Rathlands

-        Nous nous sommes grandement fourvoyés, gronda Zénith, la rage sous-jacente dans sa voix.

-        Il est fort bien de réaliser ce constat, mais cela ne nous avance en rien, répondit Khryselios, assis dans son siège, présidant l'impromptue réunion. L’heure est à la réflexion. Et au calme. Toute décision hâtive ne fera qu’aggraver la situation.

Zénith était sensiblement irrité. Contrairement aux prédictions stratégiques, les Rakuriens faisaient route pour King’s Gate, et non Ignis.

-        D’après nos estimations venant tout droit de notre patrouille, ils devraient atteindre la ville d’ici cinq jours, les informa Tinarg. Nous avons le temps d’envoyer des renforts …

-        Nous ne pouvons pas nous permettre d’envoyer le reste de nos forces là-bas. Ce serait du suicide ! Nous devons assurer en priorité la sécurité d’Ignis. (Khryselios marqua une pause) C’est un jour bien sombre pour notre peuple, mais nous ne pouvons rien faire.

Zénith se sentit bouillir.

« Quoi ?! »

-        Nous devrions les abandonner à leur sort ? Notre peuple ? demanda-t-il, la bile acide brûlant sa gorge. Car ils ont eu le malheur de naître près de la frontière ?

Il fixa Khryselios avec un regard tout aussi corrosif.

-        Peut-être pourrions nous prévenir la population afin qu’elle fuît la ville ? suggéra Astalian.

-        Si nous faisons ainsi, les Rakuriens iront terroriser d’autres villages proches. Cela reviendra au même … La population de King’s Gate sera peut-être en sécurité dans l’enceinte de nos murs, mais d’autres innocents subiront les forfaits des Rakuriens … Nous parlons d’immondes barbares, générale. Ils ne renonceront jamais à provoquer suffisamment de chaos pour satisfaire leur soif de sang ! gronda Tinarg.

Il y eut un silence.

-        Nous devons défendre King’s Gate.

C’était Zénith qui avait parlé.

-        Vous savez tous bien ce qu’il adviendra de nos moyens si King’s Gate tombe aux mains des Rakuriens, ajouta-t-il.

Il y eut un autre blanc, pendant lequel Astalian le regarda étrangement, et où l’expression de Tinarg devint sombre.

-        Nous ne pouvons pas.

C’était Khryselios qui lui répondait, depuis l’autre bout de la table.

-        Nous signons notre arrêt de mort si nous le faisons, reprit-il.

Les braises dormantes dans les yeux du prince des Rathlands se ravivèrent.

-        Pas si les Skypiercers nous prêtent main forte.

Khryselios se tendit.

-        L’empereur a déjà formulé que ses troupes de renfort sont sous le commandement de leur général, nous ne pouvons pas les forcer à obtempérer. Le général n’acceptera jamais de se rendre là-bas. Leur objectif est clair : assurer la défense primordiale des Rathlands, soit Ignis …

-        King’s Gate est tout aussi importante, tu as avoué ici-même, pas plus tard qu’il y a trois jours, que l’or dans cette rivière nous serait d’une grande aide, rétorqua Zénith avec une férocité contenue. Si nous perdons King’s Gate, nous perdons un atout qui pourrait se révéler crucial !

-        Si nous perdons nos hommes, nous avons perdu cette guerre, Zénith, prononça le roi des Rathlands d’un ton posé, contrastant avec l’énervement croissant de son fils.

-        Nous ne nous porterons guère mieux sans cet or. Nous enverrons encore plus d’innocents vers la mort, incapable de se défendre sans pièces d’armure pour les protéger … A défaut de ne pas pouvoir avoir plus d’hommes, il nous faut miser sur l’armement et l’équipement pour continuer à faire face aux Rakuriens, répliqua le Rathalos Roi-Enfer.

-        Si nous venions à être si malmenés par l’ennemi, il ne fait aucun doute que nous pourrions nous appuyer sur le soutien fourni par les Skypiercers, mon prince, dit Tinarg. Cette éventualité ne représente donc pas une menace.

Zénith n’avait pas dit son dernier mot.

-        Nous pouvons convaincre Etrapanob de l’importance de King’s Gate ! Et nous devons le faire ! gronda-t-il à nouveau, les crocs presque découverts. Autrement …

Ses yeux ambre revinrent sur Khryselios.

