Le Fil Conducteur

Chapitre 4 : Beetle of the Sanctuary

5594 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/04/2020 14:39

-         Prends ça !

 

Avec un « tac » sonore, la fléchette se planta dans la surface de bois. Un portrait représentant un jeune homme aux longs cheveux noir de jais et à l’air déterminé avait été collé sur la cible. Et le dard métallique avait atteint son but, pile au milieu de la pupille gauche.

 

-         Et maintenant, ceci !

 

Nouveau sifflement, nouveau claquement, nouvelle fléchette, cette fois dans l’œil droit. Le lanceur s’approcha du mur, et réprimanda plus qu’il ne se moqua de l’affiche.

 

-         Et alors, courageux petit dragon ? T’es bien ennuyé, maintenant ! Plus miro qu’un ver de terre ! Ha ha ha !

 

Il avait ri sans la moindre joie. Sa colère monta d’un cran, il cracha, dents serrées :

 

-         Maudit pretenzioso

 

Il se détourna du mur, et quitta la chambre. En entrant dans le hall, il tenta désespérément de ne pas prêter attention à la forme cubique et dorée qu’il savait postée sur sa gauche. Peine perdue, son regard y fut irrésistiblement attiré. C’était une grande vitrine immaculée, conçue dans une matière aussi indestructible que transparente – une invocation divine. À l’intérieur reposait une singulière œuvre d’art ; une armure. On ne pouvait cependant pas la qualifier seulement ainsi, c’était beaucoup plus que cela. Elle était en or massif, rutilante, elle brillait de mille éclats. Le forgeron qui l’avait jadis fabriquée avait dû passer des dizaines et des dizaines d’heures à peaufiner chaque partie, chaque pièce, de manière à ce que tous les éléments pussent s’imbriquer parfaitement les uns dans les autres, conjuguant une protection optimale à un agréable confort, tout en respectant l’aspect esthétique. En effet, l’armure était décorée de nombreux motifs stylisés. Mieux, lorsqu’elle était rangée sur son socle, comme c’était présentement le cas, tous les éléments, du pectoral aux jambières, des épaulettes au ceinturon, en passant par le diadème orné de huit branches rappelant les pattes d’un crustacé, étaient assemblés de manière à construire un immense crabe d’un mètre de hauteur.

 

Cette armure était autrefois la plus grande fierté de son possesseur. Aujourd’hui, elle n’incarnait plus que honte et amertume. Il contempla fixement son bien enfermé dans la vitrine. Son esprit lui souffla alors l’image de celle qu’il estimait responsable de son malheur. Ce fut la pensée de trop.

 

-         Cagna !

 

Il abattit son poing à toute force sur la paroi transparente. Ses os craquèrent sous l’impact, alors que le diamant n’avait pas la moindre fissure. Du sang coula entre ses phalanges serrées à en éclater, il ne s’en rendit même pas compte. Voyant son propre reflet anéanti en transparence dans la surface polie, il tâcha de se ressaisir. Tous avaient appris à craindre son nom. Il était connu comme étant Angelo, Chevalier d’Or du Cancer, ou Death Mask, ou bien Desumasuku, ou encore Masque de Mort, l’identité qu’il affectionnait le plus. Sa force, son habileté et son manque total de remise en question avaient fait de lui un guerrier prestigieux. Mais il n’était plus question de cela, à présent. Sans son titre, sans son armure, il n’était plus rien.

 

Tout ça à cause de ce stupido condottiere !

 

En effet, des années plus tôt, le Chevalier d’Or avait affronté un petit jeunot inexpérimenté mais redoutable, un Chevalier entraîné en Chine, associé au dragon oriental. Celui-ci, bien qu’aveugle, beaucoup moins fort que lui, avait réussi à le battre. Il l’avait laissé pour mort sur le carrelage de son sanctuaire avant de continuer son chemin.

 

Mais tout aurait été différent sans sa maudite trahison !

