Le Fil Conducteur

Chapitre 5 : Mars Defends

5257 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/04/2020 14:41

Les rejets de fumée des moteurs chauffèrent la piste d’atterrissage. Le pilote bascula les interrupteurs l’un après l’autre, pendant qu’une voix crachota dans le haut-parleur du bracelet.

 

-         T’es sûr de ton coup ?

-         Environ à quatre-vingt pour cent, Jet. Les vingt pour cent de doute sont réservés au cas où le père Saunders n’était pas au courant des petites virées nocturnes de sa fille.

 

Spike Spiegel mit pied à terre. Il regarda le ciel étoilé de la nuit martienne visible à travers l’immense coupole de verre blindé. Jet continuait son exposé.

 

-         D’après les rapports, ils étaient plutôt proches l’un de l’autre, elle était impliquée à fond dans les activités de son paternel.

-         D’où les quatre-vingt pour cent de certitude, Jet.

-         Sûr qu’elle aurait hérité de toute l’entreprise ! s’écria la voix d’Ed. Et que son papa ne sera pas très content de te voir !

-         Je ne suis pas là pour qu’il soit content de me voir, répliqua le chasseur de primes en armant son pistolet. Spike, terminé.

-         Bon courage, fils.

 

Spike éteignit le communicateur, rangea son pistolet dans son étui, sous son aisselle, et avança tranquillement, mains dans les poches. Il avait beau être habitué, il ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une petite pointe admirative en voyant les aménagements de la station. En quelques années, l’Homme avait réussi à domestiquer cette planète inconnue et tellement gorgée de mystères. Bien sûr, il y avait eu l’accident de la Gate, et plusieurs milliards d’individu y avaient perdu la vie, mais les survivants, stimulés par l’urgence de la situation, étaient partis à la conquête de l’espace plus tôt et plus rapidement que les prévisions.

 

Et donc, les couloirs de la base de Néo-Louisiane étaient construits et décorés de manière à reproduire les jardins des grandes villes du sud-est des Etats-Unis terriens. Grâce à de nombreux documents d’époque stockés dans les banques de données récupérées, les architectes avaient fait des miracles. Spike ne put s’empêcher d’observer de manière un peu plus appuyée qu’il ne le voulût le décorum.

 

Il n’eut même pas besoin de marcher, les tapis roulants express faisaient le travail pour lui. Il eut un petit rire intérieur quand il songea qu’avec sa propension habituelle à s’attirer de gros ennuis, il y avait de fortes chances que tout ce décor idyllique connût une fin tragique et prématurée dans les soixante prochaines minutes.

 

Il descendit du tapis roulant, et fut accueilli par une hôtesse.

 

-         Bienvenue à Néo-Louisiane, monsieur ! Nous vous souhaitons un très agréable…

-         Oui, oui, je sais, on vous paie pour me raconter tout ça. Seulement, j’ai pas le temps.

-         Puis-je peut-être vous renseigner ? Avez-vous besoin de quelque chose ?

-         Non… Euh, si ! Oui, je cherche le bâtiment du Centre de Recherche en Armements et Blindages Emerson.

-         Une petite minute, je vous prie…

 

L’employée fit une recherche sur son petit ordinateur portable.

 

-         Voilà ! Vous emprunterez le tapis numéro cinq, puis l’escalator jaune, il vous mènera au Mémorial d’Arkham. L’endroit que vous cherchez s’y trouve, c’est le huit.

-         Merci, ma petite dame.

 

Sans rien ajouter, le chasseur de primes continua sa route en sifflotant. Sans se presser, il passa d’une rame à l’autre. Arrivé à l’escalator, il sortit une cigarette de son étui, et l’alluma. Aussitôt, un petit drone sphérique vola jusque devant lui, et une voix éraillée s’exclama :

 

-         Attention, citoyen ! Vous fumez en dehors d’une zone autorisée ! La qualité de l’air de la colonie martienne dépend de vous ! Deux cents urons d’amende vous seront infligés si vous n’éteignez pas votre cigarette dans dix secondes !

 

Saletés de machine ! Ils nous emmerdent avec leurs réglementations !

