La première Eve

Chapitre 11 : Insoutenable vérité et pieux mensonges

7169 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/04/2019 15:20

Bonjour à tous, retardé par des soucis personnels, voici un chapitre plus long pour compenser. Compte tenu du chapitre précédent et de ce qui se passe dans celui-là même, vous auriez raison de penser que Chloé est plus que jamais en danger pour deux raisons différentes, mais on verra ça la prochaine fois...


Chapitre 11 : Insoutenable vérité et pieux mensonges


"C'est bon les mecs, arrêtez de baver là-devant comme des toutous, ça devient gênant. D'autant que je crois bien tu as ta propre version de ce truc, Lucifer."

La moue de travers, Mazikeen adressait des regards furieux aux deux frères angéliques. A son goût, ils n'étaient pas assez rapides à saisir son allusion, comme quoi Lucifer possédait l'équivalent de la grâce que Castiel venait de leur montrer. Elle inclina donc sa tête impatientée vers l'estomac d'Amenadiel qui se mit à le palper dubitativement quelques secondes sans comprendre. Puis, elle lui adressa un regard encore plus intensément mécontent, et brandit dans son poing rapide l'une de ses lames incurvées, sortie de Dieu-sait-où, en guise d'indice. Amenadiel finit par percuter.

L'ombre de ce souvenir dérangeant planait toujours entre eux : cette fois où elle avait choisi de le guérir d'une blessure mortelle en utilisant une plume de Lucifer. En réalité, elle avait plutôt eu l'intention de la conserver pour le cas où Lucifer serait mourant lui-même – parce qu'il agissait comme un débile quand Decker était là (pas que les choses aient beaucoup changé sur ce plan, toutefois). L'idée, c'était d'être prévoyant et prêt au pire. C'était marrant de voir combien les choses ne tournaient jamais comment Maze voulait qu'elles tournent. Le premier ange qui avait été sur le point de clamser directement sur ce canapé avait été le grand frère. De temps en temps, elle regrettait son geste, en se disant qu'elle avait bêtement gâché la précieuse plume pour un si piètre patient. Et quelquefois non. Tout spécialement quand l'intéressé arrêtait de se plaindre et qu'il stoppait le cours du temps pour qu'elle emmène à l'hôpital le plus proche sa seule amie humaine grièvement blessée.

— Elle parle d'une de tes plumes, Luci, clarifia l'ange chauve.

D'une façon très inattendue, ce jour-là, il avait été sauvé par les deux personnes les moins susceptibles de se porter volontaire pour ça.

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Lucifer serait les mâchoires, en plein débat intérieur. Est-ce que son nouvel ami en valait la peine ?

Après tout, sacrifier ses plumes lui coûtait un bon paquet de sa prétendue éternité. Il ne l'avait jamais dit et personne ne savait. Balancer en guise d'excuse que "les mortels ne devaient pas apercevoir le divin dans toute sa gloire" était bien suffisant. Mais les vieux Grecs avaient raison. Chaque cadeau des dieux se payait le prix fort, et plus le cadeau était précieux, plus la note était salée... Que serait-il advenu de lui si quelqu'un avait su que ses plumes avaient le pouvoir de guérir de tout, y compris d'une mort récente, mais en écourtant au passage sa propre vie ? Cela n'avait rien à voir avec sa condition d'archange, mais son premier statut d'Ange de l'Amour Inconditionnel, universellement reconnu comme un puissant guérisseur. Bien meilleur que ce vieux Raffie, pour ce que ça valait. [1]

Le Diable fut sauvé à temps par le gong lorsque son téléphone émit une brève sonnerie. Il lut le message avant de rempocher l'objet et d'annoncer avec un regard meurtrier qui suintait la jalousie :

— J'en suis navré mais tout ceci va devoir attendre ! Chloé est à l'hôpital avec une blessure à la tête. C'est Pierce qui l'a encore sauvée. Il faut que j'y aille. Mazikeen, avec moi. Les responsables vont sûrement vouloir finir le travail et doivent être arrêtés avant d'en avoir l'occasion...

Absolument pas au courant d'une relation que tout le monde avait pris grand soin de ne pas mentionner devant elle, Lilith haussa les épaules et tenta de l'arrêter en s'accrochant désespérément à son bras.

— Attends, Lucifer ! Tu ne vas pas me laisser maintenant ? Quelle importance si un mortel a été blessé ? Ils sont fragiles par nature, tu ne peux pas les protéger contre ça.

Mazikeen laissa fleurir un lent sourire sensuel sur son visage qui trahissait sa victoire. Elle emboîta le pas de Lucifer en ronronnant presque de plaisir :

— Mal supposé, Mère.

Sous le regard stupéfait des trois autres anges, le duo dynamique infernal vida les lieux en utilisant l'ascenseur. Quand ils furent seuls dans la cabine aux lumières chaudes, Lucifer donna un coup dans la paroi, laissant dans le métal trop mou pour lui l'empreinte de son poing rageur.

— Tu te sens mieux ? demanda Maze d'un ton détaché.

— Pas encore, mais bientôt grâce à tes talents, j'imagine...

— Toujours un plaisir...

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.°.

