Le Fil Conducteur

Chapitre 3 : Soul Mental Activists

4838 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/04/2020 14:38

Avec une inspiration brève et surprise, il ouvrit un œil. Un seul œil, l’arcade de l’autre était trop tuméfiée et douloureuse pour permettre le moindre filet d’image. Son audition se clarifia progressivement. Ce qu’il avait pris pour un bourdonnement confus était en réalité une série d’incantations absconses.

 

Ph’nglui mglw’nafh…

 

Les voix étaient partiellement étouffées par le bourdonnement de ses tempes que le sang faisait battre comme des tambours.

 

R’lyeh wgah’nagl fhtagn

 

La veille, encore, Edward Elric était un individu relativement ordinaire. Petit jeune homme d’une vingtaine de printemps, il était arrivé dans le Nouveau Monde quatre ans plus tôt. Issu d’une autre réalité dans laquelle il avait été le puissant Alchimiste d’Acier, son passage sur ce plan l’avait complètement délesté de ses pouvoirs. Son frère cadet d’un an, Alphonse, l’avait rejoint deux ans plus tard. Il était sa seule et unique famille. De ce passé empli d’épreuves et de souffrance, seuls subsistaient son bras droit et sa jambe gauche manquants, conséquences d’une expérience alchimique ratée, et remplacés par des prothèses mécaniques. Un faible prix à payer comparé à la joie d’avoir pu reconstituer le corps naturel d’Alphonse, désagrégé par l’expérience ratée, et d’avoir pris un nouveau départ, loin de toutes ces douleurs.

 

Mais maintenant, de nouvelles épreuves semblaient l’attendre. Il avait du mal à se remémorer les événements des dernières heures. En vadrouille avec Alphonse dans la grande ville, les lumières des théâtres et des grands magasins illuminant les rues, l’enseigne du club de jazz où ils avaient pris l’habitude de se rendre, le début du concert qui annonçait une soirée réussie, un bref passage aux toilettes, et puis brutalement cette vive sensation de piqûre au cou, avant de basculer dans les ténèbres.

 

La suite était encore moins claire, composée seulement de vagues sensations. Des palpations, des murmures fascinés, le bruit caractéristique de chaînes accompagné d’une sensation mordante aux poignets… Lui tentant de donner des coups, mais en recevant trop en retour, tandis que quelque chose lui chatouillait désagréablement l’échine… En relevant la tête, il prit conscience de l’état critique de la situation.

 

Il était la vedette d’une scène d’un autre âge. Enchaîné par les bras et les jambes entre deux grands poteaux de bois, il se trouvait au milieu d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui faisaient cercle autour de lui. Chacun portait une toge de toile rêche avec une cagoule rabattue sur leur tête, à l’exception du meneur dont le visage était caché derrière un masque de bois finement sculpté, un masque lisse avec quelques petites aspérités rappelant des tentacules sur toute sa partie inférieure. Edward constata alors qu’il était complètement nu, et que ces mystiques sectaires avaient tracé sur tout son corps des symboles cabalistiques complexes à l’encre noire.

 

-         Al…

 

Son cœur s’emballa quand il vit, quelques mètres devant lui, son frère bien aimé, dans la même posture : enchaîné, nu, et recouvert de dessins. Il semblait inconscient, mais Edward sentit l’étau broyant son cœur se desserrer d’un cran en comprenant qu’il respirait toujours. Les accords des voix se firent plus puissants, plus emballés. Les sectateurs récitaient leur mantra encore et encore. Le prêtre leva les bras et se lança dans une litanie déchaînée. Ni l’un ni l’autre des frères Elric ne put comprendre, ni même appréhender ces paroles. Les disciples chantaient toujours leur invocation. Soudain, Edward sentit tout son corps se contracter sous l’effet d’une violente douleur. Les fibres de sa chair semblaient prendre feu. Le chant monocorde s’amplifia davantage. Ses yeux s’écarquillèrent en voyant du sang suinter de toute la surface de sa peau recouverte de symboles. Un cri apeuré venant d’en face lui fit prendre conscience qu’Alphonse était victime du même sort, et venait de se réveiller sur le coup de la douleur.

 

-         Ed !

-         Al !

-         Qu’est-ce… qu’est-ce que… ?

-         J’en sais rien !