 

Irrité, Spike reprit la cigarette entre deux doigts et l’écrasa sur le drone.

 

-         Je vous rappelle que je suis une propriété de la police de Néo-Louisiane ! Tout geste déplacé ou parole désobligeante à mon égard vous vaudra une amende de cinq cents urons et une peine d’emprisonnement de trois à neuf mois fermes !

 

Spike continua son chemin sans plus faire attention à la sphère volante. Il voulut profiter de l’acclimatation du dôme. Certain que sa proie ne pourrait lui échapper sans qu’il en fût averti par son compère, il se paya même le luxe de se rendre quelques minutes dans un espace jardin fumeur et dégusta une cigarette. Pendant sa pause, il regarda du coin de l’œil l’une des caméras de surveillance, espérant presque être vu par sa cible. Enfin, il jeta le mégot dans un cendrier monté sur roulettes, se leva et marcha tranquillement vers l’escalator jaune.

 

Il arriva bien vite devant une grande statue de bronze représentant un certain « Jack Napier », si l’on en croyait la plaque commémorative. La place du Mémorial d’Arkham était très grande, et de nombreuses personnes allaient et venaient malgré l’heure tardive. Des jeunes en train de faire du hover-skate, des touristes émerveillés, et essentiellement des hommes et des femmes d’affaire qui entraient et sortaient de l’une ou l’autre des gigantesques tours de verre et de métal érigées çà et là sous le dôme.

 

Spike balaya lentement du regard les alentours, et ses yeux se focalisèrent sur l’un des bâtiments parmi les plus grands. L’enseigne était sans ambiguïté, le logo accompagnant le sigle « Centre de Recherche en Armements et Blindages Emerson ».

 

*

 

La porte s’ouvrit sur un immense bureau qui devait bien occuper toute la longueur de l’étage. La lumière du jour était filtrée par les fenêtres teintées qui laissaient voir la place du Mémorial d’Arkham, et des kilomètres de vue superbe aux alentours. La décoration de la grande pièce était bien dans le ton de l’ancienne Nouvelle-Orléans, comme Spike s’y attendait. Des tableaux bucoliques du XIXème siècle, de vieilles photographies en noir et blanc représentant des bateaux à roues à aubes sur le Mississipi, des objets d’art, des sculptures abstraites, des masques de bois, des trophées de chasse... tout avait dû coûter deux ou trois fortunes.

 

Le bruit des pas du chasseur de primes étaient absorbés par le tapis de luxe. Un crocodile empaillé était enroulé sur lui-même le long du mur, sur le sol. Tout au fond de la salle, il y avait un grand bureau de bois ciré sculpté de fresques abstraites et d’idéogrammes complexes.

 

Un homme portant un costume un peu serré était installé dans un grand fauteuil de cuir rembourré. Il avait toutes les caractéristiques des gens d’origine de l’Afrique terrienne : la peau couleur ébène, le nez épaté, les lèvres très épaisses. Il était bien nourri, rasé de près, et son crâne à la calvitie partielle luisait sous l’éclairage des lampes électriques murales qui simulaient jusqu’au vacillement de chandelles. Ses doigts boudinés tournaient les pages d’un grand livre sans doute ancien.

 

-         Monsieur Saunders ? demanda Spike en élevant la voix.

 

L’imposant personnage releva la tête, et fit un petit geste invitant le chasseur de primes à approcher.

 

-         Bienvenue, monsieur Kannô.

-         Nous avions bien rendez-vous, n’est-ce pas ?

-         Absolument. J’étais juste en train de compulser un vieux bouquin de famille. Je vous en prie, venez donc vous asseoir !

 

Saunders rangea son livre dans un tiroir pendant que Spike approcha, et se posa sur le siège devant le bureau.

 

-         Bien, monsieur Kannô, vous êtes donc l’intermédiaire de monsieur Yamaoka de la Capsule Corp, n’est-ce pas ?

-         C’est cela même, monsieur Saunders.

 

Le grand fauteuil grinçait sous les fesses du président de la branche martienne de la fabrique d’armes alors qu’il prit une pochette en carton posée sur le coin de la table. Il l’ouvrit, et en sortit plusieurs feuilles de papier.

