Rathlands

Chapitre 33 : Chapitre 30 (Opale POV)

3113 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/08/2022 18:04

La princesse Ecumienne cracha un furieux jet d’eau en direction d’un Uragaan, qui manqua de l’écraser avec son énorme menton. Glissant avec aise sur la nappe savonneuse qui tapissait le champ de bataille, elle se décala sur sa droite, puis cingla le flanc de la wyverne brute avec sa queue surmontée de piques d’acier. Celle-ci recula, mais repartit aussi tôt à l’attaque d’un coup de tête, par-dessus lequel la Mizutsune bondit, profitant de l’occasion pour relâcher une brève salve d’eau pressurisée. La puissance du coup prit par surprise le Burutien, qui, basculant vers l’avant, perdit l’équilibre à cause du sol glissant et chuta. Atterrissant avec grâce, Opale rebondit aussitôt pour lui délivrer un nouveau coup de queue dans la tempe en guise de coup de grâce. L’Uragaan n’eut pas le temps de parer l’attaque et se la prit de plein fouet, retombant lourdement sur le sol.

La Mizutsune se réceptionna avec légèreté, haletante.

« Combien de temps devons-nous tenir, déjà ? Par Ceadeus, ce ne fait que trois jours, et pourtant nous sommes déjà bien usés ! » jura-t-elle intérieurement.

Il était vrai que même elle, la plus active des guerrières de son armée, commençait déjà à fatiguer.

La première journée de contact avait été laborieuse, naturellement. Les Ecumiens, ainsi qu’une partie des forces Rathiennes, avaient été affectés à la frontière Burutienne. Le choix avait été décidé grâce aux aptitudes élémentaires des deux Nations : les Rathiens encaissant bien les éventuelles attaques de feu pouvant provenir des Burutiens, et les Ecumiens maîtrisant majoritairement l’eau qui forme chez eux une faiblesse certaine, il était assez naturel qu’on les envoie là-bas. Le lendemain de la discussion au Château des Rathlands, l’empereur Skypiercer fit parvenir des instructions codées par lettre. Pour que la discrétion soit optimale, il avait en effet désigné des itinéraires très précis, de manière à ce que les soldats des trois Nations ne se regroupent qu’une seule fois, à Nograd. Opale et Laerob avaient suivis les instructions à la lettre. Ils ne connaissaient pas beaucoup les Skypiercers, mais en plus de radier une certaine aura qui forçait le respect, leur savoir et leur sagesse transparaissaient dans chacune de leurs paroles.  Ils leur faisaient donc confiance. Ainsi, l’armée Ecumienne partit d’Auklet, puis fit cap sur Irden. Deux jours plus tard, ils atteignaient Nograd, juste après les Rathiens déployés pour combattre à la frontière Burutienne. De là, les deux armées s’étaient à nouveau séparés, progressant à vingt kilomètres d’écart les unes des autres. Presque trois jours plus tard, ils atteignirent tous la frontière Burutienne, convergeant à la dernière minute vers les Skypiercers qui s’étaient eux épargnés deux jours de voyage de par leur proximité géographique. Ils passèrent à l’offensive sitôt la nuit tombée. La confrontation fut tout de même rude, car la frontière était bien gardée et très active. L’ennemi ne se doutait visiblement pas d’une telle attaque, mais sa réactivité face à une attaque surprise était effrayante. Moins d’une heure après le début des hostilités, les premiers renforts arrivaient déjà, armés jusqu’aux dents. Les Ecumiens, peu habitués à des affrontements aussi violents, d’autant plus de nuit, peinaient à suivre le rythme d’une bataille sans merci. Cependant, Opale était fière d’eux, car jamais ils n’avaient montré une hargne aussi féroce en combat que ce jour-là. Laerob était tout aussi impressionné, et le soir même, lorsque le front se stabilisa et que le campement fut établi, il tint un bref discours pour les féliciter. Ce qui fut d’autant plus incroyable fut la réaction des dits Ecumiens, qui, galvanisés par ces compliments, étaient plus déterminés que jamais.

Cette simple vision avait donné à la princesse une énergie démentielle.

L’espoir que son peuple puisse un jour retrouver une fierté était bien réel.

Ainsi, elle se battait avec une férocité que les Rathiens comparaient à celle de leur dieu Teostra. Et ce, même en dépit de cette fatigue qu’elle sentait croître peu à peu déjà. Mais qu’à cela ne tienne, lorsque même les Rathiens l’observaient avec admiration !

