Le Fil Conducteur

Chapitre 1 : Future Clues

5567 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/04/2020 14:33

La ruelle était sombre et humide, et la chaleur de la nuit rendait l’atmosphère plus irrespirable encore. Les poubelles pleines à craquer exhalaient une odeur à enflammer les narines. Les pavés crépitaient sous l’impact des gouttes d’eau de pluie qui tombaient dru. Les néons éclairaient par intermittence une scène digne des mauvais westerns urbains.

 

Un personnage véritablement immense avançait en baissant la tête. Les mains enfoncées dans les poches de son grand imperméable, il se déplaçait à grandes enjambées. L’eau coulait dans ses mèches teintes en bleu, chaque goutte glissant le long de sa nuque lui donnait le frisson. Au loin, il voyait l’issue débouchant sur l’artère principale où des milliers de gens allaient et venaient. Il savait cependant que ça n’allait pas suffire à se cacher. Un homme de deux mètres soixante-dix de haut ne peut passer inaperçu nulle part.

 

Il comprit qu’il n’aurait pas le temps d’y réfléchir davantage quand il entendit le bruit caractéristique d’un pistolet qu’on arme.

 

-         Terminé, mon pote. Fin de la promenade.

 

Le visage du grand homme se renfrogna de vexation. Il gronda d’une voix de basse :

 

-         Je peux savoir qui me braque ?

-         Tu peux. Tourne-toi lentement. Très lentement. Et sors les mains de ton burnous.

 

Le grand homme s’exécuta, et fit face à l’autre qui lui parlait. C’était un type de taille plus conventionnelle, qui portait un costume sombre aux manches retroussées jusqu’aux coudes. Malgré l’obscurité, le grand homme vit nettement le visage de son adversaire, éclairé par la lampe de secours d’une sortie arrière, fin, racé, sous une chevelure brune coiffée à l’africaine. L’un de ses deux yeux marron semblait plus clair que l’autre. Il tenait en respect sa cible, revolver tendu en avant. Avec un petit sourire, il déclara :

 

-         Tu es fait comme un rat, Rick Blue, alias Zack Simon.

-         Petit saligaud ! Je vais t’expliquer la différence entre un rat et moi !

 

Et d’un geste, Zack empoigna un petit lampadaire, et tira, l’arrachant du sol. La lampe s’éteignit dans un grésillement sonore. Le géant souleva sa prise à bout de bras, la brandissant au-dessus de la tête.

 

-         Imagine ce que je pourrais faire à ton cou de poulet, tignasse à pattes !

-         Tt-tt-tt-tt… je n’aime pas qu’on critique ma coupe afro.

 

Un coup de feu retentit, alors que la coupole de verre du lampadaire se brisa. Le claquement de l’explosion de l’ampoule, ainsi que les débris de verre, prirent Zack de court. Il lâcha son arme improvisée et recula vivement les pieds. La barre métallique s’abattit sur les pavés.

 

-         Bon, maintenant, assez plaisanté, je n’ai pas que ça à faire. Tu vas me suivre bien gentiment chez les flics.

-         Va te faire voir, chasseur de primes ! cracha le géant.

 

Ledit chasseur de primes pressa une nouvelle fois la gâchette. La balle effleura la pommette de Zack, laissant une petite trace de sang.

 

-         La prochaine sera entre les deux yeux.

-         J’en serais moins sûr à ta place, Spike Spiegel ! dit alors une troisième voix à sa droite, en hauteur.

 

Surpris, Zack et Spike regardèrent simultanément au-dessus d’eux. Ils virent au troisième étage de l’escalier de secours de l’un des immeubles avoisinants un homme. Grand, droit, appuyé nonchalamment sur le mur de briques, il était vêtu d’une combinaison bleu nuit à manches courtes, qui moulait sa puissante musculature. La petite lueur de son cigare révélait un visage au nez plat surmonté de deux immenses yeux bleus au milieu d’un visage détendu encadré de favoris blonds frisés. Aussitôt, le chasseur de primes changea de cible.

 

-         Ah ha… murmura Spike en esquissant un rictus moqueur. Tu devrais savoir que ton « nouveau visage » ne trompe plus personne, Cobra le pirate ! En tout cas, pas moi !