LILITH

Dans l'appartement de Lucifer, Lilith faisait la tête à l'intérieur pendant que les deux autres anges parlaient tranquillement sur le balcon, en l'ignorant ostensiblement. Pendant une petite seconde, elle se demanda si elle s'était rendue invisible sans s'en rendre compte, mais ce n'était pas le cas. Elle essaya de les attirer en se débarrassant de l'imper de Castiel mais de toute évidence, ils faisaient exprès d'éviter de la regarder, en échangeant avec curiosité sur des sujets généalogiques ennuyeux dont elle n'avait rien à faire, en comparant leurs expériences d'anges déchus vivant sur Terre, ou en parlant de leur Père et de Son absence.

Elle haussa les épaules et alla jusqu'au placard où Lucifer conservait des vêtements d'invités pour se choisir une nouvelle robe.

A dire vrai, elle en avait plus qu'assez qu'on la traite comme quantité négligeable. Plus qu'assez de toutes les choses incompréhensibles de ce monde. Tant de règles et d'interdits, et dictés par Lucifer en plus ! C'était complètement dingue ! Où était passée sa fibre rebelle ? Quand avait-il commencé à se préoccuper des humains et à les traiter presque comme des égaux ?

Elle prit une robe sur un cintre et la jeta en travers du lit, hésitant un peu à couvrir sa bienheureuse nudité. Elle regarda les draps avec une impatience brûlante.

Hier encore, son corps était glorieux, et ce soir il n'était plus que misérable et douloureux. Hier encore, Lucifer ignorait tout des naissances et de leur brutalité. En tous cas, elle croyait qu'il en ignorait tout, ce qui n'était malheureusement pas le cas. C'était même l'une des raisons secrètes pour lesquelles il avait mené la rébellion contre son Père.

L'avant-veille, Lucifer et elle se trouvaient juste ici, sur ce lit. Déjà à moitié déshabillé, il distribuait équitablement et par jeu les douces morsures et les baisers apaisants dans son cou lorsqu'il s'était mis à murmurer des avertissements insensés. Tu ne dois pas tuer des gens innocents tant que tu es là, Lilith.

Elle avait attendu quelques secondes, le temps que l'information remonte à son cerveau un petit peu submergé par les électrochocs alléchants que Lucifer commençait à faire naître au creux de son ventre.

— Oh, vraiment ? Ou sinon quoi ? avait-elle soufflé d'un ton légèrement plus aigu.

Ou sinon je devrai te punir.

En général, quiconque essayait de vous faire ce genre de promesse avec une œillade aussi malicieuse perchée au-dessus de lèvres aussi dévouées et expertes, n'était pas réellement pris au sérieux. Elle avait secoué la tête.

— Je sais que tu ne me feras pas de mal, que tu n'en as pas envie... Et en plus, ce sont les ordres de ton Père, mon amour : les pécheurs expieront par là où ils ont péché... Est-ce que je les force à se livrer à l'adoration de mon corps ? Non. Est-ce que je crée moi-même les petites créatures impures qui naissent des adultères et de l'affront à leurs vœux sacrés ? Non...

Elle avait complètement arrêté toute conversation quand les mains aventureuses de son partenaire avaient commencé à parcourir la moindre parcelle de sa peau... Impatiemment, elle l'avait attiré à elle, agrippée à ses épaules, largement ouverte pour qu'il s'aligne à la perfection. Au son enivrant de ses gémissements étouffés, il avait plongé profondément en elle, encore et encore, pour une heure ou peut-être deux, car ils avaient perdu ensemble la notion du temps.

Plus tard, lorsqu'elle avait ouvert les yeux en s'étonnant de son souffle court, elle avait vu de minuscules gouttes de sueur qui faisaient boucler adorablement la racine de ses cheveux à son front. Ses doigts avaient joué dans ses boucles noires et elle avait embrassé tendrement sa tempe. Jamais elle ne pourrait se rassasier de lui, de sa chaleur. Ce n'était que lorsqu'il était niché dans sa matrice avide qu'elle se sentait complète et entière. Lorsqu'il n'y était pas, elle se sentait frigorifiée et vide, avec un amer goût de cendres sur la langue. Il était sien. Cette seule pensée l'étourdissait presque. Quoi qu'elle ait pu essayer pour tenter de l'oublier lorsque son beau météore avait été éjecté du Ciel, rien n'avait fonctionné. Ses bras autour d'elle, sa langue bien trop habile, la lumière aveuglante de ses ailes surplombant ses épaules, ses reins infatigables et ses gestes, tout de lui restait encore gravé au fer dans sa chair, à des millénaires de là.

Et à présent qu'elle l'avait enfin retrouvé ici, qu'osait-il murmurer le nez dans sa gorge palpitante et offerte ?

Tu n'en as peut-être pas conscience, mais si... Tu nous forces à la vénération de ton corps.

Instantanément, elle s'était figée contre lui, repoussant d'une paume inquiète son torse sculpté pour rechercher ses yeux luisant d'une folle attirance et d'extase. Il s'y trouvait aussi quelque chose d'autre qu'elle ne savait pas déchiffrer et le rendait beaucoup plus que séduisant. Quelque chose d'étrange et de rare, lui conférant une touche de... majesté.

Nous ?

Qu'était-il en train de dire ? Qu'il se sentait du nombre ? Qu'il ne lui faisait pas l'amour parce qu'il le voulait mais parce qu'il s'y sentait contraint ?