 

Edward éprouva une furieuse douleur au niveau de l’épaule droite. Une fulgurante sensation lui enflamma littéralement tout le côté. Les chants des disciples en pâmoison s’accentuaient, ressemblaient de plus en plus à des orgasmes lascifs. Le jeune homme entendit un immonde gargouillis, et soudain, halluciné, il vit son bras artificiel remuer, bouger, et sortir peu à peu de ses attaches, irrésistiblement poussé en avant. Sa peau se déchira, et sa prothèse fut éjectée en avant par un véritable bras de chair et de sang. Il cria de toutes ses forces.

 

-         Rais !

-         Rais !

-         I’a !

-         I’a !

 

Son nouveau bras était libre, alors que le bras mécanique, suspendu à la chaîne, cogna sur le poteau. Pendant un instant, il caressa le très fugitif espoir de pouvoir se défendre contre le groupe, mais les effets de la drogue, des précédentes tortures de ces hommes et femmes l’empêchaient de se relever. Et puis une autre douleur lui perfora la hanche gauche, quand une nouvelle jambe naturelle chassa la métallique. C’en fut trop pour le jeune homme qui s’évanouit.

 

*

 

Quand il reprit connaissance, son sort ne s’était pas amélioré. Toujours nu et solidement enchaîné par les poignets et les chevilles, il avait été enfermé dans une cellule sombre et humide. Des rats se battaient non loin de lui. À travers les barreaux, il put distinguer la maigre silhouette de son frère, dans la même posture. Alphonse était tête baissée, mais sa poitrine se soulevait lentement au rythme de sa respiration.

 

-         Al… ? Al !

 

Mais Alphonse ne répondit pas, encore évanoui. C’est alors qu’Edward se rendit compte qu’il éprouvait quelque chose qu’il n’avait pas ressenti depuis qu’il avait quitté son pays natal. Il sentit encore son cœur faire une galipette.

 

Les flux alchimiques… ils circulent à nouveau en moi ! Mais comment… ? Ca vient peut-être de ces tordus, et de leur cérémonie ! Je ne sais pas ce qu’ils ont voulu faire, mais… ils m’ont rendu mes pouvoirs !

 

Tout allait changer. Grâce à ses facultés, il pouvait changer en poussière les lourdes chaînes d’un seul geste, et sortir de cette prison avec son frère. Encore fallait-il pouvoir faire ce « seul geste »… Il était si solidement attaché qu’il ne pouvait pas bouger les bras de plus de quelques centimètres. Il tira, tira, et ne réussit qu’à s’écorcher les poignets. Il grinça de frustration et de douleur.

 

Pas comme ça… c’est trop bête !!!

 

Une petite lueur d’espoir tremblota dans l’esprit embrumé du jeune homme. Comme il avait eu accès à une source de pouvoir particulièrement puissante et dangereuse quelques années plus tôt, il avait gagné la possibilité d’utiliser l’Alchimie instantanément, à condition de pouvoir joindre ses mains au moins une demi-seconde avant de les appliquer sur la matière à transmuter, ce qui lui était impossible. Mais il pouvait toujours recourir à des moyens plus conventionnels pour faire appel à ses capacités. Il tourna la tête vers la gauche. Après une petite moue d’appréhension, il ouvrit la bouche, inspira un bon coup, et mordit sa lèvre inférieure. Il sentit ses dents déchirer la muqueuse, et le goût cuivré du sang lui picota la langue. Il attrapa le coin blessé de sa bouche de ses incisives, et suça la plaie, tout en faisant monter de la salive du fond de sa gorge. Puis il tritura le tout de longues secondes avec la langue. Quand il estima en avoir assez fait, il aspira le plus fort qu’il put, et cracha de toute son énergie dans sa main ouverte. Le mélange de salive et de sang s’écrasa sur sa paume. Il replia son médius, le barbouilla de cette substance, et traça lentement et avec application quelque chose sur le mur de pierre auquel était fixé le bracelet de fer qui le retenait.

 

L’opération lui prit plusieurs minutes. Inlassablement, il pompait son sang, le mêlait à sa salive, crachait sur sa main, et continuait à dessiner le symbole cabalistique. Il se tordait le cou afin de distinguer tant bien que mal ce qu’il traçait, mais son œuvre prenait forme. Quand enfin, il estima le résultat satisfaisant, il posa ses doigts sur le dessin, se concentra.

 

Allez, mon pote ! Tous les alchimistes peuvent utiliser leurs pouvoirs sur quelque chose portant leur cercle ! Tu peux le faire !

