La première Eve

Chapitre 9 : Les hommes, les anges, les vautours

5983 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/04/2019 14:42

Chapitre 9 : Les hommes, les anges, les vautours


CHLOÉ

Chloé était étalée comme une étoile de mer en travers de son canapé, lorsque son téléphone s'était mis à sonner. Elle n'avait dû dormir que quelques minutes à peine, mais avait l'impression que cela faisait plus longtemps, parce qu'elle était au beau milieu d'un rêve des plus étranges concernant… Lucifer. Elle gémit un peu et sa main chercha à tâtons l'appareil sur la table basse. Ses yeux clignant péniblement sur l'écran lui apprirent qu'elle avait raté quelques appels surprise d'Ella. Durant quelques secondes, elle avait craint (ou peut-être espéré) que cela ait pu être Lucifer lui-même qui avait cherché à la joindre, mais ce satané baratineur aurait deviné en moins de trois allusions qu'elle était en train de rêver de lui…

Un sentiment étrange pesait sur sa poitrine. Même s'il n'était pas aussi torride que le rêve des « poignées d'amour », il n'en restait pas moins qu'il s'agissait d'un songe un peu trop réel, trop profond et presque dérangeant sous son apparente simplicité. Elle ne reconnaissait pas l'endroit où elle se trouvait, et savait juste qu'elle se tenait debout près de son partenaire (et tous les deux entièrement habillés). Elle le regardait avec une avidité anxieuse qu'elle n'avait pas ressentie depuis sa fuite à Vegas. Peu importait le lieu, elle ressentait juste le besoin dévorant de l'avoir tout contre elle, front contre front, désespérément proche au point que leur peau même en devenait une barrière insupportable. Et ce sentiment menaçait à chaque instant de la submerger. Elle se voyait glisser furtivement un bras autour de sa taille, presser de ses doigts incrédules le tissu de sa chemise sous laquelle elle sentait sa chaleur, en un geste qui déclarait publiquement à la face du monde : il est à moi !

Bien sûr, Lucifer était égal à lui-même, irradiant d'un impossible sex-appeal, tout sourire en la regardant faire de ses prunelles surprises et ravies – et où tremblait peut-être une infime petite touche de… préoccupation ? « Et bien et bien, lieutenant, vous connaissez l'expression 'telle mère, telle fille' ? Je ne suis pas du genre à me plaindre quand ce sont vos doigts exempts de chocolat qui s'égarent sur moi mais… je vous trouve un tantinet plus tactile aujourd'hui, non ?… »

Confuse, elle s'entendait faire une remarque vraiment stupide sur sa chemise incomparablement douce. Il avait alors murmuré avec un clin d'œil espiègle : « Très chère, considérez-vous pleinement autorisée à piller mon dressing autant qu'il vous plaira… Je suis persuadé que vous seriez tout à fait délicieuse dans l'une de mes chemises avec pas grand-chose en dessous… »

Puis, elle réalisait qu'elle posait ses mains sur son torse avec un terrible sentiment d'urgence, à la recherche d'un gilet pare-balles. Enfin, elle pressait sa joue sur son épaule en se laissant aller contre lui, toute à son soulagement, comme si ce simple geste était tout naturel, simple et sans complication. Et tellement agréable… Sa chaleur, le parfum de son après-rasage, le poids de ses bras abasourdis autour d'elle qui l'étreignaient prudemment. Oh Seigneur ! Est-ce que ça y était ? Est-ce qu'elle venait d'être enfin rattrapée par sa séduction galopante qui l'avait transformée en l'une de ses groupies dociles qu'elle méprisait tant d'habitude ?...

A présent qu'elle était réveillée, elle était stupéfaite parce que d'habitude, les rêves ne mentaient pas. Ils étaient censés être très directs et sans hypocrisie. Exprimer les vrais désirs. Tout comme le petit tour de magie personnel de Lucifer qui clamait pourtant qu'il "n'était pas un Jedi". Pourquoi être soulagée qu'il ne porte pas de gilet ?

Qu'est-ce que ça signifiait ? Qu'elle avait subi une ablation du cerveau pendant son sommeil ? Qu'en dépit des coucheries innombrables du fêtard mondain, elle était fatiguée de rester sur le banc de touche, dans la sécurité d'une relation amicale ? Qu'elle voulait être « plus proche » de lui malgré ses facéties irritantes ? Elle se passa une main lasse sur le visage. Oh, non. Se pouvait-il qu'un vieux fond d'adolescente jalouse en elle, ait pris les commandes face à cette prétendue sœur ?

