Rathlands

Chapitre 10 : Chapitre 8 (Astalian POV)

5411 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/12/2019 15:38

- Demain ...

Tandis que les flammes chatoyantes du feu de camp la baignaient de leur chaleur, Astalian méditait avec appréhension sur la journée à venir. Aiguisant pensivement sa lame, elle regardait s'élever gracieusement les volutes de fumée dans le ciel nocturne, tels des messages d'espoir et de confiance qu'elle aurait voulu envoyer à chacun des habitants assoupis des Rathlands pour les rassurer. Délaissant des yeux les flammes, elle rencontra le regard d'un Rathalos en face d'elle, qu'elle soutint avec une force dont elle dissimula l'épuisement.

Elle-même, elle doutait de cette bataille, et cela la tracassait, car elle ne voulait en aucun cas paraître lâche. Elle était certes récemment entrée dans l'armée Rathienne puis dans la garde royale, mais avait déjà eu affaire à de telles situations auparavant, notamment pendant les cinq premières années de la guerre. L'Astalos n'avait donc plus à prouver sa valeur, mais plutôt à entretenir son image d'espionne brave et sans peur, et ce pour une raison simple.

« Si je fléchis, alors ils fléchiront tous. Le fardeau est moins lourd à porter avec Tinarg à mes côtés, mais ... C'est aussi de mon devoir d'avoir l'assurance d'une meneuse. Je ne dois pas me faire autant de bile ou je vais me mettre à douter ... Et ça ne doit en aucun cas arriver ... Les autres le ressentiraient ... » soupirait-elle intérieurement, alors que les rares soldats encore debout à cette heure tardive de la nuit comme ce Rathalos semblaient déjà sentir son angoisse, la regardant avec confiance et compassion. Face aux yeux bleus purs du Rath mâle, elle durcit ses traits de manière à ne laisser transparaître qu'une détermination farouche.

Celui-ci dévia lentement son regard. Ce n'était pas un affrontement. Il passait un message silencieux à la wyverne libellule. La crête sur le front d'Astalian émit un doux son de frissonnement : elle avait compris, et le rassurait sur ce point. Le soldat abaissa légèrement la tête en un salut respectueux, puis disparut dans la nuit, certainement pour rejoindre sa tente.

Un pas pesant et régulier fit frémir le sol, mais la femme-général ne s'en inquiéta guère, et continua pensivement de mirer son visage soucieux dans le reflet argenté de son glaive après l'avoir passé une centième fois sur l'aiguisoir.

« C'est Tinarg ... » pensa-t-elle distraitement.

- Tu devrais dormir, Astalian, prononça d'un ton ferme mais paternel le second général Rathien dont elle sentit le souffle proche dans son dos.

- Je n'ai pas sommeil, Tinarg, soupira-t-elle en fermant les yeux, posant son arme et l'aiguisoir près d'elle. Je sais qu'il est idiot de rester ainsi à contempler le feu, et que je ferais mieux d'essayer de m'allonger pour somnoler mais ... Je n'arriverai à rien tant mes pensées ne seront pas étudiées, ajouta-t-elle en levant brièvement ses prunelles grenat vers lui, pour les poser ensuite sur l'aiguisoir, auréolé de reflets ardents.

- Va te reposer, te dis-je, insista plus doucement le Gravios en posant son aile sur l'aiguisoir qu'Astalian essayait de reprendre.

- Tinarg ... articula-t-elle. J'ai encore besoin de réfléchir. Je ne m'attarderai pas là, d'accord ?

Le dragon à la cuirasse de pierre retira son aile et secoua légèrement la tête.

- Astalian ... Je ne me répéterai pas, redit-il de sa voix rocailleuse avec plus de volonté.

Les ailes à élytres de celle-ci se relevèrent doucement, et un de ses genoux se ploya pour qu'elle puisse se relever. Relevant sa tête qui fixait le sol depuis un moment, elle croisa le regard de son co-équipier dans la planification de bataille.

- ... Merci, lâcha-t-elle. Que les lions astraux soient avec nous demain, dit-elle ensuite avec un regain de confiance.

