Rathlands

La chaleur semblait plus étouffante que d’ordinaire au sein de l’Eridan.

Cela n’incommodait pas pour autant le Deviljho, ni le Seregios sommeillant à ses côtés.

Gnatos entendit un toquement à la porte, qui résonna sourdement avec l’ampleur d’une secousse.

-        Entrez.

La porte s’ouvrit plutôt sèchement, révélant l’impétueux responsable du toquement furieux.

-        Vous m’excuserez de vous apporter des nouvelles fort déplaisantes, monsieur le Président, mais la Rakuria s’est encore fait botter le cul par les Rathiens ! Leur bon à rien de Héros s’est misérablement fait crever un oeil par une gueuse ! cracha le nouvel arrivant en donnant un coup de poing sur la porte, la couvrant de poisse.

Le Deviljho émit un grondement.

-        Général Dhorn, vous vous efforcerez de ne pas détériorer ce bâtiment d’intérêt public.

La teinte jaune vif qui teintait les poings et la corne de son interlocuteur perdit sa colérique intensité, virant au vert calme.

-        Entendu, répondit le Brachydios en nettoyant la porte d’un coup de langue.

Gnatos se leva.

-        Votre ressentiment est fort justifié, et je ne fais que partager votre avis concernant leur guerrier de pacotille. Leur incompétence met en péril les braves que je leur envoie par pure bienveillance. Cela me contrarie, mais je ne puis continuer à les voir se vautrer ainsi. La Burutie se fera un plaisir de leur apprendre à se battre ...

-        J’admire votre compréhension, monsieur le Président. Mais je ne nous vois pas rendre service à ses raclures ! gronda Dhorn.

Le Deviljho se rengorgea, et se rassit.

-        Nous n’allons pas leur rendre service. Nous allons nous aider nous mêmes.

Le dénommé Dhorn se hérissa.

-        J’espère que cela n’implique pas l’envoi de renforts, si je puis me permettre.

Gnatos esquissa un franc sourire.

-        Vous oubliez une chose, Général Dhorn. Notre priorité reste la discrétion. J’ai fais une promesse à notre noble peuple, et je me vois mal trahir ma parole. (il fit un geste las de la main) Auriez-vous l’amabilité de me livrer plus de détails concernant cet … échec Rakurien ? demanda le président.

Le Brachydios eut une mine dégoûtée.

-        Comme il vous plaira, monsieur le Président. Souhaitez-vous des informations particulières ?

Le Deviljho eut un bref instant de réflexion.

-        Je souhaite un résumé complet afin de mieux appréhender la situation. Réagir à chaud ne nous a jamais porté chance, hm ?

Le général se courba en réponse.

-        … Voilà ce qui nous a été rapporté. Les Rakuriens s’apprêtaient à prendre d’assaut une ville excentrée, King’s Gate. Ils savaient que les Rathiens, dans leur état actuel, ne pourraient se permettre d’envoyer des forces sur place. La ville leur aurait fourni un pied-à-terre fortifié très avantageux pour la suite de la guerre. Un jeu d’enfant.

Gnatos écoutait avec intérêt, la tête renversée sur le dossier de son siège, ses doigts répétant des tics contrariés.

-        Mmh … Continues.

Dhorn se ré-éclaircit la gorge.

-        Les Rakuriens ont attaqué à l’aube pour garder toutes les chances de leur côté. Seulement, ce n’était pas une ville ignorante et désemparée qui les attendait. Des armes Skypiercers disposées sur tout le pourtour des murailles les ont pilonné. Les Rakuriens ont dû effectuer un détour pour attaquer le plan le plus sensible et accessible. C’était visiblement ce que les Rathiens voulaient qu’ils fassent. Cette première escarmouche a semé le chaos dans les troupes, qui se sont partiellement divisées. Celui qu’ils appellent leur Héros s’est pris d’intérêt pour un Rathien qu’il jugeait dangereux. Ce serait à ce moment-ci qu’il se serait retrouvé face à cette Rathienne. Ce piètre guerrier s’est fait transpercé l’oeil ! Qu’on m’explique comment une “Légende” puisse se faire humilier ainsi ?!

Le Deviljho grogna.

-        Épargnez-moi votre opinion, Général Dhorn, j’en suis déjà averti. Les faits, je vous prie.

Le Brachydios grommela, resserrant ses doigts contre ses paumes.

-        L’incapable est devenu borgne         . Ah ! Qu’il devait avoir l’air fin ! Avec cet oeil en moins, le bougre avait perdu la moitié ses capacités. Les ennemis ne se sont pas fait prié pour exploiter son nouvel angle mort. Naturellement, sa perception en profondeur était aussi altérée. Les Rakuriens se sont fait allumés. Il s’est avéré que les Rathiens avaient pactisé avec les Skypiercers, d’où ces armes. Il n’y en avait pas qu’un peu. Plus que les forces Rathiennes sur place, selon les Rakuriens. Bien entendu, en réalisant l’ampleur du bordel, ils ont fuis la queue entre les jambes, au sens le plus littéral du terme !

Le président se redressa.

-        Ingred aurait déjà joué son coup, hein ?

Il eut un petit rire, grave et lourd.

-        A nous de jouer le nôtre, alors.

Il posa les yeux sur Knivlann, en boule à côté de lui, comme à l’accoutumée.

-        J’attends vos ordres, Père, déclara posément le Seregios, sans même ouvrir les yeux.

Le Deviljho sentait lui-même ses yeux briller.

-        Leur alliance avec les Skypiercers leur coûtera cher … Neutralise leur stock d’armes, et en priorité les canons. Fais en sorte que la poudre à canon jonche tout Ignis. Ils ne pourront pas prendre le risque d’utiliser leur feu sur toi, à moins qu’ils ne veuillent faire sauter toute la ville. Ils ne pourront pas rivaliser avec ta vitesse sans moyen d’attaquer à distance.

Le général Dhorn semblait apaisé.

-        Un sabotage ? Voilà une bien riche idée. Quand comptez-vous la mettre à profit, si je puis me permettre, monsieur le Président ?

-        Tout de suite, souffla-t-il.

Le Brachydios eut une mine interrogative.

-        Vous voulez dire, maintenant ? Sans prévenir les Rakuriens ?

Gnatos acquiesça.

-        Ne venez pas vous-même de dire qu’il ne s’agissait que d’une bande d’incapables ?

-        Hm, ma foi, si, monsieur le Président.

Le Deviljho continua.

-        Alors je ne vois pas pourquoi nous devrions nous donner cette peine. C’est aussi simple que cela. Ils seraient capables d’interférer involontairement avec notre plan.

-        C’est en effet une hypothèse plausible. Par Akantor ! Ils n’ont fait qu’enchaîner les erreurs ! gronda Dhorn.

Le président se redressa davantage sur son siège.

-        Je vois que nous sommes donc sur la même longueur d’onde. A présent …

Il reposa les yeux sur la silhouette sommeillante du Seregios.

La wyverne volante ouvrit les yeux.

-        Va, Knivlann.

L’instant d’après, il était parti. Un sifflement, l’éclat métallique de sa lame, et il avait disparu.