Rathlands

Chapitre 5 : Chapitre 5 (Rakuraï POV)

4414 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/10/2019 10:05

Bravant avec ardeur le blizzard qui malmenait sa fourrure dorée, Rakuraï continuait lentement son ascension du mont Tsereve, enfonçant tour à tour ses larges griffes dans l’épais manteau neigeux.

« Grrr … On devrait bientôt y être, mais par Kirin, quelle tempête ! Akalash a vraiment le don d’élire domicile dans les lieux les plus incongrus … Le plus haut mont de tout Solhatar, rien que ça ! » pesta l’empereur en s’arrêtant, jetant un œil en contrebas à ses fils qui le suivaient avec plus de difficultés.

-        Vous vous en sortez, derrière ? s’écria-t-il pour se faire entendre à travers le mugissement du vent.

Ce fut Oxiderr, le plus âgé de la fratrie, qui répondit :

-        Disons qu’on a connu plus tranquille, comme balade ! rétorqua hargneusement le Zinogre couleur de lune.

Malgré le rugissement des rafales glaciales, le Feu-du-Ciel entendit les deux autres derrière le meneur gémir en approbation.

-        Courage, vous autres ! Le sommet n’est plus très loin ! rugit-il.

Relevant ses iris ambrées, l’empereur admira un instant le paysage qui s’étirait à l’horizon, avant de reprendre sa laborieuse marche. D’ici, on pouvait deviner Voltarr grâce aux imposantes tours émeraude de son palais, ainsi que la Griffe de Foudre qui s’écoulait dans la taïga. S’il n’y avait pas cet effroyable vent, on pourrait certainement discerner au loin la plaine des Rathlands.

« Tsss … J’aurais dû me douter du fait qu’Akalash renverrait mes messagers sans même leur accorder audience … Mais quand bien même, il est bien arrogant de solliciter mon propre déplacement ! C’est quoi, son problème ? Pourquoi ne veut-il pas accepter d’écouter mes intermédiaires ? Ça m’aurait évité cette maudite grimpette … Grrr … » songeait Rakuraï avec irritation, la mâchoire serrée, tandis que les bourrasques lui giflaient le museau.

Il n’avait jamais réellement vu Akalash. Son père, quand il était encore en vie, lui avait fréquemment parlé de lui, de cet incroyable guerrier à la puissance inouïe, qu’on croyait même capable de manipuler les vents, selon certaines légendes urbaines. Il lui avait raconté mille fois comment ses écailles de métal déviaient les coups, tranchaient les corps, et absorbaient la foudre, les flammes, la glace, l’eau, ou même l’énergie draconique. Il semblait invincible et tout-puissant. Rakuraï, lui, à cette époque jeune louveteau, écoutait toujours ces récits avec attention, qu’importe le nombre de fois où son père les énonçait. Comme tout citoyen de l’empire, il avait grandi avec ce grand respect qu’on vouait au nom d’Akalash. Mais là, il devait bien avouer que ce héros exemplaire devait être particulièrement hautain, pour requérir une entrevue en tête-à-tête avec le nouvel empereur de l’Empire Rakuraï …

Soudain, après une bonne heure de marche, il aperçut une tache sombre au milieu du tourbillon blanc qui noyait sa vue. Plissant les yeux, il réussit à distinguer au travers de celui-ci une large cavité de roche.

« La grotte ! Ce n’est pas trop tôt ! »

-        On y est ! annonça le Feu-du-Ciel en se retournant, son écho résonnant dans l’air polaire plusieurs fois tel un puissant aboiement.

-        Par la corne de Kirin ! J’ai bien cru qu’on n’y arriverait jamais ! gémit Achéron, le Zinogre stygien à la cuirasse noire et la fourrure argentée.

-        Cesse de geindre, Achéron, ou je t’étripe ! Tu n’as fait que te lamenter durant toute la montée ! grogna Oxiderr.