- Je l'espère aussi, acquiesça Tinarg en la regardant regagner leur tente commune.

Alors qu'elle s'éloignait progressivement de la chaleur du feu et du robuste Gravios, l'envie lui prit de lever la tête vers les nombreuses étoiles qui constellaient la voûte céleste ce soir-là. Tant de petits prismes à l'éclat faiblard mais unis par leur nombre lui rappelaient autant de soldats, conscients de leur destinée, et prêts à tout pour défendre le peuple. C'était naïf et utopique, mais c'était aussi beau de savoir que beaucoup croyaient encore vivre une vie héroïque en s'engageant dans ce bourbier, la vérité étant plus gore et misérable. Cette foi commune menait les troupes Rathiennes, et leur donnait leur force. Si elles la perdaient, elles ne seraient rien. Cette puissance, bien qu'aveugle, devait donc être entretenue minutieusement pour que l'espoir soit solide et féroce. Et que cet espoir leur permette de vaincre les Rakuriens.

Repoussant le pan de toile fermant l'accès à la tente des généraux, l'Astalos remarqua sur leur petit bureau improvisé le large parchemin sur lequel figurait les indications du plan à adopter. Elle le connaissait déjà par cœur, l'ayant étudié puis appris pendant des jours, mais elle laissa ses yeux et ses griffes glisser sur les schémas éclairés à la bougie qu'elle et Tinarg avaient réalisés.

« Mon rôle sera crucial. Joué à la perfection, il nous donnera une considérable chance de victoire. Et avec Blast, Zénith et Arsenic en première ligne avec nous, l'effet de surprise ne pourra qu'être déroutant pour les Rakuriens. Nous les connaissons et savons comment ils réagissent. Dix ans d'affrontement continu nous l'ont appris ... »

Elle délaissa ensuite le plan de défense pour aller s'étendre sur sa couche de paille de lin, fermant lentement ses yeux devenus douloureux à cause de la fatigue naissante chez la wyverne émeraude.

« Nous vaincrons, camarades. » songea-t-elle en entrouvrant les yeux, sa certitude retrouvée.

« Je vous en fais le serment. »


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- Prenez vos places, camarades ! rugit Tinarg pour se faire entendre de tous, placé devant la foule de soldats qui achevaient de se préparer.

Ceux-ci, ayant entendu l'appel, se dispersèrent pour rejoindre la place qu'on leur avait attribué la veille, et cessèrent tous de parler pour laisser les généraux donner leurs instructions.

- Que la première ligne s'avance ! s'écria Astalian, elle-même près du Gravios, pour faire respecter l'organisation.

Prestement, les officiers et les lieutenants se détachèrent pour former une ligne parfaite. Au centre, à côté des deux espaces vacants destinés aux généraux, se tenaient les héritiers Rathiens prenant part à la bataille, soit Arsenic, Blast et Zénith, tous très bien équipés. Les pièces d'armure forgées par Knart étaient de toute évidence d'une qualité reconnue, et celles-ci ne dérogeaient pas à la règle : chacune d'une couleur différente, leur éclat surpassait même celui de l'armure de d'Astalian. Toutefois, c'était logique, car les leurs n'avaient guère encore servies, contrairement à celle de la femme-général. L'Agnaktor forgeron avait été également malin, car malgré leur originalité, l'ouvrage décoratif effectué sur ces armures n'était pas exagéré : leur appartenance à la famille royale ne serait donc pas flagrante aux yeux des Rakuriens, et ainsi, ils pourraient se faire passer pour quelque lieutenant aisé.

Elle croisa alors leur regard, qu'elle soutint avec fierté. Sous leur casque dénué de visière, l'Astalos les sentait prêts à en découdre. Elle jugea alors bon de leur adresser un remerciement ouï de tous pour leur participation, aussi surprenante que bienvenue.

- Messires les princes Blast et Zénith, princesse Arsenic, je tenais à vous remercier solennellement pour votre engagement, au nom de notre peuple, déclama-t-elle en s'inclinant. L'honneur et la bravoure dont vous faites preuve aujourd'hui est un exemple qui restera longuement en mémoire.