-         « Pirate », comme tu y vas ! Je préférerais « travailleur indépendant ».

-         Que dalle ! Depuis le temps que je rêve de cette occasion… tu vas faire un petit tour avec moi !

 

Zack n’avait montré aucune réaction en voyant le pirate de l’espace, mais au plus profond de lui-même, il s’était senti soulagé. Lui et Cobra étaient des amis de longue date, et ce petit chasseur de primes prétentieux n’avait aucune chance contre lui, encore moins contre eux deux réunis. Profitant du fait que Spike ne regardât pas dans sa direction, il se pencha lentement vers le lampadaire arraché pour le récupérer.

 

Spike vit du coin de l’œil sa première proie se rebiffer. Immédiatement, il orienta de nouveau son arme dans sa direction.

 

-         Attention, Zack !

 

Tout alla soudain très vite. À peine le chasseur de primes avait-il détourné son attention du célèbre pirate que celui-ci avait sorti de son étui son fidèle Python 77 Magnum. La détonation du flingue, amplifiée par la réverbération dans la ruelle étroite, éclata comme un coup de tonnerre. Spike fut repoussé sur le côté, le pistolet littéralement arraché des doigts. Il empoigna sa main, espérant atténuer la douleur, et écarquilla les yeux en voyant son arme par terre, disloquée. D’un coup d’œil, il vit que Cobra le tenait en joue. Les rôles étaient inversés.

 

-         Fous le camp, Zack !

 

Le géant rit doucement.

 

-         Merci, mon pote ! À charge de revanche !

 

Cobra répondit juste par un petit sourire. Zack Simon détala, et Spike ne put s’empêcher de serrer les dents.

 

-         C’est bon, il est content ? Il vient de me gâcher la journée !

-         Je n’ai jamais aimé les chasseurs de primes. Déformation professionnelle.

 

Le pirate rangea son Magnum dans son holster.

 

-         À ta place, je ne m’attarderais pas trop dans cette ville.

-         Allons bon ! Tu sais où tu peux te les carrer, tes bons conseils ?

-         J’ai l’impression que tu ne me prends pas très au sérieux…

-         Je n’ai confiance en personne, et surtout pas en un criminel notoire !

 

La nonchalance de Cobra s’atténua légèrement.

 

-         Les chasseurs de primes passent leur temps à traquer des personnes dont la tête est mise à prix, mais il peut arriver qu’ils deviennent eux-mêmes la cible d’un collègue. C’est le cycle de la vie.

-         La philosophie orientale, à présent ? De mieux en mieux !

-         Spike, je ne sais pas ce que tu es venu faire dans cette ville, mais cela fait quelque temps que je t’observe. Enfin, je devrais dire, « que mes propres proies t’observent ».

 

Bien que ne décolérant pas, le chasseur de primes ne put s’empêcher d’être curieux.

 

-         Ah ouais ? J’ai des admirateurs ?

-         Plus nombreux que tu ne le crois, Spike Spiegel ! Ils sont toute une bande. Un groupe de bonshommes qui ont des intentions pas très claires. Je les ai vus en me rendant au musée d’art ancien de cette ville.

-         Pour y faire du shopping ? ironisa Spike.

 

Cobra ne se dépara pas de son sourire. Il descendit lentement les marches de l’escalier de secours, tout en continuant son exposé.

 

-         J’ai toujours été un grand amateur d’artisanat indigène. Bref, quand je suis revenu la nuit, après mes repérages de la journée, j’ai remarqué que l’un des objets que je convoitais, le Masque de Nacre de Palayo, avait déjà disparu. Comme je suis quelqu’un de très curieux, et surtout que j’adore me faire de nouveaux amis, j’ai fait ma petite enquête pour savoir qui avait réussi à me doubler. J’ai piraté l’ordinateur central de sécurité du musée, espérant y voir clair avec les caméras de surveillance.

-         T’as pu voir qui c’était ?

-         Eh bien non, pour la simple raison que toute la surveillance avait été coupée pendant une dizaine de minutes. Il manque dix minutes aux vidéos.

-         Une panne de courant ?