A l'instar de n'importe quelle autre femme, elle y fut sensible et s'était sentie comme giflée au visage à la pensée qu'il puisse être seulement en train de céder à la plus vieille attraction de l'univers, le désir, qu'il connaissait si bien, mais sans réellement éprouver un quelconque sentiment pour elle... Non. C'était impossible. Il avait toujours été celui qu'elle attendait. Le seul et l'unique, à se dresser contre son Père parce qu'il l'aimait plus que tout...

Avec un léger tremblement inquiet dans la voix, elle avait demandé si elle avait tout gâché entre eux quand elle avait pris d'autres amants, après son brusque départ pour l'Enfer.

Je n'ai rien dit de tel.

Pendant un moment pourtant, il l'avait immobilisée durement sur le lit et avait réclamé sa bouche de ses lèvres féroces. Impitoyables et fières, elles avouaient sans honte leur besoin et la faim qu'elles en avaient.. Un plaisir infini avait bien vite déferlé sur elle. Baignée dans son incroyable lumière sous un bouclier de plumes, elle avait atteint la jouissance en criant encore son nom, les yeux littéralement pleins d'étoiles.

Plus tard encore, elle l'avait enveloppé douillettement dans ses propres ailes noires et avait chuchoté une question dont la réponse n'avait pas été prévisible :

— Est-ce que tu veux encore être à moi pour toujours et ne jamais me quitter ?

Roulant sur le dos, le Diable avait légèrement pâli sous l'ombre râpeuse de sa barbe naissante. Une larme unique et furtive au coin de son œil de jais, il respirait à grandes goulées parce qu'il était plus épuisé qu'il n'aurait jamais voulu l'admettre.

J'aimerais pouvoir.

Et à présent qu'elle contemplait cette scène avec les yeux du souvenir, Lilith se demandait encore quel sorte de réponse c'était donc là.

Un genre de oui qui sonnait comme un terrible non.

.

Taraudée intérieurement par un cuisant besoin de savoir, elle revint dans le salon et s'arrêta juste au seuil du balcon. Les intimes étrangers étaient toujours en train de converser à voix basse, s'écoutant raconter en échangeant des sourires. Leurs postures relaxées montraient qu'ils éprouvaient un certain niveau de confiance, visible à la façon dont ils étaient assis. En moins de quinze minutes, le Vertueux Amenadiel avait accepté le nouveau venu.

A dire vrai, Lilith se disait que ce Castiel était plutôt agréable. Sa présence était tout sauf pesante et il se montrait amical. Peut-être était-ce là son propre pouvoir ? Être accepté partout ?

Elle ne pouvait pas savoir que ce supposé pouvoir de convivialité n'existait pas réellement et qu'il se considérait lui-même comme un paria – une opinion de surcroît largement partagée dans sa fratrie.

Elle interpela les anges sans grande politesse.

— Hey là vous deux, vous n'allez donc pas me dire qui est cette Chloé ? Lucifer est-il à ses ordres maintenant pour qu'il accoure dès qu'elle claque des doigts ? Je viens de vivre des heures difficiles pendant mon accouchement, je m'attendais à partager un peu de réconfort...

Tous les deux se levèrent aussitôt de leur chaise, plutôt embarrassés. Même Castiel. C'était d'ailleurs un petit peu énervant de constater que quelqu'un qui ne connaissait pas du tout Lucifer, ait l'air d'en savoir davantage qu'elle-même. Elle inclina la tête pour les encourager.

— Vous pouvez bien me le dire. Si c'est quelque chose d'important, je pense que j'ai le droit de savoir...

Ils restèrent droits comme des piquets à se lancer des regards bizarrement inquiets.

Et c'est comme ça qu'elle sut enfin. Ce fut comme si une patte griffue avait froidement lacéré son cœur, comme si une bête dévorait ses poumons à belles dents en prenant tout son temps. Cet air sur leur visage, c'était de la pitié. Ils en avaient pour elle parce qu'elle avait été aveugle et sotte. Nul homme n'avait jamais eu l'audace de la regarder comme ça, à l'exception d'Adam, ce qui expliquait probablement pourquoi elle ne l'aimait pas. Elle serra les dents avant de commenter :

— Si vous pouviez voir vos têtes...

— Je m'inquiète plutôt de celle que tu fais, répondit Castiel. Tu as l'air de vouloir détruire le monde. Crois-moi, je connais très bien cet air-là. Mon frère Michael l'avait tout le temps. [2]

— Et alors ? Est-ce qu'il l'a fait ? s'enquit-elle avec curiosité.

— Pas encore. Pas si je peux empêcher ça. Je l'ai déjà arrêté une fois et je suis vraiment contrarié de devoir recommencer.

— Et bien sois tranquille, je ne veux pas détruire le monde. Tuer ce qui retient Samael ici devrait suffire !

Sans avertissement, Amenadiel marcha sur elle pour un face à face où il la dominait de toute sa haute taille menaçante car elle était plutôt menue. C'était inattendu mais devant lui elle se sentait comme la petite fille qu'elle n'avait jamais été.