Rugissant pour exprimer le contraire de sa situation, la Mizutsune repartit à l’assaut, ciblant un Monoblos qui se battait férocement avec un Hermitaur Daimyo. Le Carapaceon réussissait tant bien que mal à encaisser les coups de queue de son adversaire, mais ses charges semblaient terriblement dangereuses pour un être à exosquelette comme lui, ses pinces bien trop tendres pour parer les coups d’estoc de la corne effilée de la wyverne volante. Bondissant à nouveau, la Mizutsune se laissa glisser sous lui, puis planta ses crocs dans sa jugulaire. Le Burutien, qui ne l’avait pas vu venir dans son angle mort, se débattit en beuglant de panique, essayant d’avertir d’autres soldats proches. Cependant, Opale resserra sa prise sur sa gorge, l’empêchant de respirer. L’Ecumien, qui était encore sonné du dernier coup reçu, se précipita à nouveau dans le combat pour saisir entre ses deux pinces la corne du Monoblos, tirant dessus pour plaquer le soldat à terre. Incapable de se mouvoir et asphyxié, il rendit l’âme quelques secondes plus tard. La princesse relâcha sa prise, les crocs maculés de sang, puis, après avoir brièvement salué l’Hermitaur, elle repartit à l’attaque, alternant entre un galop effréné et de longues glissades le long du front.

-        Ceadeus vous garde, Votre Altesse ! s’écria vigoureusement le Carapaceon au loin, dans son dos.

« Toi aussi, mon ami ! » pensa-t-elle, bien trop loin pour lui répondre, essayant de retenir son visage pour pouvoir le remercier plus tard.

« J’espère que ces Burutiens saisiront qu’à présent, ils n’ont plus intérêt à nous prendre à la légère !»

Elle pensa brièvement que ni elle, ni Laerob, n’avait encore eu de nouvelles du front Rakurien. Opale devinait que cela pouvait prendre du temps, peut-être même bien plus qu’une semaine, mais elle espérait secrètement que la stabilisation se produirait au plus tôt.

La princesse Ecumienne aperçut la figure familière du Najarala Diluvien au loin, maîtrisant trois ennemis grâce aux multiples ricochets de ses projectiles contre les écailles qu’il avait disséminé un peu partout sur le champ de bataille. Les salves d’eau fusaient en tous sens, formant presque un mur impénétrable autour de la wyverne reptile, qui, imperturbable, ne bougeait que pour distribuer de rares coups de queue.

Comme d’habitude.

L’adversaire qui lui ferait perdre son sérieux et sa concentration n’était pas encore né.

Détournant les yeux de cette partie du front qui était entre de bonnes mains, il continua à filer à toute allure pour s’assurer que la situation était sous contrôle ailleurs aussi. La Mizutsune passa à proximité du Gravios qui gérait la partie Rathienne de la Coalition déployée. L’énorme wyverne était semblable à une tour, imprenable, et repoussant les assauts des plus gros Burutiens sans trop de peine, répliquant par de terribles lasers.

Elle ne s’arrêta que brièvement pour venir en aide à des Rathiens qui peinaient à défaire deux Duramboros rouillés, qui combattant dos à dos, protégeaient mutuellement leurs faiblesses, repoussant tout assaut avec leurs cornes et leur queue.

Répandant au préalable de la mousse, elle glissa dessus pour parvenir, comme pour le Monoblos, à se saisir de la gorge d’une des deux wyvernes brutes. Profitant de la diversion, un Rathalos azur cracha une boule de feu pour empêcher le deuxième Burutien d’intervenir. Celui-ci recula dans un mauvais réflexe, brûlé par les flammes qui avaient atteint son visage à travers la fente de son casque.

« Des nobles, sans doute. » pensa l’Ecumienne en réalisant la qualité des armures qui couvraient les deux wyvernes brutes.

Le deuxième Rathien, un Tigrex Berserk, profita du moment de stupeur du Duramboros rouillé touché par les flammes pour bondir sur son dos. Gêné par l’armure qui couvrait ses bosses tendres, il ne put planter ses griffes qu’au niveau de la nuque du monstre, s’empressant de refermer ses énormes mâchoires autour. Hélas, il n’atteint pas l’artère critique, et le Burutien, récupérant ses esprits, réalisa très vite la situation, l’éjectant d’une violente embardée vers l’avant.

