Rathlands

Chapitre 15 : Chapitre 12 (Akalash POV)

1870 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/08/2020 11:10

Akalash volait vers le Nord. Loin en-dessous de lui, une guerre faisait encore rage, il le savait. Il sentait, même dans les cieux hauts et purs, l’odeur nauséabonde de la Peste divine s’élever jusqu’à ses narines. Gamala avait donc frappé, comme il l’avait annoncé. Le dragon métallique accéléra légèrement son allure, jetant un œil en contrebas. A travers les épais nuages gris d’hiver, il aperçut vaguement le brouillard spectral de la Furie étouffant les Rakuriens. Il était bien sûr trop haut pour les entendre, mais il devinait les cris de souffrance de toute cette masse grouillante, qui endurait le martyr sous ses pieds. Il imaginait aussi les prières adressées à sa personne ou à Kirin, les suppliques désespérées, les gémissements d’agonie …

« Subissez les conséquences de vos actes, Nordiques. Que cela vous serve de leçon, à l’avenir. La sentence d’un héros est incontestable. Je ne vous viendrais pas en aide cette fois-ci. »


Après avoir été tiré de son long sommeil, Akalash avait eu le réflexe de filer vers le Sud. Il avait senti qu’il n’était pas le seul éveillé. Et il ne s’était guère fourvoyé, car Gamala, de son nom commun, l’était effectivement lui aussi.

Le Héros n’appréciait guère ces noms-là, ainsi que leur appellation héroïque, mais il se trouvait forcé de les employer quelles que soient les circonstances. Il préférait leurs noms véritables et originels, mais comme aucun mortel ne devait se souvenir de ceux-ci, les Héros avaient l’interdiction de les prononcer. Les autres Dieux avaient fixé ces règles. Car les Héros n’étaient rien d’autre que des Dieux qui, soucieux du bien-être des mortels, avaient acceptés d’endosser une lourde responsabilité : celle du respect de la Justice.

Lorsque les Dieux virent que le Vieux Monde entrait partout en ébullition, ils surent que le moment était venu pour les monstres d’accomplir l’ultime révolution : celle du renversement des humains. Les monstres qui vivaient à l’écart des hommes devinrent audacieux et détruisirent des villages les uns après les autres. Ceux qui avaient prêté une si fidèle allégeance aux humains se retournèrent contre eux, brisant sans remord le lien qui les unissait à leur bourreau. Et quand il n’y eut plus qu’une poignée d’hommes retranchés dans des villes-forteresses présents sur Terre, les Dieux entrèrent en scène. Sous leur commandement, les monstres unis anéantirent les cités les plus tenaces. Akalash se souvenait de ce temps-là, où on l’acclamait encore sous le nom de Kushala Daora … Les Dieux laissèrent ensuite les monstres faire de ce monde le leur, laissant derrière eux quelques éléments de savoir humain utile, et se retirèrent de la vue des mortels. Mais, craignant que ce Nouveau Monde ne finisse comme l’ancien, corrompu et dénué de Justice, ils décidèrent d’envoyer trois d’entre eux sur cette Terre pour veiller à son équilibre. Ainsi descendirent chacun leur tour Gamala, le Répandeur de Misère, protecteur de l’honneur, Akalash, le Guerrier d’Acier, défendeur des peuples opprimés, et Falkav, le Pourfendeur Argenté, exécuteur des malfaiteurs dangereux pour cet équilibre. Ensemble, mais aussi séparément, ils avaient le devoir d’aider, en cas d’extrême nécessité, le peuple auquel il était affilié. Lorsqu’un châtiment d’ordre divin était délivré par l’un, les autres devaient se plier à cette décision. Ils étaient des Dieux. Ils ne commettaient aucune erreur. Cette règle ne gênait donc personne. Hélas, à cause de cette proximité voulue avec les mortels, les trois Héros durent abandonner leur nom divin, pour en adopter des autres. En parallèle, les mortels leur attribuèrent des appellations. Ils durent également renoncer à la gloire de leurs actions en tant que Dieux délivreurs des humains. Ainsi, les livres sacrés qu’on transmit aux mortels ne les mentionnait pas, exceptés pour évoquer de manière vague leur rôle de héros … Les Dieux appartinrent à l’Histoire, tandis qu’eux restèrent de simples légendes.

Quand ils n’intervenaient pas directement, les Héros sommeillaient et veillaient sur le monde grâce à leurs rêves. Certains faits réels venaient se greffer aux habituels songes, et ainsi, ils se renseignaient sur les évènements récents. Cependant, ce n’était pas infaillible, et beaucoup d’éléments à l’importance moyenne ou faible échappaient à leur esprit.


Néanmoins la plupart des faits de cette nouvelle Histoire fut connue des héros, et même des Dieux invisibles. Des états naquirent sur ce continent de Solhatar, où ils avaient été envoyés. Ceux qui n’avaient pas souhaité cette révolution et avaient survécus à celle-ci fuirent ensemble les autres nations et créèrent leur propre pays : la Confrérie des Charognards. La plupart étaient à l’origine des ex-Montures, associées aux Riders, les esclavagistes, mais au fil du temps, cette petite enclave entre les Monts Nordiques et les terres des Skypiercers accueillit d’autres monstres. Des réfugiés politiques, des athées, ou encore d’autres Montures, qui jusque-là s’étaient fondues dans la masse grâce au partage des valeurs communes. La plupart des Dieux ainsi que les Héros tenaient en horreur et en haine ces gueux se revendiquant indépendants d’eux. C’était impie et blasphématoire, car sans ces mêmes Dieux qu’ils rejetaient, ils n’auraient jamais obtenu cet état.

