Rathlands

Chapitre 36 : Chapitre 34 (Knivlann POV)

4675 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/08/2022 14:46

« Mirage … »

Tout, autour de lui, n’était que mirage.

Le Seregios progressait à travers un océan infini de sable, sous un soleil de plomb impitoyable.

« Je ne peux pas abandonner maintenant … C’est mon seul espoir ! » pensa-t-il.

Knivlann bénit néanmoins tout ce temps passé en Burutie : il savait encaisser une telle chaleur, bien qu’elle ne lui soit pas spécialement agréable.

La folie du désert le guettait, lui faisant croire à la présence de nombreux oasis partout où il regardait. Depuis combien de temps marchait-il à travers ce désert ? Il ne savait dire. Il ne savait même plus dire combien de jours s’étaient passés depuis sa fuite de la Burutie. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il ne pouvait pas écouter ses muscles endoloris qui le suppliait de s’arrêter. Il était encore dans le territoire des Skypiercers.

S’il parvenait à atteindre la frontière de la Confrérie des Charognards, peut-être serait-il en sécurité.

Mais en attendant …

Il scruta brièvement l’azur. Les cieux semblaient déserts, mais il devait résister à la tentation de voler : dans l’air, il serait plus repérable, d’autant plus qu’il ne pouvait voler vite à cause de la fatigue accumulée.

« Courage, Knivlann … Tu n’as pas le choix … ! »

Un îlot sembla apparaître dans la mer de sable. Un amas de rochers suffisamment grand pour pouvoir profiter de son ombre.

Le Seregios s’octroya quelques minutes de répit, sa vision s’étant mise à danser, brouillée d’étoiles.

Il lui fallait un plan pour s’infiltrer en Confrérie sans se faire repérer. Non pas que ses habitants soient hostiles, bien au contraire. Les Charognards, comme on les nommait, étaient des parias bannis de tous les Etats. Certains, à juste titre, étaient des criminels. D’autres s’étaient retrouvés accusés de complotisme, d’opposition politique, ou bien d’autres sombres guet-apens leur empêchant tout espoir de réinsertion dans leur État d’origine.

Knivlann savait que la Burutie était à l’origine d’une bonne partie de ces exilés. Pendant longtemps, la Burutie avait, entre autres, toléré la présence de monstres considérés comme « nuisibles », notamment les Montures, anciennes alliées des Riders, qui bien des siècles auparavant, prétendaient pouvoir vivre en paix avec les monstres. La vérité était tout autre, car lors du Soulèvement, ces misérables menteurs s’étaient alliés avec leurs semblables humains, les Chasseurs. Les Montures avaient naturellement servi leur maître pour la plupart, les rendant tout aussi traîtres aux yeux des monstres.

La Burutie voyait cependant beaucoup d’intérêt à accueillir ces Montures, aux aptitudes parfois hors du commun. Alors, pour excuser ce comportement, jugé hérétique par tous les autres Etats, la Burutie promit d’accueillir toute Monture prouvant son honnêteté en rapportant la tête de leur maître. Une décision qui ne faisait l’unanimité que chez ses élites.

Puis, le jour où la révolte gronda parmi le peuple concernant ces aberrations qu’étaient ces monstres-là, dont les crimes ne seraient jamais complètement pardonnés, la Burutie entreprit de se débarrasser d’eux. Ceux qui refusaient de se plier à l’exil étaient généralement traqués et abattus. Quant à ceux en fuite … Ceux qui parvenaient à survivre au désert frontalier étaient souvent achevés par les soldats Skypiercers gardant la frontière avec la Confrérie.

Ainsi, la Confrérie était moins hostile à ceux les ayant persécutés depuis toujours ; eux au moins avaient eu la décence de ne pas leur promettre de faux espoirs.

Si Knivlann se déclarait Burutien … Sans doute le laisserait-on passer. Mais les rumeurs se propageraient bien vite, et le Seregios se retrouverait en danger de mort à chaque instant, potentiellement traqué par des descendants de Montures avides de vengeance. Peut-être même vendrait-on cette information aux Skypiercers, lorsqu’ils apprendraient qu’un fugitif Burutien fut recherché.

Se faire passer pour un Skypiercer n’était pas non plus une bonne idée. Bien que sa lame lui permette de justifier un tel mensonge, l’information fuiterait forcément, et les Skypiercers s’apercevraient bien vite de cette anomalie lorsqu’ils comprendraient n’avoir envoyé aucun soldat là-bas.