-         Non, l’interruption a eu lieu alors que je surveillais le bâtiment de l’immeuble en face. Or, je n’ai pas vu le moindre problème. Les éclairages intérieurs étaient toujours allumés, tout comme les maisons, les lampadaires et les enseignes lumineuses des alentours.

 

Cobra était maintenant au niveau de Spike. Celui-ci, de plus en plus intéressé par son histoire, haussa les épaules.

 

-         Bon, quelqu’un a donc coupé le système.

-         Bien vu, mais compte tenu de la complexité de ce système, et du nombre de personnes qui en ont la gestion – une bonne demi-douzaine – il est impossible que ce soit quelqu’un qui se soit infiltré pour le pirater au nez et à la barbe des employés. Et s’il y avait eu le moindre problème, ils auraient alerté les flics, or ils ne l’ont pas fait, j’ai vérifié. Ils n’ont signalé le vol de l’objet que je voulais que le lendemain matin, sans pouvoir donner une explication satisfaisante.

-         Conclusion, au moins l’un d’entre eux est complice. Qui c’était ?

-         Ils étaient trois.

-         Et le conservateur n’a pas eu de soupçons ?

-         Aucun, pour la bonne raison que c’est lui-même qui a monté le coup. Il n’a pas eu trop de mal à tout me raconter quand je suis passé lui rendre une petite visite.

 

Spike sentit son front se creuser. Si Cobra n’avait pas la réputation d’être un tortionnaire sadique, il n’était pas connu non plus pour être un tendre. Le directeur n’avait probablement pas vécu un moment de détente agréable en sa compagnie.

 

-         Il s’est mis à table ?

-         Plutôt deux fois qu’une. Il m’a gentiment expliqué avoir été grassement payé par un riche notable d’une autre planète pour lui procurer cet artefact. Comme il s’agissait d’un objet très ancien, il aurait fallu des mois de procédures pour pouvoir le lui transmettre par les voies légales. Et comme le notable en avait besoin pour un événement qui aurait lieu dans les jours qui viennent, il a dû trouver un moyen de se le procurer moins honnête, mais plus rapide.

-         Un simple cambriolage, je suppose. Et je parie que c’est toi qui vas en faire les frais !

-         Ce ne serait pas la première fois, et ça ne m’inquiète pas. Par contre, j’ai vu sur le bureau du conservateur un peu de documentation très instructive, notamment un dossier à ton nom, Spike. Je suis alors parti à ta recherche pour te prévenir.

 

Spike Spiegel fit la grimace.

 

-         C’est vraiment très aimable de ta part. Et que me vaut une aussi délicate attention ?

-         Pas pour protéger ta petite gueule d’amour, mon pote. Je te connais de réputation, tu en as vu d’autres, c’est sûr. Seulement, il ne s’agit pas de toi, ou de moi. J’ai l’impression que ces tordus sont en train de mijoter un sale coup, le genre de chose qui pourrait prendre une ampleur plus grande si on ne l’étouffe pas dans l’œuf.

 

Le chasseur de primes constata alors qu’il avait cessé de pleuvoir.

 

-         Du genre ?

-         Le genre qui pourrait mettre une sacrée pagaille, et tu y es déjà impliqué. Si je suis venu ici, c’est pour te faire une proposition.

-         Une proposition ? répéta Spike, pris par surprise.

 

Cobra ramassa le revolver au canon enfoncé, et le tendit à son interlocuteur.

 

-         Oui. Nous n’avons rien à gagner à nous battre entre nous, mais nous pouvons sans doute faire quelque chose de plus constructif pour ce damné univers.

-         Une noble quête en perspective !

-         Des illuminés préparent un coup foireux, et tu es l’une de leurs cibles.

-         J’ai presque failli te croire.

 

Cobra esquissa un petit sourire, Spike le lui rendit. Subitement, le pirate de l’espace agrippa son avant-bras gauche, retira d’un geste la prothèse qui dissimulait son redoutable psychogun, et le brandit en avant. Un long rayon d’énergie dorée en jaillit avec une formidable détonation, et fonça vers le ciel.

 

Spike était en position de combat, jambes fléchies, mains prêtes à frapper.

 

-         Enfoiré ! Tu crois me faire peur ?

