I live, I die, I live again

Chapitre 4 : Le kimbersnake

1810 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/02/2020 07:54

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Les uns contre les autres (février-mars 2020).

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Sur la tête de Volta, il y a les bandes de tissu brun et seules ses lunettes en sortent. Enroulées, enroulées. Et sur ses jambes, et sur ses bras. L’une des leurs jusqu’aux dards empoisonnés dans sa ceinture. Une Buzzarde même si c’est une Iskra. Derrière, il y a le cuivre, maintenant en trois sacs empilés. Quand elle l’a laissé tomber dans le sidecar, le pied de sa jambe foutue a manqué de peu une caisse de grenades. A bords tranchants. Si elles n’explosent pas, elles tournent sur elles-mêmes pour déchirer. L’air est déjà chaud, chaud sur la carlingue de son Ural. Moteur culbuté, cylindrée à six-cent au moins, trente-six chevaux. Tellement modifié, recarrossé, refondu : on le devine seulement si on sait. Chrome. Il est derrière une Buzzarde, il y croît à peine. D’ordinaire, il est en face.

— Arrête d’être content, glupyy.

Il arrête de sourire et se racle la gorge. Il sait que ça veut dire abruti, Morsov l’appelait comme ça.

— Nux.

— Peu importe.

Elle n’a peut-être même pas compris que c’était son nom. Dans les sacs des côtés, elle range ses outils. Et ses ampoules. Et l’outre. Elle boucle les sangles, elle passe ses gants. Elle n’a plus envie de paroles, elle veut juste qu’il reste vivant. Elle lui a donné à boire et les papillons gras. Pas pour être gentille, juste pour le refill. Elle veut qu’il tienne jusqu’à l’arrivée. Il est comme le sac de cuivre : du matériel. Quoique. Avant de partir, elle lui a permis de pisser alors peut-être qu’elle ne s’en fout pas complètement. A moins qu’elle l’ait fait pour son sidecar ? C’est pas grave. Tant qu’elle le livre.

— Tu vas passer à ras des Tempêtes ?

Celles qui tournoient sur elles-mêmes, toujours au même endroit. Pas celles qui balayent le désert. Les Iskra les connaissent bien. Ils les utilisent. Mais elle ne répond pas.

— Tu vas longer l’extérieur des montagnes ?

Le vent, sur la dune, glisse comme s’il y rampait.

— Tu vas pas prendre trop vers Pétroville.

— Tu me les casses, Nux.

D’un coup, elle met les gaz et les roues tournent, tournent dans le sable. De la poussière s’élève en nuage, et lui a perdu ses lunettes au Porte-guerre. L’Ural montre tout ce dont il est capable. De la bonne bécane mais de bien trois-cent kilos à vide. Au bas mot, et ils sont deux. Deux, et le cuivre pèse comme un troisième. Le moteur donne tout mais ils n’avancent pas. Ils n’y a que l’odeur de la Guzzolene, et la poussière qui fait tousser.

Pizdetz.

Elle jure. Une pause, une nouvelle tentative, mais c’est vain. Il faudrait pousser mais avec cette jambe il ne sert à rien. Elle arrête. Elle réfléchit. Elle regarde du côté du sidecar. Vers lui et vers le cuivre en sacs. Il a compris. Il sait qu’elle considère de le laisser lui. De le laisser derrière. Elle…

— Devant !

Immédiatement, elle braque le verre de ses lunettes sur ce qu’il a repéré. Au travers de la poussière qui retombe. Elle force le regard, et il la sent se crisper. Une forme s’agite, floue dans le nuage de silice. Puis de plus en plus nette. Allongée. Fluide. Cuirassée. Reptilienne. Un frisson grimpe à sa nuque.

La queue d’un kimbersnake. Peut-être attiré par le charnier du carambolage.

Avec les radiations, les vipères mortelles sont descendues plus au Sud. Depuis longtemps, longtemps. Elles n’ont cessé de grossir, elles aiment le désert. Et elles ne mangent plus seulement les rares oiseaux. Plus seulement les lézards. Un homme leur va pour plusieurs semaines. Quatre mètres de long. Des muscles en anneaux qui peuvent soulever une dépanneuse Mack-R, il l’a déjà vu. Elles chassent à l’affut. Intelligentes, dangereuses. Leur queue est un leurre. Toujours. Elle danse, elle danse.

La tête est dans leur dos, sans doute depuis le début.

— Rentre ton bras !

Une traction sèche, et Volta relève un levier sur le côté de l’Ural. D’un coup, toute la carrosserie de la moto, celle du sidecar également, se hérissent des pointes des Buzzards. Une pelote de clous fauves, longs comme un bras plantés sur un carbu K301. Nux laisse filer un cri de joie. Glory be. Et il aurait pu manquer ça ? Elle n’a pas le temps de l’engueuler pour son enthousiasme absurde. Elle écrase le démarrage et actionne les gaz encore, encore, dans la poussière qui revient. Trop lourds. Beaucoup trop. Il se retourne : au-dessus d’eux, la tête en forme de diamant se lève. Large. Même au travers de la poussière, il peut en voir les yeux.