Le mieux restait de ne pas se déclarer. Si jamais on insistait, cela dit, ils pourraient toujours prétendre être un rebelle Rathien : ils étaient actuellement chassés en masse du royaume, avait-il entendu de la bouche de Gnatos.

Le Seregios avisa sa sacoche : elle était entièrement dépossédée de toute arme, mais il lui restait une fiole entière de goudron.

« Mieux vaut une double couverture. Je peux me faire passer pour un lépreux avec ça. »

Il rangea la fiole pour le moment, car une telle sécheresse ferait s’écailler la substance en quelques heures.

« Il va rapidement me falloir aussi du tissu pour protéger cela. » songea-t-il.

Mais comment acheter la moindre pièce de tissu sans utiliser ses pièces Burutiennes, qui le trahiraient aussitôt ?

“Si je vole quelque chose sitôt après être arrivé, je risque d’attirer l’attention … Ou bien serait-ce monnaie courante là-bas ?”

Mendier restait une option viable, mais le Seregios n’avait pas de temps à perdre.

“ … Mais cela constitue le choix le plus judicieux. Prions pour que ce soit rapide …”

Il lui fallut se lever. Le soleil qui n’était qu’à son zénith quelques temps auparavant commençait déjà à amorcer sa lente descente vers l’Ouest.

 

 

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La chaleur rayonnant sur ses écailles commençait à s’amoindrir. Une brise timide, mais glaciale, commençait à s’emparer du désert, délaissé par le soleil. Le fleuve frontalier entre l’empire Skypiercers et la Confrérie était visible à l’horizon.

“Le Mur ! Il semblerait que je sois dans les temps …” songa Knivlann, tandis que ses muscles désapprouvaient les efforts nécessaires pour en arriver là.

 

Il s’avança jusqu’au fleuve, où les nouveaux arrivants étaient acheminés jusqu'à l’autre rive grâce à de petites barques, menées par des Kecha Wacha. Le Seregios s’efforça d’avoir l’air abattu en approchant des embarcations.

Un Volvidon et un Grand Jaggi tenaient la garde devant les piètres quais de bois pourri et grinçant.

-        B-bonsoir … prononça-t-il, feignant d’être un réfugié, arborant une attitude recroquevillée et grelottante, plutôt crédible lorsqu’on constatait ensuite ses écailles maculées de noir. Faut-il payer pour traverser ? J-je n’ai pas d’argent ...

Le Volvidon le fixait avec un regard dénué de la moindre émotion, mais le Grand Jaggi lui offrit un timide sourire.

-        Non, camarade, nul besoin de payer. L’entrée dans la Confrérie n’a jamais eu pour but d’extorquer de l’argent à nos frères, répondit-il, posant une griffe sur son épaule.

Le Volvidon ne clignait pas des yeux, Knivlann remarqua.

-        Origine ? Raison d’exil ? demanda platement la bête à crocs.

Knivlann leva prudemment les yeux vers lui, mais ne discerna aucune once d’intelligence particulière.

-        R-rathien, articula-t-il. J-je fuis la guerre … Je suis recherché en tant que d-déserteur ...

Le Volvidon ne broncha pas.

-        Va, nouveau confrère, dit le Grand Jaggi. Bienvenue en Confrérie. Puisse ton passé ne jamais te rattraper. Tu es libre désormais.

Le Seregios acquiesça lentement.

Un Kecha Wacha et sa barque accostant sur l’un des quais fit signe au Grand Jaggi qu’il était prêt à repartir.

-        Il est déjà l’heure, nouveau confrère ! Une barque t’attend. Elle te mènera à notre capitale, Tsol.

Knivlann s’inclina, sincèrement respectueux de leur hospitalité qui lui sauvait la vie.

-        Merci à vous, m-monsieur … répondit-il, toujours dans la peau de son personnage.

Il sentit une griffe lui tapoter l’épaule. En se retournant, il vit que le Volvidon lui avait ramené une grande pièce de tissu vert pour se protéger du froid.

-        M-m-merci beaucoup … ! articula-t-il avec une authentique surprise, sentant la bienveillance émaner de cette bête à crocs, qu’il avait jugé bête comme un balais quelques secondes plus tôt.