Allez, arrête un peu de faire l'autruche, ce n'est pas sa sœur. Pour l'amour du ciel, tout le monde a compris en une seconde que ça n'a jamais été qu'un coup d'un soir mais bien une ex… C'est pour ça qu'il t'a demandé à la dernière minute de jouer les petites-amies : pour essayer de savoir où vous en étiez tous les deux exactement. Et c'est pour ça aussi que tu as peur qu'il renonce à votre partenariat, maintenant que tu l'as envoyé promener. Il s'est lassé de ton indifférence et il remet le couvert avec une ancienne. Bien fait pour toi !

Elle fit claquer sa langue de colère parce que c'était le genre de déclaration brutale que sa mère aurait pu lui servir. Pourtant à quoi bon avoir le moindre regret ? Si le divorce lui avait appris quelque chose, c'était qu'un homme ne changeait pas pour vous. Avec eux, c'était à prendre ou à laisser.

Inclinant sa nuque douloureuse en fourrageant machinalement dans ses cheveux défaits, elle rappela en tâchant d'avoir l'air au minimum professionnelle.

— C'est Decker, tout va bien Ella ?

— Salut Chloé. J'espère que je ne t'ai pas tirée d'un bon bain moussant et bougies parfumées ?

— Oh, tentatrice !… j'avais carrément oublié que je pouvais faire ça et j'en aurais bien envie maintenant… Mais non, j'étais en train de repasser le dossier de l'affaire car nous n'avons pas de pistes et ça me préoccupe.

— Ah ? Du coup, je me sens un peu coupable de te poser la question mais puisqu'on parle de ça… j'ai retrouvé l'infirmière dans un bar en ville…

Le ton de voix de Chloé se refroidit un peu, comme elle prenait pourtant des accents plus maternels pour lui faire la leçon :

— Ella, tu sais bien que tu ne peux pas sortir avec un témoin pendant la durée de…

— Mais je sors que dalle ! J'essayais juste d'échapper à Charlotte Richards, mais cette fichue avocate flippante ne me lâche pas d'une semelle et m'a retrouvée quand même !

— Charlotte Richards sort avec des filles maintenant ? J'imagine que Dan aimerait être au courant, ça éclairerait peut-être sa lanterne…

— Arrête de me taquiner ! L'infirmière m'a raconté que des types l'avaient suivie depuis le moment où elle avait quitté le travail et qu'elle les avait retrouvés devant chez elle. Elle a commencé à paniquer et m'a appelée. J'ai essayé de lui expliquer que ça pouvait être des collègues en civils… Peux-tu quand même vérifier que le commissariat a bien mis deux hommes sur le coup ?

Chloé fronça les sourcils. Merde. Elle avait complètement oublié ça.

— Ella, je vérifie et je te rappelle. Parce que je me souviens que c'était mon intention mais je ne me vois plus transmettre le formulaire… Peut-être que Pierce l'a vu sur mon bureau, l'a signé et transmis lui-même… Il est sous pression avec cette affaire.

— D'accord, parce qu'elle est sur le point de se prendre une chambre quelque part…

Elle lui réclama cinq minutes. Cela ne lui prit pas longtemps pour avoir l'équipe de nuit qui lui confirma que le formulaire était toujours sur son bureau et sans le visa du capitaine. Donc c'était une très officielle étincelante nouvelle piste. Si quelqu'un, à part la police, s'était mis à suivre Maryam Naaji, Chloé devait savoir qui et pourquoi. C'était peut-être la première preuve tangible que le témoin avait attiré l'attention de la meurtrière.

Elle rappela la légiste pour la mettre au courant et lui demander l'adresse. Puis elle attrapa son blouson, son badge et son arme avant de quitter son appartement pour grimper en voiture en toute hâte.

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Assise au volant, elle hésita sur la marche à suivre. Fallait-il qu'elle prévienne qui que ce soit ? Dan était chez ses parents avec Trixie, Lucifer était à l'hôpital avec sa sœur, Pierce se reposait probablement chez lui. Elle opta néanmoins pour un simple texto à son attention ; juste au cas où quelque chose tournerait mal, il valait mieux que quelqu'un sache où elle était.