 

Et le miracle se produisit. Le parpaing qui retenait l’anneau métallique tomba instantanément en sable. La chaîne se décrocha, et Edward se retrouva à genoux, le bras droit retenu par l’entrave de fer. Il en eut les larmes aux yeux de soulagement. Il se releva, très péniblement, joignit ses deux mains et les posa sur le mur. La chaîne qui retenait son bras droit tomba à son tour. Il ne mit que quelques secondes à retirer les bracelets et à détacher ceux qui enserraient ses pieds. Enfin, il força les barreaux de sa cage à s’écarter suffisamment pour sortir. Il était anéanti, mais libre. Il se traîna vers la cage dans laquelle était retenu Alphonse, et fit tomber la serrure en morceaux. Il délivra le petit jeune homme en un instant, et l’assit doucement par terre.

 

-         Oh…

-         Al ?

-         Grand frère… je savais… que tu me sortirais de là…

-         Ça va ?

 

Alphonse se mit debout avec l’aide de son frère.

 

-         Ed, où sommes-nous ?

-         J’en sais rien. Une prison, un asile de dingues, ou quelque chose comme ça.

-         Qui sont ces types ?

-         On va devoir le découvrir. Mais d’abord, faut qu’on sorte d’ici ! Tu peux marcher ?

-         Je crois, oui… mais j’ai mal partout.

-         Moi aussi.

-         Grand frère, qu’est-ce qu’ils nous ont fait ? Je me sens bizarre.

 

Edward regarda son frère droit dans les yeux, et eut un petit sourire.

 

-         Ils ont invoqué des puissances mystérieuses. Et crois-le ou pas, mais ça nous a rendu nos pouvoirs !

-         Sans blague ?

 

C’est alors qu’Alphonse remarqua que le contact des mains d’Edward était doux et agréable. Rien à voir avec le froid mordant de sa prothèse métallique. Il prit doucement le poignet droit d’Edward, et écarquilla des yeux surpris.

 

-         Mais… mais…

-         Tu vois ? Leur rituel a fait repousser mon bras et ma jambe !

-         C’est… formidable ! Et, attends !

 

Alphonse joignit ses mains et empoigna deux des barreaux de la cellule. Les barreaux se changèrent en un clin d’œil en deux épées courtes.

 

-         Moi aussi, Ed ! Je suis à nouveau un Alchimiste !

-         Modérons l’enthousiasme, frangin. Si nous avons de nouveau nos pouvoirs, c’est à cause d’une cérémonie occulte sans doute malsaine. T’as vu dans quel état ils nous ont laissé ? Et, à ton avis, c’est quoi, tous ces gribouillages ?

-         Tu… tu veux dire que c’est peut-être seulement provisoire ?

-         J’espère que non, mais si c’est le cas, on a intérêt à ne pas traîner davantage !

 

Ils furent alors interrompus par le bruit d’une lourde porte qu’on ouvrait au loin.

 

-         Ils arrivent, grand frère ! Qu’est-ce qu’on fait ?

-         Tu sauras te battre ?

 

Alphonse frissonna, et s’appuya contre le mur.

 

-         Je… je ne sais pas, grand frère.

 

L’aîné tendit l’oreille.

 

-         C’est un type seul. Si ce n’est pas le gourou, il n’a aucune chance contre moi.

 

Edward poussa délicatement son frère contre la paroi, l’incitant à se cacher dans l’ombre. Puis il saisit l’une des épées, et fléchit les jambes, prêt à bondir. Le rond de lumière d’une lampe torche approchait, tandis qu’une voix bourrue marmonnait des syllabes inintelligibles. L’Alchimiste d’Acier vit passer devant la cage un homme lourd, entre deux âges. Il était flasque, et laid : la peau anormalement pâle, de gros yeux globuleux saillant de leurs profondes orbites par-dessus un nez épaté, et d’épais sourcils menaçants sous un crâne aux cheveux pratiquement inexistants.

 

-         Allez, les mornaves ! On va y retourn… hé !

 

Le geôlier venait de remarquer l’état de la porte de la cage où avait été enfermé Edward. Ce dernier ne lui laissa pas le temps de s’interroger plus. Il se jeta sur lui, le projeta sur le mur, et lui coinça l’épée sur la gorge.

 

-         Écoute bien, gros plein de viande : j’ai une envie folle de te saigner comme un porc, mais si tu réponds à mes questions sans jouer au con, t’as une petite chance de t’en sortir. T’as pigé ?

 

Sans desserrer les lèvres, l’homme fit oui de la tête, affolé et ruisselant de sueur.

 

-         Bien. Première question : où sommes-nous ? Attention, si tu parles trop fort, tu vas te retrouver avec ma lame dans le gosier !