 

« Trahison » était le mot qui revenait sans cesse à Angelo quand il pensait à elle. Saori Kido, la présidente de la société Kido, dévouée aux bonnes œuvres et à l’aide de son prochain. Telle était l’identité officielle de la réincarnation de la Déesse de la Justice, Athéna.

 

Justice, mes fesses !

 

Il aurait pu le vaincre. Il avait largement le potentiel pour écraser ce petit chevalier qui avait osé le défier. Mais c’était sans compter la mauvaise foi outrageuse d’Athéna. Alors qu’il allait donner à ce prétentieux le coup de grâce, toute son énergie s’était subitement retrouvée bloquée, et son armure avait quitté son corps, pour ne plus jamais le recouvrir. Athéna avait parlé, et le Chevalier de Bronze du dragon l’avait vaincu.

 

Vaincu…

 

Vaincu par cet amateur. Trahi par celle qu’il avait juré de protéger au péril de sa vie… c’était le monde à l’envers. Un monde qu’il ne comprenait pas, et refusait de comprendre. Avant cet affront, la déesse lui avait dit qu’il n’était plus digne de son titre, et les âmes de ses victimes étaient venu le hanter… tant d’artifices qui lui avaient semblé vains sur le moment, comparé à la noblesse de sa mission et de la grandeur d’âme qu’il estimait avoir déployé pour l’accomplir.

 

Et depuis, il était resté dans son temple, au sanctuaire, et n’osait plus sortir, n’ayant pas envie de subir les brimades de l’un ou l’autre de ses frères d’armes. Il cherchait désespérément un moyen de sortir de la fange dans laquelle le petit dragon l’avait plongé.

 

Il se retourna en un sursaut. Quelqu’un venait de frapper à la porte de son temple – où qu’il fût dans le bâtiment, il pouvait l’entendre, son temple était une extension de lui-même. Il quitta l’antichambre à l’armure, avança le long d’un couloir sombre, aux murs recouverts de masques grimaçants, et ouvrit l’immense double porte.

 

Pour la première fois depuis déjà plusieurs semaines, il sentit l’air libre lui caresser le visage. Une sensation agréable, presque bienfaisante, rapidement envenimée par les relents du houblon fermenté.

 

-         Salut, mon pote ! Ça gaze ?

 

Angelo grommela en voyant devant lui Aphrodite, le Chevalier d’Or des Poissons, le seul Chevalier d’Or à avoir encore un tant soit peu de considération pour lui. Comme à son habitude, il tenait à la main une grande chope contenant un breuvage doré, et mousseux. Son allure et son haleine confirmaient qu’il était déjà bien éméché.

 

-         Qu’est-ce que tu veux, Aphrodite ?

-         La patronne te demande, Angelinouchet !

-         T’es encore saoul.

-         Ben quoi, mon grand ? Un petit coup de jus de pomme n’a jamais fait de mal à personne, non ?

 

En un éclair, Angelo agrippa le Chevalier d’Or à la gorge, par-dessus son col métallique. Celui-ci, trop ivre pour se défendre, n’osa pas bouger. D’une voix terrible, le Chevalier du Cancer siffla :

 

-         Ne joue pas avec mes nerfs, strano ! Jamais cette garce ne s’intéresserait de nouveau à moi !

-         Hé… calmos ! T’entends… comment que tu parles… de la Déesse de la Justice ?

-         Tu parles ! S’il y avait une justice, j’aurais écrasé cette petite saloperie de lézard chinetoque pour la plus grande gloire d’Athéna.

-         Je… écoute… c’est vrai… elle veut te… elle veut te voir.

 

Angelo plissa les yeux, les réduisant à deux fentes étroites d’à peine une poignée de millimètres. Aphrodite n’avait pas l’air de plaisanter.

 

-         Bon… J’espère que ça en vaut la peine, dans son intérêt !

