Les Vestiges d'Hydra

Chapitre 7 : Prospections

4573 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/03/2023 13:24

Trois.

Au troisième cauchemar, j’entends Bucky se tourner brusquement dans le lit, puis sangloter silencieusement. J’attends quelques instants, mais comme je ne le vois pas se lever, je me doute qu’il n’osera pas le faire après que je lui ai fait peur hier soir…

– Buck ? je ne dors pas, tu peux venir… si tu veux. Rajoutè-je, pour ne pas l’obliger.

Il finit par se lever et venir s'asseoir devant la cheminée, ses bras autour de ses jambes repliées devant lui ; son menton repose sur ses genoux, le regard perdu dans les flammes. Je l’observe avec insistance, hésitant à lui poser une question ; mais comme toujours, il la devine : 

– Je n’ai pas envie d’en parler ! 

– Bien… je… je suis désolé pour hier soir, je… tu peux venir t’allonger près de moi, je ne te ferais pas de mal, je ne te toucherais pas, Buck ! je voulais juste mettre ma main sur ton épaule, tu sais…

– Je sais ! Me répond-il sèchement.

Je n’ajoute rien parce que je sais que c’est plus après lui qu’il est en colère qu’après moi. Je me rallonge et lui tourne le dos, pour qu’il se sente plus à l’aise ; en effet, quelques instants plus tard, je le sens s’allonger délicatement derrière moi et se recouvrir. Je me rendors et ne me réveille qu’au petit matin, sans avoir entendu de nouveaux cris ou sanglots, j’en déduis donc que Bucky, lui, ne s’est pas rendormi.

 Sans ouvrir les yeux, je m’allonge sur le dos et me découvre, il fait monstrueusement chaud devant cette cheminée ! Quelques instants plus tard, je sens mon ami enfouir son nez dans mon épaule en soupirant. Je somnole quelques minutes, peut-être une demi-heure de plus et lorsque je me décide à ouvrir un œil, chatouillé par une mèche de cheveux, je constate que Buck s’est enfin endormi, tourné contre moi. Je dégage avec une infinie précaution la mèche brune qui me chatouillait le bras et la replace ; je ne peux pas m’empêcher au passage de caresser tendrement ses cheveux tout en les reniflant. Je me tourne juste assez pour le contempler ; lui aussi a dû avoir chaud, car il a enlevé le t-shirt à manches longues qui lui sert de haut de pyjama. Envahi par une soudaine bouffée d’espoir, je me dévisse le cou pour vérifier si à tout hasard, il n’aurait pas ôté le bas en même temps. Non. Tant pis… C’est rarissime qu’il ait les bras découverts, j’ai beau réfléchir, ce n’est jamais arrivé en fait ! Même avant de partir, lorsqu’il a dormi en peignoir, celui-ci lui recouvrait encore les bras au matin… 

Dans son sommeil, il grogne et se tourne sur son côté droit, m’exposant son dos et ses fesses, délicieusement moulées par son pantalon de survêtement. Je me force à quitter son postérieur du regard et mes yeux finissent par se poser sur son épaule cybernétique, qu’il cache constamment à la vue de tous. Je remarque que la jonction entre le métal et sa peau est recouverte d’innombrables cicatrices étirées, plus ou moins blanchies. Intrigué, je m’approche pour mieux voir et mon cœur se serre en réalisant que les marques correspondent à des sillons creusés par des ongles. Les siens. Il a dû s’acharner à essayer de retirer la prothèse. Les plus anciennes marques sont vieilles de plusieurs années, mais certaines sont plus récentes. Beaucoup plus récentes…

Je me retiens d’y poser autant de baisers qu’il y a de cicatrices tant j’ai mal à l’idée de ce qu’il s’inflige. Mon exploration se poursuit, mais mon cœur n’obtient aucun répit quand mes yeux se posent sur son dos. Lézardes, taillades et entailles témoignent de stigmates laissés par d’anciens combats, mais pas seulement. Certaines zébrures et marques de brûlures ne laissent aucun doute quant à leur origine.

 Une colère sourde m'envahit, toujours la même, éprouvée à l’égard d’Hydra oui, mais surtout après moi-même ! J’aurais dû être là, j’aurais dû lui éviter tout ça ; j’aurais pu me faire capturer à sa place et subir ça à sa place. J’aurais tant souhaité que nos places soient échangées…

Je me remets sur le dos et ravale mes larmes ; je médite longtemps, le temps nécessaire à Bucky pour se réveiller en sursaut, sans doute suite à un énième cauchemar... Il se tourne lui aussi et je me force à lui sourire. Je ne sais pas s’il interprète mal ma grimace, mais il sursaute encore en s'apercevant qu’il n’a plus de t-shirt et se lève d’un bond, en cherchant son vêtement partout : 

– P… pardon, Steve !