« J'ai peut-être quelque chose sur l'infanticide. Je vous tiens au courant si j'ai du nouveau. »

Sa réponse quasi instantanée la prit au dépourvu : « N'y allez pas sans votre partenaire. »

C'était assez attentionné de sa part. Un peu sec, comme d'habitude, mais bon…

« Il n'est pas disponible pour l'instant. »

« Je ne veux pas le savoir. Allez-y avec Espinoza ou qui vous voulez, mais pas seule »

« Pas la peine. Je fais juste un saut chez l'infirmière, je pense que je peux gérer ! »

Elle jeta son appareil à côté d'elle sur le siège passager et referma sa portière. Juste au moment où elle bouclait sa ceinture, son téléphone se remit à sonner et elle vit le nom du capitaine clignoter dans la lumière. Elle ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel et se résigna à prendre l'appel pendant qu'elle s'insérait sans heurts dans la fluidité de la circulation nocturne.

— Decker ?

— Capitaine.

— Qu'est-ce que vous allez faire exactement chez le témoin ?

— Il y a des hommes qui l'ont suivie depuis l'hôpital jusque chez elle. Ça peut être relié à l'affaire ou pas du tout, car comme vous l'avez peut-être remarqué, Mlle Naaji pourrait avoir des gars qui la suivent pour bien d'autres raisons qu'un super méchant lui envoyant ses sbires pour l'empêcher de parler…

Elle ne pouvait certes pas savoir combien cette dernière affirmation le faisait presque frissonner d'excitation. Un super méchant ? Oui, c'était probablement ce qu'il était. C'était la seconde fois qu'il la voyait deviner la vérité au pifomètre. Après tout, il l'avait peut-être totalement sous-estimée et depuis le début. Peut-être que c'était plus que de l'instinct. Peut-être que Morningstar n'était pas le seul atout de leur tandem, ce qui aurait expliqué bien des succès.

— Mhh, compris. Donnez-moi l'adresse et je vous rejoins. Je ne suis peut-être pas au mieux de ma forme mais je peux toujours avoir un effet assez dissuasif sur les voyous.

Dissuasif ? Elle hocha la tête pour elle-même. Le roi du dissuasif ! Son regard froid, ses mâchoires et ses poings serrés, ses chouettes biceps… L'homme d'acier ? Si quelqu'un pouvait se gagner ce surnom, c'était sûrement lui !* Pourtant, elle tenta de refuser son offre.

— Capitaine, vous n'êtes même pas en ville… Ne vous en faites pas, je ne serai pas seule : Ella et Charlotte sont déjà là. Je vous assure que nous sommes parfaitement capables d'être assez dissuasives nous-mêmes, et dans le cas contraire, mon arme de service fera parfaitement l'affaire. Je sais faire pleurer les grands garçons avec ce joujou braqué sur leurs zones sensibles.

Pris par surprise, Marcus laissa échapper un petit rire bref et elle entendit son sourire incrédule dans le combiné.

— Oh non, Decker, ne me faites pas rire, ça me fait toujours mal… D'où est-ce que vous me sortez cette réplique atroce ?

— L'Exterminateur IV, je crois. Écoutez, je suis désolée mais je dois raccrocher. Vous savez bien qu'un officier de police pourrait me coller une amende parce que je téléphone au volant…

— Vous n'auriez qu'à m'envoyer la facture… Je crois que je connais quelqu'un qui pourrait vous arranger ça…

Marmonnant un bref au revoir, Chloé laissa tomber le téléphone comme s'il lui avait brûlé les doigts. Ce dernier échange verbal s'était fait sur un ton suave et passablement dragueur. Oh pitié ! Est-ce qu'elle avait perdu l'esprit ? Qu'est-ce qui se passait enfin ? D'abord ces rêves sur Lucifer et maintenant elle se mettait à draguer son patron ? Mauvaise fille ! Au fond d'elle, elle pouvait presque entendre Maze la taxer moqueusement de putain de bonne-sœur depuis son divorce… Elle déglutit et repoussa énergiquement ces pensées malvenues.

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Elle se gara non loin de l'entrée du bar. Sous son enseigne « Georges de la jungle », Ella l'attendait en sautillant sur place pour se réchauffer. Dans son jean étroit et son blouson aviateur, elle avait l'air assez heureuse de la voir arriver enfin. Elles s'engouffrèrent à l'intérieur immédiatement. L'endroit était petit, accablé par une thématique de forêt tropicale ridicule, et il y faisait presque aussi chaud grâce aux spots impitoyables… Pas loin d'un faux tronc d'arbre, Chloé repéra Charlotte et l'infirmière, assises à une table. L'élégante belle-mère de Lucifer avait l'air complètement déplacée dans un tel environnement. Ella était en train de déclarer que l'avocate avait dû coller un mouchard dans son téléphone pour arriver à la retrouver dans un endroit pareil.

Chloé garda son sourire pour elle et alla les saluer. Elle fit répéter son histoire à l'infirmière et confirma que c'était une bonne idée de ne pas retourner chez elle, en tous cas pas avant qu'on en sache plus sur ces deux hommes.