-        C’est vrai ça ! Il n’a pas arrêté un instant de se plaindre qu’il avait froid, qu’il avait mal aux pieds, qu’il …

Irodim, le Zinogre blanc neige aux cornes d’un vert émeraude, n’eut pas le temps d’achever sa phrase, Achéron ayant bondit sur lui pour le mordre.

-        Lâche-moi, espèce de Zamite ! cracha le cadet en le repoussant de ses larges pattes bleues, découvrant les crocs.

Le patriarche contemplait la scène avec un certain désarroi.

-        Achéron, relâche ton frère, Irodim, arrête de l’enquiquiner, et toi Oxiderr, veux-tu bien cesser ce rire de hyène, par tous les Dieux ?!

Les trois louveteaux s’excusèrent à l’unisson, puis s’exécutèrent à leur grand regret, penauds, sous le regard sermonneur de leur imposant père.

-        Bien. A présent, suivez-moi en essayant d’être les plus discrets possibles, marmonna Rakuraï en désignant l’entrée du conduit rocheux. Akalash est réputé pour avoir le sommeil léger, et le réveiller le mettrait sûrement de mauvais poil, ce dont je n’ai pas besoin étant donné ma requête …

Irodim eut un air intrigué.

-        Dis papa, pourquoi on le respecte tant Akalash ? demanda le plus jeune des trois fils en penchant la tête sur le côté.

L’empereur ouvrit la bouche pour répondre, mais Achéron s’empressa de saisir l’occasion de clouer le bec de son frère en étalant son savoir.

-        Akalash a accordé sa puissance à notre grand-père, Rakuraï Ier, il y a de cela 40 ans, afin de l’aider à renverser Agnov, roi de l’Agnovie, c’est-à-dire l’ancien nom de la Rakuria. La légende raconte que Rakuraï Ier a prié Kirin de lui venir en aide pour accomplir sa révolution une semaine entière, jour et nuit, au plus proche des Dieux, au sommet du mont Tsereve, afin que sa prière soit entendue. Au bout du septième jour, Akalash est apparu devant lui, et le blizzard qui soufflait en permanence sur le pic s’est soudainement arrêté, comme s’il l’avait lui-même chassé. Or, dans le Grand Codex, il est dit que « celui qui dissipe les tempêtes est envoyé par Kirin ». Rakuraï Ier sut alors que Kirin l’avait entendu, et qu’il avait envoyé Akalash pour le soutenir dans sa quête d’un empire parfait et juste. Grâce à sa puissance divine, ils ont réduit Agnov et son armée en poussière, raconta le Zinogre stygien, les yeux brillants de ce récit épique. Ensuite, après que notre grand-père ait prit le pouvoir et créé un empire à son nom, Akalash, sentant son devoir accompli, et ne souhaitant pas recevoir la gloire de son exploit, décida de se retirer là où plus personne ne chercherait à s’emparer de ses pouvoirs, au sommet du mont Tsereve, le plus haut et hostile de tout Solhatar, en hommage au lieu où il était apparu pour la première fois. Certains disent que si le vent souffle en permanence ici, c’est pour décourager les esprits malintentionnés de venir le déranger dans son sommeil … acheva Achéron en ancrant son regard sur la grotte qui soutenait le pic du mont Tsereve, le cœur emplit d’excitation, ignorant ses deux frères qui le fixaient tout deux d’un air exaspéré.

Rakuraï sourit légèrement. Bien qu’il reprochât à Achéron de se laisser très souvent dominer par Oxiderr et son petit frère, il admirait chez le Zinogre Stygien ce profond attachement à l’Histoire et au patrimoine, que ne possédait pas les deux autres. Lui préférait s’enfermer des journées entières pour lire d’anciens manuscrits traitant de l’histoire de tous les états par soif de connaissance, tandis qu’Irodim et Oxiderr passaient la plupart de leur temps à se chamailler ou s’entraîner au combat, voire les deux. Son calme et sa patience étaient la preuve que toutes les vertus de leur défunte mère ne s’étaient pas perdues.