— Ecoute-moi très attentivement, demi-ange, commença-t-il froidement. Ma mère était une déesse d'un rang bien supérieur au tien. Elle a essayé de jouer cette carte et a échoué misérablement. Ne souris pas parce que tu La détestes et que tu penses qu'Elle l'a bien mérité. Réfléchis simplement à ce qu'Elle était pour Lucifer et qu'il L'a flanquée dans un univers désert sans possibilité de retour, juste pour protéger ce monde et les gens qui y vivent. Crois-tu que tu aies la moindre chance de lui faire faire ce qu'il ne veut pas ? Bon courage ! Je suis ici avec lui depuis des mois et il a changé. Je ne l'aimais pas tellement avant, et honnêtement, je ne suis pas sûr que ça s'améliore vraiment, mais il est différent... C'est un fait : l'Enfer l'a dévasté au point que les séquelles ne sont sans doute pas réparables. Pire, il s'est habitué au Libre Arbitre au point de n'écouter plus rien d'autre que ses seuls désirs, au gré desquels il girouette à tous vents. Personne ne peut plus lui faire entendre raison, et même pas notre Père, parce que Lucifer refusera d'obéir à quelqu'un qui lui a concrètement dit qu'Il ne le considérait plus comme Son fils... Pourquoi s'en soucierait-il encore ? Mais même si je déteste le reconnaître, il y a toutefois un tout petit espoir de sauver l'âme de mon frère et de briser l'armure d'égoïsme qu'il s'est construite, et ça n'a rien à voir avec sa famille. Ne crois pas qu'il te félicitera ou te remerciera si tu l'en prives... Si tu veux mon avis – et même si tu ne le veux pas – il pourrait ruiner toutes ses chances tout seul, par son aveuglement et parce qu'il n'est pas habitué aux relations humaines profondes. Mais laisse-le échouer tout seul s'il le doit, et ne lui donne aucune raison de déchaîner sa colère contre toi. Tu aurais à le regretter. L'un de nos frères et notre Mère l'ont appris à leur dépens.

Toujours très droite, elle ne put s'empêcher de ciller sous sa tirade, les lèvres pincées.

— Tu sais, je ne t'aime pas beaucoup non plus. Mais tu n'as pas besoin de me parler comme si j'étais stupide. Je peux comprendre les choses...

Elle se croisa les bras et commença à exprimer tout haut ce à quoi elle avait pensé et repensé pendant des heures.

— Ce que tu es en train de dire, c'est qu'une mortelle est importante pour lui. Mais comment pourrait-elle l'être davantage que moi ? Je suis sa véritable âme sœur officielle depuis... et bien... toujours, en fait ! Je comprends qu'il puisse s'être amusé avec des mortels parce qu'il se sentait seul et amer. Et je le comprends d'autant mieux que j'ai fait la même chose de mon côté. Mais c'est fini maintenant. Je me suis échappée de l'Enfer et je l'ai retrouvé...

Le sourcil arqué de Lilith s'assortit au sourire entendu qu'elle affichait en poursuivant :

— Je doute qu'elle puisse lui donner ce dont il a besoin, comme il en a besoin et aussi souvent qu'il en a besoin... De ce que j'en ai vu, elle n'est déjà plus très jeune et sera de moins en moins attirante d'ici quelques années à peine. Elle n'est pas des nôtres. Elle est incapable de le dorloter dans ses ailes inexistantes... Je ne comprends pas comment il peut se bercer d'illusions : plus tôt qu'il ne le pense, il va la perdre et il le sait. Pourquoi se forcerait-il à endurer ce genre de chagrin pour un être éphémère ? Cela ne lui ressemble pas d'agir aussi stupidement !

Le grand ange noir répondit à sa sœur en se sentant divisé, car une part de lui partageait ces craintes.

— Parce qu'il est amoureux d'elle. Depuis qu'il vit ici en permanence, il s'est mis à éprouver la fièvre des sentiments humains. Ceux-ci sont... assez puissants. Nous tendons à les sous-estimer complètement.

— Des sentiments humains ? Et qu'est-ce que ça peut bien être ? Un genre de maladie ?

Castiel ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire, parce qu'il la trouvait tout simplement mignonne. Il comprenait mieux pourquoi ses amis humains se moquaient tout le temps de lui quand il passait à côté de choses qui leur paraissaient évidentes.

La réaction de Lilith ne se fit pas attendre :

— Et toi, là... Qu'est-ce que tu trouves de si amusant ? Est-ce qu'être amoureux est très différent d'aimer ?

Les mains en l'air dans une fausse tentative de reddition, l'ange surnuméraire répondit pourtant gentiment :

— Je me suis laissé dire que c'était une question toujours pas résolue chez les philosophes humains, même après des siècles...

Lilith fit les cent pas pendant un petit moment en fronçant tellement les sourcils qu'Amenadiel pensa secrètement qu'elle commençait à ressembler à Mazikeen.

De ce que l'hybride comprenait, elle avait une rivale humaine inconnue. Personne ne lui avait rien dit. Ni Mazikeen, ni Samael le premier concerné... Le concept même la choquait assez. Bien sûr le Diable avait montré de bonne heure une nette tendance à la rébellion, mais aimer (ou être amoureux, quoi que ça puisse vouloir dire) une humaine ? Ça allait bien au-delà de simplement les tolérer, les trouver amusants ou agréablement distrayants. Bien au-delà de les écouter ou de les traiter comme des égaux... Elle se tourna vers l'ange brun resté en retrait.

— Est-ce que Dieu est identique dans ton univers ? Pourrait-il être du genre à tromper Lucifer pour lui faire apprécier des créatures qu'il avait l'habitude de mépriser avant ? Pour l'humilier ou lui apprendre je ne sais quelle "leçon" ?