 

-         Voilà, monsieur Kannô, avant que vous ne signiez les contrats, je tiens à ce que vous les relisiez une dernière fois.

-         J’ai confiance, mais si vous insistez…

 

Et le chasseur de primes se mit à regarder les documents un par un. En tête du Centre de Recherches, diverses clauses plus ou moins précises, des noms de nouvelles armes dont il n’avait même pas idée de l’existence… Il simulait l’intérêt devant toute cette débauche d’informations, lorsque son sourire se crispa quand un duplicata de sa licence officielle de chasseur de primes avec sa photo lui glissa entre les phalanges. Il s’arrêta de feuilleter, releva lentement la tête. Saunders le regardait toujours.

 

-         Eh bien, quelque chose n’est pas conforme, monsieur Kannô ?

 

Spike sortit de la liasse le duplicata et le posa sur le bois ciré.

 

-         Je ne suis pas sûr que cette clause figure sur l’exemplaire de mon patron.

-         Tout dépend de qui est votre patron. S’agissait-il bien de monsieur Yamaoka ? Je suppose que non, monsieur Kannô, ou devrais-je dire « monsieur… Spiegel ».

-         Lui-même, monsieur Saunders.

-         Sérieusement, monsieur Spiegel, qu’est-ce que vous espériez ? Je connaissais votre véritable identité avant même l’instant où vous avez posé le pied sur Néo-Louisiane.

 

Spike sentit son sourire ironique faire remonter ses commissures. Saunders, lui, ne souriait pas du tout.

 

-         Il y avait deux cas de figure, mon vieux. Ou bien vous n’étiez pas proche de votre fille unique pour une raison X ou Y, auquel cas vous n’aviez rien à cirer de sa disparition et vous ne me connaissiez pas, ou bien au contraire, vous l’aimiez beaucoup et elle vous le rendait, et dans ce cas-là, c’est vous qui lui avez dit de me suivre.

-         Loé était ma fille unique, monsieur Spiegel. Depuis la mort de ma femme, elle restait ma seule famille. Et vous l’avez abattue.

-         Je sens que je vais pleurer. Ce sont les risques de son sale boulot. D’ailleurs, pour votre information, ce n’est pas moi qui l’ai tuée.

 

Les yeux de Saunders s’injectèrent de sang. Il frappa sur la table des deux mains et se leva de son siège.

 

-         Alors c’est qui ? hurla-t-il.

-         Cobra, le pirate de l’espace.

-         Cobra ? Mais… il s’est fait avoir il y a des années !

-         Ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant, Saunders. Ce canular ne trompe plus personne. Cobra n’est pas mort, il a juste changé de visage pour prendre sa retraite, mais a finalement réintégré le milieu. La police de l’espace est au courant, la plupart des syndicats criminels sont au courant, peut-être que si vous étiez un peu plus au fait, vous l’auriez su vous aussi.

 

Saunders se rassit lentement, et son souffle ralentit progressivement.

 

-         Ce qui me préoccupe, c’est que vous avez ordonné à votre fille de me capturer. J’aimerais bien savoir pourquoi ?

-         Vous n’avez pas à le savoir, monsieur Spiegel. Tout ce que vous devez savoir, c’est que pour la première fois de votre vie, vous allez vous rendre vraiment utile.

-         Je ne vous ai pas attendu pour me rendre utile, Saunders.

-         Oh, j’imagine que vous allez me sortir le couplet comme quoi vous traquez la racaille de l’univers, celle dont la police de l’espace ne peut s’occuper. Mais moi, je vais vous consacrer à une Cause. Une Grande Cause, avec un G et un C majuscules.

-         Par « consacrer », vous voulez dire quoi ? « Sacrifier » ? « Entuber » ?

 

Le chasseur de primes continuait à se montrer cynique, or il sentit quelque chose tiquer au plus profond de lui-même. Son instinct lui murmurait qu’un danger inattendu le menaçait. L’autre continuait :

 

-         Oh, pourquoi tant d’étroitesse d’esprit, monsieur Spiegel ? Il ne s’agit pas d’un sacrifice ou d’un… enfin, ce que vous dites. Voyez plutôt cela comme… le respect d’une grande tradition ancestrale.