Emplit d’une certaine fierté paternelle, il ébouriffa affectueusement la tête du second plus âgé, qui lâcha un petit glapissement d’indignation.

-        Je suis content qu’il y ait au moins un d’entre vous qui sois attentif à ce que je raconte … Merci Achéron, dit-il.

-        Ça ne m’explique pas pourquoi on le respecte autant … Ce n’est pas un dieu, que je sache, pourtant ! revint à l’attaque le Zinogre immortel, pas convaincu, et furieusement jaloux du traitement de faveur que subissait Achéron.

Le Zinogre de jais s’offusqua de telles paroles.

-        Comment peux-tu dire cela, pauvre fou ! C’est un héros ! Il a été envoyé par Kirin lui-même pour sauver notre peuple qui souffrait de la domination d’Agnov ! Grâce à lui, les révolutionnaires l’ont renversé en trois jours ! S’il t’entendait, il pourrait se venger d’un tel outrage en te tuant sur le champ ! s’écria-t-il avec une soudaine virulence.

Le Feu-du-Ciel décida d’intervenir une nouvelle fois.

-        Oh là ! gronda-t-il en séparant les deux plus jeunes qui allaient recommencer à se battre. Heureusement que je vous demande d’être silencieux !

Il soupira, exhalant un peu de buée. Il n’aurait peut-être pas dû les emmener avec lui, finalement … Même s’il avait jugé préférable de leur proposer de l’accompagner, afin qu’ils ne sèment pas le chaos dans son palais, mais dans un endroit où il pourrait les surveiller, il commençait à regretter sa décision …  L’empereur avait également songé qu’un peu d’exercice leur ferait du bien et les défoulerait, mais en plus d’être plus difficile que prévue, cette escalade s’était transformée en parfaite occasion pour ses trois fils de se quereller.

Ils se dirigèrent alors vers l’entrée de la grotte, et Rakuraï réclama une dernière fois le silence à ses trois louveteaux avant d’y pénétrer. Le tunnel rocheux était large, sombre et silencieux. Les parois, rugueuses, luisaient d’un éclat métallique, trahissant la présence de nombreux minerais rares, dormant certainement ici depuis des millénaires. Le Feu-du-Ciel s’émerveilla lui-même de la noblesse et de la beauté du lieu qui abritait le plus grand guerrier que la Rakuria ait connue. Il se dégageait un parfum de légende dans cet air humide et glacé, qui fit frémir l’empereur lui-même.

« C’est stupéfiant. Tout semble vouloir nous intimer de respecter cet endroit, et de ne le profaner en aucun cas … » constata-t-il en effleurant légèrement un minerai de carbalite de sa griffe d’un air avide.

« Comme je regrette de ne pas pouvoir me saisir de toutes ces ressources … » songeait-il en imaginant de nombreuses utilisations pour tous ces précieux filons.

Au bout de quelques mètres déjà, le père et ses fils aperçurent une lueur de lumière émanant du fond de la grotte. Un étrange bruit, lent, régulier et crissant résonna jusqu’à eux.

-        Qu’est-ce que c’est ? chuchota Irodim.

-        Je crois que c’est sa respiration, souffla Achéron.

Curieux, ils s’enfoncèrent de plus en plus dans la grotte, suivant le rayon lumineux. Le conduit déboucha alors sur une vaste salle de forme circulaire, qui laissait passer un filet de lumière en son centre, où gisait le héros, dont la poitrine se soulevait à intervalles régulières, profondément endormi à même la roche, au milieu de ce qui le baignait comme une auréole.

L’empereur resta figé. Akalash devait mesurer environ deux fois sa taille, pourtant déjà imposante.

« Par Kirin, c’est un géant ! » s’exclama mentalement le Feu-du-Ciel.

Jetant un œil derrière lui, il remarqua que les trois Zinogres étaient tout aussi bouche-bée.