 

Il relâcha sa pression sur le cou de l’autre, qui tomba lourdement sur les marches. Fermant la porte derrière lui, le Chevalier du Cancer descendit l’escalier, pas à pas. Il se retourna une dernière fois en direction d’Aphrodite.

 

-         Je t’ai déjà dit que tu ressembles à une transsexuelle malheureuse en amour, Aphrodite, ce qui est déjà peu ragoûtant. Mais voir un simulacre de femme complètement ivre, c’est une insulte pour l’œil !

-         Oh, l’autre, eh…

 

Mais le Chevalier des Poissons ne put trouver mieux à dire. Et de toute façon, le temps qu’il mit à trouver quelque chose, son camarade était déjà loin.

 

Angelo monta les escaliers du sanctuaire l’un après l’autre. Aucun autre Chevalier d’Or ne daigna lui adresser la parole, ni même paraître devant lui. Enfin, au bout d’une ascension à la durée indéterminable, il se retrouva devant le palais d’Athéna. Il hésita, regarda ses mains, son maillot de corps orné de taches sombres, et se frotta le menton, sentant les poils de sa barbe naissante. Il se surprit à se demander s’il était présentable.

 

En même temps, quand je vois ce que devient Aphrodite, ça n’a plus d’importance.

 

Déterminé à tout encaisser, il gravit les marches du palais, passa entre les grandes colonnes, et franchit la grande porte principale pour se retrouver dans la salle d’audience.

 

Il vit Saori Kido, installée sur son trône. Malgré toute la rancœur, le cynisme et la bile qui avaient empli ses tripes depuis sa déchéance, malgré le mépris, la colère, les sentiments sanguinaires, son cœur se serra. Comment une personne si frêle, si fragile, si dévouée, au visage si serein, pouvait avoir un jugement aussi tranchant, et une telle influence sur les événements ? Le plus incroyable, c’est qu’elle ne semblait éprouver aucune émotion, alors qu’elle connaissait aussi bien que lui le fond de sa pensée.

 

Angelo rompit le silence.

 

-         Je n’ai pas de temps à perdre. Que voulez-vous ?

 

La jeune femme aux cheveux de soie rose ouvrit les yeux, et soutint son regard rageur.

 

-         Angelo, Chevalier d’Or du Cancer, Quatrième de mes fidèles serviteurs… tu es vraiment tombé bien bas.

-         C’est vous qui m’avez poussé dans le gouffre, et vous le savez ! aboya le grand homme.

 

Malgré la violence des paroles de son interlocuteur, la jeune femme ne réagit pas.

 

-         Je vois que tu n’as toujours pas compris où je voulais en venir.

-         Vraiment ? Me priver de mes pouvoirs, me laisser battre par un amateur mythomane, et me condamner à un isolement qui jette l’opprobre sur mon nom, vous estimez que ce n’est pas assez clair, pour moi ? Vous avez eu peur que je surpasse votre puissance, aussi avez-vous agi ainsi, quand je ne voulais que servir votre plus grande gloire !

-         Les objectifs de ce Chevalier de Bronze étaient nobles. Tes compagnons l’ont compris, je regrette que ton jugement soit encore aveuglé par la rage et la fierté.

-         C’est tout ce que vous avez daigné me laisser, la rage et la fierté. Le seul moteur qui me permet de tenir le coup, et de ne pas finir comme cette lavette d’Aphrodite !

-         Aphrodite n’a pas perdu son amour-propre, contrairement à ce que tu sembles croire. Je suis navrée que tu interprètes les choses de cette façon, Angelo.

 

Angelo sentit son visage se renfrogner tellement qu’il en eut des crampes. Il se retourna d’un geste, les mains sur les poignées de la porte, prêt à quitter le sanctuaire.

 

-         Angelo, attends !

 

Mais le Chevalier d’Or n’écoutait plus la jeune femme. Celle-ci parla plus fort :

 

-         Tu vas manquer la dernière chance qu’il te reste, Angelo du Cancer !