-         Non, mais tu n’as aucune chance contre moi, et tu le sais. Cependant, j’aimerais que tu réfléchisses là-dessus : tu connais l’efficacité du psychogun, si j’avais vraiment voulu te tuer, je ne t’aurais pas raté.

-         Alors pourquoi faire le malin ?

-         Je n’ai pas fait le malin, Spike. J’ai fait un carton.

 

Le chasseur de primes sursauta et pivota sur ses talons en entendant un grand fracas derrière lui. Il vit un corps tombé sur un container à ordures. C’était un personnage habillé avec un long manteau noir à capuche. Son torse avait été transpercé de part en part par le rayon laser de Cobra, la blessure avait cautérisé immédiatement, et était encore fumante.

 

-         Tu vois ? Tu étais tellement concentré sur moi que tu en as oublié la plus élémentaire prudence.

-         J’imagine que c’est parce que tu mobilises toute mon attention. T’es sûr qu’il en avait après moi ?

-         Ce n’est pas vers moi qu’il dirigeait sa paille.

 

Spike examina attentivement le mort. Il avait effectivement les doigts crispés sur une sarbacane. Dans une poche du manteau, Spike trouva une petite boîte cylindrique contenant des fléchettes empennées. Très doucement, il en sortit une, la renifla.

 

-         C’est une drogue anesthésiante répandue, Cobra. Ce gars ne voulait pas me tuer.

-         Il voulait te capturer, j’imagine.

 

D’un mouvement, le pirate de l’espace releva la cagoule, révélant le visage d’une jeune femme au teint mat.

 

-         Jolie fille. Dommage, si j’avais su, je ne l’aurais peut-être pas tuée tout de suite.

-         On dirait que tu avais raison, Cobra !

 

Le chasseur de primes venait de sortir du portefeuille de la femme une photographie de lui en noir et blanc.

 

-         Cette femme devait être sur mes talons depuis quelque temps. Mais je me demande qui peut bien l’avoir envoyée ?

-         Cela, je te laisse le découvrir. De mon côté, je vais aller sur Pluton.

-         La colonie spatiale ?

-         Le conservateur du musée m’a dit qu’il devait y recevoir d’autres instructions. J’espère y retrouver le masque, ou à défaut une nouvelle piste sur où il se trouve

 

Une sirène de police se fit alors entendre. Les forces de l’ordre approchaient.

 

-         Je ne dois pas m’attarder. Écoute, crois-moi ou pas, mais je pense que nous avons affaire à une secte, plus répandue qu’on ne le croit. Ils ont besoin du Masque de Palayo pour un événement qui aura lieu dans les prochains jours. Je pars sur Pluton, trouve une autre piste.

-         J’espère pour toi que ça me rapportera plus que cinq millions d’urons !

 

Le pirate de l’espace fit une moue ironique.

 

-         Le montant que tu espères toucher pour ma capture ?

-         Je connais l’argus des criminels par cœur. Déformation professionnelle.

 

L’éclat des lueurs des gyrophares illuminait par intermittence la ruelle. Sans plus de cérémonie, Cobra partit en courant dans la direction opposée, et disparut rapidement dans l’obscurité. Spike le regarda courir, puis emprunta une autre issue perpendiculaire. Il n’avait pas envie de se justifier auprès des forces de l’ordre à propos du cadavre de la femme. Tout en courant, une question lui vint à l’esprit.

 

Étrange, il n’est pas sapé en rouge, d’habitude ?

 

*

 

Une demi-heure plus tard, Spike avait regagné l’hôtel. Pas un première classe, mais suffisamment propre et bien fréquenté pour qu’on ne le qualifiât pas de « trou à rats ». Le taulier lui donna la clef, il monta au quatrième étage. En haut de l’escalier, il y avait un espace aménagé avec quelques canapés sobres. Du coin de l’œil, le chasseur de primes distingua une vieille femme Noire aux cheveux blancs en train de tricoter un pull, un type entre deux âges, très grand et filiforme, et un petit garçon de quelques printemps en train de lire un comic. Alors qu’il s’engagea dans le couloir, il entendit la vieille demander :

 

-         Dis donc, junior, ça parle de quoi, ton livre d’images ?

-         C’est un chevalier sur une moto qui cherche une princesse dans un pays loin.

-         Il va la trouver ?

-         Peut-être.