S’approchant de l’énorme masse ensommeillée, il constata que les récits de son père disaient vrai. Akalash était un titanesque dragon aux écailles d’acier, dont pas une ne laissait transparaître la trace d’une blessure, malgré les nombreux combats disputés. Rakuraï songea avec délice aux conséquences de l’engagement d’un tel guerrier dans l’assaut d’Ignis, caressant de ses yeux la courbe des griffes du dragon.

« Il ne ferait qu’une bouchée des Rathiens. Peut-être même qu’il les éradiquerait tous, tout seul. Juste lui et eux. Aucune perte. Que du bénéfice, pour moi …. Et les Rakuriens, bien sûr. Ce serait fabuleux … »

Cependant, après avoir repassé ses yeux de nombreuses fois dessus, l’empereur remarqua que l’armure métallique naturelle du héros semblait bien plus terne que dans les récits. Souvent, on évoquait l’éclat singulier de ses écailles anthracite, aveuglant ses ennemis lorsqu’elles se laissait baigner par la lumière du soleil. Or, ici, elles étaient anormalement usées et mats, comme rouillées, et Rakuraï songea en se rapprochant que l’humidité de la grotte était peut-être la cause de cette oxydation.

Constatant que le dragon était profondément endormi, et que rien ne semblait encourager son réveil spontané, Rakuraï entreprit de s’éclaircir la gorge, puis parla haut et fort :

-        Grand Akalash ? J’espère ne pas troubler votre repos, mais … commença le Feu-du-Ciel, un peu déconcerté par le fait que son interlocuteur ne réagissait pas, Je souhaiterai vous faire part d’une noble requête, si vous y consentiez.

Il y eut un silence pendant lequel il redouta qu’Akalash ne daigne lui répondre.

Il était presque insupportable pour le Zinogre à la cuirasse d’émeraude de se plier ainsi à la volonté du dragon, mais il n’avait clairement pas d’autre option. Sa puissance devait être respectée. S’il ne dormait pas paisiblement au sommet de cette montagne, tous craindraient sa fureur, tant elle était réputée aussi féroce que celle d’un dieu. Il avait donc grand intérêt de le brosser dans le sens du poil, même s’il n’en avait aucun, pour espérer obtenir son accord.

Tout-à-coup, un bref et léger craquement retentit. Le corps massif et rouillé bougea, se levant lentement et mollement, comme tiré par une ficelle. Puis, un second bruit se fit entendre, et une longue fissure claire apparut le long de la colonne vertébrale du dragon. De celle-ci jaillit alors une fine tête d’une blancheur immaculée aux yeux de glace, qui scruta les quatre Zinogres assistant à la scène, médusés. D’un autre crissement, de larges ailes toutes aussi blanches se déployèrent de part et d’autre de cette tête portée majestueusement. Enfin, un corps tout entier naquit de la carcasse de rouille, et s’en extirpa avec grâce. Déjà, sous l’effet de l’air, les écailles blanches se teintèrent progressivement d’argent, jusqu’à arborer la couleur habituelle de l’acier.

Akalash venait de muer.

Le dragon aux écailles de métal neuf et brillant balaya de son regard perçant ses spectateurs, puis le posa sur Rakuraï. Sa gorge, qui semblait aussi éraillée que son ancien corps était rouillé, produisit un étrange grincement avant de libérer des paroles intelligibles.

-        Qui … Es-tu ? prononça-t-il d’une voix profonde.

Rakuraï mit plusieurs secondes à réaliser que le héros venait de parler, stupéfait par sa simple prestance.

-        Je suis Rakuraï II, empereur de la Rakuria, répondit-il posément.

Le regard azur d’Akalash se fit plus intense.

-        C’est bien ce que je pensais … Le fils de Rakuraï, premier du nom … Dois-je en déduire qu’il a quitté ce monde ?

L’empereur acquiesça.

-        Oui. Il y a 23 ans, déjà.

La tristesse se lut soudain dans les prunelles du dragon d’acier. Le reste de son corps ne trahissait aucun sentiment.

