I live, I die, I live again

Chapitre 5 : Sous la révolte des vents

2040 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/02/2020 08:02

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Les uns contre les autres (février-mars 2020).

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Dans le désert, les distances ne sont jamais ce qu’elles semblent être. Ce qui parait à portée s’éloigne, s’éloigne quand on l’approche, et les longueurs ne se comptent qu’en temps. Ils ont gagné la piste – enfin – après qu’elle se soit dérobée maintes fois, et Volta a perçu la déception de Nux quand il a compris que ce n’était pas celle de la Citadelle. Il n’est pas con, et il était Pouce-Noir avant de conduire. Il a compris que l’Ural avait besoin de refroidir. Il a aussi compris qu’elle voulait s’alléger encore et larguer le reste de son cuivre à l’abri.

Il n’a rien dit, à ce sujet. Parce que pour le reste, il semble constitutivement incapable de la fermer, épuisé ou pas. Quelquefois, Volta est envoyée à la Citadelle parce que – sans leurs bandes et à peine enguenillés – les immatures des Iskra font de bons espions. Elle a déjà assisté au départ des convois, grotesquement cérémonial. Elle a vu l’eau de l’Aquifère, maigrement délivrée des hauteurs de la Première Tour rocheuse d’Immortan Joe sur la foule boursouflée des Miséreux. Et elle a observé les War Boys descendre. Avec les véhicules, sur les plateformes. Les Fuk’ushima Kami-crazy War Boys, leurs demi-vies bouffées jusqu’au bout, qui prennent la Fury Road comme on se rendrait à un festival dévot. Celui-ci a ce fatalisme enthousiaste, cette adrénaline absurdement espiègle. Un objet de bataille pertinemment sélectionné pour son euphorie face à la mort. Maintenant, il regarde vers le Nord. A-t-il vraiment tant d’avidité pour ce qu’il trouvera là-bas ?

— Tu retournes vers la Tempête, constate-t-il soudain en remarquant qu’elle a accompli un large arc de cercle, et elle ne répond pas parce que la réponse est oui.

Ainsi sont cachées les entrées des Bunkers annexes de la cité sous les Dunes, tournées vers le tumulte des éternelles Tempêtes car jamais personne ne provient de cette direction-là. Invisibles dans les méandres du terrain. Ils roulent et tournent encore, jusqu’à ce que la foudre soit dans leur dos. Immense comme le ciel. Et enfin, ils gagnent un porche de métal entre les rochers faisant face au chaos. De par-delà la porte bouffée par les vents de sable, Volta ramène une sorte de brouette où le cuivre, sa batterie et Nux sont jetés. Un abri entre les caillasses accueille l’Ural, taillé à l’exacte forme de son sidecar. A présent, il est une pierre parmi les pierres au vent.

— Nous repartirons dès que possible.

Des yeux sont peut-être braqués sur cet endroit, qu’ils soient alliés ou ennemis. Elle pousse la brouette qui tangue et Nux s’agrippe au côté tandis que la lumière meurt dans le tunnel.

— Quel véhicule épatant, dit-il tandis qu’ils descendent, et Volta se demande s’il est capable de sarcasme.

Elle avance sur le sol terrassé par le poids de chars assez étroit pour s’enfoncer dans ce boyau, plusieurs minutes. Dans des ténèbres que seules transpercent les chapelets de larves des Moths. Faiblement bioluminescentes comme des guirlandes de vers adipeux. Un geste, et elle en arrache une qui rejoint la brouette. C’est mieux que les papillons, bien mieux, il va le voir puisqu’il mange : les pupes éclatent, âpres, juteuses. Et elle le voit jubiler. Enfin, ils passent d’autres portes, les murs sont maintenant plaqués de Metall. Au-dessus d’eux, le sol rocheux tremble d’un grondement plus fort que celui de quarante moteurs V8. Un son comme celui du Cataclysme, a toujours pensé Volta, même si elle est née bien après.

— On est… au-dessous de la tempête, balbutie le War Boy.

— Regarde.

Dans un crissement strident de ferraille raclée, Voltra a tiré sur un large tube télescopique qui descend du plafond. Le binoculaire d’un gyroscope, dans lequel elle vérifie quelque chose. Un automatisme, accompli avant de laisser Nux se hisser, avec tout ce que ses côtes fêlées lui permettent. Ce qu’il voit et qui lui coupe un moment la parole, elle-même a fini par le trouver beau. Là-haut, l’horizon n’existe plus. Il n’y a que la révolte des vents, la lumière orange qui ne perce plus, et les déchirements aveuglants des arcs électriques, bleus, aussi létaux que les rafales courbes des tornades. Au milieu, le toit du bunker semble être la seule chose stable. Et – planté dessus – se balance la perche fragilement indestructible de l’un des paratonnerres des Iskra.

— Brillant, dit-il alors qu’elle pousse à nouveau le cabriolet d’acier galvanisé, le forçant à lâcher l’observatoire.

Face à eux, dans l’assez large conteneur qui constitue la pièce principale de cette installation souterraine, se dresse une colossale armoire électrique aux ronflantes bobines, juste en dessous d’un complexe transformateur capable de dompter l’énergie brute de la foudre. Dans le clair-obscur, de nombreux voyants orangés clignotent, et de multiples grésillements se conjuguent pour concurrencer le tonnerre assourdi. Volta presse un interrupteur. Au plafond, une constellation d’ampoules s’allume. Les filaments, elle les a tous tressés de ses doigts.

— Chrome, opine Nux tandis qu’elle le déverse sur une banquette noire à demi encastrée dans le mur avant d’aller brancher sa batterie vide sur un plot.