-         « Tradition », hein ? Vous êtes plutôt du genre à rester attaché aux anciennes coutumes… J’avais remarqué que vous aviez des armes très vieux jeu.

-         Nous sommes soucieux des traditions, monsieur Spiegel.

 

C’est à ce moment précis que Spike comprit ce qui le dérangeait depuis quelques minutes. Un lointain bourdonnement faisait vrombir ses tympans, et contrairement à ce qu’il pensait jusqu’alors, ce n’était pas l’ambiance de l’extérieur de la tour, mais ses tempes. L’atmosphère était devenue très lourde.

 

Merde… qu’est-ce que ça veut dire ?

 

Saunders s’était levé, et marcha lentement de long en large. Au fur et à mesure qu’il parlait, sa voix était de moins en moins perceptible.

 

-         Nous ne sommes que d’humbles serviteurs, monsieur Spiegel. Je ne sais pas ce que vous pensiez trouver ici, mais quoi que ce soit, cela est bien en deçà de la vérité.

-         La… la vérité ?

-         Croyez-vous en Dieu, monsieur Spiegel ? demanda de but en blanc l’industriel.

 

La question laissa le chasseur de primes perplexe.

 

-         Ce dont en quoi je crois n’a pas d’importance.

-         C’est vrai, vous avez raison. Que vous puissiez croire en Dieu ou pas n’a aucune importance. C’est même complètement dérisoire, voire même pathétique. Que connaissez-vous vraiment de notre dimension, monsieur Spiegel ? Les routes principales d’une colonie à l’autre ? Les planètes colonisées, après cinq mille ans d’Histoire ? Mais, mon pauvre ami, nous ne sommes que poussière insignifiante, comparé à eux.

 

Spike essaya de se lever à son tour, mais n’y arriva pas. Ses jambes refusèrent de faire le moindre effort.

 

Putain, cette ordure m’a drogué !

 

-         « Eux » ? De qui vous parlez ? ânonna-t-il.

-         Des vrais concepteurs de notre univers. De ceux à qui nous devons le plus grand respect, si ce n’est l’obéissance absolue. Ceux à qui nous devons tout.

 

Les yeux du chasseur de primes s’écarquillèrent. Il sentit son front se couvrir de sueur. La chaleur était étouffante. Son cœur bondit dans sa poitrine. Le visage de Saunders était en train de changer. Il se couvrait peu à peu d’écailles.

 

-         L’univers n’est pas du tout tel que vous pensez le connaître, monsieur Spiegel. Et votre esprit est bien trop étriqué pour connaître la vérité vraie. Même le mien est aussi limité, en fait je crois qu’aucun humain ne sera jamais capable d’appréhender la vérité, encore moins de la supporter.

 

La voix de Saunders était rocailleuse, et des gargouillis résonnaient du fond de sa gorge. Sa tête était maintenant celle d’un énorme poisson aux écailles verdâtres. Spike essaya de sortir son arme, il réussit seulement à s’effondrer sur le tapis, juste devant le crocodile empaillé. Il sursauta avec un cri de frayeur en voyant l’animal cligner des yeux et ouvrir lentement la gueule.

 

-         Rampe donc, misérable assassin. Je veillerai personnellement à ce que toi et les autres élus soyez sacrifiés selon les traditions. Ma fille ne sera pas partie pour rien !

 

Spike était maintenant allongé sur le dos. Il ne vit plus qu’une grossière caricature d’hybride mi-homme, mi-poisson. Les yeux globuleux de la créature le fixaient sans ciller. Saunders se pencha en avant vers le chasseur de primes, mais un claquement sourd et étouffé retentit, et le monstre fut brutalement catapulté en arrière.

 

-         Tiens bon, fils !

 

En tournant la tête sur le côté, Spike reconnut la lourde silhouette de Jet. Il le vit prendre une statuette, et la balancer contre la vitre. La paroi de verre vola en éclats, et l’air frais envahit la pièce. Jet agrippa son compère sous les aisselles, l’aida à se relever.

