Rathlands

Arsenic se tenait là, figée, assaillie par ses sens et ses émotions.

Elle ressentait tout. L’angoisse et l’adrénaline qu’elle avait engendrée alimentait tout son corps et décuplait sa perception.

Elle sentit l’âcre odeur de la suie et des nuances de chair brûlée.

Elle vit la fine fumée qui régnait au sein de la pièce.

Elle entendit la respiration saccadée de Zénith.

Et par-dessus tout, elle sentit la tension émaner du lieu.

La Rathian Reine-Poison, facilement en proie aux insomnies, était encore éveillée lorsqu’elle avait entendu des bruits étranges. Elle s’était tout d’abord enquise de curiosité, et, ne découvrant rien, s’était remise en tête de trouver un moyen de s’endormir. Cependant, peu après, elle avait entendu de lointains bruits de voix.

Fortes. Elevées. Agressives.

Cela l’avait alertée. Sans y réfléchir à deux fois, elle s’était levée et avait cherché l’origine de ces furieux éclats de voix.

« Serait-ce la Taverne de la Flamme Bleue la responsable ce remue-ménage ? » avait-elle songé sur le moment, l’esprit embrumé par des prémices de sommeil.

A peine avait-elle descendue l’escalier que les voix retentirent à nouveau.

Deux. Deux voix. Celle de Zénith et de Khryselios.

C’est à cet instant que l’inquiétude profonde l’avait saisie. Un frisson glacial lui avait parcouru l’échine comme pour lui transmettre un pressentiment. A pas de loups, elle s’était approchée lentement de ce qu’elle avait déterminé comme la source de ces houleux échanges : la salle du Trône. Et, à la fois effrayée et poussée par un violent instinct protecteur, elle avait ouvert la porte, lentement, silencieusement.

Et tout cela l’avait assailli.

A présent, toutes ces sensations lui donnaient la nausée. Mais son regard ne cillait pas. Elle fixait Zénith, de dos, ses épaules se soulevant au même rythme que son souffle, parcourues de tressaillements.

-        … Je … J’ai entendu du bruit …

Zénith réagit par un bref frisson. Relevant la tête et les ailes, il se retourna, tout en reculant de deux pas.

Lui laissant voir qu’en face de lui, ne se tenait plus que le cadavre de Khryselios.

L’émotion, qui l’inondait déjà, la submergea complètement. L’incompréhension froide la traversa l’espace d’un instant, avant que la réalisation ne la frappe d’un coup.

-        Qu’… Zénith ? Qu’est-ce que … ?!

Le souffle lui était coupé par la panique. Elle chercha la réponse et l’explication dans les yeux de son frère. Sa respiration difficile s’accéléra, la tristesse chaude lui embuant les yeux.

Le regard du Rathalos Roi-Enfer s’assombrit.

-        Je … Je vais t’expliquer, dit-il doucement, venant vers elle, l’enserrant lentement de ses ailes.

Un flux de confusion, de panique et de douleur irradiait les veines de la Rathian Reine-Poison.

-        M-Mais … Khryselios …

-        Il est mort, prononça Zénith sans faiblir, la resserrant légèrement plus près de lui, posant sa tête contre son épaule. (il la sentit commencer à frémir, les larmes menaçant de surgir) Respire …

Arsenic l’écouta. Elle réussit à dissiper un peu la nausée émotionnelle, comme le vent parvient à faire lever un peu de brume.

-        … Q-Que s’est-il passé ? demanda la Rathian, un peu plus assurée, mais toujours secouée par d’imminents sanglots.

Elle sentit Zénith soupirer longuement contre elle.

-        J’ai fait un rêve … qui m’a montré que mon père avait tort. Ça m’a rendu malade … (il s’arrêta et Arsenic le sentit frissonner et grimacer) Je ne pouvais … ni dormir, ni ne rien faire. Je n’y allais pas … dans cette optique. Je te le jure, Arsenic, appuya-t-il soudainement, percevant sa palpable incompréhension. Je voulais … certes je ne voulais pas juste le convaincre, tu t’en doutes bien … Je voulais … je souhaitais juste qu’il … Qu’il abandonne. Qu’il réalise ses erreurs, que leur nombre était trop conséquent, qu’il comprenne … (sa voix faiblit) Mais on est semblables, hein ? murmura-t-il doucement. J’aurais dû comprendre qu’il ne renoncerait jamais … Je suis désolé. C’était un … (il s’arrêta, comme pour s’empêcher de dire une phrase qu’il ne souhaitait pas formuler). J’ai choisi. Et lui aussi.