– Hein ? M’exclamè-je, en me redressant à mon tour.

– J’ai dû enlever mon haut en dormant, j’avais chaud ; pardon, excuse-moi ! Rajoute-t-il, en attrapant la couverture pour s’en draper à la hâte.

– Pardon de quoi ? Demandè-je, à moitié en panique.

– Mon bras, je suis désolé, je ne voulais pas t’imposer ça, pardon ! Me répète-t-il, honteux.

Je n’ai pas le temps d’en placer une qu’il file s’habiller dans la salle de bains, sans oser me regarder. Bon… Je m’habille moi aussi, en essayant de comprendre ce qui vient de se passer et avec l’intention de parler à Bucky, mais quand il sort, il descend directement dans la pièce principale. Lorsque je dévale quatre à quatre les escaliers, je le retrouve en train de parler à Lachlan et il m’évite soigneusement en l’aidant stratégiquement à servir le petit-déjeuner. La présence de l’écossais m’empêche de remettre le sujet sur la table, déjà garnie de café, de jus et d’épaisses tartines de pain… 

Vaincu pour le moment, je décide de passer à autre chose : 

– Hum, Lachlan, nous avons trouvé une bouteille hier et nous avons, euh… enfin nous l’avons goûtée et, euh… il vient d’où ce whisky ?

– Ah oui, j’ai rentré une bouteille de whisky tourbé de ma fabrication, c’est vrai ! Me répond l’écossais, en allant chercher ladite bouteille dans la commode. 

Quand il la pose sur la table, il rigole franchement : 

– Et bien mo cho-oghaichean (1)... vous avez une bonne descente ! je vous en emmènerai plus ! je le distille dans ma grange, avec la recette de papi MacKay, il vous plaît ? 

– J’avoue qu’il, euh… est fort ! Lui répondè-je, un peu gêné.

– Ah ça, il réchauffe ! les hivers sont froids par ici… M’explique Lachlan, en rangeant la bouteille.

L’écossais repart dans la cuisine en sifflotant, sans doute pour nous laisser un peu d’intimité. Nous l’entendons remuer bruyamment la vaisselle et s’affairer devant la cuisinière en y posant poêles et casseroles. Bucky a le visage fermé, il avale quelques tartines et se ressert deux fois du café avant que je trouve le courage de me rapprocher de lui ; je me lève et m'assois à sa gauche en faisant glisser mon mug vide sur la largeur de la table : 

– Je peux avoir un peu de café ? Demandè-je, en m’efforçant d’adopter un ton léger.

Il me regarde prendre place en fronçant les sourcils, suspicieux, puis son visage se détend un tout petit peu en réalisant qu’il a accaparé le pichet de café : 

– Дерьмо (2), pardon ! Me répond-il, en s’empressant de remplir ma tasse.

Instinctivement, je pose ma main sur la sienne-la main cybernétique-pendant qu’il soulève le pichet. Il ne peut se dégager sans risquer de tout renverser, donc il se contente de me fusiller du regard et moi je me contente de lui offrir un sourire sincère : 

– Ne t’excuse pas, Buck… pour rien !

Mon ami me fixe, hésitant, puis repose le pichet au ralenti. Je laisse ma main posée sur la sienne et mes yeux rivés dans les siens. L’espace d’un instant, je me dis qu’à tout moment je vais me prendre son poing dans la figure… Ça ferait plaisir à Tony, lui qui rêve de me refaire la dentition ! Mais Bucky finit par baisser le regard sur nos mains et alors que je m'apprête à tenter le tout pour le tout en posant un baiser sur son gant, Lachlan revient et mon ami se dégage immédiatement de ma prise pour faire mine de se resservir. Loupé.

– Premier cours d’équitation, monsieur Grant ? Propose l’écossais, en me fixant.

– Euh…

– Il ne vous faut que les bases, après votre cheval suivra celui de votre époux puisqu’il est plus habitué !

Bucky se tend à l’appellation, puis sourit faiblement en se levant pour débarrasser. 

– Mmmm. Grommellège-je, pas convaincu du tout.

– Allons, monsieur Grant… ou préférez-vous que ce soit votre époux qui vous apprenne ? j’ai du bois à couper ! 