Il s’inclina poliment à nouveau. Le Volvidon lui déposa le tissu entre ses serres.

-        Froid impitoyable la nuit dans Confrérie, comme dans désert. Voyageur avoir besoin de ça, car voyageur tremble beaucoup, expliqua-t-il.

La fatigue et la reconnaissance d’une telle générosité amenèrent des larmes dans les yeux du Seregios épuisé, tandis qu’il embarquait pour l’autre rive.

-        E-encore merci … souffla-t-il lorsqu’il quitta le quai.

Le Grand Jaggi et le Volvidon le saluèrent, jusqu’à ce que la brume naissante à la surface du fleuve fit disparaître leurs silhouettes.

 

 

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Le Kecha Wacha ne lui adressa pas un mot durant la traversée. Ce n’était pas plus mal, car Knivlann en profita pour s’adonner à l’introspection, songeant à cette gentillesse émanant des citoyens d’une terre sans état, sans culture commune, composée de monstres fondamentalement tous différents les uns des autres.

“Comme c’est étrange, tant de bonté …” songea Knivlann, très peu familier avec ce sentiment.

Il lui sembla réaliser les carences que présentait sa vie, jusque là.

Gnatos était fier de lui, le traitait comme son véritable prince, certes.

Mais le traitait-il véritablement comme son fils ? Lui avait-il un jour dit mot pour mot qu’il l’aimait ?

Le Seregios ne s’en souvenait pas.

Probablement pas.

Mais si lui-même n’avait jamais obtenu l’affection pure de Gnatos, qu’en était-il de Svaerd ? Lui qui ne pouvait se sentir aimé par la fierté de son père, ayant toujours été décrit comme le pire des poltrons ?

Il lui sembla comprendre combien la vie du Glavenus, pourtant fils biologique du Président, devait être dure, rien que par sa présence, qu’il savait dorénavant intrusive.

“Etait-ce déjà comme cela avant que je ne sois enlevé ? Gnatos souhaitait-il le remplacer ?”

Il était bien trop tard pour regretter, mais Knivlann eut un pincement au coeur en pensant à cette possibilité.

Le Seregios songea un instant à la vie qu’il aurait dû vivre, auprès de sa soeur, dans l’Empire Skypiercer.

“Astalian … Est-ce qu’elle a survécu ?”

La panique avait guidé en grande partie ses gestes, quelques jours plus tôt, mais chaque heure passée en dehors de la Burutie semblait confirmer la nécessité de cet acte. Il lui apparaissait juste de l’avoir sauvé elle, plutôt que Gnatos. L’instinct avait sans doute eu raison. Au fond, c’était une forme de devoir. Il était son frère, après tout ...

“L’heure n’est plus à la tristesse. Je ne reviendrais sans doute jamais en Burutie. Ceci appartient désormais au passé, et il est révolu.”

Les douces vagues du fleuve légèrement salin berçèrent ses pensées jusqu’à l’autre rive.

-        Nous voilà arrivés, déclara la bête à crocs aux grandes oreilles en arrimant son embarcation. Voici Tsol, capitale de la Confrérie.

Au delà de la berge se dressait une véritable cité d’habitations cubiques en grès et de tentures colorées, baignée des derniers rayons rougeâtres du soleil, se couchant à l’horizon.

Devant celle-ci, une poignée de monstres accueillait les réfugiés, et les redirigeaient vers d’autres monstres, qui semblait-il, leur faisaient faire un tour des lieux.

-        M-merci, répondit finalement le Seregios après avoir observé la scène. Ou devrais-je aller selon vous ? J-je suis débrouillard, je peux apprendre vite ...

Le Kecha Wacha sembla gêné.

-        Hum, moi-même, dit-il, je ne pourrais pas vous être utile, je ne suis qu’un simple batelier. Je vous conseille de rejoindre le groupe situé à droite, ajouta-t-il en pointant de son long doigt crochu le petit rassemblement. Ces nouveaux arrivants-là cherchent un travail.

Le Seregios hocha la tête, puis mit pied à terre.

-        Merci, la générosité de votre Confrérie vous précède, le remercia-t-il.

La bête à crocs sourit.

-        C’est notre devoir. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?

Quelques secondes après, il repartait voguer sur le Mur en direction de la rive frontalière.

Knivlann jura que chaque seconde passée en cette terre promise lui faisait davantage regretter ce qu’était la Burutie, qu’il avait cru être un havre de tranquillité.