Tinarg décida de prendre le relais :

- Il est bon de voir que les Rathlands portent toujours de jeunes esprits capables de ressentir le devoir patriotique et de le servir avec fierté, ajouta-t-il aux propos de la wyverne libellule, en hochant imperceptiblement la tête.

Le prince Zénith répondit en premier :

- Le seul frein m'ayant empêché de commencer à servir plus tôt mon peuple était la faiblesse de mon jeune âge, générale Astalian. Je suis déjà coupable d'avoir attendu si longtemps. En tant que prince des Rathlands, il est de mon devoir de m'impliquer personnellement dans cette guerre, dit-il, un léger sourire en coin.

Le Gravios eut un air ravi à entendre ces mots.

- ... Nous n'accomplissons que notre plus modeste et normal devoir, général Tinarg, continua Arsenic. Nous serions lâches de nous y dérober au nom de notre filiation.

Blast se contenta quant à lui d'être silencieux, mais il appuya les dires de son frère et de sa sœur en hochant la tête d'un air franc.

Ce fut au tour d'Astalian d'arborer une moue ravie.

- Bien, conclut l'Astalos. A présent, reprit-elle en redirigeant ses yeux vers le reste des soldats qui patientaient, nous allons reprendre la mise en place des rangs, après quoi, nous partirons à la rencontre des troupes Rakuriennes.

Tinarg se tourna vers elle.

- Tu t'occupes de la vérification en hauteur ? demanda-t-il.

La wyverne libellule hocha la tête en signe d'assentiment, puis s'éleva promptement dans les airs, afin de pouvoir surveiller la bonne exécution des directives qu'allait donner le dragon de pierre blanc. Elle chercha brièvement un courant ascendant afin de pouvoir planer en situation stationnaire et d'obtenir une meilleure vue, chose qu'aucun autre Rathien n'était capable de faire. De là-haut, elle pouvait voir toute l'armée Rathienne, attendant la mise en route vers le point de confrontation, à deux kilomètres du mur d'enceinte d'Ignis.

« Ils sont trois milles. Trois mille Rathiens pour faire face aux mille Rakuriens. C'est suffisant, dis comme cela, surtout pour les repousser, mais ce qu'on oublie, c'est que Rakuraï, en ayant mille hommes, ne prélève que dix pourcents de ses effectifs disponibles ... Alors que nos trois mille soldats, c'est tout ce qui nous reste. Chaque perte sera tragique. Et en ajoutant le fait qu'ils ont un avantage élémentaire ... Cela risque d'être très serré. »

Tandis que les lignes se plaçaient, elle se remémora encore une fois le plan.

« Comme nous devons les repousser, le mieux est d'adopter une formation en « bol » ou en « pelle ». Cela permet de contenir l'ennemi, et l'empêchera de nous contourner, pour s'en prendre directement à Ignis. Comme pour arrêter les flots d'un torrent tumultueux. On l'a utilisé de nombreuses fois pendant ces dix ans ... Cette technique a fait ses preuves. Qui plus est, avec mon rôle de diversion et de couverture, leur attention ne pourra pas se concentrer ailleurs que sur moi. On aurait pu utiliser le fleuve de la Griffe de Foudre à notre avantage, mais les préparatifs dû au redémarrage de l'effort de guerre étaient trop longs, Rakuraï et ses hommes l'auraient franchi depuis longtemps avant que nous ne puissions les rejoindre. »

Effectuant un signe positif vers l'autre général Rathien qui lui demandait dans un langage signé si tout était correct vu du ciel, elle se reconcentra sur les modalités de son rôle, donnant quelques battements d'ailes pour corriger sa position par rapport au vent.

« Je suis la seule capable de subir la foudre sans ciller. Si je capte l'attention des Rakuriens, ils vont tenter de se focaliser sur moi. Ils me connaissent pour la plupart et savent que je suis le principal contre à leur électricité, fatale pour le reste de l'armée, exceptés pour les Gravios qui peuvent encaisser quelques éclairs d'une puissance moyenne. S'ils me descendent, ils ont gagné. C'est à la fois vrai et faux. Si je ne peux plus faire diversion, les éclairs vont pleuvoir à tout va et personne ne sera en mesure de les gérer. Mais il restera encore l'armée entière ... Plus les héritiers qui feront un bel effet de surprise, normalement. » songea-t-elle.

