Rathlands

Chapitre 11 : Chapitre 11 (Zénith POV)

4910 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/07/2020 11:32

Zénith était, sous son armure vermillon, en ébullition. Son ire était si exacerbée que la douleur de ses blessures s’était presque évanouie, au profit de l’adrénaline naissante qui irriguait chacun de ses muscles affaiblis. La peur n’existait plus à présent.

Bien sûr, lorsqu’il avait demandé à reprendre du service le lendemain de son réveil, son père s’y était fortement opposé. Mais le Roi-Enfer ne craignait plus Khryselios. Ce qu’il ressentait pour lui s’apparentait de plus en plus à du mépris. Le roi des Rathlands l’avait senti, et après avoir tenté de rétablir son autorité, il avait cédé à son propre fils. La colère de celui-ci lui avait fait prononcé des mots plus acides et corrosifs que le venin d’Arsenic, et Zénith, bien qu’il sût que ces paroles avaient affecté profondément son père, n’en tirait aucun remord. Le prince Rathien avait donc exprimé son sentiment indifférent quant à l’avis de Khryselios, qu’il savait incapable de riposter, et avait alors presque savouré la tristesse et la défaite qui s’étaient imprimées sur son visage. « Entre la vie d’un seul être et celle de milliers de civils, un roi ne peut se permettre d’être égoïste » avait-il craché avant de le laisser ainsi, seul et vaincu.

Et voici qu’il était là, debout comme les mille cinq cents autres soldats restant pour défendre les Rathlands depuis son cœur : la forteresse d’Ignis. Ils se tenaient ainsi devant le mur d’enceinte, prêts à l’impossible pour empêcher l’ennemi de franchir la barrière de leur corps. Depuis les remparts, les meilleurs cracheurs de feu se préparaient à faire office d’« archers », comme disait Tinarg. Il avait expliqué qu’il s’agissait du terme employé pour les humains qui défendaient leurs villes grâce à des artefacts permettant de toucher leur ennemi à distance. Le système était ingénieux, et comme les monstres possédaient pour la plupart des projectiles naturels comme les flammes, cette stratégie fut reprise par bon nombre d’états. On avait également fait appel aux troubadours royaux pour se tenir sur les fortifications d’Ignis. L’idée semblait absurde, mais la capacité des Qurupecos à pouvoir régénérer la vitalité des autres monstres grâce à leur chant était au contraire très utile, et les généraux avaient donc demandés aux wyvernes aviaires de venir prêter main forte. Leur chant pouvait également renforcer les tissus musculaires et octroyer ainsi une résistance aux coups et une puissance de frappe supplémentaire. Nul ne savait comment et pourquoi cela se produisait. Cela faisait partie des plus grands mystères non résolus du monde.

Comme chaque fois, les généraux se tenaient en première ligne, préparés à faire directement front aux troupes de Rakuraï, qui devaient surgir d’un moment à l’autre. Au-dessus d’eux, la générale Astalian planait comme un vautour, scrutant depuis les cieux l’apparition des Nordiques. Les visages étaient tendus. Tous étaient animés par la même force du désespoir, et cette force était bien connue pour être la plus puissante. Sauf lui. Et Arsenic, qui partageait la même détermination et la même soif de vengeance que son frère aîné. Blast, quant à lui, avait accepté de revenir combattre, mais il restait plus modéré, et moins emporté par la déraison qu’était celle d’écouter son sang capricieux. Zénith s’était senti pousser des ailes lorsqu’il avait constaté que sa sœur, d’ordinaire si pragmatique, rejoignait entièrement son point de vue.

A côté de lui se tenait une Mizutsune possédant moult égratignures, et dont le visage ne lui était pas inconnu. Elle aussi semblait être régi par un sentiment furieux, et cela se trahissait par les mouvements frénétiques de sa queue et la couleur écarlate de ses barbillons faciaux. S’il se souvenait bien, ils arboraient une couleur rosâtre en temps normal, bleue en cas de fatigue extrême, et rouge vif si l’individu était fortement contrarié ou énervé.

« N’est-ce pas cette Ecumienne étrange, qui dirige la compagnie envoyée par Tidal III en renfort ? » se demanda Zénith.

Il fut tiré de ses réflexions par les cris d’alerte claironnants de Saxo et Trumpet, dont la poche vocale était déployée. Leur bec s’était aussi étiré, prêt à projeter des sons puissants.

-        Les Rakuriens sont en vue ! s’écria Astalian depuis les airs avant d’atterrir devant Tinarg.

