Le secret

Chapitre 12 : Rivaux

1792 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 19:42

Garrus referma la porte de la cabine de Cooper et demeura là, dans la coursive, statufié. La veille, le lieutenant s'était profondément entaillé la main sur son armure, il le savait, il l'avait vu ! Et voilà qu'il n'en restait plus la moindre marque, pas même une cicatrice, rien ! Les humains ne guérissaient pas aussi vite ! C'était un nouveau mystère qui s'ajoutait aux précédents concernant Seven Cooper, mais cette fois, il fallait agir. Mais comment ? Elle nierait tout en bloc, ou trouverait une excuse, des explications.

Le turien s'adossa à la cloison et tenta de réfléchir posément. Que savait-il sur cette fille ? C'était une biotique très douée, membre des forces spéciales N7. Elle avait à son actif plusieurs coups d'éclat qui lui auraient valu de meilleures promotions sans les incidents de discipline dont son dossier était émaillé. C'était une forte tête, qui n'avait pas sa langue dans sa poche, et qui n'hésitait pas à agir contre les ordres ni nécessaire. Et elle semblait poursuivre les anciens membres d'équipage du Normandy… Jack, Vega, Alenko… et lui-même. Et voilà qu'il découvrait qu'elle avait survécu à un piège ayant détruit toute une escouade N5, une mission qui n'était pas portée à son dossier militaire ! Et qu'elle avait des capacités de régénération hors-norme, soigneusement cachées.

Il devait tirer tout cela au clair. Dans quelques jours, lui et vingt-et-un hommes seraient sur le terrain avec Cooper, dépendant tous les uns des autres. Si Cooper trahissait, ils pouvaient tous y rester. Mais sur le Cyclone, Garrus n'avait pas le moindre pouvoir. Il devrait passer par Kaidan… Si celui-ci consentait à l'écouter.

 

Kaidan Alenko était occupé à analyser une carte holographique lorsque deux coups furent frappés à la porte. Irrité, il leva la tête de la table au centre de la pièce et grogna :

- Entrez !

Son humeur ne s'améliora pas quand le colonel vit entrer Garrus. Ces trois derniers jours, ils avaient réussi à s'éviter, mais apparemment, ce temps bénit était terminé.

- Il faut que je vous parle, Kaidan.

Alenko se rembrunit aussitôt.

- Ne m'appelez pas comme ça, Vakarian. Pour vous, c'est Alenko, ou mieux encore, colonel. Que voulez-vous ?

Garrus s'autorisa un léger soupir exaspéré. Ça démarrait mal. Autant aller droit au but et se débarrasser de tout ça au plus vite.

- J'ai besoin de savoir à quel point vous avez confiance en Seven Cooper, lança-t-il de but en blanc.

Kaidan eut un temps d'hésitation. Puis il fronça les sourcils et rétorqua :

- Et en quoi ça vous regarde ?

- Alenko, il y a quelque chose de bizarre avec cette fille…

Sans attendre, le turien exposa ses doutes, tout ce qu'il avait relevé de suspect dans le comportement et le dossier de Seven. Au fur et à mesure qu'il parlait pourtant, il voyait l'expression du colonel se modifier, passant de l'agressivité à l'ennui, puis à l'irritation.

- Vous êtes complètement à côté de vos pompes, Vakarian, coupa Kaidan. Les opérations relevant des grades N1 à N6 sont conservées dans des archives spécifiques, la mission Horizon y est consignée. Pour ce qui est de Jack et de Vega, toutes les recrues biotiques ou N7 de moins de trente ans, les ont eus pour instructeurs. Quant à sa présence à mon bord, c'est Jack elle-même qui me l'a recommandée.

- Il n'y a pas que ça ! s'exclama Garrus. Et sa blessure ? Vous l'expliquez comment ?

Kaidan haussa les épaules. Le turien commençait à lui taper sur les nerfs.

- Très simplement : elle était seulement égratignée, et Kelron lui a donné une dose de médi-gel. Ce ne sont que des coïncidences, rien d'autre !

Garrus resta silencieux. Le ton du colonel oscillait entre ennui et mépris. Il ne le prenait pas au sérieux.

- Elle était vraiment blessée, insista-t-il. Seven Cooper nous cache quelque chose !

- ça suffit, Vakarian, assena Alenko. Le lieutenant Cooper a toute ma confiance.

- Elle n'a pas la mienne, rétorqua le turien.