Après encore une bonne demi-heure de mise en place, l'armée put commencer à cheminer vers le point d'interception. Tandis qu'ils avançaient dans la fraîcheur de l'aube, Astalian de par sa position en première ligne, put admirer le lever du soleil, l'astre chaleureux et lumineux auquel était associé Teostra, tandis que la lune, relative à Lunastra, disparaissait de toute vue.

- Teostra veille sur nous, dit Zénith, les yeux brillants. Le ciel ne présente aucun nuage, c'est un bon présage.

Tinarg hocha la tête.

- Justice sera rendue par les lions astraux, dit-il gravement. N'oublions pas qu'un outrage a été proféré envers les Rathlands : l'assassinat de Dame Tourmaline. Un tel acte ne restera pas impuni.

Astalian, elle, ne renchérit pas. Elle était croyante, comme la grande majorité des Rathiens (et mieux valait que ce soit le cas, vu le sort réservé aux impies, souvent chassés et contraints de trouver refuge en Confrérie des Charognards), mais elle ne croyait plus depuis longtemps à la justice divine. A l'heure qu'il était, le coupable devait se la couler douce quelque part dans Solhatar. Sans indices, ni traces, il était impossible à identifier et à pister. Des deux côtés, les recherches pour tenter de retrouver l'assassin avaient été abandonnées.

« C'est vraiment une drôle d'affaire. L'hypothèse accusant un Rakurien est certes très probable, mais aussi terriblement évidente à soupçonner ... Il y a anguille sous roche, c'est sûr, mais aucun moyen de justifier cela ... Une intuition ne suffit pas. On ne saura sans doute jamais si c'était bien une manigance Rakurienne ou une embuscade des Rathiens Anti-Rakuriens. J'espère tant me tromper ... »

Tout le monde, Rathiens et Rakuriens confondus, avait cherché à savoir la vérité. Mais lorsque même les professionnels jetèrent l'éponge, chaque camp fut contraint d'accuser son voisin de ce crime envers la paix. C'était forcément l'un des deux, puisque les autres nations étaient soit alliées avec l'un des deux opposants, soit complètement désintéressées du conflit qui les opposait depuis dix ans, voire même plutôt satisfaites de pouvoir vendre des matières premières au Royaume des Rathlands au prix fort. Cette drastique inflation freinait également beaucoup les Rathiens. Les armures devenaient très coûteuses à fabriquer, par manque de fer que l'on importait, et le rythme de production agricole était plus laborieux à tenir. Avec les pertes matérielles causées par la situation proche d'un champ de bataille, de nombreuses fermes croulaient sous les dettes, et faisaient inexorablement faillite.

Il ne fallut guère beaucoup de temps à l'armée Rathienne pour parcourir les deux kilomètres nécessaires et apercevoir les premières lignes des troupes Rakuriennes qui progressaient en sens inverse, soulevant un intimidant nuage de poussière. Lorsque chacun fut en mesure de discerner le visage de son adversaire, les deux armées s'arrêtèrent. De chaque côté, les soldats se tendaient de détermination farouche, fixant avec hargne le guerrier ennemi lui faisant face.

Astalian balaya rapidement de ses yeux vifs et perçants les trois premières lignes de l'armée Nordique. Comme d'habitude, ceux-ci adoptaient une formation simple, mais puissante, basée sur la force brute des cinq premières lignes de combat. En tête trônaient toujours au centre Rakuraï II et ses fils, tandis que les deux généraux, un Barioth particulièrement coriace et un Rajang hargneux, se tenaient aux deux extrémités de la ligne. Cependant, l'un des trois héritiers Rakuriens était absent du premier rang. Il s'agissait du Zinogre Stygien. Après une brève recherche, Astalian le repéra en troisième ligne.

« Voilà un élément à surveiller. C'est louche, ce déplacement vers l'arrière ... » songea-t-elle.