-        … Nous aurons failli à notre devoir primordial. La protection de notre peuple.

« Celui-là même qui définit un roi. »

Ce n’était même pas une question de charité. Un roi qui ne protège pas ses sujets perd automatiquement sa légitimité. Qu’est-ce qu’un royaume sans roi ? Un territoire en proie à la guerre civile. Ils n’avaient absolument pas besoin de cela en ce moment.

« Comment peut-il être aveugle à ce point ?! Au point de ne pas voir qu’il court droit à sa perte, et celle des Rathlands ? »

Zénith était fou. Son père omettait ce fait crucial, et voilà que lui et les deux généraux s’obstinaient à lui donner tort.

-        Un roi se doit de décider de certains sacrifices, Zénith, répondit le roi à son argument si solide.

La phrase sonna d’un écho désagréable dans ses oreilles.

-        Un roi ne peut se permettre d’être égoïste, Père, récita-il soudain avec venin.

Khryselios se tendit davantage. Nouveau silence.

-        Nous ne devons pas nous disperser sur plusieurs fronts. Nous ne déploierons aucunes forces à King’s Gate. (Il se tourna vers Astalian et Tinarg) Généraux, étouffez l’affaire. Faites-en sorte que peu se doutent de l’attaque sur King’s Gate. Prétendez qu’il s’agit d’une diversion, et qu’un autre bataillon s’apprête à attaquer Ignis.

Zénith vit l’expression d’Astalian se mouvoir en une forme d’incertitude. Tinarg, en revanche, semblait ne pas se poser plus de questions.

Le prince des Rathlands était amer. Mais aussi sous le choc, et encore plus en colère. Son père s’apprêtait à commettre sans doute la plus grande erreur de sa vie.

-        Entendu, Votre Majesté, acquiesça Tinarg.

-        Vous pouvez disposer, conclut le Rathalos argenté.

Les deux généraux prirent la porte dans un silence quasi-parfait.

Zénith attendit que la porte ne soit close pour déverser son virulent ressenti.

-        Père, tu ne peux pas faire ça !

Khryselios s’était posté devant la fenêtre, la tête basse, fixant, le sol.

-        Je n’ai pas le choix, Zénith. Et tu serais prié de le comprendre lors de telles réunions.

-        Mais c’est la vérité ! Si tu laisses King’s Gate à l’ennemi, une émeute va éclater !

-        Nous serions sans défense !

-        Les Skypiercers nous aideront ! Ils l’ont eux-mêmes stipulés ! rugit Zénith.

-        Nous prendrions de trop gros risques ! Et si cela se révélait être un leurre ? Nous paierions le prix fort à les sous-estimer !

-        La patrouille a affirmé voir Rakuraï et ses trois fils dans les troupes, ainsi que ses deux généraux. Il n’y a pas de bataillon-surprise.

-        Rakuraï a peut-être envoyé ses forces Burutiennes, expliqua Khryselios en levant les yeux.

-        Sans commandement ? C’est improbable, tu le sais très bien ! Pourquoi persistes-tu à ne pas envoyer l’armée ?!

Sous l’impulsion de son emportement, Zénith avait dévoilé ses ailes. La colère faisait tressaillir ses jambes.

-        … Si une rébellion se produit, nous la réprimerons, prononça Khryselios, les yeux retournés au sol.

-        Quoi ?!

Le Rathalos Roi-Enfer était abasourdi.

-        Tu réprimerais ton peuple légitimement mis en colère par ta propre faute ? Est-ce bien ça ?

Le Rathalos argenté resta silencieux.

Zénith eut un geste négatif de la tête, à la fois incrédule, perdu et dédaigneux.

-        Alors … (il baissa les yeux pour le jauger des serres à la tête) Tu n’as … plus rien d’un roi … dit-il, reculant lentement de cet être qui autrefois fut son père, le sage Khryselios Ier, roi des Rathlands.

Khryselios prit une expression blessée.

-        Zénith …

La brûlure qui irradiait sa gorge se relâcha en une boule enflammée. Celle-ci marqua de suie l’une des colonnes de marbre de la salle.

-        Tu me dégoûtes ! cracha-t-il avant de quitter la pièce.