Le Gravios hocha la tête, puis se tourna vers ses soldats.

-        Pour les Rathlands ! rugit-il.

-        POUR LES RATHLANDS ! clamèrent-ils tous à l’unisson.

Presque aussitôt, le son caractéristique d’une flamme prête à être crachée retentit par dizaines de fois, et les premiers projectiles enflammés fendirent l’air pour s’abattre au pied de la colline où surgissaient les premiers Nordiques. En tête du régiment galopaient Rakuraï et deux de ses fils. Zénith sentit la vengeance faire bouillir à nouveau son sang : Oxiderr était à la droite de son père.

La plupart des boules de feu firent mouche, et les premières lignes furent ralenties par cette pluie ardente qui s’abattait sur eux, sauf bien évidemment l’empereur, ses fils et ses généraux. La plaine d’Ignis tremblait sous le galop effréné des guerriers de Rakuraï et les impacts des flammes des archers. Derrière les Rakuriens ne subsistait que la désolation. Le passage de l’armée retournait le sol telle une charrue au soc d’acier, et projetait des mottes de terre entières en tous sens. Malgré le vent qui portait en leur faveur, chaque Rathien entendit le hurlement féroce des quatre Zinogres de tête puis le mugissement approbatif du régiment entier leur écorcher les tympans. Ils devaient être à présent à deux cents mètres. Les Qurupecos troubadours poussèrent alors leurs chants, et Zénith sentit ses tissus se durcir de manière spontanée. L’effet de ces mélodies était tout bonnement formidable.

Le Roi-Enfer était sur le qui-vive. Chacun de ses muscles était bandé à l’extrême, et sa gueule laissait s’échapper en continu de petites flammèches qu’il ne parvenait pas à maîtriser. Malheur à qui croiserait son chemin. Il avait une revanche à accomplir, et rien ne l’en détournerait. Lorsque que les Nordiques ne furent plus qu’à une cinquantaine de mètres, Zénith usa de toute la force de ses poumons pour expulser un projectile semblable à une pierre. Mais ce n’en était pas réellement une. Il s’agissait d’un fragment de son Rubis couplé avec ses flammes. Chaque monstre possédait un joyau en lui, au niveau du cœur. Très fragile à la naissance, il se développait avec l’âge, devenant de plus en plus puissant. Car en effet, il permettait d’exploiter la totalité de la puissance de celui qui le détenait. Chez les Rathalos, par exemple, il se nommait « Rubis », et agissait principalement sur la capacité de la gorge à produire des flammes. Pour d’autres, comme les Gravios, leur effet était plus diffus. Autrefois, les chasseurs convoitaient énormément ces gemmes, symboles du monstre porteur, qu’ils vendaient comme de vulgaires bijoux. Zénith en revanche, était capable d’une chose peu ordinaire : il savait fragmenter son joyau pour l’incorporer à ses flammes, créant ainsi une véritable bombe à retardement. Cependant, la régénération de celui-ci étant plutôt lente, il ne devait pas en abuser, contrairement à ce que lui hurlait son instinct vengeur.

 La pierre, qui émettait une aura brûlante visible, atterrit aux pieds des Nordiques, qui n’eurent pas le temps de réaliser la nature de cet objet, et elle explosa quelques secondes plus tard dans un bruit assourdissant. Des cris de souffrance s’élevèrent, et lorsque la fumée se dissipa, elle révéla une dizaine de Gammoths terrassés par les flammes, qui ravageaient leur toison tricolore. Les bêtes à crocs tentaient de les éteindre grâce à leur souffle glacé en barrissant de longues complaintes. Derrière eux, on remarquait que les plus touchés par l’explosion étaient des monstres liés à l’élément glace, comme des Lagombis ou des Zamtrios. Cela n’arrêta pourtant pas Rakuraï et le reste de son régiment qui poursuivirent leur assaut à une vitesse grandissante. Les espaces devenus vacants furent comblés par les Burutiens de renfort, peu sensibles au feu. Le Roi-Enfer sentit les yeux de l’empereur rechercher le responsable de ce désagrément, et se poser sur sa gueule fumante et rougeoyante. La wyverne à crocs rugit à nouveau, dressant ses poils dorsaux. Les héritiers ne tardèrent pas à l’imiter. Les Rakuriens fondirent alors sur les derniers Rathiens en mesure de défendre le Royaume. La plupart bondirent au-dessus des premières lignes Rathiennes pour éviter les flammes à bout portant que les soldats crachaient, sans toutefois contrer la deuxième pluie de feu provoqué par les archers.