Les larmes dévalèrent, une à une, silencieusement, sur ses joues.

Khryselios avait beau n’être que son père adoptif, il n’en restait pas moins l’homme qui l’avait sauvé de la rue et de la misère promise à son entière existence. D’un simple élan de miséricorde, il avait changé sa vie pour le meilleur. Elle lui était éternellement redevable. Mais maintenant, elle ne pourrait jamais payer sa dette …

-        P-pourquoi, sanglota Arsenic, regardant, vide et souffrante, le cadavre du Rathalos argenté.

Zénith lui brossa doucement le dos avec l’une de ses ailes.

-        Ce qui est fait est fait … On ne peut plus faire machine arrière. Je vais avoir besoin de vous tous, maintenant. Le temps est précieux, lui expliqua-t-il alors, se détachant un peu d’elle de manière à lui faire face. Ramènes Blast, Phénix et Blister, s’il te plait. Je vais … (il regarda brièvement le cadavre, puis détourna vivement les yeux par pudeur) Faire le nécessaire pour le recueillement.

Arsenic hocha lentement la tête. Elle recula, baissant les yeux.

-        D’accord …

Son frère hocha lentement la tête.

-        J’y vais, annonça-t-elle.

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Les pensées se bousculèrent dans l’esprit embrumé de fatigue, de douleur et d’amertume d’Arsenic, tandis qu’elle regagnait le couloir des chambres.

Elle savait que Zénith désapprouvait depuis un moment son père. Elle savait que le désaccord ne faisait que croître. Que Zénith aurait donné beaucoup pour pouvoir déjà régner à sa place. Que la discorde était sur le point d’éclater.

Mais de là … A le tuer ?

Le choc froid la traversa de nouveau. La réalisation de ce qu’il s’était passé peinait à se frayer à un chemin vers son esprit. Ce n’était pas possible. Khryselios ne pouvait pas être mort. Il était leur père à tous, et par-dessus tout, leur souverain, par Lunastra !

-        Qu’as-tu fait, Zénith … murmura-t-elle avec douleur, s’arrêtant un instant, jetant un œil derrière vers la porte de la Griffe D’Or, derrière laquelle son frère devait s’activer pour déjà préparer les funérailles.

Elle secoua la tête et reprit sa marche. Tout cela était irréel. Dès qu’elle aurait rejoint son lit et trouvé le sommeil, tout ceci cesserait d’être. C’était un de ses cauchemars, il n’y avait pas d’autre explication.

Comment son frère aurait pu … ?

Les larmes lui revirent à nouveau, mais elle les refoula pour se concentrer sur sa tâche.

Parvenue en haut de l’escalier, elle dépassa la porte de sa chambre ainsi que celle de Zénith. Elle s’arrêta devant la porte ignifugée de Phénix.

Après un long soupir, elle toqua, assez fermement, deux fois.

Elle n’obtint pas de réponse immédiate, mais, une dizaine de secondes plus tard, elle entendit des serres venir vers la porte.

Un Phénix ensommeillé et confus lui ouvrit la porte.

-        Arsenic ? Que fais-tu éveillée à cette heure ? (il marqua une pause, comme semblant se souvenir de quelque chose) Tu as encore eu un cauchemar … ? Mais, où est Zénith ? demanda-t-il, vite réveillé par cet assaut de questions bouillonnant dans sa tête.

Arsenic ouvrit lentement la bouche.

-        Viens. Il doit vous parler … A tous, dit-elle doucement, sans émotion.

Le Rathalos Incendiaire parut perturbé.

-        Oh ? Mais, maintenant ? Pour quoi faire ? Je veux dire, il fait nuit …

Arsenic secoua négativement la tête.