-        Voilà qui est regrettable … dit-il si bassement qu’on aurait cru un murmure, Dis-moi, empereur, combien d’années se sont écoulées entre la rébellion Agnovienne et aujourd’hui ?

Malgré son utilisation du terme « empereur », Rakuraï sentait le désintérêt total du héros envers les titres de noblesse.

-        45 ans, Grand Akalash.

Le héros médita.

-        Je vois. Sont-ce là tes héritiers, Rakuraï, deuxième du nom ? s’enquit-il en remarquant Achéron et Irodim dissimulés derrière leur aîné, qui lui n’était pas intimidé pour deux sous.

Rakuraï regarda ses fils avec une fierté mesurée, puis hocha la tête.

-        Oui, Oxiderr, Achéron, et Irodim, les présenta-t-il de la griffe.

Akalash fixa pendant quelques secondes chacun d’entre eux, comme s’il lisait leurs pensées tel un livre ouvert. Ramenant son regard sur leur père, il acquiesça sans un mot.

-        Quelle est ta requête, empereur ?

Relevant les yeux vers son interlocuteur pour les ancrer dans les siens, le Feu-du-Ciel exposa enfin ses intentions.

-        Je souhaiterai votre retour parmi nous, dans l’armée, Grand Akalash. Voyez-vous, une guerre a éclaté il y a dix ans entre la Rakuria et le royaume des Rathlands. Celle-ci a été particulièrement épuisante pour les deux pays, et aucun des deux ne voulait céder ses terres à l’autre. Il y a une semaine, Khryselios et moi-même signions un armistice en échange d’un butin de guerre de mon choix, expliqua Rakuraï. J’ai choisi comme tel sa fille aînée, ainsi qu’une partie de la dot des deux autres, afin d’avoir un moyen de pression sur Khryselios. Or, cette princesse a été assassinée le jour-même où elle devait arriver à Voltarr. J’ai entrepris d’effectuer des recherches pour retrouver le coupable, mais elles se sont révélées vaines. Par défaut, j’ai spéculé sur le fait que les Rathiens étaient peut-être responsables. Deux jours plus tard, j’appris d’un de mes messagers que les Rathlands me déclaraient à nouveau la guerre, m’accusant d’avoir égorgé moi-même la princesse afin de les humilier. J’en ai conclus donc, pour ma part, que mon intuition était véritable, et que tout ceci n’était qu’une mascarade destinée à m’humilier moi, et à donner le beau rôle aux Rathiens, qui ont de plus profité d’un temps mort, certainement utilisé pour se réarmer. J’ai ensuite décidé de lancer un assaut sur Ignis une semaine plus tard, et j’ai envoyé des messagers vous faire part de mon vœu de vous recevoir dans notre armée. Constatant votre refus d’écouter des intermédiaires, je me suis déplacé en personne, acheva-t-il.

Le dragon l’écoutait avec attention, mais son expression était quelque peu renfrognée.

-        Tu aurais besoin de mon aide, empereur ? Alors que tu as déjà remporté la guerre ? Si j’en crois ce que tu me narres, ton armée est déjà largement capable d’écraser tes ennemis … Pour quelle raison nécessiterais-tu ma présence dans cette guerre ? l’interrogea Akalash, émettant un grincement métallique empreint d’agacement mais aussi d’incompréhension, étirant ses larges ailes.

L’empereur contenait avec difficulté son envie de lui bondir à la gorge, tant ce ton lui inspirait un manque de respect, qui plus est devant ses fils. Mais qu’à cela ne tienne, son urgence pour le moment était de riposter avec des arguments convaincants.

-        Pour épargner les vies de mes braves, Grand Akalash, soutint-il avec force. De plus, c’est mon honneur, ainsi que celui de la Rakuria entière qui est atteint par cette accusation des Rathlands. Je pense que vous connaissez très bien notre attachement à nous, Nordiques, aux valeurs du sang et de l’honneur. Vous êtes rattachés à la Rakuria par votre acte envers mon père, il y a 40 ans de cela, en favorisant la réussite de sa rébellion. Et maintenant, vous avez devant vous son fils, qui souhaite apporter la paix au plus vite à cet empire que vous avez bâti, ensemble.