 

Le grand homme, qui avait à moitié franchi le pas de la porte, s’arrêta net. Pas par décence, ni par un vague espoir, simplement par curiosité.

 

Qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir me raconter, comme bobard ?

 

Lentement, il pivota sur ses talons, le regard signifiant clairement que cette « dernière chance » s’appliquait également à la déesse.

 

-         D’accord. Surprenez-moi !

-         Je sens bien que tu n’as plus la moindre foi en rien ni personne, pas même tes propres capacités. Moi, j’ai toujours foi en elles, Angelo, même si tu imagines le contraire. Tu ne le vois pas, et tu continues à ruminer dans ta retraite. Or, pendant ce temps-là, très loin d’ici, un peuple tout entier est menacé.

 

Le Chevalier haussa les sourcils.

 

-         Ah oui ?

-         En effet. Ton passé ne peut être changé, Angelo, mais il en va autrement de ton avenir. Tu as un avenir qui peut s’annoncer meilleur que ce que tu sembles penser. Et pour redonner espoir à ton avenir, tu devras rectifier quelque chose qui s’est produit dans le passé.

-         De quoi parlez-vous ?

-         Te rappelles-tu de la grande catastrophe qui a eu lieu il y a plus de soixante ans de l’autre côté de l’Atlantique ?

-         Vous voulez parler de l’inondation sur toute la côte ?

-         Des millions de personnes noyées en à peine quelques heures, des villes entières disparues sous les flots de la mer… C’était un 2 avril.

-         Personne n’a jamais rien pu faire pour l’empêcher.

-         En effet, parce que personne n’a compris ce qui s’est vraiment passé.

 

Angelo eut un sourire narquois.

 

-         Et je suppose qu’Athéna, la grande déesse clairvoyante, a maintenant la réponse ?

-         En contemplant des heures et des heures durant les fils du temps et de l’espace, j’ai enfin perçu la raison de ce cataclysme.

-         Mais pourquoi avoir cherché ? Notre rôle n’est pas de prévenir les catastrophes naturelles !

 

En prononçant ces paroles, il sentit alors une petite étincelle tiquer dans un recoin de son esprit torturé. Oui, la déesse Athéna ne l’aurait jamais ainsi convoqué s’il n’y avait pas quelque chose de plus « officieux » qu’une simple catastrophe naturelle. Et la réponse de la jeune femme confirma ses dires.

 

-         Ce cataclysme n’était pas un accident, ni le fruit du hasard, Angelo. C’est l’œuvre délibérée d’une menace bien réelle. Hier soir, j’ai enfin déterminé de qui il s’agissait en consultant les calendriers stellaires. Les signes ne trompent pas, il y a eu ce jour-là une conjonction des astres très particulière.

-         Et cette conjonction a provoqué une telle marée ?

-         Non, mais elle a permis l’entrée sur notre terre d’une entité maléfique particulièrement hostile. Une divinité venue du fin fond de l’univers il y a des temps immémoriaux, enfermée par Zeus et d’autres dieux de sa puissance dans une cité engloutie. Les Premiers Dieux avaient scellé le champ de force retenant cette cité prisonnière au fond des abysses, mais ce jour maudit, les étoiles se sont positionnées dans une configuration telle que cette barrière s’est dissipée.

-         Et alors… ce dieu a pu s’échapper. J’imagine qu’il a laissé éclater sa colère et son excitation une fois libre.

-         Tu imagines bien, Angelo. Et toute une partie du Nouveau Monde en a payé le prix.

 

Un court silence plana dans la salle du trône. Sans s’en rendre compte, le Chevalier d’Or s’était rapproché de la déesse.

 

-         Tout ceci est très touchant, un vrai roman photo, mais quel est le rapport avec moi ?