Quelque chose d'autre sauta aux yeux de l'Astalos : les autres individus présents en première et seconde lignes ne lui rappelaient strictement rien. Leur morphologie, puissante et lourde, lui était parfaitement inconnue. Elle arrivait à reconnaître quelques espèces, comme des Uragaans ou des Agnaktors, mais c'était uniquement parce que le Royaume comptait ou avait compté des sujets appartenant à ces espèces, et encore. Les seuls Agnaktors qu'elle connaissait étaient Knart, et les sous-espèces glacées vivant au sein de l'Empire Rakuraï. Or ici, ces Agnaktors-là étaient bel et bien recouverts de lave durcie, et ils ne faisaient aucun doute qu'ils ne pouvaient être d'origine Rakurienne.

« Qui sont-ils ? »

La générale tourna un œil interrogatif vers Tinarg, qui avait lui aussi saisi le problème que posait ces mercenaires inconnus.

- Qui sont ces soldats ? demanda-t-elle discrètement.

Sans bouger, le Gravios lui répondit dans un souffle.

- Des Burutiens. Rakuraï a reçu des renforts de la Dictature Buruto. C'est aussi étrange qu'inquiétant, il nous faut être très vigilants par rapport à eux.

Se sentant bête et inculte de ne pas savoir la raison d'une vigilance accrue, l'Astalos lui posa la question pour ne pas rester dans le déni. Lui possédait bien plus d'expérience qu'elle, et il devait avoir déjà affronté ces Burutiens auparavant.

- Pourquoi donc ?

Le dragon de pierre abaissa légèrement son regard vers elle.

- La plupart d'entre eux ne savent pas voler, mais ils possèdent une force de charge dévastatrice. Parmi ces renforts, je discerne des Diablos et des Uragaans. Ces deux espèces-là peuvent nous causer beaucoup de soucis pour ces mêmes raisons. De plus, ils ne craignent pas nos flammes, et endurent facilement l'électricité ...

Astalian hocha imperceptiblement la tête. Elle comprenait mieux la tension dans la mâchoire du Gravios. La wyverne libellule, reprenant sa minutieuse mais courte observation, sentit alors le sang battre à ses tempes. Mais de là où elle se trouvait, l'Astalos ressentait aussi les battements de cœur à l'unisson des trois mille Rathiens et la tension croissante dans l'air. Sur son dos, l'armure de cuivre qu'elle revêtait lui parut soudainement lourde et désagréable. Il lui semblait également que son glaive, tenu avec force par sa pince caudale, était déjà poisseux de sueur. Astalian connaissait bien cette sensation, souvent éprouvée par les novices ou apprentis. Malgré son expérience croissante, ce coup de stress ne cessait de se manifester à chaque fois que l'assaut allait être donné. Son tout premier maître d'armes, qu'elle avait fréquenté avant de rejoindre l'armée des Rathlands, l'avait cependant rassuré sur ce point : il n'était pas rare qu'un vétéran ressente encore le frisson pré-charge après des décennies de combat régulier.

« C'est plutôt bon signe que de se savoir toujours en danger dans ce genre de situation, n'est-ce pas ? Le jour où tu ne craindras plus pour ta vie, tu seras une inconsciente, et non pas un héros. Un héros lui, possède encore son sens rationnel, la nuance est qu'il accepte la mise en jeu de sa vie, tout en étant conscient de sa valeur. Un héros n'est pas imprudent. Il est réfléchi. » avait-il dit.