Il soupira. Peut-être trouverait-il enfin cette véritable quiétude ici …

Il s’avança vers le groupe qu’on lui avait désigné, qui ne comprenait pas plus d’une dizaine de monstres. Pêle-mêle, un Rathalos, un Barroth, un Duramboros, et un Kamu Orugaron attendaient plus d’informations. Bien que globalement distant les uns des autres, le Rathalos discutait avec le Barroth avec une forme d’enthousiasme. Knivlann jugea bon de se joindre à la discussion.

-        Oh oui, j’ai déjà visité les thermes royaux de Furosu ! Quel plaisir, je comprends que vous souhaitez y passer la journée entière ! Mais bon, il faut bien travailler, et le pays ne peut fonctionner sans nous, sourit le Rathalos.

-        Mes semblables adorent se prélasser pour sûr, mais j’ai bien quitté les Terres Ecumiennes pour une raison ! s’exclama le Barroth. La fainéantise ambiante m’a profondément frustré, et personne ne m’a pris au sérieux lorsque j’ai exposé mon projet de créer des thermes de boue. Le royaume n’encourage absolument pas les initiatives ! La Confrérie représente le seul espoir que j’ai de pouvoir créer mon propre établissement. Avec la chaleur du désert, les bienfaits de la boue devraient plaire à bon nombre ! C’est du moins mon souhait.

-        Cela semble atypique, mais j’ai ouïe dire que cela avait de vraies propriétés curatives. Je pense que ce n’est pas sans espoir.

Le sujet n’était pas des plus intéressants, mais Knivlann fit mine de s’y intéresser.

-        B-bonsoir, mon nom est Pyrite … Je viens des Rathlands … Permettez-moi de me joindre à vous, cela fait longtemps que je n’ai pas parlé avec quelqu’un, et euh, ça me manque.

A ce stade, il ne mentait presque plus. A part ce faux nom, tout ce qu’il prononçait était sincère.

-        Bonsoir, confrère, répondit le Rathalos. Il n’y a pas de mal. C’est ce même besoin qui m’a amené à converser avec ce brave Argile.

Ledit Argile hocha la tête.

-        Bienvenue, Pyrite. Alors comme ça, vous provenez également des Rathlands ? Avez-vous entendu parler des fabuleux thermes royaux de Furosu ?

-        Oh hum, à vrai dire, je ne m’y suis jamais intéressé. Mais je n’ai entendu que des éloges sur vos danseurs de cérémonies.

-        Il est vrai que nous en sommes tout aussi fiers ! acquiesça le Barroth.

-        D'où venez-vous, camarade Pyrite ? s’enquit le Rathien.

Knivlann réfléchit vivement.

-        Je vivais proche de la frontière, à la limite du Col de la Prospérité. J’ai été appelé au front pour la Bataille d’Ignis … J’aime servir ma patrie, je le jure, mais les horreurs que j’ai vu là-bas … C’était trop. Lorsqu’on m’a de nouveau appelé pour la Bataille de King’s Gate, j’ai préféré fuir. J’ai très vite appris qu’on était à mes trousses pour avoir déserté. Je ne savais pas où aller … Alors je suis venu ici. J’espère qu’on voudra bien d’un lâche comme moi … finit-il, baissant les yeux.

Il y eut un bref silence.

-        Camarade, bien que le devoir se doive d’être fondamental, il n’est pas honteux de ressentir la peur. Ce n’est que l’instinct de survie. Si cela t’as amené à fuir jusqu’ici, c’est que ta conviction de ne plus vouloir te battre était forte. Nul ne peut te juger pour cela, après tout ce que tu as dû vivre, déclara le Rathalos.

Le Rathien huma l’air un instant.

-        J’ai moi-même servi pour l’armée pendant la Guerre Sanglante. Je faisais partie des forces aériennes. Au cours d’une bataille désespérée au nord de Nogard, nous avons dû nous replier, laissant derrière nous une ville entière que nous n’avions pas eu le temps d’évacuer. En faisant mon rapport en tant que lieutenant, j’ai mentionné ces pertes comme tragiques. Mon supérieur, avec qui j’avais une relation assez conflictuelle, y a vu une belle occasion de m’accuser d’être rebelle. Tous l’ont cru. La peine de mort planait au-dessus de moi, alors je me suis enfui. Je dois mon seul salut aux rebelles qui eux ont bien voulu de moi, ironiquement. Mon groupe, composé d’agents doubles, a cependant été décimé durant la Bataille d’Ignis. Peu après, les gardes ont remonté notre piste. Le restant de notre brigade s’est dispersé. Ne pouvant retourner à une vie normale, il ne me restait que l’exil.