-         Maintenant que je connais l’origine de ce désastre, et que j’ai vu qu’il s’agissait d’une affaire qui nous touche, nous les dieux, j’ai le droit d’intervenir. Enfin… pas directement, je dois rester ici, au Sanctuaire. Mais je peux faire appel à mes serviteurs, leur demander d’aller régler ce problème.

-         Vous allez vous adresser aux Chevaliers d’Or de cette époque ?

 

La déesse Athéna n’aurait aucun mal à parler à l’un ou l’autre de ses serviteurs, voire à sa réincarnation passée ou future, par le biais des rêves, des visions, et autres oracles.

 

-         Nenni, Angelo. Ils ont tous leurs obligations à remplir. Ils ne peuvent se dérober à leur destinée. En revanche, je peux directement envoyer l’un des Chevaliers d’Or qui me servent actuellement à travers le temps et l’espace pour prévenir cette catastrophe.

-         Ah… Et alors, qui enverrez-vous ? Aldébaran ? Mû ?

-         Ne te fais pas plus sot que tu ne l’es, Angelo du Cancer. Ce sera à toi de t’en charger.

 

Je le savais. Voilà ! Un excellent moyen de se débarrasser complètement de moi !

 

-         Il ne s’agit pas de te rejeter pour de bon, Angelo. Non, pas besoin de lire dans tes pensées pour voir tes sentiments, l’expression sur ton visage suffit.

-         Vous ne savez rien de mes sentiments, Saori Kido ! cracha le Chevalier d’Or avec agressivité, pour avoir le dernier mot.

 

La jeune femme ne haussa pas le ton pour autant.

 

-         Tu as raison, je m’égare. Angelo, Chevalier d’Or du Cancer, je te donne une dernière occasion de racheter ton titre et ton honneur. Tu as le choix entre passer le reste de ta vie à te lamenter sur ton sort dans ta retraite, ou me prouver que tu es bien celui que prétends être, et reprendre ta place parmi tes frères d’armes. Ce que je te demande, c’est d’empêcher la mort de centaines de milliers de gens. Quel mal peux-tu y voir ? Il n’y a aucune cause plus noble que protéger autrui. De quoi as-tu peur ? Crains-tu pour ta vie ? Tu es pourtant un valeureux guerrier. Qu’as-tu d’autre à perdre ?

 

Angelo serra les dents, mais dut admettre intérieurement qu’Athéna avait raison. Il n’y crut pas immédiatement quand il entendit sa propre voix murmurer :

 

-         Que dois-je faire ?

-         Tu vas franchir le temps et l’espace pour gagner un lieu où de sombres individus complotent contre les citoyens de la côte est du Nouveau Monde. Là, tu suivras ta route. Elle te guidera jusqu’au Mal Cosmique Ultime.

-         Est-ce que ça vous dérangerait d’être plus claire ?

-         Je ne peux t’en dire davantage. Tu devras te débrouiller seul, suivre le chemin que te dictera ton cœur.

-         D’accord. Quand vous aurez ouvert cette cage qui retient mon armure.

-         Angelo, je n’ai jamais dit que tu récupérerais ton bien de suite.

 

Le Chevalier d’Or sentit son cœur manquer un battement.

 

-         Quoi ?

-         Tu as bien entendu, Angelo. Il faudra partir dans cette époque sans arme, ni armure. Ta cosmo-énergie seule sera ton épée et ton bouclier, jusqu’à ce que tu m’aies définitivement convaincue que tu sois digne de redevenir tel que tu étais avant ta déchéance.

-         Et vous croyez que ça me suffira ?

-         J’en suis certaine.

 

Angelo n’était pas convaincu pour autant.

 

-         N’importe lequel des onze autres Chevaliers d’Or aura bien plus de chances de réussir ce que vous demandez. Pourquoi envoyer le moins motivé d’entre eux, devenu le plus faible par-dessus le marché ?