Zénith se jeta corps et âme sur le Gammoth qui fonçait sur lui. Saisissant une de ses défenses, il utilisa son appui pour grimper sur son dos, qu’il mordit sauvagement de ses crocs encore brûlants. Le mammouth bleu se débattit, mais continua d’avancer en bousculant les soldats sur son passage. Le prince des Rathlands planta alors encore plus profondément ses crocs et ses griffes dans la peau dure, pesant de tout son poids sur la défense rocheuse lui servant d’appui, afin de stopper la progression de la bête à crocs. Celle-ci, sentant le poison des serres du Rathalos se diffuser dans ses veines, se cabra en mugissant, et saisit la wyverne volante de sa trompe. Zénith tint bon, et mordit la trompe préhensile qui cherchait à cracher son souffle glacial tout en l’attrapant, arrachant une touffe de poils rouges et blancs au passage. Il entraperçut un Barioth qui se jetait sur lui depuis les airs, mais il l’abattit d’une sphère enflammée particulièrement puissante avant qu’il ne puisse venir en aide au Gammoth.

Le mammouth perdait beaucoup de sang, et s’épuisait à force de s’agiter vainement. Le Roi-Enfer attendit qu’il faiblisse jusqu’à poser un genou au sol, et se laissa glisser jusqu’à la gorge velue qu’il enserra de ses crocs. Puis, lorsqu’il sentit la veine jugulaire entre ses dents, il les arracha d’un coup sec de sa prise. La bête à crocs bleue égorgée voulut beugler de désespoir, mais le Rathalos l’acheva avant d’un coup de sa queue protégée de métal sur sa tempe pierreuse. L’énorme masse s’effondra au sol, causant une secousse qui déséquilibra les combattants proches. Zénith n’eut pas à attendre longtemps avant de rencontrer son prochain adversaire. Un rayon de glace fusa au-dessus du cadavre du mammouth bleu, et un Zamtrios fit son apparition. Sautant par-dessus la charogne, il créa son armure de glace caractéristique, puis se jeta sur le Roi-Enfer dans l’espoir de le transpercer grâce à son excroissance frontale gelée. Zénith n’eut pas de mal à esquiver l’amphibien, et riposta par une boule enflammée dévastatrice. Le grognement qu’il poussa attesta de la douleur du requin de glace. Ne lui laissant aucun répit, le prince des Rathlands chargea vivement, puis cloua la gueule du Zamtrios avec l’une de ses serres. De l’autre, il griffa sauvagement la chair molle du ventre, et planta ses crocs dans l’aileron dorsal. La résistance qu’il lui offrit fut trop faible pour l’empêcher de l’éventrer. L’amphibien tenta une dernière fois de cracher sa glace, puis s’écroula dans un bain de sang et d’entrailles. Un Lagombi tomba près de lui, décapité par la lame péridot d’Astalian, qui se déplaçait à une vitesse prodigieuse dans un éclair vert. Zénith vit qu’elle était gênée dans son rôle habituel par une escouade de Barioths tentant de l’acculer. Le Rathalos grenat jugea bon d’intervenir, et se propulsa dans les airs. Il se plaça derrière l’un des Barioths, puis cracha ses flammes à bout portant sur la nuque du tigre à dents de sabre volant. Profitant de son déséquilibre, il fondit sur lui à grande vitesse, le saisit de ses serres, et usa de son inertie pour le faire chuter. La wyverne de glace n'eut ni le temps de se ressaisir ni de répliquer, et ne se releva pas, ayant percuté tête la première le sol. Autour de lui, la situation tournait déjà au vinaigre : la glace et la foudre des Rakuriens progressaient contre les flammes Rathiennes, et les rangs des Rathlands étaient forts entamés.

Le Roi-Enfer évita promptement les éclairs d’un Khezu Grenat qui venait d’atterrir devant lui.

« Par Teostra ! » gronda-t-il intérieurement en répliquant par une sphère enflammée.

Fort heureusement pour lui, un Gravios Onyx surgit alors pour s’opposer à la wyverne volante problématique de son corps volumineux.