Elle l'appréciait, son premier entraîneur. Il lui avait enseigné énormément sur les différentes manières de combattre, de s'adapter à l'ennemi. Mais il y avait bien cinq ans qu'elle n'avait plus de nouvelles de lui. C'était entre autres lui qui lui avait fait prendre goût au maniement de l'épée. Ah ça ! Comme il partageait une physionomie semblable, il lui avait partagé tous les conseils et astuces qu'il utilisait. Le vol stationnaire, les descentes en piqué, les montées en flèche, tout cela, elle le lui devait. Sa manière d'analyser et de confronter les choses lui rappelait la manière de faire des Skypiercers, mais elle n'avait jamais su son origine, car ils se donnaient toujours rendez-vous pour s'entraîner dans les Collines de la Paix. A l'époque, l'entièreté de ce massif appartenait encore aux Rathlands, et l'on pouvait s'y promener sans risque. Cinq ans plus tard, la Burutie, devenue dictature, revendiqua ces terres, et Khryselios ne réussit pas à user de diplomatie. Par référendum, il fut décidé de ne pas intervenir physiquement. Dans ce genre de circonstances, le roi préférait demander l'avis de ses sujets, pour éviter les représailles d'un peuple non consentant. C'était un sage choix, car lorsqu'on prononça sans préavis l'armistice envers l'Empire Rakuraï, pour mettre un terme à la Guerre Sanglante, une minorité de Rathiens vit rouge. Minorité que l'on soupçonnait aujourd'hui hypothétiquement responsable de l'attentat ayant causé la mort d'une princesse et d'une poignée de soldats. Et à présent ce retour en guerre ... Il fallait raisonner le roi, mais les seuls à pouvoir tenter cela étant les héritiers, tous plus amers de vengeance les uns que les autres, cela relevait du domaine de l'impossible.

« Remettre la bride à un peuple auquel on a offert durant des années la liberté presque absolue, c'est pis que dangereux. » pensa-t-elle.

Ses pensées s'arrêtèrent nettement de galoper lorsque l'empereur en face bougea, s'écarta pour faire les cent pas devant sa première ligne, rugissant des paroles dont elle ne devinait qu'approximativement le sens, à cause de la distance. Ce qu'elle comprenait, en revanche, c'est que cela excitait fortement les Nordiques qui grognaient, aboyaient ou rugissaient des injures en réponse aux dires de Rakuraï. A côté d'elle, ce fut au tour de Tinarg d'inspirer profondément et de quitter sa place pour proclamer un discours plutôt véhément devant ses propres troupes.

- Camarades ! tonna-t-il avec force. Voyez ces traîtres chiens, tous coupables, tous meurtriers de Princesse Tourmaline ! vociféra-t-il, pointant une aile en direction des Rakuriens, plus déchaînés que jamais. Ils osent encore, après leur acte outrageux, s'attaquer avec panache au Royaume des Rathlands ! Voyez ces ennemis lâches dont la probité n'est qu'une chimère, prêts à vous égorger pour leur bon plaisir ! Au nom de Dame Tourmaline, au nom des Rathlands, que Teostra nous offre sa justice pour triompher de la vermine !

Astalian recula d'un pas sa jambe gauche. Elle préparait son appui pour un décollage imminent. Derrière elle, les soldats qui devaient fermer le « bol » se préparaient également à surgir latéralement pour emprisonner les Rakuriens. Devant, Rakuraï II se replaçait au centre de sa première ligne, légèrement en avant. Le général Gravios fit de même.

Puis, d'une même inspiration que tous ressentaient, il y eut un unique et fatal mot.

- CHARGEZ ! rugirent à l'unisson le Gravios et le Zinogre Feu-du-Ciel.

Les deux masses parallèles s'ébranlèrent dans un vacarme sourd. Puis le tonnerre fit son apparition sous la forme d'un concert tonitruant de cris. Les hurlements célestes des Zinogres et des Rajangs. Les rugissements perçants des Rathalos et des Tigrex. Les barrissements titanesques des Gammoths et des Barroth de Jade. Le cri de Tinarg. Son cri.