Il ne réfléchit pas. Le sac de cuivre – celui du dessus – passe par-dessus bord, roule sur les pointes et s’écrase alors que l’Ural s’arrache à la dune. Les crampons des roues résistent, prennent finalement appui par cet allègement inespéré, et Volta braque pour éviter la queue. La tête s’est abattue là où ils se trouvaient. Alors le long, long corps du serpent émerge, et le sable ruisselle sur les écailles en mouvement comme les chutes d’eau de la Citadelle. Brillantes. Rousses, elles aussi. Ils avancent mais le kimbersnake s’arqueboute, alors Nux empoigne le sac suivant.

— Sûrement pas !

La voix de Volta est déformée par ses bandages, mais son coude l’écrase sur le sac alors même qu’elle contre-braque. Pointu. Juste sur la marque de l’Immortan. Elle donne un second coup et récupère sa main pour accélérer. La moto s’extrait à l’arc formé par le serpent, qui change immédiatement de stratégie et glisse à présent derrière eux. A venin rapide, serpent lent. On dit ça à la Citadelle. Celui-ci n’est pas un trainard et Nux ne veut pas savoir, pour son poison. Eux-mêmes ne vont pas vite. Pas assez. Mais Volta a d’autres atouts.

A nouveau, elle se penche au pied du sidecar et saisit une grenade dans la caisse, qu’elle arme en bloquant la goupille sur un crochet sur le guidon. Elle vient d’ouvrir un tube. Elle l’y jette et le referme. En arrière de la moto, l’objet est recraché avec une inertie décuplée. La grenade part. Droit derrière. Un dispositif brillant, mais qui ne permet pas de viser. Le sable explose à côté de la tête du serpent, qui fait à peine un écart. Il file, plus vite encore. Dire qu’il n’a pas la moindre patte. Nux n’a jamais compris.

— Dément !, lâche-t-il en se penchant.

Volta file le long des montagnes et use des affleurements bas pour faire se cogner la bête. Sur ce sol moins meuble, l’Ural galope comme une tornade. Le kimbersnake donne l’impression de cracher à la manière d’une culasse hors d’âge mais il n’abandonne pas. La tête de Nux dodeline. Toujours, toujours, lorsqu’il pense trop. Son épaule en vrac – au moins – n’est pas de son côté directeur. Il a assez de forces pour un moment. Alors, il se penche à son tour en direction de la caisse et ignore son genou. Et ignore ses côtes. Sur la Route, on ne sent plus jamais rien. Le sang, à cette vitesse, c’est de l’octane et rien d’autre. Il attrape une grenade et s’apprête à la dégoupiller avec ses mâchoires.

— Tu fais quoi ?

Entre les prémolaires. La goupille reste dans ses dents.

— T’es en train de conduire. Je peux bien lancer.

Cinq secondes. Même s’il ne voit que ses lunettes fumées au-dessus des bandages, il sent bien qu’elle le regarde. La montagne défile – défile – et le kimbersnake contourne les pitons bas. Trois secondes. Nux se retourne, il vise. Une seconde. La grenade part en arrière du sidecar qui soubresaute au hasard d’une pierre. Contre le pariétal du serpent, le projectile explose. Il roule sur son côté et s’enroule pour se remettre droit. Des écailles manquent, mais il n’en est que plus hargneux. Nux a pivoté dans le sidecar, derrière les deux sacs de cuivre restants. Une autre grenade est dans sa main au-dessus des pointes de l’engin Buzzard. Il rit, cette fois largement, avec une exaltation réelle face aux crocs largement ouverts derrière eux. Sous le vent de poussière qui fouette ses tympans. Même sans lunettes. S’il le pouvait, il serait debout.

— Sérieux, tu prends toujours cet enfer pour une fête ?, lui lance Volta au travers des hurlements de l’air qu’ils fendent, tout en obliquant vers le Nord-Ouest en direction des convections venteuses aux franges des dunes à Tempêtes.

Il dégoupille la grenade, l’envoie aux narines de l’animal. Elle tousse et se met à tourner. Elle tranche, elle tranche. Diablement efficace même si elle s’est émoussée. De toute façon, il tient déjà prête la suivante. Le kimbersnake doute, il le voit. Il doute d’avoir encore envie de les consommer. Mais le serpent essaye une dernière fois. Il donne tout son fond de réservoir pour réduire de nouveau la distance. Admirable, brillant et chrome. Alors cet enfer est-il une fête ?

— Finalement chaque jour vaut la peine !

Volta fixe l’horizon au-devant tandis qu’il dégoupille. Cinq secondes. Elle oblique vers une piste qui se dessine au loin. Quatre secondes, elle hésite pour la dernière fois. Trois secondes, et elle s’est retournée sur son assise. Deux secondes. Un coup de pied. Une seconde.

En même temps que vole la grenade, le second sac de cuivre valdingue dans leur sillage. Dans la bouche ouverte du kimbersnake, la déflagration résonne comme les V8 aux échos des Garages. Le sac répand le cuivre. Partout. Tout autour dans un mélange d’écailles et de Métall.

Maintenant, l’Ural file. File. Vers la Citadelle ?

Dans le ventre, ça vaut mille papillons.


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