Le prince des Rathlands s’éloigna du duel qui s’annonçait, et vint en aide à un Lavasioth, mis en difficulté par un Tetsucabra qui le tenait prisonnier entre énormes mâchoires. Avec colère, il se précipita vers lui et brisa un de ses crocs proéminents de sa queue encapuchonnée d’acier. Le crapaud rouge mugit de douleur et sa victime saisit l’occasion pour se dégager et riposter par un coup d’épaule qui fit chuter le Rakurien. Zénith porta le coup final d’un autre coup de queue sur le crâne de l’amphibien.

-        Merci, Mon Seigneur ! lança le soldat avant de se relancer dans la bataille, cette fois aux prises avec un Barroth de Jade.

Le Roi-Enfer hocha imperceptiblement la tête, puis entreprit de s’élever à nouveau dans les airs pour faire le point sur la situation aérienne. Mais lorsqu’il bondit, une masse s’abattit sur lui, et l’empêcha de déployer ses ailes. Le Rathalos pourpre rugit d’incompréhension, et retomba lourdement au sol, écrasé par le poids venu du ciel.

-        Tu croyais pouvoir t’échapper si facilement, rat galeux ?! rugit une voix, qui glaça son sang si bouillant.

Zénith sentit ses muscles faiblir d’un seul coup, à présent davantage porté par la peur que l’ire. Ces mêmes muscles lui hurlèrent de se dégager au plus vite de cet assaillant qu’il ne pouvait pas voir, mais qu’il reconnaissait. Sa vision fut parsemée de petites étoiles dansantes.

-        On se souvient de moi, Rathalos de pacotille ? J’ai appris que tu étais un prince, susurra dangereusement la voix profonde et terrifiante, et même l’héritier aîné ! Rien que ça ! Cela me comble d’autant plus de connaitre ce détail : ce pays est entièrement peuplé de misérables faibles, jusqu’à sa caste royale ! Et toi, pauvre fou, je ne sais même pas déterminer qui de ton père ou de toi est le plus incapable !

Si les premiers mots du Rakurien l’avaient figé d’horreur, ceux-là l’avaient tiré de sa torpeur qui se mutait en une rage sans nom.

-        NE M’ASSOCIE PLUS JAMAIS A MON PERE ! hurla Zénith, qui pris d’un élan de force extraordinaire se débarrassa de son agresseur, et lui cracha une gerbe de furieuses flammes au visage, déployant ses énormes ailes pourpres veinées d’or.

Aveuglé par sa fureur renaissante, il se jeta tous crocs dehors sur le Zinogre à la teinte lunaire, qui arborait un irritant sourire en coin, visiblement satisfait de sa pique. Oxiderr évita cette charge aveugle en se décalant sur le côté.

-        Aurais-je touché une corde sensible, par le plus pur des hasards ? ricana-t-il, répliquant par un coup de griffe que le Rathalos grenat para de sa queue.

Le Roi-Enfer se sentait fou.

-        Ferme-la, enfant de catin ! Tu vas payer pour m’avoir outragé, moi et mes frères et sœurs ! rugit-il en expectorant un nouveau fragment de Rubis, puis en bondissant en arrière pour éviter l’explosion.

Les Rakuriens qui se tenaient trop proches furent décimés par celle-ci, tandis que les Rathiens s’en tiraient avec quelques brûlures, et ne prenaient pas la peine de s’attarder là-dessus. Cependant, Zénith fut surprit par Oxiderr qui avait surgit des flammes et envoyé droit sur lui cinq sphères électriques. Il détruisit les trois premières grâce à ses flammes, mais ne put riposter face aux deux autres, qu’il encaissa de plein fouet. Le Zinogre gris de lune lui asséna alors un puissant coup d’épaule le projetant au sol. Etendu ainsi sur le dos, il eut la sensation d’être paralysé, chose probablement possible après le choc électrique qu’il avait subi.

« N-Non … Pas encore ! » songea-t-il en essayant de contracter chacun de ses muscles, sans succès.

Oxiderr s’était avancé lentement jusqu’à lui, les crocs découverts en un rictus aussi provocateur qu’effrayant.

-         … Payer, hein ?! Je crains que ce ne soit pas possible, hélas. Ta pathétique force ne te le permet pas, lui cracha-t-il au visage. Alors cesse de déblatérer pareilles âneries, si tu n’es pas capable d’en assumer les actes !

Zénith sentit les flammes monter dans sa gorge, mais le Zinogre lui flanqua une gifle avant qu’il ne puisse les cracher.

-        C’est donc tout ce que tu as à m’opposer ? Des mots en l’air, et rien pour les accompagner ? gronda-t-il encore plus fort, si fort que Zénith eut l’impression que ce soit ce grondement qui rendit le ciel d’un noir charbon.