Lorsqu’il retrouva Gamala au sommet du Mont des Lamentations, il apprit que son réveil était dû à l’assassinat de cette jeune princesse Rathienne, dont le coupable était toujours inconnu. Son sang n’avait fait qu’un tour, et il avait depuis ardemment recherché le scélérat, en vain. Sa colère s’était alors décuplée, et il tournait comme un lion en cage, incapable d’accomplir sa noble tâche. Le dragon d’acier expliqua alors sa propre situation. La demande de l’empereur Rakurien, son refus préventif, puis son intuition de venir jusqu’ici. « Tu as bien fait, mon frère, avait répondu Gamala, car le peuple qui quémande ta force a récemment fauté, et je me dois de punir l’outrage commis.  Un acte atroce qu’il ne convient pas de décrire. N’interfère donc pas avec ma décision, mais libre à toi d’agir comme bon te semble ensuite. Falkav sommeille toujours, malgré la menace grandissante qu’est le dirigeant du peuple Burutien. Je me permets donc d’ignorer son avis. »

Il s’était plié, bien sûr, car un acte perfide de cet acabit méritait une juste punition. Il ne pouvait en rien défendre les Rakuriens sur ce coup-là. Mais il se promit solennellement de venir offrir son aide ensuite, lorsqu’ils auraient payé le juste prix de leur arrogance déshonorante. Ainsi, après cette entrevue, il s’était de nouveau envolé vers les terres Nordiques. Et même dans les cieux purs et blancs, il ressentait la misère du bas monde et ses souffrances. Il voyait les guerres. Il constatait les conséquences de ces guerres. Famine. Epidémie. Mort. Désolation. Mais en tant que Dieu et Héros, il était bien placé pour le savoir : le monde était naturellement injuste.

Et c’est pourquoi depuis son réveil, il fendait les cieux blancs d’hiver. Pour rétablir la part de Justice qu’il incarnait. Dans son vol, presque mécanique de par sa monotonie, Akalash se souvint des prophéties rédigées par les mortels, attribuées à chacun d’entre eux. Il y avait celle de Gamala …

« Dans les temps de naguère,

Où tout crime devenait guerre,

Tout restait impuni, y compris l’outrage le plus sévère,

Et les monstres subissaient en silence l’injustice amère.

Mais Justice devait être rendue sur Terre,

Et descendant de cieux noirs traduisant sa colère,

Apparut le Répandeur de Misère. 

Craignez celui qui veille à l’honneur,

Celui qui apporte aux victimes vengeance et bonheur,

Et aux blasphémateurs le châtiment divin de la furie du malheur,

Craignez Gamala, lié à cette valeur. »


Celle de Falkav …


« Dans les temps éloignés,

Où les criminels en liberté vagabondaient,

Infligeant pendant leur errance les pires forfaits,

Les monstres vivaient dans l’effroi et l’insécurité.

Mais Justice devait être rendue sur cette Terre horrifiée,

Et surgissant par-delà les cimes désolées,

Apparut le Pourfendeur Argenté.

Craignez celui qui veille à la sécurité,

Celui qui apporte aux victimes réparation et sérénité,

Et aux malfaiteurs une sentence redoutée,

Craignez Falkav, lié à cette moralité.


Et la sienne …


« Dans les temps oubliés,

Où le pouvoir était âprement convoité,

Les méfaits, les complots, les atrocités abondaient,

Et les monstres subissaient en tremblant le despotisme irrégulier.

Mais Justice devait être rendue sur cette Terre martyrisée,

Et dissipant les tempêtes des cœurs terrifiés,

Apparut le Guerrier d’Acier.

Craignez celui qui veille à la légitimité,

Celui qui apporte force et soutien aux écrasés,

Et aux tyrans la destitution méritée,

Craignez Akalash, lié à cette vérité. »


Il les récita à nouveau mentalement par nostalgie, tandis qu’il amorçait sa descente à mi-chemin entre Ignis et la frontière Rakurienne. Les nuages cotonneux disparurent, dévoilant le paysage qui défilait sous les serres du dragon d’acier. La plaine des Rathlands, le commencement de la taïga Nordique … Il discernait même à l’horizon le palais de Rakuraï, ainsi que les Monts Nordiques, dominés par le Mont Tsereve, sa demeure. Mais Akalash ne se rendait point là-bas. Rasant la cime des pins enneigés, il atterrit au beau milieu du camp de retranchement des Rakuriens.

Au moment même où ses griffes touchaient le sol, il sentit des centaines de regard se poser sur sa personne. Ses sens de Dieu lui faisaient parvenir toute sorte d’informations, comme les sentiments ambiants. L’air était saturé de colère et de douleur, mais également par l’immonde odeur de la Furie. Une grande partie des individus présents étaient infectés, et expiraient une brume sinistre. Leur peau semblait également assombrie. Akalash percevait la fièvre qui rongeait les souffrants. D’un regard qui balaya toute l’assemblée témoin de son arrivée, il leur transmit la clémence qui l’avait amené ici.

Puis, arborant une attitude souveraine, il fit route jusqu’à la tente émeraude et or de l’empereur, d’un pas confiant et calme.

« N’ayez crainte, Nordiques. Une fois que vous aurez payé le prix de votre outrecuidance, je vous aiderais à regagner le temps perdu. C’est une promesse de Justice. »

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