— C'est grand chez moi, proposa aussitôt Charlotte. Si on ne peut pas mettre Mlle Naaji sous protection policière avant quelques heures, je pourrais l'héberger le temps de faire les papiers. En plus j'ai un système de sécurité dernier cri…

— Ce serait vraiment aimable Charlotte, mais vous n'êtes pas obligée…

— S'il vous plat, ce n'est rien pour moi mais pour votre témoin, c'est différent…

— Eh bien, merci beaucoup, vraiment. Mlle Naaji, vous resterez chez notre avocate pendant que j'envoie une patrouille chez vous et que je vérifie si l'endroit est sûr. Tâchez de rester calme. Si ces hommes sont envoyés par la meurtrière, nous ne vous laisserons pas tomber.

— Soyez très prudente, madame, conseilla l'infirmière, hésitant à en dire davantage sur ce qu'elle pressentait.

— Je le suis toujours. Ella ? Je suppose que tu viens avec moi ?

La petite jeune femme brune opina très vigoureusement ce qui arracha un sourire à Chloé.

— Ok, on y va.

Soudain, l'inspectrice se sentit bien mieux, et on ne peut plus réveillée, parce qu'elle avait au moins quelque part où aller et quelque chose à faire. Même si cela ne menait nulle part, la normalité de cette routine la rendait plus confiante.

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MAZIKEEN

— Alors, tu l'as trouvé, Maze ?

Dans son nid d'amour dévasté et à moitié enseveli sous des atrocités puantes, Lucifer avait l'air un peu fâché ou tout au moins, bouleversé. Mazikeen ne savait pas trop bien. Il était en train de regarder les chiens de l'enfer morts, figés dans des postures bizarres, chouinant sans fin sur le fait que l'endroit était foutu. Pour une fois, elle était bien d'accord avec Amenadiel qui haussait les épaules en ronchonnant que ce n'était pas comme si le Diable n'avait pas les moyens de se payer des dizaines de maisons comme celle-ci.

La démone ferma les yeux dans une piètre tentative d'ignorer leurs vains babillages, faisant appel à tout son pouvoir pour détecter non pas l'ange qui sentait bizarre mais bien sa mère. Sa trace dans l'éther était presque aussi tonitruante que celle de Lucifer, c'était tout dire.

— Je pense qu'ils sont retournés en ville. Probablement au LUX.

— Au LUX ? gronda Lucifer. Si elle détruit MON penthouse, je jure que mon pied à son joli petit cul la renverra direct en Enfer !

Le ton de Maze fut sarcastique et amer, malgré elle.

— Sans déconner ?!

Lucifer tourna son regard sombre sur elle et il devint évident qu'il était en train de lutter contre une émotion. Mais déchiffrer Lucifer n'était plus son privilège exclusif depuis qu'elle vivait avec Decker et sa gosse. Maintenant, elle avait un travail et une vie à elle. Des amis à elle – même si c'était souvent les mêmes que Lucifer… Pourtant ces deux anges, là devant elle, continuaient à la traiter sans respect. Tout au moins, pas comme elle pensait devoir l'être. Linda lui avait conseillé de se tenir à distance de toute forme de ressentiment et de commencer à vivre pour elle-même plutôt que pour les autres. Et par les autres, elle voulait dire Lucifer.

En essayant de trouver de nouveaux objectifs et de nouvelles motivations à sa vie, elle avait entendu parler d'une vieille affaire. Celle d'un fugitif célèbre impossible à attraper depuis plusieurs années. C'était très loin dans le nord et elle avait envie de rouvrir ce dossier. En ce qui concernait la démone, mettre des milliers de kilomètres entre elle et les anges convenait parfaitement en termes de « distanciation ».

Pourtant, la façon dont Lucifer donnait calmement ses ordres, en élevant à peine la voix, suscitait le doute en elle. Elle le lorgna langoureusement avec un lourd pincement au cœur teinté d'excitation et de nostalgie. Une fois disparu l'Ange qui venait d'Ailleurs, Lucifer était revenu à une humeur plus sombre et cela la faisait frissonner de partout. Et découvrir qu'il avait tué tout seul tous ces chiens immondes avait fait chanter ses os jusqu'à la moelle. Sauvage et impitoyable, son bon vieux Satan avait été de retour pendant quelques instants... Dommage que ce soit l'œuvre de sa mère ! Elle-même avait essayé pendant des mois de capturer la moindre petite étincelle de la belle créature féroce qu'il était il y a bien longtemps, lorsqu'il avait atterri brutalement dans les cendres de l'Enfer. Ce massacre confirmait qu'il n'avait pas tellement besoin d'elle…

Les frères enquiquinants se disputaient encore, parlant de « responsabilités » et l'agacement de Lucifer était audible quand il répondit d'une voix dangereusement fatiguée :

— Et pourquoi est-ce que tu me dis ça maintenant, mon frère ?

