoptant le ton badin du Hobbit et abandonnant Grimbert à ses récriminations.

La porte de l’alcôve se referme sur Gerry qui, fasciné, ignore encore s’il finira émerveillé ou dévoré… 

Laisser un commentaire ?