– Je vais me charger du bois ! Crie Bucky depuis la cuisine.

OK…

– Bon… appelez-moi Finlay, par contre ! Lui répondè-je, vaincu.

– On se retrouve dehors dans trente minutes, Finlay ! Ajoute Lachlan, en quittant la pièce.


*~*


Deux semaines et demie s’écoulent, pendant lesquelles j’apprends à monter à cheval tous les matins. Lachlan est bon professeur et je m’étonne de faire de rapides progrès ; pire que ça, j’y prends goût ! Après avoir “essayé” les trois chevaux, j’ai rapidement opté pour le cheval noir mi dhu ; c’est le plus grand et le plus impressionnant, mais paradoxalement le plus patient et le plus instinctif. Je m’entraîne dans un petit coral improvisé en face du bout de grange qui sert de réserve à bois/garage/cabane à outils de Lachlan. Pendant mes leçons, Bucky coupe du bois, s’occupe des poneys ou reste au château à étudier des plans ou à lire dans la charmante bibliothèque que Phil a aménagée pour nous. Nous l’avons trouvée fortuitement un matin, alors que nous cherchions-je cherchais- un éventuel deuxième WC (la réponse est non, il n’y en a pas)… La pièce est très agréable et étonnamment lumineuse, j’aime m’y installer en cachette pour dessiner dans mon carnet quand je prends une pause bien méritée. En cachette, car Lachlan a toujours sa cravache à la main, résolu à faire de moi un jockey de compétition (taille XXL) et dès que Bucky me met la main dessus, c’est pour me faire crapahuter jusqu’à l’épuisement dans la lande…

Les après-midi sont consacrées aux explorations des environs du domaine, à pied et en barque. Nous avons déjà parcouru toute la pointe sud du Loch Shin, sans rien trouver d’intéressant toutefois… 

L’hiver est particulièrement froid et quand nous rentrons, à la nuit tombée, nous sommes gelés jusqu’aux os. Il neige presque tous les jours et le vent nous fouette sans répit pendant nos longues excursions. Bien que cette grande bouffée d’air nous fasse le plus grand bien, je commence à me demander si nous ne devrions pas chercher quelques pistes en parlant aux habitants car pour le moment, nous faisons choux blancs. Pas que ça m’embête, mais j’ai toujours peur que Ross s’impatiente ! 

Attablés devant notre déjeunet, à midi pile (j’ai faim avec toute cette activité), autour d’un copieux stovies, la spécialité de Lachlan-un ragoût de restes de viandes et de légumes bouillis-je me décide à faire part de mon plan à Bucky : 

– On pourrait aller au village poser quelques questions ?

– Pourquoi pas demander à Lachlan d’aller poser les questions à notre place ? Me chuchote mon ami, pas emballé du tout.

– La mission doit rester secrète, Buck… on ne peut pas lui faire une liste de questions comme ça ! il ne faudrait pas le mettre en danger.

Cette remarque fait mouche et Bucky semble se rendre à l’évidence : 

– Mmmm, ok… cet après-midi ?

– Oui, on va y aller avec la bétaillère !


*~*


C’est ainsi qu’en début d’après-midi, nous partons pour Lairg avec la vieille guimbarde. Lachlan n’a posé aucune question, il a simplement acquiescé en disant qu’il s’occuperait des animaux et préparerait de quoi souper pour le soir, tout en nous tendant un trousseau de clés : 

– Si jamais vous rentrez tard, buidheag

– Merci Lachlan, prenez soin de vous. Lui répondè-je, en enfonçant mon bonnet sur ma tête.

– Mmmm… c’est plutôt à vous qu’il faut dire ça… Rétorque-t-il, l’air préoccupé.

Une fois arrivés dans le bourg de Lairg, nous nous garons le long de l’allée principale. Le long de cette route se trouve l’essentiel des commerces du coin, à savoir une station essence, une épicerie, un bar, une boulangerie, un bureau de poste et un cabinet médical affichant fièrement deux plaques, celle d’un médecin et d’un infirmier libéral. Un panneau indique la présence d’un groupe scolaire, visiblement vers la sortie du village…

Bucky inspecte rapidement la rue et me fait un signe de tête en direction du bar ; c’est donc dans cet établissement, nommé “le Lonely-Ness” que nous entrons, l’air faussement serein, voir carrément crispé en ce qui concerne mon ami. Le pub est presque désert à cette heure-ci, seuls quelques habitués y boivent café ou digestif ; après avoir salué d’un signe de tête la modeste assemblée, nous allons nous asseoir contre la fenêtre à petits croisillons.