-         Hou, ces dessins, ces coiffures modernes ! Ca me donne vraiment le frisson ! Comment tu…

 

La porte de bois se referma sur ces paroles. Spike s’étira, s’effondra plus qu’il ne s’assit sur le lit. Il sortit de son étui son pistolet, le regarda sous tous les angles. La balle du 77 Magnum customisé de Cobra avait littéralement pénétré dans le canon par le côté, et était restée fichée en travers.

 

Impressionnant. Heureusement que j’ai pris celui de rechange !

 

Il se releva, fouilla dans le placard, et sortit un revolver 9 millimètres d’un tiroir qu’il empocha. Après quoi, il sortit de sa valise un petit ordinateur portable qu’il alluma. Pendant les quelques minutes nécessaires à la mise en marche complète de l’appareil, il alla se passer un coup d’eau sur la figure. La soirée avait été pour le moins mouvementée. Il se sécha avec une serviette mal lavée, et s’installa devant son ordinateur. Il lança l’application de communication. Quelques secondes agrémentées de légers cliquetis plus tard, une icône représentant un visage rond et hilare apparut sur l’écran, avant de laisser place à un autre visage non moins hilare, et à peine moins irréel. Un visage de poupon au genre indéfinissable, aux pommettes rouges, et au sourire qui s’étirait d’une oreille à l’autre.

 

-         Allo, rigine de l’Homme ? Ici Déral !

-         Salut, Ed… marmonna Spike.

 

Je hais les gosses.

 

-         Alors, alors ? Comment se passe sa chasse à l’ours ?

-         L’ours s’est échappé de sa cage, mais il a été assisté par un singe malicieux.

-         Oh-ho ? Un singe lui a volé sa banane ?

-         Un singe avec une super banane laser dans le bras gauche.

 

Les yeux déjà grands de l’adolescente étaient devenus démesurés.

 

-         Quoi ? Le singe était un cobra ?

-         Oui, mais laisse tomber, j’ai pas envie de parler de ça. Je t’appelle parce que j’ai besoin de tes services sur autre chose.

-         Chante ta chanson, chanteur enchanté au chant en chantier !

 

Spike sortit de sa poche la photographie, et l’agita devant la webcam.

 

-         Quelqu’un m’a suivi et m’a pris en photo.

-         Hé bé ! Un voyageur de l’espace et du temps, ou un promeneur de la quatrième dimension ? Vieux cliché pour un cliché vieux !

-         Je sais. Justement, j’aimerais bien avoir ton avis là-dessus.

-         Tu sais par quel chemin l’image doit passer !

 

Le chasseur de primes glissa le rectangle de papier glacé dans la fente du scanner intégré de l’ordinateur. La barre de chargement se remplit en quelques secondes. Ed eut l’air terriblement concentrée, avant d’éclater de rire.

 

-         Ca y est ! Je le savais ! C’est une antiquité !

-         Je m’en doutais, mais tu n’as rien de plus précis ?

-         C’est un appareil photo modèle folding qui a fait le coup ! On l’appelle aussi « appareil à soufflet ». Il n’y a qu’à regarder sa forme pour comprendre pourquoi !

 

L’image d’un petit appareil photo tournoya sur l’écran. C’était une petite boîte rectangulaire dont l’objectif était en cuir souple repliable comme un accordéon.

 

-         Cet appareil était couramment utilisé pendant la première moitié du XXème siècle sur la Terre. Si l’on en croit la qualité de l’image, le grain, les reflets sur le glaçage du brillant, cette photo a été réalisée selon les méthodes traditionnelles. La personne qui t’a tiré le portrait est soit très, voire trop traditionaliste, soit elle vient d’un monde où le niveau technologique n’a pas dépassé celui de la période qui s’est étendue entre la Première et la Seconde Guerre Mondiale Terrienne !

-         Hum… surprenant. Maintenant que j’y pense, la tueuse avait une sarbacane.

-         Une vraie sarbacane ? Comme dans les films sur les Indiens d’Amérique du Sud terrienne ?

-         Je me demandais justement pourquoi elle n’a pas utilisé un pistolet à fléchettes.

-         Il est possiblement possible que ta tueuse n’avait pas la possibilité de s’en procurer un.