-         Nous… nous sommes dans les sous-sols… du temple.

-         Un temple, d’accord. Dans quel pays ?

-         Pas loin… pas loin de la ville où l’on vous a trouvés.

-         Okay… Pourquoi nous ?

-         Vous… vous avez été choisis… avec d’autres… par nos grands prêtres…

-         Et qu’est-ce qu’ils voulaient faire avec nous ?

-         Ils… nous voulons préparer… Sa venue, Son grand retour.

-         Et cette cérémonie, c’était pour ça ?

-         Oui, souffla l’homme. Mais je ne sais rien d’autre ! Je ne suis qu’un… exécutant !

-         C’était prévu, que mon bras repousse ?

-         Non ! Même Maître Marsh ne l’avait pas prévu…

 

Edward cligna des yeux, réfléchissant à la suite. Enfin, il demanda :

 

-         Qui voulez-vous invoquer ?

-         …

-         Qui doit venir ?

-         …ne peux pas…

 

L’Alchimiste d’Acier appuya plus fort la lame sur le cou moite de son prisonnier.

 

-         Tu vas répondre, oui ?

-         Non ! Je ne peux prononcer Son nom.

-         Tu te fous de moi ?

-         Je vous jure que non ! Mais je suis indigne de Lui ! Seul Maître Marsh a le droit de prononcer le nom de notre Dieu sans offenser Celui-ci !

-         Tu vas me dire qui est ce Dieu, et tout de suite !

-         Jamais ! Sinon je risque de mourir dans d’atroces souffrances !

-         C’est possible, mais si tu ne me le dis pas, tu vas vraiment souffrir, et ça c’est sûr !

 

Un filet de sang perla sur la lame de l’épée courte. L’homme finit par céder :

 

-         C’est…

 

Soudain, il poussa un hurlement suraigu. Sans la moindre hésitation, Edward lui trancha la carotide, faisant gicler des flots d’hémoglobine. Le geôlier s’effondra, avec un affreux bruit de dégonflement.

 

-         Mince, grand frère, tu l’as tué !

-         Il allait alerter tout le monde, avec ses cris !

-         Oui, mais est-ce que… hé ! C’est quoi, ça ?

 

Edward pivota sur ses talons, prêt à frapper. Incrédule, il vit quelque chose remuer sous le pull de laine du geôlier qui s’imbiba de sang. Une espèce de ver de dix centimètres de diamètre sortit du ventre de l’homme, rampant sur son flanc. Une deuxième vermine suivit, puis une troisième.

 

-         Attention !

 

Alphonse, qui avait gardé sa propre épée courte, la changea en javeline, et transperça l’une des créatures. Edward taillada les deux autres dans un concert de crissements suraigus.

 

Quand le calme fut revenu dans le sous-sol, le cadet murmura :

 

-         Tout compte fait, tu lui as peut-être épargné une terrible souffrance.

-         Ces saletés ont dû commencer à lui dévorer les tripes au moment où il allait prononcer le nom de son Dieu.

-         Faut qu’on se barre, ces types sont tous des allumés !

 

Chacun une épée courte en main, ils se dirigèrent à pas de loup vers la sortie. Au-delà de la porte, il y avait un escalier de marches de pierres glissantes et couvertes de mousse. Alphonse tremblait de froid… et de peur, il le reconnut sans honte. Edward était trop furieux pour reculer. En haut des marches, une porte s’ouvrait sur un corridor éclairé par des lampes tamisées. Alphonse posa vivement sa main sur son épaule.

 

-         Écoute !

 

En tendant l’oreille, l’aîné perçut les murmures d’une litanie. En tournant la tête vers la gauche, il comprit que cela venait du fond du couloir. Il y avait plusieurs portes le long des murs, et une tout au fond. Des rais de lumière filtraient à travers les divers interstices du bois craquelé.

 

-         Non, on ne va pas les affronter, ils ont peut-être des flingues !

-         Où va être la sortie ?

-         Essayons par l’autre côté.

 

Edward posa lentement les orteils sur le tapis, priant pour que les lattes du plancher ne craquassent pas. Le son fut absorbé par la moquette sale. Il fit un pas vers la droite, puis un autre, vers la porte au bout du couloir. Alphonse retint sa respiration, regardant alternativement son frère, puis la porte de gauche d’où venaient les voix, les doigts serrés à les faire blanchir sur la garde de son épée. Avec d’infinies précautions, Edward abaissa la poignée, poussa très doucement la porte. Un courant d’air frais leur donna la chair de poule, ils virent l’extérieur au-delà de l’encadrement de bois. Alphonse rejoignit Edward sur la pointe des pieds, craignant de voir une dizaine d’encagoulés surgir au dernier moment. Mais rien de tel n’arriva. Les adorateurs semblaient trop absorbés dans leurs délires. Ils franchirent la porte, arrivant dans le jardin d’une grande propriété isolée. Quelques lampadaires éclairaient des sentiers tortueux agrémentés de plantes exotiques et de buissons de ronces.