Pour la première fois, Castiel réalisa qu'elle n'utilisait pas "Père" (ou même le sarcastique "Cher Vieux Papa" de Lucifer) pour parler de Lui, mais seulement "Dieu". La voix prudente et râpeuse de l'ange venu d'ailleurs se fit entendre pour répondre :

— Dans mon univers, Lucifer est si corrompu, si maléfique que j'ai cessé de croire en sa possible rédemption. Il n'est pas fiable, il peut trahir et tuer avec plaisir quiconque a été assez naïf pour croire en lui... J'ai joué à ça trop de fois. C'est une erreur que j'ai juré de ne plus jamais commettre. Je ne sais pas si mon Père espère encore... Mais en ce qui concerne votre Lucifer, je ne saurais dire. A ce qu'il me semble, vous avez l'air tous bien plus gentils que nous ne le sommes !

L'attitude d'Amenadiel se refroidit aussitôt et il se retourna pour le regarder en déclarant avec amertume :

— Hey, je suis désolé de saper tes illusions mais nous ne sommes pas gentils ! Celle-ci tue des bébés de sang-froid et elle a mangé deux hommes intentionnellement. Et pour info, tu devais être le troisième. J'ai manipulé un démon à espionner pour mon compte, ainsi qu'une âme perdue en Enfer pour tuer mon frère et le renvoyer dans son royaume. Par jalousie, Uriel a tiré les ficelles du Destin pour éliminer l'Inspectrice, pensant qu'il pourrait se gagner les faveurs de mon Père en réussissant là où j'avais échoué... Et ma Mère menaçait la planète entière sans sourciller du moment qu'elle pouvait résoudre ses problèmes personnels. Fais un peu gaffe à qui tu traites de "gentil"... !

Les lèvres de Castiel s'arrondirent quelques secondes.

— Vous avez ici... une mère ? Oh, non oubliez ma question, moi j'ai bien découvert que j'avais une tante dont personne n'avait vraiment entendu parler...

Son sourire se fit plus hésitant et penaud.

— Est-ce que vous connaissez aussi la proverbiale Route de l'Enfer ? Je sais que vous ne me trouvez pas très impressionnant, mais j'ai moi-même tenté de prendre le pouvoir au Paradis et j'ai aspiré des millions d'âmes du Purgatoire afin de devenir factuellement le nouveau Dieu... Ce que je veux dire, c'est que vous n'êtes pas malfaisants tous les jours. Même si vous avez commis des actes répréhensibles, vous l'avez fait parce que vous pensiez que vous n'aviez pas le choix, ou que vous avez mal compris vos ordres.

Les poings sur ses hanches désormais couvertes par une petite robe noire ajustée, Lilith émit aussitôt une protestation indignée et pleine de colère.

— Absolument pas ! Comment aurais-je pu mal interpréter quand Dieu m'a demandé de soumettre mon sexe aux besoins dégradants d'Adam ? Qu'est-ce qui aurait pu être compris autrement quand il a dit que si je refusais de courber l'échine devant lui, j'aurais à tuer tous les enfants impurs en guise de châtiment ? Et au départ, qui donc a créé mon corps à ce point désirable et capable d'inspirer des péchés ? Moi ? Comment ai-je pu mal comprendre quand Il a parlé des meurtres qui ne cesseraient jamais à cause de MON obstination, au lieu d'admettre SA propre erreur ?... Je n'ai jamais aimé Adam qui me traitait mal. Je n'étais qu'une chose qu'il considérait comme sienne et dont il pouvait user comme bon lui semblait parce que Dieu lui avait dit qu'il n'y avait pas de problème, et que j'étais là pour son plaisir et le servir. Eh bien MOI, je voyais un problème, et personne n'en avait rien à faire !

Au milieu de ses larmes, elle criait à présent, tremblant de rage, tout en s'enveloppant de ses bras dans une tentative désolante d'ériger une protection autour d'elle. Castiel avait un certain sens d'auto préservation quand il était question des femmes : il aurait bien voulu aider mais n'osait pas approcher.

— Et pourtant c'était ta raison d'être de devenir la mère de l'humanité ! maugréa Amenadiel. Puisque tu "peux comprendre les choses", tu aurais bien pu te douter que remettre ceci en question allait conduire à des problèmes !

— Tu vas arrêter de jouer les hypocrites ? rétorqua-telle avec mépris. Toi et moi nous sommes les premiers de notre genre à être nés parmi les anges. Et pour autant qu'on sache, TU aurais très bien pu être l'Ange obligé d'avoir constamment une grosse queue dans le cul et pas le droit de t'en plaindre, parce que ça avait été décidé une fois pour toutes par ton Père bien-aimé. Celui-là même qui est notoirement connu dans la Bible que TU as écrite, pour manifester une nette tendance à sacrifier les aînés comme tout à fait dispensables ! [3]

Les joues d'Amenadiel passèrent de chocolat à gris alors qu'il luttait manifestement contre sa fureur visible dans le léger tremblement nerveux de sa joue dodue.

— Tu vas trop loin, Lilith, et tu ne réalises pas ce que tu es en train de dire.

Lilith avait abandonné la carnation de lait qu'elle arborait pour Lucifer et avait inconsciemment repris sa toute première apparence originelle, celle de la beauté tatouée à la peau brune que Pierce voyait également. C'était par pur instinct et pas vraiment un acte réfléchi. Elle était seulement consciente qu'elle pourrait l'emporter sur Amenadiel s'il était plus séduit par son apparence. Pourtant, il résistait plutôt bien.