Dressés l'un devant l'autre, le regard bleu de Garrus planté dans les yeux noisette de Kaidan, les deux hommes se faisaient face. Une expression de dégoût se peignait lentement sur les traits du colonel, tandis que certains souvenirs lui revenaient en mémoire. Le fantôme d'une vieille conversation, avec une femme aux cheveux noirs dont le visage restait imprimé au fer rouge dans son esprit, le hantait chaque fois qu'il avait le malheur de croiser la figure du turien. Il l'écarta impatiemment.

- Cooper est dangereuse, Kaidan. Elle a déjà prouvé qu'elle pouvait tuer sans état d'âme ni nécessaire. Si elle nous trahit…

Un rictus déforma un instant les traits du colonel.

- Cooper n'est pas la seule dans ce cas. Ce n'est pas la première à devoir faire des choix difficiles en mission, souvenez-vous du relais Alpha. Et vous êtes mal placé pour l'en blâmer, Archangel…

L'insinuation fit mouche et mit Garrus hors de lui.

- ça n'a rien à voir ! Bon sang, Kaidan, ce n'est pas Shepard !

À l'instant même où il prononça le nom du commandant, Garrus sut qu'il avait fait une grave erreur. Le visage d'Alenko perdit toute expression, alors qu'il devenait blanc comme un linge. Puis il explosa. La fureur tordit ses traits et la haine brûla dans ses yeux.

- Je vous interdis de prononcer son nom devant moi, gronda-t-il à travers ses mâchoires serrées. Vous plus que tout autre, pigé ?

Un halo bleuté apparut autour de ses poings. La haine qu'il éprouvait pour l'alien ne demandait qu'à jaillir, après avoir été réprimée pendant vingt-cinq ans. Ce serait facile... Le turien portait son armure, mais restait désarmé. Totalement à sa merci. Ses compétences à combats à mains nues ne faisaient pas le poids contre l'une des frappes biotiques dévastatrices dont Kaidan avait fait sa spécialité. Il attendait ça depuis si longtemps, l'occasion de mettre Garrus Vakarian à terre, et de le cogner jusqu'à ce que sa colère s'envole enfin !

L'instant passa. Les champs gravitationnels autour de ses mains s'éteignirent. Garrus poussa un léger soupir de soulagement. À corps à corps, contre un Kaidan aussi furieux, il doutait vraiment de faire le poids. L'autre le tuerait sans la moindre hésitation : il en avait rêvé pendant un quart de siècle, et ne s'était pas privé de le lui faire comprendre.

Il n'en tirerait rien de plus. L'humain resterait campé sur ses positions. Garrus avait eu tort de penser que le colonel pouvait mettre sa jalousie de côté. Il lui adressa un salut raide et regagna la batterie principale d'un pas martial.

Lorsqu'enfin la porte se fut refermée dans son dos avec un chuintement, le turien se laissa glisser au sol. Tout cela n'augurait rien de bon de la mission. La haine d'Alenko était toujours aussi vivace, depuis le premier jour.

Il s'en souvenait comme si c'était hier, de cet après-midi sur la Citadelle. C'était pendant la guerre, un peu avant les évènements de Tutchanka. Kaidan avait été blessé quelques semaines plus tôt, lors d'un affrontement avec un synthétique de Cerberus, sur Mars. Il lui avait envoyé un message par ExtraNet, lui demandant de passer le voir au Mémorial de Huerta, sans en parler à Shepard. À peine Garrus avait-il poussé la porte qu'il avait lu la jalousie dans les yeux de l'humain effondré sur le lit, sans forces et salement amoché. Shepard lui avait tout avoué. Presque tout. Il n'avait pas osé lui poser les véritables questions qui le tenaillaient. Après leur entrevue, Kaidan avait pu mettre ses griefs de côté quelque temps, il avait tenté de reconquérir Shepard. Et quand finalement, elle avait choisi le turien, il avait vraiment essayé de se résigner de bon cœur. C'était un soldat, un camarade. Il faisait des efforts. Mais après la bataille de Londres, l'humain n'avait plus jamais été le même.

Garrus soupira. Il aurait préféré ne pas revoir Alenko. Le colonel lui rappelait ses jeunes années, ces mois auprès la femme qu'il aimait, ce bonheur entouré de massacres et de combats. Lui n'avait pas d'exutoire. Il ne pouvait rejeter la faute sur personne. Il avait dû tirer un trait sur ses rêves et ses espoirs.

Ses pensées revinrent à Cooper. Il n'était pas plus avancé au sujet de la jeune femme. Kaidan avait-il raison, ou se laissait-il simplement aveugler par sa colère contre son ancien rival ? Garrus ne pouvait se départir du malaise qui l'étreignait dès qu'il posait ses yeux sur le lieutenant. Il voulait comprendre.

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