Amenadiel se plaignait de son sort, comme d'habitude. Elle pensa qu'elle pourrait s'épargner l'ennui de leur dispute en ne les écoutant pas du tout mais le nom de Linda émergea soudain de leur blabla.

— Parce que tu me laisses toujours nettoyer ton bordel après toi ! Par exemple, lorsque tu passes ton temps à te couper les ailes encore, et encore ! La dernière fois, Linda a dû m'aider !

— Linda ? Mais par l'Enfer pourquoi l'as-tu laissée faire ?!

— Parce qu'elle est têtue. Et qu'en plus… c'était bien d'avoir de la compagnie et quelqu'un à qui parler. Ce n'est pas une tâche plaisante…

— Parfait ! Je ne les couperai plus ! T'es content ? Maintenant, ouste, dehors tous les deux ! Je ne suis pas sûr de pouvoir toujours créer des flammes infernales puisque mon vrai visage se dérobe toujours.

Des flammes infernales ? Oh oui ! Des vagues de plaisir anticipé donnèrent la chair de poule à la démone. Toutefois, après quelques secondes de félicité, elle se croisa les bras et fronça les sourcils. Pourquoi ? C'était nul. Amenadiel avait dû la contaminer avec son côté rabat-joie.

— Peut-être que tu ne devrais pas créer de flammes éternelles ici. Si des pompiers étaient blessés en essayant de les éteindre en vain, les mortels deviendraient plus curieux de ce qui s'est passé… Ce n'est pas dur de trouver que cette maison était à toi… Pourquoi je ne ferais pas juste sauter le gaz dans la cuisine, comme pour un accident domestique ?

Les yeux impatients de Lucifer virèrent au rouge vibrant et elle déglutit. Ça lui faisait encore tellement d'effet. Il claqua des doigts deux ou trois fois et imitant la forme d'un revolver avec sa main, son index se mit à cracher une petite flamme d'un bel orange surréaliste. Il sourit d'un air éminemment content de lui puis souffla dessus comme sur le canon d'un flingue.

— C'est comme le vélo… Mais tu as raison, Mazie. Faisons sauter ces hideux cadavres et rentrons au LUX. J'espère que Lilith n'a pas fait trop de mal à mon malheureux frère étranger… Pour une fois que j'en trouvais un de sympa !…

— Hey, je t'entends là ! râla Amenadiel toujours insensible à la taquinerie.

Lucifer l'ignora superbement, se pencha pour recueillir le petit lapin noir et se remit à caresser irrésistiblement son dos rond. L'animal plissa les yeux de contentement, ce que Maze considéra avec la plus grande incrédulité.

— Lucifer ! Qu'est-ce que tu fous ? T'as perdu la tête ? Il faut le laisser là lui aussi : Jeannot Lapin doit mourir !

Le Diable le serra protectivement contre sa poitrine en se retournant à demi, comme pour lui faire barrage de son corps.

— Mais pourquoi ? Non ! Bien qu'en général, je préfère les lapins de Hefner**, le lapin de l'Enfer n'a rien fait de mal ! Il est inoffensif et puis… j'aime bien son pelage doux.

Pendant un bref instant, Maze revit l'image de Chloé en train d'expliquer patiemment à sa fille qu'elle ne pouvait pas garder le bébé renard qu'elles avaient trouvé dans le parc. Peut-être que ça pouvait servir si elle répétait quelque chose du même genre ? Elle arqua un sourcil.

— Il est inoffensif pour l'instant. Mais quand il grandira ? J'ai vu un documentaire avec Trixie sur des démons. Si tu les nourris après minuit, ils se transforment en maniaques très moches qui détruisent tout autour d'eux… Et j'ai pas l'impression que c'est toujours le genre de truc qui t'amuse encore.

— Allons, sérieusement, les Gremlins, maintenant ? Et ça sera quoi la prochaine fois ? Le Grinch ? Ils n'existent pas vraiment, Maze… De toute évidence, Monsieur Mignon n'est pas dangereux. Il ne mange que le bois et les fils électriques… Donc si on met de côté un « court-circuit géant qui a fait sauter la maison », il n'a rien fait de mal, pas vrai ?