CASTIEL

Les yeux intensément vissés au sol, Castiel ne pouvait faire autrement que d'entendre leur dispute. Il était très sérieusement en train de se dire qu'il allait illico se téléporter à Lebanon dans le Kansas, juste où se trouvait le Bunker dans son monde. [4] Tout aurait mieux valu, même un voyage futile jusqu'à une destination déserte, plutôt que d'entendre qu'Amenadiel réclamer qu'on laisse son arrière-train en dehors de l'équation. Ou la réplique acerbe de Lilith (Ben voyons, comme c'est pratique !) soulignant combien il s'efforçait d'éviter les sujets qui fâchent et qu'elle s'était coltinés depuis le début, et que si son très littéral postérieur avait été en jeu, peut-être qu'il aurait fait preuve de plus d'empathie pour ses revendications...

Ce qu'il en pensait, c'était que les entités célestes locales manifestaient une exceptionnelle tolérance aux évocations décomplexées de sexe, de culs, de seins nus et d'autres sujets du même acabit que Castiel aurait préféré éviter. Et ce, même s'il avait traité une fois son frère Michael de "fesse de cul" mais plutôt par maladresse. [5] Distrait comme il l'était, il ne vit pas venir le dernier coup de massue qu'Amenadiel gardait en réserve, prouvant par là-même qu'il n'avait pas tout à fait tort sur le fait de ne pas faire partie des gentils...

— Tais-toi maintenant ! Comment est-ce que tu peux me traiter d'hypocrite ? J'ai vu de mes yeux ce que tu as fait à Samael lorsqu'il était tout jeune. Ce n'était qu'un enfant innocent. Il était gentil et plein d'amour. Tu nous l'as pris et tu lui as réservé exactement le même traitement que ce que tu reprochais à Adam en disant qu'il te maltraitait : tu l'as utilisé pour satisfaire tes besoins sexuels, point. Ose dire que tu ne le considères pas comme "à toi" ! Ose dire que tu ne pensais pas à tuer la seule personne qui menace ton supposé droit de propriété sur lui ! Et par-dessus tout, ose dire que tu ne sais pas pertinemment qu'il couche avec toi parce qu'il espère que sa foutue endurance dont il est si fier, t'empêchera de manger d'autres mortels et de relâcher d'autres monstres !

A la fin, Amenadiel rugissait quasiment. Lilith écarquilla les yeux en clignant pour retenir ses larmes, elle recouvrit d'une main tremblante ses douces lèvres épaisses. Et puis elle dissimula sa honte sous son manteau d'invisibilité et s'évanouit dans les airs, incapable de supporter l'atroce vérité qui venait d'être dite devant elle.

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.°.

DAN

Fourbu après un long voyage depuis le domicile de ses parents vivant à quinze kilomètres de là, après avoir eu des difficultés à trouver une place de parking près d'un hôpital où il n'avait jamais mis les pieds, et inquiet parce qu'il n'avait pas pu trouver un seul docteur pour lui toucher deux mots de l'état médical de son ex-femme, Dan avait pénétré dans la chambre de Chloé à peu près sur les nerfs. Trixie était avec lui et elle vola jusqu'à sa mère qui se reposait les yeux fermés, à moitié assise dans son lit relevé.

— MAMAN ! s'écria la petite fille de façon excessivement prévisible en s'agrippant à elle.

— Doucement, doucement, ouistiti, laisse-la quand même respirer !

Lorsque Chloé la reçut dans son lit, les yeux clairs désolés des deux inspecteurs de police se rencontrèrent au-dessus de leur enfant, attentifs à ne pas en révéler trop tant que la fillette les écoutait.

— Maman, est-ce que tu vas bien ?

— Oui ma petite citrouille, je vais bien. Je me suis cogné la tête très fort et tout le monde a eu peur parce que ça a un peu saigné, mais ça n'est rien qu'une égratignure, vraiment...

— Fais attention, tu commences à parler comme ton consultant... s'amusa légèrement Dan les mains dans les poches, un peu soulagé. Et d'ailleurs où est-il justement ? Je croyais que sa mission était d'empêcher que tu ne t'étales par terre en t'emmêlant les pieds ?

Trixie leva un œil soupçonneux sur lui et il réussit à afficher une mine de père parfaitement innocent. Bientôt ce jeu allait tirer à sa fin avec elle, mais il ne voulait pas y penser encore.

Pas après ces quelques heures chez ses parents. L'idée même d'aller les voir avait été une grossière erreur. Ils avaient raconté que leur petite-fille leur manquait pour l'attirer, mais avaient passé tous leur temps à lui faire la morale à propos du divorce, en utilisant le moindre argument catholique pour soutenir leur opinion. Le mariage était un engagement pour la vie (d'après sa mère) et il avait été particulièrement idiot de laisser une telle beauté lui filer entre les pattes (d'après son père). Dan n'avait vraiment pas besoin d'une piqûre de rappel pour savoir tout ce qui avait affreusement mal tourné dans sa vie amoureuse à cause de ses mauvaises décisions. Il espérait juste que quelque chose de bon ressortirait de ses efforts pour sortir avec l'impressionnante Charlotte Richards et qu'il aurait droit à une seconde chance...

Mais il arrêta de ruminer tout ça parce que Chloé était en train de lui répondre :

— Lucifer avait des obligations familiales, lui aussi, je crois. Je suis vraiment désolée que vous ayez dû rentrer de votre week-end chez tes parents. Ella a un peu paniqué. Je pensais qu'elle appellerait une patrouille au central, pas toi qui n'étais pas en ville !