Voyant cela du coin de l’œil, Opale comprit qu’elle devait en finir vite avec celui qu’elle maîtrisait, sans quoi la situation resterait embourbée. Hélas, la prise qu’elle avait ne lui permettait pas d’atteindre la jugulaire, n’ayant sous ses crocs que la graisse du cou massif du Burutien. Bien entendu, la wyverne brute se débattait beaucoup, et elle commençait à penser qu’elle devrait abandonner cette prise pour tenter une autre approche. C’est ce qu’elle fit. Relâchant vivement son emprise, elle se laissa glisser entre les jambes du Duramboros pour échapper à ses immédiates représailles, évitant de justesse la terrible hache que formait sa queue.

Le dernier Rathien, un Hyujikiki resté en retrait par manque de capacités pour contrer les deux colosses, comprit que c’était à lui de jouer, tirant un projectile dans la fente occulaire du casque du Duramboros qu’Opale venait de relâcher. Le Burutien rugit de vive douleur, momentanément borgne. La princesse Ecumienne se rua alors dans son angle mort, puis s’empara à nouveau de la gorge du monstre, l’adrénaline grimpant en flèche dans ses veines lorsqu’elle sentit ses crocs se planter directement dans sa jugulaire.

« Pas le temps de faire les choses proprement ! »

D’un coup sec, elle arracha la chair prisonnière de ses mâchoires, créant un trou béant dans la gorge du Duramboros, qui se vida de son sang. Fou de douleur, le Burutien mugit dans un gargouillis atroce, encornant vicieusement Opale qui ne vit pas le coup venir.

La Mizutsune hurla à s’en percer ses propres tympans, projetée au loin par la wyverne brute.

Sa vision se brouilla de noir lorsqu’elle percuta le sol, sa respiration instantanément coupée. A moitié aveugle, elle aspira avec force de l’air qui semblait ne pas emplir ses poumons. Mal lui en pris, car cette violente contraction tripla la douleur irradiant de son flanc droit, lui refaisant cracher à la fois l’air inspiré et du sang. Instinctivement, elle voulu se relever, complètement ignorante de l’environnement où elle avait atterri, mais ses pattes se dérobèrent très vite sous elle. Elle sentit alors des griffes se poser sur son épaule, et, glacée d’effroi, incapable de discerner correctement ce qui venait de l’approcher, elle cracha avec ses dernières forces un rayon d’eau pressurisée. Néanmoins, le jet fut bien court, et elle retomba lourdement sur le sol après tant d’efforts. Elle essayait de penser, mais son instinct lui hurlait de se relever, de se battre, le tout dans n’importe quel ordre. Malgré la douleur qui éclipsait sa lucidité et l’affreuse sensation qu’elle se vidait de son sang, elle sentait qu’elle pouvait, et devait s’en sortir. Elle entendit de vagues bribes de sons à travers le sifflement continu qui lui perçait les oreilles. Les griffes qui l’avaient effleurée, chassée par le jet, revinrent cependant à l’assaut, enserrant ses épaules. Les sons devinrent plus clairs. Elle voulut mordre, mais l’une des mains qui l’agressaient l’empêcha d’ouvrir la gueule.

-        Opale !

La Mizutsune tressaillit à la compréhension claire et soudaine d’un mot. Après ce qui lui sembla une éternité, la réalisation se propagea à tous ses membres. La tension quitta son corps, et ses mâchoires serrées se décrispèrent, les griffes se retirant par la même occasion de son museau.

Laerob.

Elle calma sa respiration, lui octroyant le retour progressif de sa vue. C’était en effet le Najarala Diluvien qui se tenait devant elle, sa main restante posée sur son épaule.

-        Laerob … croassa-t-elle, sa propre main se posant sur la sienne, incapable d’exprimer son soulagement autrement.

Elle remarqua que derrière lui gisaient les cadavres de deux Midogarons. Des ombres dansaient également à l’horizon.

Le général dirigea son regard derrière lui, hélant quelqu’un. Deux silhouettes s’empressèrent, non sans une grande délicatesse, de la soulever. La main de Laerob disparut, et elle se senti entraînée au campement.

Submergée par la douleur lancinante dans son flanc droit, Opale ne parvint pas à rester éveillée, et sombra dans l’inconscience.