Bucky scrute la rue et lorsque le patron s’approche, il baisse légèrement la tête pour ramener ses cheveux devant ses yeux.

– Qu’est-ce que je leur sers ? Nous demande aimablement l’homme d’une soixantaine d’années à l’embonpoint qui frôle l’obésité.

Je jette un œil à Bucky, qui a l’air de s’en foutre comme de sa première petite amie…

– Deux cafés, s’il vous plaît ! Répondè-je, avec un large sourire.

– Ils ne veulent pas un petit Drambuie avec ? Insiste le patron.

Bucky relève la tête et grogne : 

Aye, da ghlainne !

L’écossais le fixe, visiblement surprit, puis sourit de toutes ses dents avant de repartir en direction du bar.

– T’as dit quoi là ? Demandè-je, en chuchotant.

– J’ai dit “deux verres” !

– Et t’as dit s’il te plaît ? M’inquiètè-je.

– Et puis quoi encore ? 

L’homme revient avec nos expressos et deux petits verres de liqueur, qu’il pose délicatement sur la table avant de s’éloigner à nouveau. Intrigué, je commence par le digestif. À l’instar du whisky de papi MacKay, il me brûle la trachée et semble bouillir dans mon estomac, diffusant une chaleur bienheureuse sur son passage. Je toussote et mon ami se met à déguster lui aussi sa liqueur en fronçant les sourcils, curieux. Il boit cul-sec et repose son verre en écarquillant les yeux : 

– Корова (3) ! mais ils mettent quoi dans leurs alcools ici ?

– J’en sais rien, mais c’est résistant au sérum de super-soldat en tout cas… Ajoutè-je, en inspectant le fond de mon verre.

Les hommes accoudés au bar nous regardent en rigolant de bon cœur, l’un d’eux nous invective : 

– Il est artisanal le Drambuie, pas mal hein ?

– Il réchauffe les tripes, c’est certain… laissez-nous vous offrir une tournée ! Répondè-je, souhaitant encourager la bonne humeur ambiante.

Ça marche plutôt bien puisque le petit groupe émet un “aaaah” appréciateur. Le patron sort sa bouteille et nous fait signe de la main : 

– Approchez-vous, on ne mord pas ! venez boire avec nous puisque vous offrez le canon !

Bucky me regarde, affolé et furieux à la fois, mais je lui souris et murmure : 

– Ça va aller, Buck, Обещано (4) ! 

Il se lève et je passe une main à l’arrière de son dos pour l’encourager à se diriger vers le bar. Je le laisse s'asseoir et reste debout à ses côtés : 

– Finlay et Ducan Grant, nous sommes les nouveaux propriétaires d’eilean a' phòg! Nous présentè-je.

– Ah… c’est vous les éleveurs de poneys ? Questionne le patron, intrigué.

Bucky tique et je le connais assez pour deviner qu’il se retient de lever les yeux au ciel…

– En effet, nous nous sommes installés il y a peu. Répondè-je.

– C’est vous le cousin de notre regrettée Morag ? Demande un autre homme, l’air triste.

Morag, Morag… C’est sûrement le prénom de la femme de Lachlan.

– Oui, c’est moi et voici mon mari, Duncan ! Proclamè-je fièrement, en posant ma main dans le bas du dos de Bucky, qui trésaille, imperceptiblement. 

Passé un court moment d’étonnement, les hommes s’ébrouent et lèvent leurs verres : 

Slàinte (5) ! S’exclament-ils joyeusement.

Bucky et moi faisons de même et levons nos verres : 

Slàinte !

Après avoir échangé quelques banalités, qui ont eu le mérite de mettre en confiance Buck, qui se détend à vue d'œil- à moins que ce ne soit ce traître de Drambuie qu’il est en train d’écluser- je décide de poser une question à l’allure anodine : 

– Les bords du Loch sont plutôt déserts, y a-t-il d’autres habitants ou bien sont-ils tous ici, à Lairg ?

Un premier homme me répond : 

– À part Lairg, la lande qui borde le Loch est plutôt inhospitalière…

– L’été, il y a bien des touristes aux alentours de West Shinness, mais l’hiver, il n’y a plus personne ! Rajoute l’homme assis à côté de Bucky.

– Mmmm, depuis l’automne ceci-dit, on me demande de faire une livraison par semaine de vivres à Fiag Bridge… Dit évasivement un autre homme, en face du patron.

