I live, I die, I live again

Chapitre 6 : Babushka triple-octane

1675 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/02/2020 10:52

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Les uns contre les autres (février-mars 2020).

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Nux aussi a entendu le bruit. Des pas, c’est sûr. Avec un claquement de plus. Réguliers maintenant. Toc tac tac. Toc tac tac. Trois jambes ? Il n’a encore jamais vu ça mais ça se peut. Il a croisé des gens avec un œil de plus. Des mômes avec les poumons dehors. Plus rien, au fond, ne l’étonnera. Devant la brouette, Volta se dresse et lui barre la vue. Elle est tendue mais elle respire calme, calme. Elle sait. Elle sait ce qui vient.

Eto ya, Babushka !, lance-t-elle à l’obscurité du couloir.

Une seconde s’écoule, une deuxième. Et soudain, un trait d’acier file à ras de son épaule pour se planter dans la banquette, juste derrière lui. Un carreau de petite arbalète Buzzarde, long comme sa main. Sans poison, cette fois, il dirait. Et tandis que Volta baisse son poignard et s’avance, il entrevoit l’humanoïde qui vient de passer dans le bunker.

Une vieille, vieille femme. Plus vieille que quiconque, appuyée sur une barre de fer comme si elle était l’un des Pole-cats de Pétroville, son arme dans l’autre main. Fière. Tough. Ridée. Ridée. Sèche comme si sa carcasse était déjà restée vingt jours au vent. Si lui n’a eu qu’une demi-vie, elle, a vécu au moins le triple. Vieille comme une traction avant. Il lève ses deux mains, et les quatre anneaux de chaîne qui restent au cerclage de perfusion de son poignet droit font un cliquetis honnête.

— Tout doux, grandma, risque-t-il.

Un second carreau part, ricoche sur le métal du mur. L’arbalète. Les Buzzards n’utilisent plus guère les armes à feu. Nux a rentré la tête mais il rit. Il rit. Il est certain qu’il sera mort avant de pouvoir arrêter. Volta, elle, a la gravité d’une cage à corbeau. Elle avance vers l’aïeul pour maîtriser son arme, pour lui dire qu’elle n’est pas attaquée. Il l’entend japper des choses en russe. Des choses auxquelles la vieille rétorque. Un argumentaire qui vire à un mélange de mauvais slang qu’il comprend un peu.

— C’est pas nourriture, Volta, Dayu slovo !

— C'est pas pour le manger. Il vaut au moins vingt batteries, Babushka. C’est à la Citadelle que je vais.

Konechno net !

Et il l’entend dire que personne ne sait comme est la Citadelle à présent. Dans quel état sont les gens. Il l’entend affirmer qu’il faut attendre. Quelques jours. Que cette folie passe. Elle dit que les derniers hauts gradés de Pétroville sont sur la Route. Qu’elle ne doit pas les croiser. Volta a arraché l’arbalète et l’a envoyée valser dans les batteries. Et elle revient, et elle attrape son chariot.

— Volta, tu n’y vas pas ! Ty ostanesh'sya zdes' !

Et la vieille jure, et elle crie, et elle pleure. Et Volta pousse son chargement dans le couloir alors que la tempête reprend au-dessus. La vieille hurle un dernier mot de rage, quelque chose qui sonne comme « NOVIC ! », puis elle écrase un bouton. Sur le tableau des Lectricités à côté de la porte. Volta court dans le boyau et la brouette sursaute. A droite, à gauche, Nux s’agrippe et hoche la tête en l’observant.

— Ta grammy c’est du triple-octane, dit-il alors qu’elle accélère au risque de l’envoyer valser dans un chaos.

Volta expire, comme un soupir. Comme une tristesse.

— Ce n’est pas la mienne.

Son front est bas sur ses yeux noirs où défilent les lueurs des larves des Moths.

— C’était celle de Matvei. Et Nislav. Deux qui sont morts avant-hier à la traque du Porte-guerre.

Nux ne dit plus rien. Il ne rit plus non plus. Il était parmi les intercepteurs. Il les as vus combattus, ces véhicules Buzzards et leurs carcasses rouillées. Un Plymouth Rock, un Excavateur. Et il ne sait plus combien de tacots à pointes. Une fois pulvérisés, l’armada de l’Immortan a pris leur place à la poursuite de la citerne, jusque dans cette tempête de dingues qui gronde derrière eux. Il était l’un d’entre eux. Il n’a jamais considéré les Buzzards comme des gens. Alors il se tait, et bientôt la porte du bout du corridor approche en déversant la clarté orange du dehors. Volta la scrute déjà même si elle aussi est aveuglée. Elle claque de la langue, cette fois nerveusement.

— C’est aussi celle de Novic, ajoute-t-elle tandis qu’ils sortent à la lumière des franges des dunes à Tempêtes. Il sera plus dur à convaincre que Babushka.