 

 

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Opale fut tirée de son lourd sommeil par une douce odeur de thé vert, lui évoquant de doux souvenirs. Résistant à la sensation d’étourdissement qui persistait à vouloir la refaire plonger dans l’inconscience, elle ouvrit péniblement les yeux. Une pénombre nocturne se révéla à elle, uniquement percée par deux lanternes de foudrinsectes. Dos face à elle se tenait Laerob, qui concoctait des cataplasmes de thé vert avec le maigre équipement du campement.

Elle voulut le saluer, mais seul un son rauque et étouffé s’échappa de sa gorge.

Le Najarala Diluvien se retourna et vint immédiatement à elle, prenant délicatement sa main entre les siennes, la frottant doucement, son visage calme éclairé par la lueur des lanternes.

-        Doucement … (il embrassa sa main) Tu t’es sacrément bien amochée cette fois-ci …

Elle voulut vérifier par elle-même cette affirmation, relevant la tête.

En effet, plusieurs bandages légèrement teintés couvraient l’entièreté de son aine.

Opale ouvrit la bouche, mais Laerob fut plus rapide qu’elle.

-        La corne n’a pas touché de points vitaux. Cependant, tu as perdu une quantité non négligeable de sang. Je crains que tu ne doives te retirer du combat pour quelques jours, déclara-t-il posément, massant toujours la main de la Mizutsune à l’aide ses pouces.

La princesse grimaça, mais acquiesça. Si ça avait été plus léger, elle aurait bien entendu insisté pour pouvoir retourner au front le plus rapidement possible, mais dans une telle situation …

« Mon imprudence me perdra … »

Elle déglutit, permettant à sa gorge de fonctionner davantage normalement. Un goût ferreux de sang lui emplit cependant la bouche, la faisant grimacer à nouveau.

-        Comment as-tu su ?

Le Najarala Diluvien eut un rictus nerveux, amenant à lui les cataplasmes au thé vert.

-        Je pense que toute la Burutie t’a entendu hurler.

Ça faisait sens.

-        Et les Rathiens ? demanda-t-elle ensuite, sa voix fatiguant déjà.

Le général eut un tic de langue tandis qu’il défaisait l’un des bandages, souillé, pour appliquer un cataplasme ainsi qu’un nouveau bandage par-dessus à la place. L’odeur lui caressa de nouveau agréablement les narines.

-        Le Hyujikiki n’a pas survécu. Les deux autres sont revenus indemnes.

L’amertume emplit sa gueule.

« Ngh ! Merde !»

Elle chassa la culpabilité de son esprit. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait des faits à se reprocher, mais ceux-ci ne feraient plus progresser les choses. Elle ne pouvait que veiller à ce qu’ils ne se reproduisent plus.

Elle ne répondit donc pas. Laerob lui caressa le bras.

-        C’était complexe.

-        Je sais … soupira-t-elle.

Les souvenirs affluèrent dans son esprit, dont la brume se dissipait peu à peu.

-        Quelle heure est-il ? demanda-t-elle subitement.

-        Le soleil vient de se coucher, dit le Najarala Diluvien. Je t’avoue que je n’ai guère prêté attention à l’heure depuis la reprise des hostilités ce matin … J’ai fini ma ronde il y a peu, ajouta-t-il ensuite.

-        J’ai dormi longtemps alors, croassa Opale. (il y eut un court silence pendant lequel elle le regarda œuvrer sur ses blessures) Merci encore …

Laerob déposa un baiser sur son front.

-        C’est normal.

Il y eut un autre silence. Le Najarala Diluvien jeta les bandages sales et les anciens cataplasmes dans une corbeille d’osier.

-        A-t-on eu des nouvelles du front Rakurien ?

Le général acquiesça.

-        Oui. Un messager nous est parvenu en début d’après-midi. C’est devenu stable, là-bas. Ils demandaient de nos nouvelles.

Opale médita.

-        C’est encore sacrément compliqué par ici …

Laerob hocha la tête.

-        Nous progressons, mais nos alliés sont clairement en avance par rapport à nous. Au rythme où ça va, nous devrions stabiliser le front d’ici une semaine. J’ai déjà transmis la situation.

La Mizutsune expira longuement.

-        C’est déjà ça de fait.

Epuisée et sentant en paix après ces réponses, elle se laissa somnoler, bercée par l’odeur entêtante de thé vert et les doux gestes de Laerob.


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