 

-         Oh… merde, mais que…

-         C’est du gaz, Spike ! Ed a remarqué que le système d’aération du dernier étage était truffé d’un gaz volatile hallucinogène.

 

C’est alors que Spike remarqua le corps du père Saunders. Celui-ci était redevenu lui-même, si l’on exceptait le grand cratère qui ornait désormais son front.

 

-         En pleine poire ! Tu l’as pas loupé !

-         Dépêchons-nous, faut qu’on se tire d’ici. La sécurité va arriver !

 

*

 

Quelques minutes plus tard, tout était terminé. La milice locale était en train de fouiller tout le bâtiment à la recherche du meurtrier, bientôt toute la sécurité de la colonie allait partir à la recherche de Spike et Jet… mais les deux compères avaient déjà quitté la base à bord de leurs vaisseaux, et le Bebop s’apprêtait à franchir la Gate spatiale, et donc échapper définitivement à l’influence martienne.

 

Spike finissait son troisième café, et avait complètement repris ses esprits. Il s’installa en face de Jet, sur l’un des divans de la cabine de détente.

 

-         Quelle galère ! Merci pour le coup de main !

-         De rien, mon petit pote.

-         Comment t’as eu l’idée de venir me retrouver ?

-         Pendant que tu étais parti, Ed a fait des recherches sur ta proie.

-         Un sacré gros poisson, si j’en crois la poissonnerie ! s’exclama la préadolescente en bondissant sur le canapé.

 

Les deux baroudeurs tentèrent tant bien que mal de ne pas prêter attention à Ed qui se mit à courir dans tous les sens en imitant un dauphin.

 

-         En fait de poisson, c’est un sacré requin. Ce Saunders a apparemment trempé dans des histoires plutôt louches. On lui a attribué notamment plusieurs disparitions de personnes variées il y a déjà quelques décennies, principalement des jeunes femmes.

-         J’imagine qu’il était novice dans son ordre à ce moment. Cobra avait raison, il s’agit bel et bien d’une secte. Saunders m’a clairement fait comprendre qu’il n’était pas seul.

-         Et donc, ne te voyant pas revenir, je t’ai suivi.

-         Je reconnais avoir un peu flâné avant de me rendre à son bureau, mais ça ne te ressemble pas de t’inquiéter aussi vite !

-         J’ai commencé à m’inquiéter quand j’ai essayé de t’appeler plusieurs fois, mais tu ne répondais pas !

-         Ah ouais ? Mon communicateur n’a pas sonné une seule fois.

 

Ed s’arrêta net devant Spike. Accroupie, les mains et les pieds posés sur le sol, elle fit silence trois longues secondes, puis éclata :

 

-         Allo, allo ? Y a quelqu’un au bout du fil ? Non, parce que le fil est coupé ! Toute la zone est soumise à un brouillage pour éviter les interceptions de hackers de la haute finance, et la tour de Saunders est tapissée de plaques réfléchissantes. Aucune onde ne peut y entrer autrement que par les lignes de téléphone sécurisées !

 

Et elle repartit de plus belle à sa course folle, poursuivant Ein, le Welsh Corgi de l’équipage, en aboyant. Le jeune chasseur de primes eut un petit soupir d’agacement. Jet, de son côté, compulsait les dossiers qu’ils avaient récupérés en vitesse chez l’industriel.

 

-         On dirait que l’autre comique au bras laser avait raison sur un autre point : tu n’es pas le seul à t’être fait tirer le portrait par ces gens-là. Regarde !

 

Spike examina une par une les cinq photographies. En dehors de la sienne, il ne reconnut personne. Un jeune homme, une jeune femme… les clichés étaient en noir et blanc, vraisemblablement développés avec un appareil similaire à celui qui avait pris la photo de lui qu’avait porté Loé Saunders.

 

-         On a un moyen de remonter à la source ?

-         Je ne crois pas, Spike. Ces gens-là ne sont pas des amateurs. Aucun nom précis de lieu, ni de personne. On a eu un de leurs pontes, seulement.

-         Ouais, et si ça se trouve, sous ses airs de PDG, ce vieux crabe n’était qu’un pion.