Il sourit comme un gamin quand il toucha le nez rose du bout de son doigt, de la même façon qui mettait Chloé en colère quand il lui faisait la même chose.

— Regarde-moi ce joli petit nez qui se fronce… Comment se fait-il que j'ai envie de l'embrasser constamment ?

Inquiétée par son comportement bipolaire, Maze rechercha l'appui d'Amenadiel pour lui faire entendre raison, mais ce dernier avait l'air tout aussi atterré qu'elle. Ouvrant les bras en signe d'impuissance, il leva les yeux au ciel avant de lâcher la triste vérité :

— Parce que ton "petit gars" est une femelle ! Crois-moi, après plusieurs siècles, j'ai vu assez de lapins de Pâques pour en être sûr.

— Oh, c'est tellement prévenant de ta part de continuer à fêter la prétendue mort de notre demi-frère…***

— Ok vous deux, fermez-la ! coupa Maze. Lucifer, rappelle-toi simplement que je t'aurai averti contre tout ce qui peut provenir de ma mère.

— Et est-ce que tu fais partie du lot ? demanda le Diable d'un ton badin, avant de se remettre à roucouler des niaiseries à la petite lapine dans ses bras.

Maze haussa encore les épaules et leur indiqua la sortie d'un mouvement de bras sans équivoque. Puis elle marcha jusqu'à la cuisine où elle trouva des allumettes dans une boîte neuve, bien rangée dans un tiroir. Elle jeta un dernier coup d'œil sur les somptueux placards aux portes de bois précieux, caressa le marbre du plan de travail et le poli argenté de l'électroménager en inox. Puis elle prit une allumette qu'elle alluma en la faisant craquer avec une satisfaction lente.

— C'est probablement plus sûr de se dire que oui, répondit-elle à mi-voix avant de la jeter dans le four ouvert.

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.°.

LILITH et CASTIEL

Lilith atterrit sur le balcon du penthouse et laissa tomber lourdement son « goûter » sur le sol. Pourtant, Castiel ne perdit pas un instant et se releva tout de suite, déjà prêt à la combattre. Il n'avait pas du tout oublié la raison initiale de sa venue dans ce monde. Si cette Lilith était un ange, il pouvait aussi lui soutirer un peu de sa grâce. Après tout, comme il l'avait dit à Lucifer à son arrivée, n'importe quel archange ferait l'affaire. Elle devait bien en être une.

Sa lame fermement brandie, il s'élança rapidement pour venir bravement au contact physique direct et la plaqua violemment sur le premier mur à portée. L'immobilisant avec force, il inclina sa tête d'une main et pratiqua une estafilade à sa gorge pour laisser échapper le fluide éthéré de sa grâce. Contre lui, elle ne résistait pas, presque curieuse de son comportement qu'elle épiait par ses yeux luisants entre deux respirations rapides. Au fond de la poche de son imper, Castiel récupéra un petit flacon pour y déposer la grâce, mais quand il releva les yeux pour regarder son cou, il ne vit qu'une ligne fine déjà refermée où perlait une simple goutte de sang.

Il ne s'attendait pas à ça et cligna des yeux de confusion.

— Quel est ce petit jeu érotique ? demanda-t-elle d'une voix plus rauque. Personne n'a jamais osé me faire une telle chose en espérant s'en tirer vivant mais… c'est étonnamment excitant, en fait. C'était quoi le plan ? Justifier un suçon passionné dans mon cou ?

— Tu n'as pas de grâce… Mais comment est-ce poss…

Face au rire inattendu de Lilith, l'ange brun recula instinctivement d'un pas.

— Tu trouves que je n'ai aucune grâce ? On va vérifier ça mais… ce serait bien une première !

Ses mains audacieuses se faufilèrent jusqu'à la ceinture de la robe de chambre en éponge qu'elle portait toujours, et qu'elle défit en ouvrant les pans du vêtement. Castiel faillit s'étrangler en le voyant tomber en tas souple à ses pieds. Elle ne portait rien en dessous et il se figea en rougissant cinquante nuances de pivoine, tournant hâtivement ses yeux bleus ailleurs.

— Je… je ne voulais pas parler de… ça… réussit-il à dire en gardant fermement le regard fixé par terre.

— Alors de quoi voulais-tu parler ? demanda-t-elle d'une voix trop douce.

— S'il te plaît, rhabille-toi.

— Tu n'aimes pas ce que tu vois ? insista-t-elle avec un léger étonnement.

— Ce n'est... pas la question…

— Alors dans ce cas, grand timide, pourquoi ne viens-tu pas un peu là te gorger de mes délices ?