En un instant, tout l'arrière fit pression sur les premières lignes, offensives, qui prirent leur envol. Astalian n'eut besoin que de deux pas pour se propulser en l'air, et battit vigoureusement de ses ailes élytrées pour s'élever un peu plus que les autres, puis usa de cette altitude supplémentaire pour fondre en rase-mottes à une vitesse saisissante vers les Nordiques qui se tenaient déjà prêts à recevoir les Rathiens par une rangée entière de Gammoths qui chargeaient et une pluie d'éclairs. Aussitôt, la forme rapide et menaçante qu'elle était fut remarquée et les premières tentatives pour l'abattre fusèrent. L'Astalos encaissa sans mal les projectiles électriques qu'on lui destinait puis choisit sa première cible : un jeune Zinogre qui ne semblait pas savoir comment réagir face à l'espèce qu'elle représentait. Désemparé en la voyant se focaliser sur lui, il enchaîna vivement des séries d'éclairs manquant cruellement de puissance. La générale les absorba avec aisance, puis elle utilisa l'électricité reçue pour charger sa pince caudale. Son glaive ainsi électrifié, elle se laissa choir en avant afin de donner de la force à la frappe verticale qu'elle assainît sur le crâne de la wyverne à crocs, puis profita de l'appui terrestre qu'il offrait pour s'élever à nouveau dans le ciel, évitant une réaction éclair de la part des Rakuriens proches. Dans le mille. Le choc brutal de la lame et de l'électricité concentrée sur la tête avait tué le Zinogre sur le coup. Si sa cuirasse supportait bien la foudre, il n'en était pas de même pour son cerveau. Elle se rééquilibra vivement pour faire une deuxième victime, puis reprit de la vitesse. Récoltant au passage des décharges électriques perdues, elle fit migrer l'énergie acquise au niveau de sa crête et de ses griffes alaires. Ainsi complètement chargée, elle devenait très intimidante, le vert péridot de sa foudre contrastant avec le rouge rubis de ses yeux, et ses ennemis concentrèrent davantage leurs assauts sur cette wyverne volante qui devenait dangereuse, car elle planait à présent au-dessus des sixième et septièmes lignes.

Si elle volait à cet endroit précis, ce n'était pas pour rien. En effet, comme la stratégie Rakurienne consistait à placer la plus grande force de frappe à l'avant, elle semait le chaos dans les rangées intérieures, plus faibles, afin d'attirer les premières lignes en renfort, brassant ainsi les différentes puissances, et facilitant la tâche aux Rathiens de première ligne, à la force brute hétérogène. Ses piqués devinrent de plus en plus rapprochés, et même si le temps était difficile à évaluer, elle pouvait certainement assurer avoir tué au moins une vingtaine de guerriers Nordiques en moins de dix minutes. Régulièrement, elle jetait un œil vers le côté Rathien. Le bol s'était formé avec succès, et l'on voyait d'ici les héritiers aux pouvoirs impressionnants se battre avec férocité, afin maintenir les positions centrales. De temps à autre, un torrent de flammes devant appartenir à Zénith fusait violemment, tandis que l'air autour d'Arsenic devenait violacé, signe que son poison virulent faisait des ravages. Plus en retrait, Blast était aux prises avec un Khezu qu'il semblait dominer. L'effet de surprise qu'ils leur procuraient était donc pour le moment très efficace. Quant à leur unité Ecumienne de renfort, elle était menée d'une main de maître par cette Mizutsune acharnée nommée Opale, qui se battait avec férocité en usant de sa mousse, de ses bulles et de son jet d'eau comprimé, tout en évitant agilement les attaques des Gammoths et des Uragaans qui lui tenaient tête. Quelques lasers magmatiques jaillissant au beau milieu des lignes Rakuriennes lui apprirent que Tinarg et quelques Agnaktors avait de leur côté tenté une percée, au sol, pour y faire un maximum de dégâts.

S'approchant en piqué de sa prochaine victime, un Blangonga ayant le dos tourné, elle projeta soudainement ses serres devant elle afin de le cueillir. Malheureusement, le Barroth de Jade qui se tenait sur sa gauche le prévint juste à temps et encaissa les serres de la wyverne libellule de sa tête dure comme un roc sans sourciller. Une sueur froide la traversa tandis qu'elle battait vivement des ailes en arrière après avoir utilisé l'appui, craignant une riposte empreinte d'un élément qu'elle ne gérait pas : la glace. Car si la majorité des Rakuriens se servaient de la foudre pour attaquer, une mineure partie possédait des capacités relatives à la glace, ou encore à l'eau. Or, Astalian craignait fortement la glace, et supportait moyennement l'eau : il lui fallait donc redoubler de prudence lorsqu'elle s'attaquait à un soldat employant cet élément. Le Barroth de Jade ne manqua effectivement pas de projeter ses fameuses boules de neige, mais l'Astalos s'était suffisamment éloignée pour pouvoir les esquiver sans trop de peine. Frustrée, elle dut renoncer à s'attaquer à ce Blangonga, du moins pour le moment.