« C’est … »

-        J’aurais mieux fait de te tuer la première fois que ta misérable existence s’est trouvée en travers de mon chemin, prince de pacotille ! Et tu m’aurais même remercié, au final, pour t’empêcher de continuer à vivre en portant le poids de la honte, de ta faiblesse, de ta lâcheté !

Zénith ne l’écoutait plus. Les mots tranchants et venimeux ne lui faisaient rien. Il était fasciné par la teinte que venait d’arborer les cieux.

« Dans les temps de naguère,

Où tout crime devenait guerre,

Tout restait impuni, y compris l’outrage le plus sévère,

Et les monstres subissaient en silence l’injustice amère.

Mais Justice devait être rendue sur Terre,

Et descendant de cieux noirs traduisant sa colère,

Apparut le Répandeur de Misère. »


Oxiderr continuait de l’offenser de mots plus agressifs encore, mais cela ne provoqua aucune réaction du Rathalos. Il fixait toujours le ciel, perdu dans des pensées lointaines.


« Craignez celui qui veille à l’honneur,

Celui qui apporte aux victimes vengeance et bonheur,

Et aux blasphémateurs le châtiment divin de la furie du malheur.

Craignez le héros Gamala, lié à cette valeur. »


-        Gamala … murmura-t-il en sentant le vent se lever en de brusques rafales.

-        Que racontes-tu encore, crétin de Rathien ?! Es-tu devenu fou, par tous les Dieux ?!

Le Rakurien perdit son air furieux lorsqu’il entendit le rugissement sourd qui fit trembler la plaine entière.




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Rakuraï II ne croyait pas ses yeux. Pourtant, il avait, au cours de son règne, eut l’occasion de vivre et de voir beaucoup d’évènements assez improbables. Comme rencontrer un héros mythique, par exemple. Ou vivre une révolution à l’âge de dix ans. Mais ce qui venait de se produire dépassait tout simplement l’entendement.

-        Papa, qui est cet énergum… commença Irodim, avant que son père ne lui ferme manuellement son clapet.

L’individu noir de jais avait émergé des nuages, poussant un cri grave et strident à la fois. Tout dans ce cri inspirait une crainte qui semblait innée, ancrée au plus profond des cœurs. Le dragon aux six membres s’était alors posé sur le sol, ses ailes retombant sur lui telle une cape. Une étrange fumée noire se formait sous ses ailes soutenues par des griffes pourpres, à la forme effrayante. Sa tête dépourvue d’yeux s’était alors légèrement relevée pour fixer l’empereur de la Rakuria. Et malgré l’absence de globes oculaires pouvant aisément témoigner de son humeur, le Feu-du-Ciel avait pressentit que la venue de cet être hors du commun était causée par sa personne. C’était bien l’une des rares fois où il éprouvait l’angoisse, car il ne se souvenait d’aucun fait pouvant justifier une punition quelconque. Non, il avait déjà payé pour l’envahissement criminel de l’Empire Skypierciers au début de la Guerre Sanglante, et pour ses multiples guet-à-pens envers les marchands approvisionnant les Rathlands durant cette même période. Le Zinogre péridot n’avait plus rien à se reprocher, et c’était bien cela qui l’inquiétait.

-        A qui ai-je l’honneur … ? demanda-t-il d’un ton qu’il modula curieux et respectueux.

Le dragon noir comme la nuit émit un grondement.

-        Tu ne sais donc pas à qui tu as affaire, empereur ? prononça la voix dure de l’intrus.

Le fait qu’il employa le terme « empereur » pour le désigner le déconcerta d’autant plus, mais il se ressaisit.

-        Pas exactement, non. Mais j’ai l’intuition qu’il ne s’agit pas de quelqu’un d’ordinaire …

Son interlocuteur releva davantage la tête dans un geste dédaigneux.

-        Tu t’adresses à celui qu’on nomme Gamala, « le Répandeur de Misère ». Tu possèdes un grand culot pour ne pas me connaitre, empereur, et me provoquer par-dessus le marché, moi, un héros …

« Mais de quoi parles-t-il, par Kirin ?! Et vient-il bien de dire qu’il est considéré comme un héros ? »

-        Je ne vois pas ce dont vous voulez parler, si je puis me permettre …

-        Ton sang a commis un outrage pire qu’odieux, le coupa-t-il sèchement, et je viens administrer un châtiment équivalent.