-        C’est … Important. (sa voix menaçait de craquer à chaque instant, aussi elle serra davantage sa gorge) S’il te plait.

Le cadet commençait à saisir l’ampleur de la situation.

-        … D’accord. J’ignore ce dont il s’agit, mais ça a l’air vraiment important. Je te suis, dit Phénix, gêné.

La Rathian Reine-Poison hocha lentement la tête.

-        Allons chercher les autres.

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A présent, Arsenic refaisait le chemin inverse. Ouvrant la marche, Phénix, Blast, et Blister se tenaient derrière elle, l’air grave mais confus par la raison de la demande de leur venue. Elle sentait toutes leurs interrogations planer dans l’air, leur nervosité croissante au fur et à mesure qu’elle dévoilait le chemin à suivre, se rapprochant de plus en plus de la salle du trône. Elle sentait tout.

« Pourquoi nous faire réveiller à cette heure ? Est-ce grave ? Par Teostra, est-ce bien vers la salle du trône vers laquelle on se dirige ? » voilà ce qu’ils devaient tous penser, sans l’ombre d’un doute.

Arsenic lâcha un discret soupir.

Après avoir réveillé Phénix, elle avait toqué à la porte de Blast. Celui-ci avait immédiatement ouvert, l’incompréhension peint sur son visage. Il lui avait tenu le même questionnement que Phénix, en moins vif et plus inquiet. Lorsqu’Arsenic lui avait expliqué que la raison pour laquelle il était convoqué était fort importante, il lui sembla qu’il avait deviné la gravité de la situation. Une lueur de profonde peur était née dans ses iris rouges.

Blister s’était montré encore moins bavarde. Après avoir toqué, la deuxième princesse de sang royal Rathienne avait ouvert sa porte au bout d’une trentaine de secondes. Avant qu’elle ne puisse proférer une complainte d’un tel dérangement, elle avait remarqué la présence de Blast et Phénix aux côtés d’Arsenic. Elle avait immédiatement refermé la bouche, les suivant derechef.

La tension régna, lourde et totale, jusqu’à ce qu’Arsenic s’arrête devant la porte de la Griffe d’Or.

Elle entendit Blast s’arrêter derrière elle.

-        … La salle du trône ? Arsenic, qu’est-ce que cela veut dire ? demanda le Rathalos de Cristal, la panique dans les yeux.

La Rathian s’arrêta, l’aile en suspens, n’ayant pas pu ouvrir la porte. Elle se retourna.

-        Vous n’allez pas tarder à le savoir … (elle exprima une pause, pendant laquelle ses frères et sa sœur se regardèrent avec anxiété) Entrez, souffla-t-elle ensuite, ouvrant un seul des deux grands battants de la porte.

Le silence se fit tandis qu’ils pénétrèrent à l’intérieur de la salle. L’air humide et l’odeur métallique du sang avaient fait place à une discrète odeur de cire chaude. Des bougies avaient été allumées le long du tapis royal, ainsi qu’au pied du perron menant au trône. Elle vit Blast, Phénix et Blister la suivre à pas hésitants, intimidés par les bougies et la pesante impression d’assister à une cérémonie.

Et pour cause.

Zénith se tenait sur la marche surélevée du trône, devant un large drap orné qui reposait sur ce qu’elle devina être le corps du défunt roi.

Lorsque Blast remarqua Zénith, puis l’étrange forme derrière lui, il prit une vive inspiration qui attira l’attention des autres. Ceux-ci, moins bruyants, eurent une réaction semblable, ouvrant la bouche pour poser une question qu’ils ne savaient pas comment formuler.

-        Zénith ?! expira brutalement le Rathalos de Cristal, le souffle coupé. C’est quoi, ça ?! s’étrangla-t-il en pointant le drap d’une de ses griffes d’aile.

Les autres ne dirent rien, regardant dans la même direction que Blast, arborant la même expression horrifiée.

L’avaient-ils senti, comme Arsenic ?

L’odeur de la mort ?

Les ailes de Zénith s’abaissèrent légèrement tandis qu’il s’avançait vers eux. Il descendit les trois marches, puis pris les ailes de Blast dans les siennes. Il appuya un regard, puis se tourna vers les autres.

