Le Fil Conducteur

Chapitre 7 : Dark Corners of the City

8511 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/04/2020 14:43

L’atmosphère était lourde et humide, des nuages chargés d’électricité s’amoncelaient dans le ciel. Les nombreux citoyens allaient et venaient entre les immenses gratte-ciels, tête baissée, sans se regarder. Aussi ne prêtaient-ils aucune attention à un individu qui, pourtant, aurait eu toutes les chances de dérouter le premier imbécile venu, pour autant qu’il pût se présenter sous sa véritable apparence.

 

Tous ces pauvres fous qui vont et viennent, sans se douter du funeste destin qui les attend… Pauvres stupidi !

 

Angelo du Cancer était méconnaissable. Grâce aux vêtements trouvés dans le casier du musée, il passait pour n’importe lequel des prolétaires parmi lesquels il circulait. Les habitants de la ville vaquaient à leurs occupations, rentraient chez eux, se disputaient un banc ou un passage sur un trottoir étroit. Les voitures roulaient bruyamment et klaxonnaient volontiers dès qu’un piéton faisait mine d’approcher d’un passage protégé, qu’il y eût ou non un feu de signalisation.

 

Je me demande si ça vaut le coup…

 

Il avait passé la journée entière à découvrir cet endroit où il avait été transporté, et à se demander ce qu’il allait faire. Ce qu’il devait faire, plus exactement. Pendant quelques instants, des idées toutes plus folles les unes les autres circulèrent dans l’esprit du Chevalier d’Or. Allait-il monter sur un point en hauteur et exhorter les foules, jouer les prédicateurs pour les pousser à fuir la côte Est ? On allait très vite le faire enfermer. Devait-il désobéir aux ordres d’Athéna, et aller chercher du renfort auprès des Chevaliers d’Or de ce temps en se rendant au Sanctuaire, qui devait déjà s’y trouver ? L’idée le tenta quelques instants…

 

En même temps, si ça se trouve elle a raison, et je risque de créer un paradoxe temporel. Peut-être même qu’elle peut m’en empêcher à travers le temps ? Peut-être aussi que tout ceci n’est qu’un rêve, un délire…

 

Angelo se surprit à douter de la véracité de ce qu’il voyait. Les voyages dans le temps étaient un fantasme presque aussi vieux que celui de marcher sur la Lune. Mais si les hommes avaient réussi cet exploit-ci, pouvaient-ils vraiment braver l’un des concepts les plus absolus de l’univers dans son entier ? Peut-être pas. Et peut-être que, par conséquent, toute cette foule, tous ces buildings, tous ces véhicules n’étaient que le fruit de son imagination. Peut-être qu’Aphrodite lui avait collé une beigne en plein visage, que son haleine fétide de bière mêlée à sa propre consommation quotidienne avait créé une réaction en chaîne dans son cerveau, le soumettant à des fantasmes hallucinants ?

 

Cela commence à faire beaucoup de « peut-être »…

 

Il était si bien absorbé par ses réflexions qu’il ne vit pas arriver sur sa gauche un grand bonhomme au torse massif serré dans un pull à rayures. Le choc interrompit violemment sa marche. L’homme gronda aussitôt :

 

-         Hé, gaffe où tu marches !

 

Angelo du Cancer pivota alors vers l’homme. Son regard noirâtre dissuada instantanément l’autre d’ajouter une quelconque remarque.

 

-         Oh, je vous demande pardon, monsieur… beau temps, vous ne trouvez pas ?

 

Comme pour répondre, un grondement de tonnerre ébranla les cieux. L’homme, suant à grosses gouttes, fit demi-tour et s’éloigna à pas pressés. Angelo eut une petite moue méprisante.

 

Au moins, ce qui est ici est suffisamment réel pour que j’éprouve des sensations.

 

Oui, mais était-ce vrai pour autant ? Il passa en revue ses souvenirs les plus récents : lui, autrefois grand chevalier, finalement déchu de son titre, cloîtré dans son propre palais, contraint de ne pas en bouger sous peine de subir les railleries morales, voire physiques de ses soi-disant frères d’armes, mandé par une pseudo-déesse pour une mission impossible et improbable, ballotté dans une sorte de maelstrom coloré avant de finir dans le cercueil d’une exposition tenue dans un musée de cette grande ville…

 

Il ne marchait plus de la même façon. Il ne respirait plus de la même façon, non plus. Depuis qu’il s’était extirpé de cette boîte, tout avait changé, il venait de s’en rendre compte. Il n’avait aucune indication sur ce qu’il devait faire précisément.

 

« Suivre ma voie », tu parles !

 

Aussi commençait-il à se demander s’il n’avait pas tout inventé, depuis le début. Et si c’était effectivement une grosse blague, depuis le début ? Peut-être qu’en réalité, toute cette vie au Sanctuaire n’était qu’un rêve appelé à disparaître peu à peu. La seule réalité, la seule vérité était peut-être cette immense cité, et tous ces gens neutres. Dans ce cas, y avait-il vraiment une raison de s’inquiéter plus que de convenance ? Cette « entité maléfique » faisait alors seulement partie du rêve, et n’avait rien à voir avec la grande marée. Et puis d’ailleurs, pouvait-on encore craindre une telle catastrophe, si elle n’existait que dans son imagination ?

 

Hum… et si c’était ça, la « voie à suivre » ? J’ai compris ! Elle m’a envoyé dans ce monde pour se débarrasser de moi avec de belles paroles, toutes ces conneries sur ce « Mal Cosmique Ultime »… du vent ! Mais l’occasion pour moi de vivre une nouvelle vie !