Ce type est là, sa main sur les pointes tranchantes de son Staryytako. Pas si grand mais solide comme sont les carrossiers. Son visage est couvert des bandes des Buzzards. Ses lunettes protubérantes comme des cornes. Ses bottes ferrées. Il a perdu deux frères derrière le Porte-guerre, peut-être plus. Il les avise. Elle. Sa brouette. Lui. Il écarte ses gants en signe d’incompréhension, mais la vieille hurle déjà des ordres depuis les profondeurs du tunnel. Sans même ciller, sans un mot, Volta extirpe l’Ural de son abris de roche puis y transfère le War Boy.

What the hell, Volta ?, lui dit Novic au travers de ses protections.

Au loin dans les tumultes, un arc électrique a de nouveau frappé le paratonnerre. A son tour, elle enroule les bandages autour de sa tête pendant que Nux cale sa jambe cerclée de métal en travers du sidecar. En évitant les grenades. Plus à l’aise, maintenant que le sac de cuivre n’y est plus.

— Obéis-lui si tu veux, prononce Volta en direction de Novic, tout en fixant ses lunettes et en enfourchant sa moto.

Maintenant qu’il a refroidi, l’Ural piaffe comme s’il n’attendait que de se mettre en mouvement. Elle met les gaz, et alors que la Babushka triple-octane sort du bunker en brandissant son arbalète retrouvée, Novic plonge à son tour dans son Staryytako. Le sable se soulève, presque autant que les vociférations de l’aïeule. Et en une seconde, la terre défile sous le sidecar dans le tonnerre de son moteur. Rapide. Rapide. Droit en direction de la piste par laquelle ils sont venus.

C’est sans doute la dernière fois, et Nux le sait. Cette accélération incoercible pour échapper à l’assaillant. Ce pincement qui prend au châssis et remonte à la gorge. Cette vitesse qu’on ne prend pas la peine de mesurer parce qu’elle ne sera jamais assez grande. Ce n’est pas son véhicule. Ce n’est pas sa Chevrolet, dispersée quelque part à l’autre bout de la Tempête dans un fiasco d’essence. Il aurait aimé conduire. Encore une fois. Mais ça, ça n’arrivera plus jamais.

Novic n’a pas l’intention de les abattre, le War Boy n’a en tout cas besoin que d’un instant pour le comprendre. Il en a vu des Buzzards. Slit en a fait péter par poignées, en bon lanceur qu’il est. Qu’il était. Maintenant il est mort, lui aussi, dans cet enfer, et il n’y a pas de Portes au Valhalla. Nux rentre la tête dans le sidecar tandis que Volta contre-braque rudement pour faire déporter son camarade. Le Buzzard a des réflexes, il l’évite. Il renchérit et elle aussi. Il n’est pas plus rapide. Et elle est plus mobile.

Un instant, il considère de balancer l’une des grenades. Volta le sent et sa semelle rencontre sa main de façon plus qu’explicite. Cette fois, ce n’est pas un kimbersnake qu’ils ont sur leurs talons. A la place, elle décélère d’un coup. L’inertie du plus lourd Staryytako l’emporte plus loin, et Volta fait obliquer l’Ural pour changer de direction dans son dos. Novic réajuste tandis qu’elle file, il se rapproche. Plus près. Plus près. Si elle recommence, il saura l’anticiper. Plus les manœuvres sont brillantes, et plus le War Boy s’extasie à côté. Volta souffle sous son foulard. Cette fois, c’est elle qui rit, dans le vent qui cingle comme un lacet de cuir.

Alors elle se tourne et fixe Novic au travers du vide qui lui sert de pare-brise, à sa hauteur. Ils foncent, encore, encore. En miroir l’un de l’autre malgré la différence de leurs engins. Volta attend le bon moment, son sourire invisible sous ses bandes. Puis vers Novic, elle risque enfin un geste. Un signe mille fois reproduit : elle joint son index et le pouce de sa main. Tout va bien, lui dit-elle par là. Et ils roulent encore au coude à coude un moment, comme si le Buzzard soupesait sa décision. Cinq secondes, comme une grenade. Quatre, trois, deux et un.

Enfin d’un coup, il s’écarte et les pointes s’éloignent. S’éloignent. Il oblique vers le Nord-Est. Il renonce, et Nux feint d’être déçu. Sans doute que la vieille le lacèrera pour ça. Il redresse son crâne chauve traversé du trait de cisaille à cuivre, et il exulte à nouveau d'une joie épuisée, tandis que Volta reprend le cap qu’elle avait planifié.

— C'est définitivement une bonne journée, se dit-il à lui-même.

Elle fonce, elle fonce. Au loin, à la fois à l’infini de l’horizon et à portée de main, se dessinent les trois minuscules reliefs des Tours de la Citadelle.

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