Elle dut négocier un virage serré lorsqu'un souffle glacial frôla son aile droite.

« Et m... »

La générale n'eut même pas le temps d'achever sa pensée que déjà, une nouvelle rafale gelée siffla au ras de sa crête qui bourdonnait d'électricité. Freinant brusquement, elle attendit trois secondes pour monter ensuite brutalement en flèche afin de se retrouver derrière son agresseur : le Barioth général Rakurien. Et Teostra savait que même si l'Astalos ne savait pas son nom, elle le connaissait très bien. Et lui aussi.

Pas dupe, le tigre à dents de sabres volant se retourna rapidement en vrillant pour cracher à nouveau sa glace, cette fois-ci sous la forme d'une sphère, plus précise, puis profita d'un courant ascendant pour se placer au-dessus de la wyverne libellule, qui grinça des dents.

« Comme on se retrouve, Barioth de malheur. Cette fois, tu ne me détourneras pas de ma mission. Voyons qui de nous deux est le plus futé. »

Astalian rengaina son glaive dans son fourreau, puis fit claquer plusieurs fois sa pince caudale électrifiée.

« Puisque ma lame t'est si bien connue, j'ai bien envie de voir comment tu réagis si je ne l'emploie pas ! » rugissait-elle intérieurement.

Voyant que son adversaire ne cherchait plus à reprendre l'avantage de l'altitude, le Barioth fondit sur elle la gueule grande ouverte, ses crocs ambrés recouverts de givre. L'Astalos anticipa la réaction que le tigre à dents de sabres volant prévoyait, et présenta sa pince grésillante au lieu de chercher à éviter la morsure glacée. Surprise, la wyverne volante blanche détourna au dernier moment sa gueule, mais blessa malgré tout la générale avec un de ses membres alaires crantés. Celle-ci, sonnée par le coup ayant touché son poitrail, n'eut pas le temps de riposter et se prépara à recevoir à nouveau son ennemi, qui revenait en sens inverse, cette fois-ci pour cracher sa glace à bout portant. Lorsque le Barioth fut à deux doigts de relâcher son projectile gelé, elle invoqua trois éclairs verts. Le premier et le deuxième furent esquivés, mais le troisième frappa le dos du général Rakurien, qui ne se laissa pas stopper pour autant. La balle glaciale percuta une des serres d'Astalian, qui n'eut pas trop de mal à se rétablir ensuite, malgré la brûlure du froid.

« Il me donne du fil à retordre ... Mais je n'ai pas le temps de m'attarder avec lui. Il faut que je trouve une faille pour m'échapper au plus vite, où les autres vont se trouver en difficulté. » songea-t-elle en s'élançant vers le général ennemi, qui créa une tornade pour l'empêcher d'approcher.

La générale Rathienne contourna l'obstacle venteux vivement, manquant d'être aspiré par celui-ci, avant de s'élever au-dessus du Barioth, puis de piquer sur lui, enrobée d'électricité. L'impact fut aussi violent pour elle que pour lui, car en dernier recours, le tigre à dents de sabres volant n'ayant pas eu le temps d'amorcer une esquive, planta sévèrement ses crocs glacés dans son épaule. Les deux adversaires rugirent de douleur, et s'écrasèrent violemment au sol.

« Argh ... Pourquoi ne l'ai-je pas vu venir ... » cracha mentalement l'Astalos, se relevant péniblement à cause de la douleur qui irradiait à présent toute son aile, ainsi que son crâne ayant rencontré brutalement le sol.

Promptement, elle regagna les airs même si elle ne se sentait pas encore à l'aise pour redécoller, car le sol envahi de soldats restait toujours plus dangereux que le ciel dans ce genre de cas. En face, toujours face contre terre, le général Rakurien remua, secouru par un Khezu et un Zamtrios qui l'aidaient à se remettre debout.

« J'ai intérêt à vite m'éloigner, sinon il se relancera à ma poursuite. » pensa-t-elle avant de s'éclipser à la vitesse des éclairs qu'elle produisait loin derrière elle pour brouiller les pistes.




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