 

-         Tu vois quelqu’un, grand frère ?

-         Personne. On s’arrache !

 

Et les deux frères se précipitèrent dehors. Bravant le froid et les ténèbres, ils coururent, coururent vers la sortie près de laquelle étaient garées quelques voitures. Ils s’arrêtèrent devant la lourde grille noire, bien évidemment fermée à clef.

 

-         Tu crois… qu’on peut prendre… une voiture ? demanda Alphonse en reprenant son souffle.

-         Non, le bruit… les attirerait… Mais on peut faire autre chose… regarde !

 

Edward se rapprocha d’une des voitures, souleva le capot, et posa ses mains sur le moteur, le changea en une masse de métal informe en quelques secondes. Alphonse l’imita, bientôt les quatre voitures étaient devenues inutilisables. Le lourd cadenas qui retenait la grille fut le suivant à déguster leur pouvoir. Dans un sinistre grincement, les deux grandes portes métalliques s’écartèrent. Un coup de tonnerre assorti d’un éclair éblouissant ponctua l’évasion des frères Elric.

 

*

 

Alphonse avait toujours la peur au ventre. Il pleuvait à torrent, les éclairs zébraient le ciel et la pluie tombait tellement fort qu’on n’y voyait pas à plus de quelques mètres. Le cadet s’attendait à voir à tout moment entendre les cris enragés des cultistes à leur poursuite. Il jetait des coups d’œil furtifs par-dessus son épaule, guettant les lumières de lampes torches, des aboiements de chien ou tout autre signe d’éventuels poursuivants. Le vent siffla à ses oreilles, renforçant encore sa chair de poule.

 

-         Grand frère…

 

Edward, toujours devant lui, ne l’avait pas entendu.

 

-         Grand frère !

-         Quoi ?

 

Alphonse sursauta en voyant le visage de son frère tordu par la hargne.

 

-         Je… j’ai peur !

-         Faut continuer ! On peut le faire ! Traîne pas !

 

Et Edward accéléra le pas. Ils arrivaient au sommet d’une colline. Alphonse sentit soudain la terre se dérober sous ses pieds. Il s’étala dans la boue. Il tenta de se relever, en rassemblant ses dernières forces, mais n’y arriva pas, et son visage s’écrasa de nouveau au milieu de la terre molle. Il sentit alors des larmes lui brûler les yeux.

 

Si seulement j’avais encore un corps d’acier… non ! Je ne dois pas penser une telle horreur ! Grand frère, je n’en peux plus !

 

Deux mains glissées sous ses aisselles le redressèrent. C’était celles d’Edward, qui l’aida à se remettre debout. Il le maintint par les épaules, et lui dit avec un ton plus chaleureux :

 

-         On y arrivera, petit frère ! Je te le promets. Reste avec moi !

-         D… d’accord.

-         J’ai repéré une route un peu plus bas, en la suivant on arrivera à une ville !

-         Allons-y !

 

Et les deux frères repartirent. Edward dévala la colline le premier. Il y alla un peu trop rapidement, mais garda l’équilibre. Il se retrouva sur l’asphalte, et une fois stable, il se tourna vers le sommet de la colline.

 

-         Bon, amène-toi, on va pouvoir…

 

Un coup de Klaxon le fit sursauter alors que les feux de route d’une voiture l’éblouirent. Il fit volte-face, juste à temps pour voir arriver une masse sombre droit sur lui. Puis ce fut le choc. Tout son corps s’écorcha en roulant sur le goudron, puis il se stabilisa. Deux voix masculines retentirent.

 

-         Bordel, je t’avais dit que tu roulais trop vite !

-         Hé, c’est un gamin ! Qu’est-ce qu’il fout à poil ?

-         Fiston, vous nous entendez ? C’est la police !

-         Merde, il faut l’emmener !

-         T’as vu ces dessins ? C’est un pervers !

-         Ou la victime d’un tordu !

 

Une vague de douleur submergea le jeune homme. Juste avant de perdre connaissance, il entendit son frère crier désespérément :

 

-         Grand frère !!!

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