Non loin, une dizaine d’autres sont en charge et elle en décroche une qui clignote en vert. Elle la tracte dans la brouette, décharge le cuivre. Et ensuite, d’un geste large, elle ouvre une armoire faite du même métal que la carlingue de l’Ural, où elle fouille avant de sortir successivement plusieurs objets faits de plaques et de tiges articulées. Sur la banquette, elles tombent dans un bruit de ferraille, mais la tempête – au-dessus – reprend immédiatement ses droits.

— Qu’est-ce que tu fais ?, demande-t-il avec une forme d’inquiétude qui lui est rare, et elle conçoit qu’il n’en a jamais vu : les War Boys sont soit vivants soit morts. Ils ne sont jamais brisés.

— Je ne pourrai pas te porter, à la Citadelle. Tu dois tenir debout.

Des attelles prosthétiques. Qui l’auraient mis sur ses pieds même s’il n’avait plus eu qu’un moignon. Celle qui sera à sa taille, elle la récupèrera, dès lors qu’elle l’aura livré. Tandis qu’elle trouve celle qui convient, elle devine qu’il pense, et elle ne sait pas à quoi.

— Tout ça, c’est du bricolage, dit-elle. Juste pour le temps qu’il faut. De toute façon, ça ne sert à rien de faire plus, n’est-ce pas.

Sous les mains qui bouclent les sangles, qui serrent les pièces de métal transverses, elle ne lui sent pas de résistance. Pas même réellement de tonus. Au-devant du kimbersnake, il a pompé une large partie de ce qui lui restait au réservoir. Elle tire, fort, pour serrer comme si l’attelle était une part des os intacts au-dessus des fragments. Elle lui laisse le temps de drainer la douleur. Elle arrache les fragments de tissu noir, lacérés dans l’accident. Et alors, elle demande en forçant sur son tournevis :

— Il te restait quoi à vivre avant ça ?

Il hésite, et s’il ne veut pas répondre, ça ne fera pas de différence. Malgré tout, il se soulève pour être un peu plus dignement assis, tandis qu’un éclair se fait capter par le paratonnerre au-dessus d’eux dans un craquement du ciel.

— Un blood-bag, dit-il. On m’a branché. Il y a… trois jours. Ça serait déjà fini sans ça. Peut-être. Certainement.

Il a hésité sur le temps, comme si c’était dans une autre existence. Volta veut bien le croire, et le reste aussi. La vérité, c’est que sans une autre transfusion du genre, ce qui était imminent – ce qui a juste été retardé – s’achèvera. Et les rumeurs disent que tous les blood-bags ont été libérés, à la Citadelle, comme les autres prisonniers. Elle prend la clé à molette et il récupère le tournevis. Alors, il entreprend d’enduire la pointe de la graisse noire qui lubrifie la mécanique de l’attelle.

— Larry et Barry, dit-il tandis qu’elle fronce les sourcils. Ce sont des cons.

Elle l’observe faire de son tournevis un pinceau improvisé, puis retracer sans même pouvoir les voir deux visages sur la paire de lymphomes qui lui grandissent au cou. Quatre yeux, deux bouches. Comme s’il avait fait ça cent fois. Et il répète que ce sont des cons.

— Ils ne pigent pas que quand j’y passerai, ils y passeront aussi.

Volta le laisse finir, puis se tourne et renvoie les attelles d’autres tailles dans le fond de l’armoire métallique. Elle a vu sa fièvre, la nuit d’avant, semblable à celle qui a emporté sa mère. Au moins, il est factuel : une de plus sera une de trop.

— Tu veux quand même retourner à la Citadelle, dit-elle car elle ne comprend toujours pas, même si elle devrait s’en moquer. Immortan Joe est mort, tu ne seras même pas félicité. Tu t’en fous, t’as dit. Pour de bon, tu t’en tapes d’aller crever mollement là-bas ?

Ce que les War Boys craignent d’habitude le plus, eux qui ne cherchent que l’acte final de bravoure héroïque. Le feu d’artifice de mécaniques et d’os qui marquera la mémoire de ceux qui en seront témoins.

— Je peux crever mollement, dit-il, et elle voit bien que lui non plus n’aurait jamais imaginé dire ça avant.

Elle l’écoute, mais en serrant les écrous latéraux de l’attelle, elle a relevé le nez en direction de la porte. Comme si elle avait entendu quelque chose au travers du fléau acoustique de l’ouragan dehors. Autre chose que les grésillements des batteries. Lui n’a pas remarqué.

— Je peux, répète-t-il. Je veux bien. Je sais où et je sais comment.

— Il y a quelqu’un qui t’attend là-bas.

Ce n’est même pas une question. Volta empoigne de nouveau la brouette et la réinstalle au bord de la banquette. Les transformateurs grésillent mais son attention se braque sur autre chose. Le bruit, dans le tunnel. Il a recommencé et ce n’est pas une pierre tombée du plafond.

— Elle n’attend sûrement pas, non, entend-elle, sur le qui-vive.

Elle n’a pas besoin de savoir qui elle est, et il a sûrement raison : elle n’attend rien. Le défilé, le porte-guerre, la poussière, le bingle, comme le résume assez bien le slang des Wastelands. Nux secoue la tête, comme si elle était désaxée.

— Je vis, je meurs, je vis encore…

Cette énumération n’est pas terminée, et c’est Volta qui l’achève.

— Tu meurs encore, une dernière fois.

Elle se dit que ses intérêts ne s’opposent peut-être pas aux siens, mais le bruit revient. Elle le tracte un grand coup dans la brouette et s’interpose en direction de la porte, en posture de défense. Cette fois, elle a tiré son poignard et c’est au-devant d’eux qu’elle le tend, en direction du tunnel par lequel ils sont arrivés. Elle jure très bas, en russe, mais elle murmure à la suite :

— On va se démerder pour que ça soit où tu veux.

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