– Ah oui ? des, euh… des locaux ? Demandè-je, en mettant un léger coup de coude à Bucky, qui se redresse difficilement.

– Je ne pense pas, plutôt des excentriques ou des marginaux… je ne les aie jamais vus, il faut leur poser la caisse à l’entrée du pont tous les jeudis à quinze heures et l’argent est viré directement sur le compte de mon épicerie ! Reprend l’homme, en secouant la tête d’un air amusé.

– Vous, euh… vous connaissez leur nom ? Poursuis-je.

Nay, pourquoi ? vous voulez leur vendre des poneys ? 

Les hommes partent en fou-rires et j’ai la surprise d’entendre Bucky se joindre à eux… Il se ressert un verre, le lève devant l’assemblée et crie : 

– Vashe zdorov'ye (6)! 

Puis il le boit cul-sec et balance son verre par-dessus son épaule, devant le regard médusé des hommes.

– Duncan, c’est pas de la vodka ! Chuchotè-je à son oreille.

– C’est pas courant d’entendre un highlander parler russe ! Rigole le patron, intrigué.

– Hum, oui, il a, euh… étudié en Russie alors il a quelques… restes. Bredouillè-je, en tentant d’être convaincant.

– Une autre tournée ? Propose l’épicier, plein d’espoir.

– Euh, nous allons rentrer au château, nous avons du travail… Dis-je, en faisant les gros yeux à Bucky, qui se lève.

Beannachd leat (7), revenez quand vous voulez ! Répondent les hommes, plus ou moins en chœur.

Après les avoir salués, nous ressortons et nous dirigeons vers la bétaillère.

– Je vais conduire ! Propose Buck, en se dirigeant vers la portière.

– Non, je crois pas…Lui dis-je, en le poussant gentiment côté passager.


*~*


Bucky trouve le moyen de s’endormir sur le chemin du retour, aussi, lorsque je gare le camion, je suis obligé de le secouer : 

– Buck… hey, Bucky ! on est arrivés, tu devrais aller te reposer un peu…

– Da ! Me répond-il, en bâillant.

Il n’est pas tout à fait dix-sept heures, mais le soleil entame déjà sa descente à l’horizon quand nous montons l’escalier de pierres. Lachlan est absent, sans doute avec les poneys. Mon ami va s’étendre directement par terre, devant la cheminée de la chambre, que j’alimente en bois pendant qu’il se déchausse et se roule dans la couverture. Je ferme les volets, écarte ses Rangers et quitte la chambre en laissant la porte ouverte, puis me dirige vers la bibliothèque. J’allume les lumières et m’occupe là aussi du feu dans la petite cheminée de la pièce ; je m'installe ensuite sur le fauteuil devant le bureau et sort mon carnet de l’un des tiroirs. 

Profitant du calme du château, de ses craquements familiers, ainsi que de ses odeurs, auxquelles je me suis accoutumé et qui me sont maintenant familières et sécurisantes, je laisse mes pensées s'apaiser et guider les lignes de mon crayon. Comme toujours, mes doigts esquissent les formes d’un corps qui m’inspire désir, passion et sensualité, mais aussi regrets et culpabilité… Sans réfléchir, je dessine Bucky tel que je l’ai vu ce matin, de dos, couché sur son côté droit. Je détaille son bras et son épaule cybernétiques ainsi que les innombrables cicatrices qui en parsèment les contours, tout comme celles qui constellent l’ensemble de son dos. Je reproduis fidèlement la perfection de ses formes, de ses muscles et de ses cheveux. Mon esprit finit par s’évader un peu et je me surprends à le dessiner comme s’il n’était recouvert d’aucun pantalon… Je m’applique à imaginer en détail le galbe de ses fesses, l’harmonie de ses cuisses et la beauté de ses pieds. Une fois terminé, j’estompe quelques traits avec mon doigt pour créer des ombrages lorsque je me fais surprendre par une voix. Bucky.

– Qu’est-ce que tu fais Steve ?

Je sursaute et m’empresse de refermer mon carnet à la hâte, mais Buck avance à pas de loup et il est déjà au-dessus de mon épaule avant que j’aie le temps de le cacher dans le tiroir : 

– Tu dessines ? Me demande-t-il avec le sourire.

– Ou… oui, enfin, ce ne sont que des gribouillis… Bredouillè-je, en sentant le feu sur mes joues.

– Je peux voir ? Demande-t-il, en tendant une main vers mon carnet.