-         Remarque, il y a toujours la solution de la filature. Si l’on arrive à retrouver l’un ou l’autre des futurs « élus », on devrait pouvoir croiser d’autres rigolos de cette secte.

-         Pas bête. Et comment on retrouve ces futurs heureux gagnants ?

 

Le grand homme au bras d’acier tendit le cou vers la hacker.

 

-         Ed ? Tu peux nous retrouver ces gens-là ?

 

Immédiatement, la gamine se précipita à quatre pattes jusque sur la table basse. Elle écarquilla ses grands yeux, loucha sur chaque cliché, et se jeta sur son ordinateur portable qui traînait dans un coin. Elle pianota furieusement sur son clavier avec ses orteils, et sauta de joie quelques secondes plus tard.

 

-         A y est ! On y est ! Regardez, regardez donc ! Cela vient des services de police !

 

Spike et Jet se penchèrent à leur tour sur l’écran plat. Le grand gaillard fit la grimace.

 

-         Deux d’un coup… et il y a une certaine ressemblance. À mon avis, ils sont parents.

-         Frères, ou cousins, c’est très probable. Que dit leur déposition ?

-         Rien, m’sieur ! répondit Ed. Si vous lisez les observations du policier, vous verrez qu’ils n’ont pas pris de déposition ! Ils ont trouvé ces deux-là en pleine campagne ! Leur voiture a percuté le premier, et le second était trop choqué pour parler !

-         Attends… qu’est-ce que c’est que ça ? « Multiples sévices », « signes cabalistiques tracés sur la peau… » On dirait qu’ils ont déjà été en contact avec cette secte.

-         Raison de plus qu’on se dépêche, ils ne vont pas s’arrêter là. Ed, tu peux me dire où ils se trouvent ?

-         Oui, mais je ne sais pas si on les trouvera dans le commissariat ! Vous avez vu le rapport ? Ils ont été confiés aux, je cite : « personnes compétentes habituelles » ! Et comme il s’agit d’un commissariat de quartier, ils n’ont pas dû beaucoup se bouger du côté administratif !

-         Pas moyen de savoir, donc, qui sont ces « personnes compétentes ». À moins de se rendre sur place. Où est-ce que ça se trouve, Ed ?

 

La préadolescente s’allongea sur le dos, et retapa sur le clavier, ses dix doigts voltigeaient à une allure extraordinaire. Une barre de chargement défila, jusqu’à ce que…

 

-         Le voici, le voilà ! Le monde où a été faite cette déposition !

-         Hé, c’est une planète vachement démodée, non ?

-         En effet ! La technologie est équivalente à celle du début de l’entre-deux guerres mondiales du vingtième siècle de la Vieille Terre ! Tout comme les appareils qui ont pris ces photos !

-         Mais… si c’est une planète si vieux jeu, comment peut-elle nous apparaître, ici ? Technologiquement, c’est à peine s’ils savent voler ! Alors les voyages spatiaux…

-         Dans l’Afrique de la Vieille Terre, il y avait des tribus de bushmen qui vivaient de manière primitive, dans des cases, et devaient chasser à l’arc et aux flèches pour se nourrir, alors que les habitants d’Europe et d’Amérique s’étouffaient de hamburgers vendus dans des fast-foods ! s’écria Ed.

-         Les bushmen n’étaient qu’une tribu, un peuple isolé dans une partie désertique d’un continent sous-développé. Là, on parle d’une planète entière !

-         Et après ? Tout n’est qu’une question d’échelle ! L’Homme a colonisé l’espace, il peut y avoir une planète isolée qui n’intéresse personne, et qui se suffit à elle-même ! Leur niveau technologique est inférieur à la moyenne, ça ne les empêche pas de vivre heureux, et nous pouvons avoir accès à des données les concernant ! La condition est que les aires d’atterrissage sont rares et discrètes. En fait, vous n’aurez pas le droit d’utiliser le Bebop, encore moins les chasseurs ! La seule entorse au règlement à peu près tolérée, c’est les communicateurs, et encore faut-ils qu’ils soient discrets !

 

Heureuse de son explication, Ed bondit encore sur le chien. Jet et Spike se regardèrent.

 

- Bon. Jet, t’as gardé ton costume ?

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