Le dragon aux écailles d’acier secoua la tête.

-        Au nom de l’honneur, tu dis ? Non. Il ne serait pas équitable que je me mêle à ce conflit. L’équilibre ne serait plus, si je venais et écrasais tes adversaires. Tes intentions me paraissent louables, mais je refuse.

Rakuraï bouillonnait de rage.

« Comment ose-t-il nier sa patrie et le devoir d’aider tout homme à venger son honneur ?! » s’indignait-t-il mentalement.

-        J’ai donc escaladé moi-même le mont Tsereve en vain ? Pour que vous veniez me dire « non » en face, sans aucun remord ? gronda le Feu-du-Ciel.

-        Si j’ai ignoré tes messagers, c’est parce que j’estime qu’il n’est guère très poli d’envoyer des intermédiaires pour proposer une requête de cette importance, répondit le héros. Quant à celle-ci, je le répète, je la décline. Tu n’as point besoin de moi pour vaincre. Use de tes propres moyens.

Le Zinogre n’avait pas dit son dernier mot.

-        Pour ton nom, Akalash. Bats-toi pour ton nom et le respect qu’on lui voue depuis 40 ans, articula-t-il, se délectant de l’étincelle qui naquit alors dans les iris glacées du dragon métallique, qui s’apprêtait à lui faire dos.

Il soutint son regard longuement et farouchement, puis Akalash brisa le contact.

-        Si ton peuple est réellement en difficulté, alors j’interviendrai. Que Kirin bénisse ton retour, empereur, lâcha-t-il finalement en s’envolant, disparaissant par l’orifice laissant passer la lumière du dehors.

Rakuraï laissa s’échapper un grognement de colère une fois le dragon parti.

-        Quel insolent … marmonna-t-il. Allez, on s’en retourne au palais, lança-t-il ensuite à ses louveteaux, prenant le chemin de la sortie, les trois Zinogres sur ses talons.

-        Tu crois vraiment qu’il va venir en renfort ? demanda Irodim, inquiet.

Le père soupira. Il n’en avait pas la moindre idée.

-        Tout ce que je sais, c’est qu’Akalash a une parole. Et je pense avoir éveillé son âme combattive. Mon père m’a déjà dit qu’il éprouvait des difficultés à contenir sa soif de satisfaction personnelle … Combattre pour la pérennité de son nom est quelque chose qui lui tient à cœur, paraît-il.

-        Sinon, on peut se débrouiller seuls, il l’a lui-même affirmé, fit remarquer Oxiderr.

-        J’imagine qu’il faut prendre cela comme un encouragement, suggéra Achéron.

L’empereur ne répondit pas, absorbé dans ses pensées. Oui, en effet, il pouvait réduire en miettes les Rathiens sans son aide, mais sa réapparition lui aurait permis tant de choses … Redonner la foi à son peuple, devenir un héros pour avoir sauvé des vies de cette boucherie qu’est la guerre, par la présence d’un seul homme ! Akalash aurait été la passerelle vers d’autres projets encore plus ambitieux que celui de l’annexion des Rathlands sous sa tutelle, et Rakuraï broyait du noir à l’idée que ces songes allaient rester à l’état de songes pour le moment, entravant son désir brûlant de conquête. Il semblait pouvoir rêver encore longtemps de son empire parfait, immense et paisible, dirigé par sa noble personne.

Il émergea de ses visions utopiques lorsqu’il s’aperçut qu’ils étaient de nouveau dehors, à cause de la forte luminosité qui les accueillit, et agressa leurs yeux habitués à la pénombre.

A l’extérieur, le blizzard avait soudainement cessé, laissant place à un ciel d’un bleu froid dans lequel brillait le soleil à son zénith. Au loin, on distinguait encore la silhouette noire d’Akalash qui volait vers le Sud.


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