-        Notre Père nous a quitté, lâcha-t-il avec une neutralité amère.

Blast écarquilla grand les yeux. Phénix était bouche bée, sidéré. Blister avait déjà les larmes aux yeux.

-        Mais … Mais … ! Comment ! gémit la Rathian Noire, désemparée.

Zénith eut vivement le regard fuyant, avant de le refixer sur eux.

-        On ne peut pas encore en être sûrs, répondit Zénith. Je pense qu’il a été … assassiné.

Arsenic ressentit l’équivalent d’une cascade d’eau glaciale la transpercer de part en part.

« Qu’est-ce que … ! »

Zénith lui coula un regard triste, qui dissimulait une assurance latente qu’il semblait vouloir lui transmettre.

Arsenic était interdite, son visage dénué de la moindre réaction physique tant elle était figée d’ahurissement.

Zénith reprit la parole.

-        Sa nuque a été brisée, souffla-t-il, insufflant de la douleur dans ses mots. Mais … Des traces de poison ont été retrouvées sur son cou … Le meurtrier a sans doute essayé de masquer son acte pour un suicide, déclara le prince des Rathlands, un grondement dans la voix.

« Zénith … ! » rugissait la Rathian dans ses pensées, médusée.

Son frère était en train de leur mentir à tous. Zénith niait le meurtre de son père, devant ses frères et sœurs, et ce, de sang-froid.

« Ces traces de poison … Ne me dites pas … Ce serait ses propres serres ? Par Lunastra ! » s’horrifia Arsenic.

Les autres étaient tout aussi épouvantés qu’elle, mais pour une raison différente.

Elle voulait rugir. Elle voulait bondir sur Zénith et lui demander pourquoi il faisait cela. Pour quelle raison …

Arsenic ne fit rien de tout cela, figée sur place, dissimulée derrière un masque parfaitement imperméable.

Phénix prit la parole.

-        … Papa … Est-ce … Est-ce les Rakuriens qui l’ont tué ? demanda-t-il, dévasté.

Zénith releva les yeux, une lueur farouche luisant brièvement dans ceux-ci.

-        C’est ce que tout porte à croire. Qui d’autre qu’eux pour s’acharner vicieusement sur nous, au point de nous arracher notre roi ? gronda-t-il.

Arsenic était tétanisée. Le mensonge ne s’arrêtait pas là. Il s’étendait.

« Stop ! Arrête ! Pourquoi ?! »

-        Père, chuchota Blast en se rapprochant, effleurant le drap avec ses pointes d’ailes, tu ne reposeras pas impuni. On le trouvera. On le tuera, cracha-t-il en relâchant une larme. Ces enflures vont payer …

Blister s’avança à son tour, suivie de près par Phénix, pour effectuer leur recueillement.

Zénith les regarda faire, les yeux dénués du moindre indice sur l’émotion qui se jouait derrière eux.

-        Zénith, dit doucement Arsenic, tu-

Le Rathalos Roi-Enfer réagit au quart de tour.

-        Nous parlerons de cela plus tard. A présent, (il jeta un œil sur ses frères et sœurs) l’heure est au recueillement, déclara-t-il ensuite, faisant volteface pour rejoindre les autres.

Arsenic resta là, confuse, perdue, furieuse et seule.

« Pourquoi faire ça ? »

« Ne savait-il pas quoi faire, pour avoir osé faire cela ? »

Elle réalisa que ce n’était plus un simple mensonge auquel elle avait assistée, mais à de l’authentique manipulation.

Zénith, au bout de deux longues minutes, sortit de sa transe religieuse et laissa silencieusement Blast, Blister et Phénix continuer leurs prières et leur deuil. Il passa devant Arsenic.

-        Je vais chercher ma mère, souffla-t-il avant qu’elle ne puisse reprendre la parole.

Elle n’osa pas réessayer. Le ton ferme et les yeux inébranlables du prince des Rathlands la réduisirent au silence.

Pour la première fois de sa vie, elle ressentit l’appréhension naître dans son cœur envers son frère d’adoption.