— Pas de souci. Je suis content qu'elle l'ait fait.

— Maman, je peux manger ton dessert si tu n'en veux pas ?

Dan poussa un soupir et expliqua qu'ils avaient pris la route sans perdre une minute et n'avaient pas eu le temps de dîner. Il fouilla au fond de sa poche et en sortit un billet de cinq dollars. Trixie l'accepta avec un grand sourire ravi.

— Il y a un distributeur juste de l'autre côté du couloir. Va t'acheter quelque chose et surtout ne t'éloigne pas... Laisse la porte ouverte que je puisse te voir.

TRIXIE

La petite brune ne fit pas trop d'histoires, trop heureuse de pouvoir choisir tout ce qui lui plaisait. Elle ouvrit la porte et s'avança prudemment jusque devant la grande machine, s'émerveillant d'avance de toutes les couleurs vives des cochonneries sucrées protégées par la vitre. A l'étage le plus haut, de ravissants M&M's lui faisaient de l'œil mais elle était trop petite encore, pour pouvoir presser le bouton correspondant. Elle se retourna de tous côtés pour voir si quelqu'un ne pourrait pas l'aider ou si elle pouvait trouver quelque chose où elle aurait pu grimper, et reconnut très vite la grande carcasse qui faisait la tête, assise sur une chaise en plastique.

— Salut, Lucifer !

— Bonjour petite, répondit-il distraitement.

— Tu ne vas pas voir Maman ? Elle va bien, tu sais !

— Pas tant que vous y êtes, toi et l'inspecteur D...adget.

— Pourquoi, non ? Regarde comme mes mains sont propres ! Tes habits n'ont rien à craindre, ajouta-t-elle avec un petit sourire entendu.

N'accordant aucune attention à son acquiescement hautain, elle s'approcha plus près pour prendre le siège voisin du sien. Ses petites jambes grêles battaient dans le vide un tempo très rapide. Trente secondes plus tard, elle demanda :

— Il y a quelque chose qui va pas, Lucifer ? Tu dis rien de marrant. Est-ce que tu es de mauvaise humeur ?

— Oui, plutôt.

— Et bien, dans ce cas, j'ai vu un paquet de chips au fromage là-bas... Si tu me donnais deux dollars et cinquante centimes en plus de ce que j'ai, je pourrais en acheter et le partager avec toi, ça te remonterait le moral...

Cette proposition eut le don de sortir Lucifer de sa bouderie et il se tourna vers elle. Les coudes sur les genoux pour être à sa hauteur d'yeux, il considérait sa petite silhouette avec curiosité pendant qu'il lui tendait vingt dollars de petite monnaie dans son portefeuille.

— Banco. Prends-en deux. Comment sais-tu que j'aime les chips ?

— Bah t'es déjà au courant que j'adoooore le gâteau au chocolat. Pour qu'on soit à égalité, j'ai demandé à Papa et à Maman ce que tu mangeais au travail avec eux, quand tu piques pas mes croquemonsieurs...

— Et bien, et bien, comme toujours surprenante, Béatrice. Et qu'est-ce que ces vilains petits cafteurs ont raconté de mes goûts ?

Trixie sourit malicieusement, heureuse de partager ce moment avec son amusant copain adulte.

— Papa a dit que tu volais toujours ses yaourts desserts, exprès, et Maman m'a dit pour les chips. Elle a aussi dit que tu mangeais comme un gamin quand tu ne te "pochetronnais" pas. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je pense que c'est mal parce qu'elle faisait sa tête de "Maman-n'aime-pas-ça"...

— Un peu sa tête habituelle quand il est question de moi...

Trixie fit l'aller-retour au distributeur et ouvrit un sac de chips en le tenant entre eux deux pour que le Diable puisse se servir. Elle ajouta pensivement :

— Ne t'inquiète pas Lucifer, Maman t'aime toujours beaucoup.

Il laissa échapper un reniflement narquois en guide de réponse, qui amena un étrange petit sourire amusé sur les lèvres de la petite fille face à cet aveu silencieux. Comme d'habitude, elle était assez fière qu'il soit honnête avec elle et ne lui serve pas les bobards habituels réservés aux enfants qu'il fallait "épargner". Elle afficha une petite moue hésitante, pas très sûre de savoir si elle allait se faire rabrouer.

— Est-ce que c'est pour ça que tu as acheté un livre pour apprendre comment être un petit-ami ?

— Non mais ça suffit ! Qui cancane sur mon compte ? Des noms !

— C'est Maze qui me l'a dit, mais plutôt parce qu'elle était assez dégoûtée...

— Et bien, pour ta gouverne, sache que ce consternant volume sur l'art de faire sa cour n'est qu'un ramassis d'inepties insensées ! D'habitude, je n'ai qu'à me montrer pour que l'affaire soit entendue et ça suffit bien...

Elle jeta un coup d'œil dans le couloir pour voir s'ils étaient toujours seuls et poursuivit d'un ton de conspiratrice :

— Tu sais que Maman est très sérieuse. Tu devrais lui montrer que tu l'es aussi si tu veux qu'elle t'écoute. Est-ce que le livre explique comment demander en mariage ?

Lucifer manqua de s'étouffer avec une traîtresse poignée de chips salées.

— Est-ce que tu te moques de moi ?