-         Pour lui prouver qu’il n’est faible que parce qu’il en est persuadé. Et parce qu’il est celui dont les convictions sont les plus fortes, ce qui lui permettra de résister mentalement à tous les dangers qui menaceront son équilibre psychologique.

 

Un léger sourire flotta sur son visage d’ange alors qu’elle terminait cette phrase. Angelo réfléchit encore, et finalement il sentit ses épaules s’affaisser de lassitude.

 

-         Bon, je le reconnais, je ne tiens plus à grand-chose, maintenant. J’en ai marre. Je veux que ça change. Plutôt crever que de continuer à me morfondre. Allons-y, emmenez-moi donc à cette autre époque.

-         Tu fais un choix judicieux. Le voyage commencera quand tu auras passé ce portail.

 

Et elle tendit la main vers une psyché ronde posée dans un coin de la pièce. La surface ronde et polie s’illumina. Angelo s’en approcha, et bientôt son reflet se troubla, et laissa la place à un maelstrom de couleurs.

 

-         Tu reviendras ici quand tu auras rempli ta mission. En attendant, permets-moi de te souhaiter bonne chance, et de t’assurer de ma confiance.

 

Le Chevalier d’Or eut un dernier regard dans sa direction. Athéna ne sentit plus de la colère pure, seulement une certaine confusion. Sans attendre plus, Angelo du Cancer sauta en avant, à travers le miroir.

 

Et ce fut le début d’une longue et tumultueuse traversée.

 

Il chuta dans un tourbillon de couleurs vives. Pendant un temps indéfinissable, il se sentit tomber, tomber, tomber… ses membres étaient ballottés dans tous les sens, ses yeux aveuglés par la violence du souffle du vent. Il crut devenir fou en entendant la complainte languissante d’une femme à travers le sifflement qui vrillait ses oreilles. Croyant avoir été le jouet d’une duperie, il ne put s’empêcher de crier :

 

-         Salope ! Ce n’est pas ce que tu m’avais promis !

 

Les lumières s’assombrirent progressivement, et une ouverture rectangulaire noire comme de l’encre apparut, se rapprocha de plus en plus jusqu’à l’engloutir.

 

*

 

Angelo du Cancer ouvrit les yeux d’un sursaut. Il reprit peu à peu ses esprits, et comprit soudainement qu’il était enfermé à l’horizontale dans un endroit très exigu.

 

Quoi ? Un placard ? Non ! Une malle ? Un cercueil !

 

Il s’apprêtait à hurler de panique, mais se reprit immédiatement. Paniquer n’allait pas faire avancer les choses, quand il avait bien le pouvoir de se tirer de ce guêpier. Il n’avait peut-être pas son armure, ni le gros de ses pouvoirs, mais il lui restait tout de même de quoi se débrouiller.

 

Il posa ses mains bien à plat sur la surface qui se trouvait face à lui. Elle était froide et lisse comme du marbre ou de la pierre. Puis il poussa. Il dut s’y prendre à deux fois, et parvint à soulever ce qui ressemblait définitivement au couvercle d’un lourd sarcophage de pierre. Un rai de lumière passa par les interstices. Il serra les dents, sentit ses biceps chauffer dangereusement, mais tint bon. Faisant glisser le couvercle à la force des extrémités de ses doigts, il le fit basculer sur le côté. La pierre se brisa dans un grand fracas qui se répercuta sur toute la voûte. Angelo agrippa fermement les rebords de la boîte, et s’en extirpa d’un bond.

 

Il se trouvait dans une immense salle faiblement éclairée par des lampes murales, apparemment dans un grand bâtiment sombre, d’un style décoratif de la fin du XIXe siècle. Le sarcophage dont il venait de sortir trônait au milieu d’une collection d’objets divers et variés. Une banderole accrochée entre deux colonnes précisait : « Collection Miskatonic ».

 

On dirait que j’ai atterri dans un musée.