– Non ! M’empressè-je de répondre, beaucoup trop vigoureusement pour que ce ne soit pas suspect.

Bucky me fixe avec un regard amusé et une mimique curieuse, tout en tirant doucement sur mon carnet que j’essaye désespérément de retenir. Comme quand nous étions gamins à Brooklyn, il finit par chiper mon calepin et s’éloigne en rigolant. Il part s’appuyer contre le rayonnage de livres et commence à feuilleter les dizaines de pages que j’ai noirci et qui lui sont exclusivement dédiées… Je souhaiterais m’enfouir dans un terrier tellement je suis accablé d’un mélange de crainte et de honte. Il est possible que sur certains dessins, j’ai imaginé Bucky de face, entièrement nu et plutôt bien membré, si mes souvenirs sont bons. Et je pense qu’ils le sont, si j’en crois les multiples haussements de sourcils de mon ami lorsqu'il s’arrête sur certaines pages pour les examiner en détails ; il penche même le carnet dans tous les sens à plusieurs reprises… Mon estomac se noue et je frotte mes mains compulsivement contre mon jean pour tenter de m’offrir une contenance, mais lorsque Buck s’attarde sur le dessin que je viens de terminer et redresse son visage pour me fixer, je retiens mon souffle !

– Ce dessin-là… il n’est pas comme les autres ! S’étonne-t-il.

– C’est… c’est-à-dire ? Soufflè-je, d’une voix à peine audible.

– Sur les autres, je n’ai pas de cicatrices ! Constate-t-il.

– Oui, euh… sur les autres, j’imaginais ton, euh… ton corps ; sur le dernier, je t’ai dessiné tel que je t’ai vu ce matin… Expliquè-je, honnêtement.

– Je ne me rappelle pas avoir enlevé mon pantalon, pourtant…

– Je… je, non… euh, j’ai, j’ai juste… Bredouillè-je, au bord de l’évanouissement.

– Je préfère les autres ! Me coupe-t-il, amer.

– Pourquoi ? Demandè-je, en m’ébrouant.

– Ton imagination est préférable à la vérité… et puis d’ailleurs, ton imagination est limitée si je suis devenue ta seule source d’inspiration pour dessiner ! Répond-il, l’air préoccupé.

– Moi, c’est mon dessin préféré pourtant… Avouè-je, en éludant la deuxième partie de sa phrase.

Bucky fronce les sourcils, je ne sais pas si c’est de colère ou de doute, puis il finit par demander : 

– Tu préfères la déchéance de mon corps à la beauté parfaite que tu imaginais avant ? 

– Je préfère la vérité au mensonge… 

– Le mensonge est pourtant plus beau que la vérité ! Dit-il, en levant le carnet pour appuyer ses dires.

– La vérité ne me dérange pas, c’est ce que tu es !

– Je suis un monstre ! un animal qui n’est bon qu’à tuer, j’ai été dressé pour ça et ces… marques, tout comme ce bras, en sont un rappel constant, je les hais ! Ajoute-t-il, honteux.

Je me lève et m’approche de lui avec précaution pour poser mes mains sur ses triceps. Les deux. Il baisse son visage pour fixer ma main droite se poser doucement sur son bras gauche, puis se redresse pour me regarder. Ses yeux gris reflètent appréhension et perplexité quand ils rencontrent les miens.

– Moi, je ne les déteste pas… Dis-je, tout bas.

– Pour moi, ils représentent le Soldat de l’Hiver ! Me répond Bucky, accablé.

– Tes cicatrices, ton bras… ils sont les témoins de ce que tu es Bucky, un survivant ! pas un monstre, ni un animal…

– Pourquoi tu me dessines ? Demande brutalement mon ami, sans doute pour botter en touche.

– Parce que… parce que…

– LE SOUPER EST PRÊT ! Hurle Lachlan, en bas de l’escalier.

– On devrait… peut-être descendre manger ! Proposè-je à Bucky.

Ma lâcheté. Encore.

Bucky me retend mon carnet et quitte la bibliothèque sans un mot de plus.


(1) Mes cousins

(2) Merde

(3)La vache

(4) Promis

(5) Santé

(6) Aux amis

(7) Au revoir


***** Bonjour ! Ce chapitre est suivi d'un chapitre bonus (poème) à lire dans la foulée 😉

Quelques photos sur le forum du site 😍

À tout de suite pour le bonus, merci à tous pour vos votes et commentaires ❤️❤️❤️ *****

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