Les yeux plissés, Castiel battit prudemment en retraite face à son sourire amusé. Ça avait tout l'air d'un piège. Mais comment pouvait-il se sortir de cette situation mortifiante ? Elle essaya de s'approcher et il recula encore, jusqu'à sentir très bientôt la rambarde de sécurité dans son dos.

— C'est que… je suis un ange du Seigneur ! Je ne pratique pas ce genre… d'activité. Nous ne sommes pas supposés nous accoupler avec des gens, et encore moins nos frères et sœurs ! C'est interdit !

— Est-ce que tu as vraiment l'impression que je suis ta sœur ? le provoqua-t-elle gentiment en tournant lentement sur elle-même pour se laisser admirer sous toutes les coutures.

Les paupières à demi-fermées tout en essayant de ne pas béer trop ostensiblement, Castiel se décida soudain et arracha son trench de ses épaules ce qui la fit sourire davantage.

— Ah, tu commences à devenir plus obéissant, c'est beaucoup mieux…

Puis, l'enserrant par derrière dans ses deux bras en un simulacre de geste tendre, il la couvrit de son manteau dans le même mouvement et il dit à son oreille en tâchant de le faire sonner comme une menace :

— Enfile ce fichu manteau, et ne me le fais pas dire deux fois ou tu recevras la fessée de ta vie ! Et ne crois pas que je n'oserai pas : j'ai appris avec le meilleur !****

A sa surprise, Lilith ne put retenir un rire cascadant qui la secoua de spasmes. Elle se laissa peser contre lui en confiance, recouvrant ses mains qu'il avait croisées autour de son ventre.

— Oh, tu es tellement drôle !

Comme pour une étreinte amoureuse, elle resta un instant debout ainsi pendant une longue minute embarrassante. Elle sentait ses deux bras passés autour de sa taille mince et reposait sa nuque à son épaule, en respirant lentement pour tenter de se calmer. Puis dans un triste murmure, pendant qu'elle caressait distraitement le dos de ses mains, elle demanda de façon inopinée :

— Comment quelque chose d'aussi doux peut-il est être interdit ?

Il répondit dans un humble chuchotement un peu tremblé :

— Je ne suis pas du genre à discuter les ordres de mon Père.

Elle opina d'un sourire entendu, comme si la réponse ne la surprenait pas vraiment.

— Même quand ils sont cruels ?

Levant un peu la tête, elle butina doucement le long de sa mâchoire. Il avait tout comme Samael une barbe naissante. Au début, elle avait pensé qu'elle n'aimait pas mais… elle n'en était plus si sûre maintenant. Cet ange ne ressemblait pas aux autres qu'elle avait connus à la Cité d'Argent. Il était fort et pourtant timide. Faute d'un meilleur terme, son toucher était ferme et pourtant attentionné. Il était très clairement embarrassé par son manque de vêtements mais elle savait d'instinct qu'il avait déjà tenu une femme dans ses bras après l'amour.

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Après une petite session de rumination, de déglutition et d'autoflagellation pour avoir sur le moment même des pensées tout à fait impures, Castiel ouvrit les bras pour la libérer.

Ce n'était pas la Lilith de son monde. Elle n'était pas une menace directe et il n'avait pas à la gérer. Dépourvue de grâce, elle ne pouvait pas l'aider à accomplir sa mission et il n'avait aucun droit de se mêler de la vie des gens d'ici… Il ne pouvait guère se permettre de rester trop longtemps quand les Winchester et leurs alliés étaient tous en train de chercher les derniers ingrédients qui leur permettraient de sauver la famille et les amis qu'ils avaient laissés dans un autre univers sauvage. Pour l'heure, il lui fallait découvrir si les deux autres anges avaient de la grâce, et dans le cas contraire, peut-être autre chose qui pouvait faire l'affaire. Ça sonnait bien comme un plan B, avant son départ.

— Écoute, il faut que je retourne assez vite d'où je viens. Mais avant je dois trouver Amy et Lucy. Peut-être auront-ils de la grâce ?

— Amy et Lucy ?

— Oui, l'ange noir et Lucifer. Je les ai entendus se donner des diminutifs…

— Évite de le faire devant eux si tu n'envisages pas de mourir : ils sont très susceptibles sur la façon dont ils veulent être appelés… mais ça te donne un côté malicieux et suicidaire que j'adore. Quoi qu'il en soit, tu n'auras pas à patienter longtemps, ils sont en train de rentrer ; en voiture parce qu'Amenadiel ne peut plus voler. Tu veux attendre avec moi et discuter, ou me donner un héritier pour Lucifer ?