 

Angelo n’eut pas le temps de s’interroger davantage. En tombant, le couvercle avait fracassé les dalles de marbre du sol, et le bruit avait attiré quelqu’un. Des bruits de pas résonnaient dans sa direction, et les halos de lampes torches léchèrent les murs. Le Chevalier d’Or se jeta derrière un grand présentoir. Bien caché dans l’obscurité, il attendit et regarda. Deux hommes portant un uniforme avec casquette s’approchèrent. En regardant mieux, le Chevalier d’Or vit que les deux hommes avaient à la ceinture matraque et pistolet. Les gardiens avançaient avec circonspection.

 

-         C’était quoi, ça ?

-         Hé, regarde ! Le sarcophage !

 

Le premier qui avait parlé sursauta en voyant le cercueil sans couvercle.

 

-         Bon sang… qui a fait ça ?

-         Sais pas. Ouvre l’œil.

-         Et si… c’est quand même pas… Merde !

-         Quoi, quoi ?

-         Regarde ! Il est vide !

 

Les deux gardiens examinèrent attentivement la grande boîte de pierre.

 

-         C’est pas vrai…

-         Tu… tu ne crois quand même pas que…

 

Le premier gardien regarda l’autre avec un air pincé.

 

-         Que quoi ? Ne me dis pas que tu t’imagines que la momie qui était dedans s’est levée, a ouvert ce cercueil et s’est barrée ?

-         Euh…

-         Hé, mon gars, je te rappelle que l’alcool est illégal ! Surtout pendant le service !

-         Mais…

-         Mais rien du tout ! Quelqu’un s’est introduit dans le musée, et a pillé la collection !

-         Je…

-         Tu la fermes. Et tu cesses de me casser les pieds avec des racontars à la Edgar Poe !

 

Très silencieusement, Angelo saisit un plat de céramique peinte, et le lança vers un coin sombre. Le bibelot éclata dans un claquement sec, faisant sursauter les deux.

 

-         Oh non ! Nous sommes foutus !

-         C’est ta caboche, qui est foutue, crétin ! Hé, vous, là-bas !

 

Le gardien éclaira dans la direction où était tombée l’assiette.

 

-         Allez, assez joué comme ça, sortez de là, vous êtes cuit !

 

Il s’avança, laissant son collègue trembler près du cercueil. Angelo passa à l’action. En deux enjambées, il fut sur le gardien apeuré, et lui asséna un coup du tranchant de la main sur la nuque, l’assommant instantanément. L’autre pivota sur ses talons. Angelo se jeta sur lui. D’une main il lui attrapa la gorge, de l’autre il empoigna sa matraque, et il le souleva, le plaqua sur le mur avant de lui écraser les côtes avec son arme.

 

-         T’as rien vu, ni entendu. D’accord ?

 

Il ne lui laissa pas le temps de répondre, et le plongea dans l’inconscience en l’empêchant de respirer.

 

Espérons qu’il n’ait pas bien vu mon visage.

 

Il quitta la grande salle, erra au hasard le long des couloirs, et vit une petite porte donnant sur l’accès à l’une des zones réservées au personnel. Il entra. Un peu plus loin, il repéra la salle de détente, heureusement déserte, et les casiers des employés. Un grand miroir lui renvoya son image. Il ne semblait pas avoir beaucoup souffert du voyage, mais sa tenue moulante de guerrier tachée n’allait sûrement pas passer inaperçue dans ce monde.

 

Il va me falloir de nouvelles fringues.

 

Il n’eut qu’un petit effort à fournir pour ouvrir un casier au hasard, qui contenait des vêtements masculins simples et pratiques, juste à sa taille. Un pantalon de velours, une chemise, un gilet, une veste et une cravate. Ses chaussures sobres n’allaient pas faire un mauvais contraste. Il se regarda encore dans la glace.

 

Bien. Paré à « suivre ma route » jusqu’à ce « Mal Cosmique Ultime » !

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