-         Je refuse de croire qu’elle ait agi seule. Je ne la connaissais pas. Et si elle m’avait suivi depuis quelques jours, elle, on n’aurait pas retrouvé de photo sur son cadavre. Quelqu’un d’autre m’a photographié pour qu’elle me reconnaisse.

-         Ho ! Ca se corse plus que du café ou bien l’Île de Beauté de la France Terrienne !

 

Les paroles de Cobra revinrent alors à l’esprit du chasseur de primes.

 

« Des illuminés préparent un coup foireux, et tu es l’une de leurs cibles. »

 

Il sentit sa figure onduler sous la frustration.

 

Pas question que je me gobe le truc sans moufter. On va jouer le jeu à ma façon.

 

-         Ed, cherche toutes les infos que tu peux sur cet appareil, où pourrait-on encore en trouver. Fais de même pour les sarbacanes et les fléchettes.

-         Oups ! Hé, ça fait un champ d’action bien trop large ! J’en ai pour des semaines !

-         Je vais tâcher de trouver d’autres indices, entre temps. Je pars au commissariat, faut que j’aille me documenter sur notre flûte enchantée.

-         D’acodac ! Bien reçu ! À vos ordres, chef ! Comme il vous…

 

Spike coupa la conversation, interrompant Ed qui, il le savait, connaissait assez de salutations différentes pour rester en ligne une dizaine de minutes. Puis il soupira.

 

Bon, par où commencer ? Ah oui ! Le commissariat du quartier.

 

Vérifiant que son arme à feu était prête à l’emploi, il rangea ses affaires, quitta la chambre et retourna vers l’escalier. La vieille Noire et le grand type étaient partis tous les deux, seul était resté l’enfant avec son comic. De retour au rez-de-chaussée, il passa devant le réceptionniste qui l’apostropha.

 

-         Monsieur Watanabe ?

-         Ouais ? répondit Spike en entendant sa fausse identité.

-         Un courrier est arrivé pour vous.

-         M’étonnerait, je n’en attends aucun.

-         C’est de la part d’un monsieur Joe Gillian.

 

Curieux, Spike se dirigea vers le gros homme. Celui-ci essuya la sueur de sa moustache et lui tendit de l’autre main une grande enveloppe de papier kraft. Elle était bien au nom de Shinichiro Watanabe. Le chasseur de primes la lui retira vivement de la main, et s’éloigna vers le fumoir. Là, il s’assura être seul, s’installa dans l’un des fauteuils, s’alluma une cigarette qu’il commença à fumer avec délectation. La première de la soirée, qui lui avait paru durer une éternité.

 

Il déchira l’enveloppe, elle contenait un dossier estampillé de plusieurs cachets de la police de l’espace. Il y avait également une petite carte au recto de laquelle était imprimé un cobra à lunettes. Sur l’autre face, le chasseur de primes lut : « Si ça peut faire avancer le Schmilblick… »

 

Un peu, mon neveu ! Ce salaud-là m’a devancé, et avec des infos d’une sacrée qualité !

 

Pas de doute, il s’agissait bien d’un dossier complet de sa mystérieuse attaquante. État civil, mensurations, empreintes, casier judiciaire… « Loé Saunders ». Pas commun, comme prénom dans ce coin-là. Apparemment, la jeune femme était d’origine martienne, descendante d’une riche famille d’investisseurs qui avaient fait fortune sur la Terre au début du 21ème siècle. Ils avaient profité d’une restructuration sur la petite île d’Haïti pour faire fructifier leur entreprise d’architecture, une dizaine d’années avant l’accident de la Gate. Ils avaient pu reconstruire leur fortune dans les colonies de Mars de la même façon.

 

Mais qu’est-ce que cette fille à papa est venue faire ici, et pourquoi me cherchait-elle ?

 

C’est alors qu’il sentit s’étirer ses commissures. Il ignorait la réponse à sa question, mais quant à savoir où la trouver… c’était évident. Vite, il sortit, entra dans une cabine téléphonique, mit sa carte dans la fente et composa un numéro.

 

-         Jet ?

-         Ouais, Spike ? répondit une voix bourrue.

-         Fais le plein du Bebop, on part chez les petits hommes verts.

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