— Je n'ai rien contre la conversation… mais tu devras mettre des vêtements décents, marchanda-t-il. Et en ce qui concerne ta… hum… seconde proposition, je vais décliner.

— T'es pas drôle !

— Drôle et pas drôle à la fois. Toute l'histoire de ma vie, répondit-il avec un discret sourire en fourrant ses mains boudeuses dans ses poches. En plus, j'ai déjà plus ou moins élevé le fils de Lucifer...

— Qu'est-ce que tu dis ?!

La question ne venait pas de Lilith mais de Lucifer qui venait juste d'arriver au son d'un flap ténu. Ses yeux noirs étincelaient et il repliait ses larges ailes blanches luminescentes dans un mouvement fluide des épaules. Castiel dut admettre que cette vision était frappante, remuant quelque chose au fond de sa poitrine et dans ses tripes. Quelque chose qui lui rappelait terriblement la maison.

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LUCIFER

— On dirait que j'ai plutôt bien fait de ne pas prendre la voiture… commenta le maître des lieux.

Allongeant le pas jusqu'à son bar pour se verser une rasade bien méritée de l'alcool le plus fort que la Terre ait jamais porté, Lucifer enregistra au passage le vilain cache-poussière sur les épaules réticentes de Lilith. Tout comme l'attitude penaude de son invité dont la cravate relâchée pendait selon un angle coupable. L'ange avait l'air renfrogné dans son costume froissé. Pauvre petit. Elle avait dû lui faire le bon vieux coup de la femme nue. Oups ! Comme je suis maladroite, ma robe est tombée toute seule… Il connaissait la chanson.

Pourtant le Diable était surpris et heureux de le voir toujours en vie et apparemment intact. Avec elle, ça n'arrivait pas souvent. Personne ne pouvait résister facilement à Lilith, pas même lui. Bon d'accord peut-être Amenadiel, parce qu'il avait un balai dans le cul et tout ça, mais sinon… Lucifer descendit son verre d'un seul coup, se resservit et en versa un troisième qu'il apporta à l'ange.

— Mais ne t'arrête pas en si bon chemin, mon cher. Tu disais que chez toi, j'avais réussi à engendrer un rejeton ?

Castiel cligna des yeux deux fois sur le verre, hésitant à accepter la boisson offerte. Après un coup d'œil sur Lilith nue dans son manteau, cette vision sembla le décider et il l'accepta. Lucifer se mit à sourire largement en voyant la tête que faisait son frère inconnu lorsque le liquide lui coula dans la gorge.

— Qu'est-ce que cette boisson infernale ? toussa la victime dans un gargouillement et les larmes montées aux yeux.

— Oh pitié ! Ne me dis pas que tu ne bois que des Cosmos…

— Je ne sais pas. Je prends juste une bière allégée ou deux, de temps en temps…

— Et bien, et bien, et bien, soupira le Diable taquin en l'invitant à s'asseoir près de lui. Je commence à m'inquiéter de l'éducation que tu as donnée à mon fils-de-l'autre-monde si tu ne sais ni comment t'habiller ni boire correctement… Que dirais-tu de tout me raconter sur la façon dont le nephilim est arrivé ? Parce que pour information, je ne peux pas avoir de gamins. Et il faut me croire quand je te dis que ce n'est vraiment pas faute d'avoir essayé !...

.

.

(A suivre)



Notes

* Man of steel (Toujours Superman, promis, j'arrête pas bientôt)

** Jeu sur Hefner/Enfer. Hugh Hefner était le patron du magazine Playboy qui aimait s'entourer des "bunnies" qu'il faisait poser dans son magazine, et dont le costume officiel était un déguisement de lapin (body, serre-tête grandes oreilles et pompon aux fesses).

*** Jésus, évidemment.

**** Celles qui connaissent Castiel auront bien entendu reconnu une référence à une réplique culte « I learnt it from the pizza man ». A ce qu'on sache, Cass n'a qu'un seul porno à son actif (mon Dieu, si Luci savait ça…) où il y avait une histoire de fessée...


Le titre original était Some kind of way outta here, tiré de la première strophe d'All along the whatchtower où Jimmy Hendrix se demande s'il y a une issue (un moyen de sortir, s'enfuir). Le titre français, est tiré de Tout le monde y pense, de Francis Cabrel (Tout le monde y pense, les hommes, les anges, les vautours, y a plus de distances, personne qui ait les bras trop courts. Tout le monde espère, même à l'arrière des arrières-cours, tout le monde veut son billet retour d'amour, d'amour, d'amour, d'amour).

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