« Oh. »

-        Vous voulez dire que …

-        Tu sais très bien ce que cela veut dire, empereur. Et puisque que cet acte calomnieux ne s’adressait non pas seulement à une simple victime, mais à son peuple tout entier, alors tu paieras cet affront par la souffrance de ton propre peuple.

Le Feu-du-Ciel sentit se figea d’horreur.

-        Comment osez-vous ?! explosa-t-il ensuite. Si l’un de mes fils est coupable, qu’il en subisse les conséquences personnellement !

« Qui de ces trois crétins a bien pu … ! » pensa-t-il avec désespoir et rage.

-        Comme je te l’ai déjà dit, le crime commis s’adressait au peuple Rathien tout entier. Il en sera de même pour le peuple du blasphémateur, qui aura de quoi méditer son acte et cette sanction.

L’empereur était au pied du mur. Son peuple, ses hommes, allaient devoir subir les conséquences d’une sottise puérile exécuté par l’un de ses fils, la chair de sa chair.

-        Le peuple Nordique n’est pas coupable ! aboya-t-il.

Des volutes de fumée noire se formaient de plus en plus autour du dragon sombre dont le corps prenait des reflets violets.

-        Conteste encore une fois l’une des trois voix de la Justice et tu auras à essuyer un deuxième châtiment, empereur ! Tu ne saurais pas même dire qui de tes descendants a fauté et ce qu’il a fait pour que ma sentence soit ainsi ! tonna Gamala.

Le Feu-du-Ciel était partagé entre sa crainte pour le héros et la colère qu’il éprouvait pour un jugement si injuste à ses yeux. Mais le choix fut vite fait. Sa gueule crispée s’ouvrit pour prononcer une phrase terrible.

-        Va crever !

Le Répandeur de Misère écarta ses larges ailes à l’apparence déchirées, tandis que deux cornes d’un violet lumineux se déployèrent sur son crâne. Le vent souffla davantage, provoquant la naissance d’une multitude de tourbillons de brume étrange.

-        Tu l’auras voulu, empereur irresponsable ! Rathiens, Justice vous est rendue ! Les Rakuriens ont fauté, voici leur punition ! rugit Gamala en se tournant vers eux.

D’un cri, la brume qu’il semblait contrôler jaillit de tout côté, filant vers le côté Rakurien. Tel un épais nuage toxique, elle les étouffa, et chacun respira cette fumée âcre et noire qui irritait profondément la gorge et les poumons. Rakuraï et Irodim ne furent guère épargné.

« Il y a quelque chose de vicié dans cette brume … » pensa-t-il entre deux quintes de toux.

Oxiderr surgit du brouillard noirâtre dans lequel ils étaient tous piégés.

-        Père ! Que se passe-t-il ici, par Oroshi ?! s’exclama-t-il.

Rakuraï se retourna vers lui.

-        Un de vous a merdé ! pesta l’empereur, fou de rage. Et celui qui semble être un héros, comme Akalash, a déclaré que cette faute méritait un châtiment s’appliquant à l’ensemble des Rakuriens, au nom de la Justice ! Et je mettrais ma main à couper que cette brume en fait partie !

Son fils aîné eut un air courroucé.

-        Et il prétend ainsi défendre la Justice ?! En accusant un peuple innocent ?! Quel infâme bandit ! rugit-il en retour.

-        Je ne te le fais pas dire, gronda le Zinogre péridot, qui jeta ensuite un œil derrière lui. Par la peste ! Pourquoi s’écroulent-ils tous ?! cria-t-il ensuite, remarquant avec effroi que certains de ses guerriers gisaient au sol. Il faut battre en retraite, et vite ! Irodim, Oxiderr, portez mes ordres à Blizzard, je m’occupe d’avertir Astérion ! Filez !

Les deux Zinogres s’exécutèrent, et Rakuraï s’élança alors au milieu de la confusion générale que l’arrivée de la brume avait générée.

« Qu’est-ce que cette infâmie ? Qu’ont-ils fait, mes diables de fils, pour que mon peuple ait à en pâtir de la sorte ?! Je vais administrer une sévère correction au responsable quand tout ceci sera maîtrisé … En attendant, je dois annoncer le repli des troupes … Tant pis pour Ignis, nous ne sommes pas capables de nous battre avec une sorte de malédiction planant au-dessus de nous ! Nous aurons d’autres occasion de nous battre … Et par la peste, le choléra … Qu’est-ce que cette maudite fumée ?! »



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