Le Barroth perça un nouveau silence.

-        Comme mes raisons semblent ridicules en comparaison des vôtres … Que Ceadeus vous garde en ces terres, confrères.

Le Rathalos le salua. Knivlann s’empressa de l’imiter.

-        Teostra te protège, camarade, souffla la wyverne rouge.

Ils continuèrent à parler un long moment durant. Finalement, le Duramboros se joignit à eux. Il avoua venir de Burutie, ce qui lui valut un léger froncement de sourcil de la part du Rathien, mais cela se dissipa bien vite. Il raconta avoir fui la Burutie avec sa famille car ils n’avaient plus de quoi se nourrir, son peuple ayant besoin d’une grande quantité de végétaux pour cela. Son père était mort en sapant le mur frontalier pour leur permettre de s’enfuir, abattu par des gardes Burutiens. Sa mère s’était sacrifiée pour ralentir les gardes Skypiercers aussitôt à leurs trousses. Sa sœur avait succombé à la chaleur du désert et au manque d’eau. Il ne restait plus que lui à la fin de cette traversée infernale.

“Le malheur existait bel et bien en Burutie … Combien d’autres comme lui ?” Il chassa cette pensée de sa tête. C’était tragique, mais il n’y pouvait rien. Et il n’y pourrait plus rien.

Lorsque la nuit les drapa presque tout entiers, une silhouette se détacha de l’horizon urbain, où des feux commençaient à s’allumer un peu partout. Des chants s’élevaient dans l’air tiède, et l’odeur de nourriture cuite à même la rue parvenait jusqu’à leurs narines. Ce qui se précisa être un Diablos s’avança jusqu’à eux.

Ce ne fut que lorsqu’il parvint à eux que Knivlann remarqua que ce Diablos était singulier.

Si de loin, il paraissait d’une taille normale, une fois à leur hauteur, on pouvait constater qu’il s’agissait en réalité d’un petit Diablos. Les feux au loin semblaient lui donner une lueur orangée, mais c’était également le cas lorsqu’il se tenait face à eux, uniquement cerné de pénombre. Mais là n’était pas le plus surprenant, car l’illusion semblait aussi affecter ses cornes : elles étaient pourtant bel et bien d’un rouge vif, et semblaient même émettre une faible lueur chaleureuse.

Le Seregios eut un désagréable frisson de mauvais pressentiment.

-        Bonsoir à vous tous, nouveaux confrères, prononça d’une voix sage le nouveau venu. Vous voici à Tsol, capitale de tous ceux qui la désirent comme telle. Je suis Diakera. Vous n’êtes pas sans savoir que ces terres n’ont pas de réel maître, mais beaucoup se réfèrent à moi comme “Vénérable Diakera”. Ainsi, si vous rencontrez le moindre problème, vous pouvez m’en faire part. Je ferais ce qui est en mon pouvoir pour vous aider. Ne vous attendez pas à une quelconque forme d’autorité, cependant, il ne s’agit là que d’une forme de respect. Laissez-moi vous présenter les lieux. Puisque vous êtes ici pour vous rendre utiles, je vais vous guider vers nos confrères nécessitant des services. La plupart sauront vous loger, mais dans le cas contraire, je ferais appel à d’autres pour vous dépanner. Est-ce bien clair pour vous ?

Tous acquiescèrent lentement. La wyverne à cornes dégageait une certaine aura de chaleur et de calme qui incitait au silence, malgré sa taille presque risible. L’âge était perceptible dans ses traits tirés et sa voix posée. Nul doute qu’il devait être le doyen de ces terres.

Le Doyen ouvrit la marche vers la cité rougeoyante. Knivlann se plaça à une distance raisonnable de l’ancien, juste derrière le Barroth, et entre le Rathalos et le Duramboros. Les plus timides qui ne s’étaient pas joints à la précédente conversation les suivaient depuis l’arrière.