— Nan... C'est facile à faire. Je peux t'expliquer si tu veux. Tout ce que tu as besoin, c'est d'une petite boîte avec une bague qui brille, te mettre sur un genou et la regarder en faisant les yeux du chat de Shrek en disant "s'te plaît, s'te plaît dis oui". Ça marche à tous les coups !... Ou alors vous pourriez faire un bébé ! Là c'est sûr, elle devrait t'épouser. Et en plus, je pourrai avoir un petit frère ou une petite sœur. On serait tous les deux gagnants ! Qu'est-ce que t'en dis ?

Sur le point de sortir une énormité dont il aurait été bien avisé de s'abstenir, Lucifer s'arrêta à temps quand il vit la tête contrariée de Dan repasser par la porte ouverte. L'inspecteur vint prendre la main de sa fille pour qu'elle quitte sa chaise et se plaça entre eux. Trixie regarda son encas avec regret, toujours hypnotisée par les pétales dorés avant de l'offrir au Diable. Il en avait peut-être plus besoin qu'elle.

— De quoi êtes-vous en train de parler avec ma fille ?

Tout sourire, Lucifer cligna de l'œil avant de répondre, délibérément provocateur :

— Procréation, j'imagine...

— Mais ça va pas ? Vous êtes malade ou quoi ? Elle a neuf ans, espèce de pervers ! Trixie, retourne voir ta mère pendant que je fais la leçon à Lucifer avec des mots que je ne veux pas que tu entendes !

La fillette arbora une expression triste et articula silencieusement qu'elle était désolée. Le Diable lui retourna son sourire habituel qui devait rayonner d'une confiance suffisante en sa capacité d'encaisser, parce qu'elle obéit et retourna voir sa maman.

DAN

Pour se garantir un peu de confidentialité, Dan tira la porte et parla plus bas avec une mine inquiète. Il ne savait pas trop pourquoi mais Lucifer avait l'air complètement claqué.

— Est-ce que c'est vrai ? demanda-t-il.

— Daniel, je vous l'ai dit des dizaines de fois, je ne mens jamais. Mais ce n'est pas la peine de paniquer. Béatrice m'a juste demandé si je voulais faire un enfant à l'Inspectrice, parce qu'elle souhaite – ne me demandez pas pourquoi – avoir un cadet. Et m'a réponse aurait été non. Si vous ne nous aviez pas interrompus, j'aurais pu la détromper et lui expliquer que je suis incapable de procréer avec des mortels.

— Oh bonté divine ! Dieu existe et il a de la jugeote ! plaisanta Dan à mi-voix. Vous imaginez plusieurs comme vous ? Mais je ne voulais pas vous voir pour ça. Je voulais savoir pourquoi vous aviez laissé Chloé y aller seule. Je pensais que les choses étaient claires entre nous. Votre rôle, c'est de la protéger quand vous êtes sur le terrain ! Si vous ne le faites pas, vous ne servez à rien, ok ? Où étiez-vous ? Et surtout pourquoi le Capitaine Pierce a-t-il dû intervenir ? A la première occasion, il peut la saquer pour incompétence et il aura des preuves !

Lucifer réussit à avoir l'air un petit peu désolé.

— Je ne le laisserais pas faire ça. J'étais avec Lilith. Peu après notre départ du Lux, elle a fait une fausse couche. Nous étions seuls dans une maison hors de la ville et même si la cavalerie est arrivée, ç'a été... comment dire ? Sanglant et moche, pour résumer.

— Je suis... désolé. Je ne savais pas. Est-ce qu'elle va bien ?

— Oui, oui, s'impatienta-t-il. Mais c'est la sécurité de l'Inspectrice qui me préoccupe maintenant. J'ai envoyé Maze sur les traces de ceux qui l'ont attaquée et de mon côté, je voulais parler à Miss Lopez pour tenter d'avoir plus d'information sur eux...

— Elle ne devrait pas tarder. Je crois qu'elle a reçu un appel... d'un prêtre.

Depuis la chambre, la voix de Chloé se fit entendre un peu plus fort quand elle appela :

— Lucifer ? J'entends bien que vous êtes là. Est-ce qu'on peut se parler une minute, s'il vous plaît ?

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(À suivre)

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Notes de l'auteur

[1] L'archange Raphael est, entre autres, considéré comme l'ange de la guérison.

[2] Pour ceux que ça préoccupe, tous les anglophones appellent Saint Michel "Michael" (Maïkeul). Une fois qu'on s'est habitué, c'est dur de revenir à son nom français.

[3] Je n'invente pas pour le "sacrifice des premiers nés". Penchez-vous sur la Pâque juive. On était loin des petits lapins en chocolat et des cloches. Les chrétiens ont une vision de Dieu inspirée par le Nouveau Testament, mais le Dieu de l'Ancien Testament semble très loin du peace and love.

[4] Dans la série Supernatural, les héros qui sont restés itinérants pendant très longtemps, finissent par trouver en 8e saison une sorte de foyer dans le bunker oublié d'une société savante secrète appelée « Les hommes de lettres ». C'est depuis lors (plus de 6 ans) leur quartier général. De fait, c'est ce qui se rapproche aussi le plus d'un foyer pour Castiel.

[5] Hey, assbutt…! Insulte fictive forgée par les scénaristes pour retraduire la bizarrerie inaltérable du personnage. A dix contre un, il essayait juste de dire « connard ».

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