De plus près, la ville semblait davantage vivante. L’enchevêtrement chaotique de rues larges et d’étroites ruelles abritait toutes sortes d’échoppes et de commerces, et une diversité de monstres improbable. Des Giapreys jouaient gaiement avec des Baggis et un Arzuros. Dans la rue, il n’était pas rare de voir traîner ensemble des peuples que tout oppose, comme un Barioth des sables accompagné par un Ceanataur Shogun et un Basarios. La vision semblait idyllique.

-        Ne craignez pas d’être jugés, expliqua alors Diakera. Tout le monde a son propre vécu, ici. Quelles que soient nos raisons d’exil, il nous faut travailler ensemble. C’est le seul moyen de survivre. Je ne vous cacherai pas la vérité : la vie en ces terres est dure, mais elle rend humble.

Il est vrai que malgré ce sentiment de joie flottant dans l’air, matériellement, tout transpirait un niveau de vie très modeste. La plupart des habitations, maçonnées de boue, de sable et de grès, aurait pu à peine y faire tenir un monstre imposant comme un Uragaan. Il n’était d’ailleurs pas sûr qu’il puisse en franchir l’entrée. Knivlann eut une pensée pour le Duramboros : sans doute allait-il avoir beaucoup de mal à se loger.

Cela semblait aller de soi que ces abris de fortune ne servaient qu’à y dormir, et que le reste du quotidien de ces habitants devaient se dérouler dehors, d’où toute cette activité.

L’argent paraissait inexistant, lui aussi, car même en observant les alentours, le Seregios ne remarqua aucune transaction. Lorsqu’un monstre se présentait pour obtenir un repas, il ne dépensait pas une pièce : soit le gérant le reconnaissait (sans doute pour un service rendu au préalable), soit il ajoutait son nom à une ardoise pour signifier sa dette avant de le servir. Tout se payait en services.

Ce système semblait effrayant et intriguant à la fois.

Diakera continua jusqu’à tard dans la nuit sa visite de Tsol. Sur le chemin, il s’arrêta plusieurs fois pour converser avec ses nombreuses connaissances. En leur demandant leurs besoins, il parvenait ainsi à les convaincre de prendre sous leur aile un ou plusieurs réfugiés. La plupart, comme il l’avait dit, étaient nourris et logés. Hélas, l’apparence de lépreux que Knivlann arborait ne le rendait pas très attractif aux yeux des nécessiteux de main d'œuvre. Il fut le dernier à ne pas trouver de travail.

Le petit Diablos s’arrêta près d’une place devenue déserte à cette heure tardive de la nuit.

-        J’ai fais le tour de mes amis ayant besoin d’aide. Je ne sais pas si je pourrais t’aider davantage, soupira le doyen, gêné. Nous avons un centre de soins pour les invalides, mais il est déjà plein à craquer. Je ne peux cependant pas te laisser à la rue … Puis-je savoir de quelle maladie tu es atteint, mon ami ?

Le Seregios resserra le tissu vert autour de lui.

-        Moi-même, je ne sais pas, mentit-il, en regardant ses écailles noircies. Il y a encore peu, je n’avais pas ça. J’ai cru qu’il s’agissait au départ d’une brûlure, car la noirceur a commencé à apparaître après un combat contre des gardes Rathiens à mes trousses. Mais ça s’est propagé. Je ne sais pas pourquoi ...

Diakera abaissa les ailes, pessimiste.

-        Cela ressemble beaucoup à la lèpre … Je ne suis pas sûr que quelqu’un accepte de t’héberger.

Knivlann ne dit rien.

-        Je me débrouillerai, prononça finalement le Seregios, tournant les talons.

Il s’envola malgré ses muscles encore endoloris, se dirigeant vers la partie Nord de la cité.

 

 

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La partie nord était la plus dense. Elle comportait énormément de ruelles qui n'inspiraient pas confiance, surtout à cette heure de la nuit. Mais Knivlann n’en avait cure : son statut de lépreux le rendait peu susceptible d’être agressé.

“Comment ferais-je pour m’intégrer à terme, avec une telle maladie ? Efh, je verrais bien. Ce qui importe, c’est que je sois en sécurité pour l’instant.”

En se faufilant au fin fond d’un détour particulièrement exigu rempli de caisses, il trouva un endroit confortablement à l’abri des regards. Emmitouflé dans son tissu, il s’endormit dans l’air glacial de la nuit, adressant une silencieuse prière à la pleine lune, pour qu’elle veille sur lui.


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