 

Angelo fut soudain saisi d’une bouffée bienfaisante de joie. Pour la première fois depuis des années, il se sentait libre. Et pourquoi pas ? Il n’était peut-être plus tout jeune, mais il était quand même encore assez en forme, et pourrait sans doute trouver du travail sans trop de difficulté. Après tout, l’époque et le lieu étaient encore propices à la réussite, s’il avait bien retenu ses cours d’histoire. Ce nouveau départ marquait cette journée d’une pierre blanche.

 

Il faut fêter ça !

 

Mais que faire ? S’enivrer de « jus de pomme » ? Il se rappela qu’en ce temps-là, sur ce continent, la vente et la consommation d’alcool étaient formellement proscrites, contrairement à la peine de mort. Aller au théâtre, ou au cinéma ? C’était une idée tentante, à condition d’avoir au moins un peu d’argent. Mais avait-il de l’argent ? En fouillant dans les poches de la veste, il trouva un portefeuille avec quelques billets. Au taux actuel, il avait de quoi passer au moins une bonne soirée et se payer une chambre pour une nuit ou deux.

 

Et pour le logement permanent ? Et un emploi ? Bah, ça peut attendre demain !

 

Les bars à alcool devaient être clandestins, mais les boîtes de jazz, par contre… Angelo aimait la musique, et le jazz était une de ses préférences. Il n’eut pas à chercher bien longtemps pour trouver un club. Heaven Blues, disait l’enseigne lumineuse. Des hommes bien habillés entraient l’un après l’autre, mais son propre costume ne faisait pas trop décalé, et le videur le laissa passer.

 

La salle était plongée dans la semi-obscurité, le concert avait déjà commencé. Angelo s’installa à une petite table ronde. Le groupe était composé de musiciens d’origine africaine. Le chanteur avait une voix très chaude, et prononçait les paroles de la chanson avec passion :

 

Swing low, sweet chariot

Coming for to carry me home

Swing low, sweet chariot

Coming for to carry me home

 

Les autres musiciens ne faisaient rien, en dehors de l’organiste qui égrenait une mélodie un peu mélancolique. Toute la salle écoutait religieusement le Negro Spiritual, pas un seul spectateur n’osait même tousser. Angelo regarda distraitement le programme pour lire les noms des musiciens. Il ne reconnut que vaguement le nom du chanteur, « Louis Armstrong ».

 

La chanson suivante fut plus enjouée, et le public applaudit dès les premières notes. Angelo sourit béatement, buvant la musique à petites gorgées. Le chanteur reprit vite sa trompette, et se lança dans un chorus endiablé. Oui, c’était vraiment un musicien talentueux.

 

Il a de l’avenir, ce garçon… si cette société accepte de lui donner sa chance.

 

Au bout d’une heure de concert, l’atmosphère était particulièrement lourde. Une salle mal aérée, des gens nombreux, des éclairages scéniques très vifs… il était temps d’aller respirer un peu dehors. Le chanteur annonça de sa voix chaude et rocailleuse :

 

-         Et maintenant, mesdames et messieurs, dix minutes de pause, le temps de se rafraîchir, de souffler un peu, et de griller une cigarette. Mais, mais, mais… ne vous éloignez pas trop !

 

Il y eut quelques rires, et des applaudissements. Angelo se leva, et passa dans la cour arrière. Quelques personnes y étaient déjà, en train d’échanger leurs points de vue sur tel ou tel sujet, la cigarette au bec. Dans un coin sombre, il n’y avait personne, et donc pas de fumée pour l’intoxiquer. Un éclair fendit l’obscurité nocturne, et un petit grondement lointain roula le long de l’horizon.

 

Angelo regarda vers les cieux, inspira un bon coup, heureux de se sentir vivant. Athéna avait donc décidé de lui lâcher la grappe pour de bon, si toutefois elle avait été réelle, ce dont il doutait de plus en plus.

 

Et si je changeais de nom, pendant que j’y suis ? Non, n’exagérons pas.

 

Il fut interrompu dans sa réflexion par un petit bruit caractéristique. C’était un petit claquement sec, le cliquetis métallique d’un briquet modèle « zippo ». Trois mètres plus loin, l’obscurité fut tranchée par la lumière d’une flamme allumant un cigare.

 

-         Bonsoir, Angelo.

 

Le sang du Chevalier d’Or ne fit qu’un tour. Il pivota en direction de la voix, le poing levé.

 

-         Relax, je viens en ami, reprit la voix.

-         Je n’ai pas d’amis.

 

L’homme qui parlait à Angelo était nonchalamment appuyé contre le mur. Le lampadaire éclairait partiellement son visage tranquille sous un borsalino. Des favoris blonds couraient sur ses joues, et son nez un peu écrasé était surmonté de deux grands yeux bleus étincelants. Il portait un élégant costume blanc à fines rayures noires.

 

-         Qui es-tu, blondin ?

-         Je m’appelle Gillian.

-         Et comment tu me connais ?

-         Je ne te connais que de nom et de visage, si ça peut te rassurer.

-         C’est déjà trop.

-         Écoute, je ne sais pas d’où tu viens, exactement, ni ce que tu viens faire ici, mais j’aimerais juste te dire quelque chose.

-         Quoi ?

-         Il y a des gens qui s’intéressent à toi. D’un peu trop près. Je voulais simplement t’avertir.

-         C’est très gentil de ta part, mais je n’en ai rien à faire ! Si quelqu’un me cherche, il va me trouver. En attendant, je n’ai pas à t’écouter plus longtemps.

-         Tu m’as l’air d’avoir l’habitude des ennuis.

-         C’était dans une autre vie. Maintenant, je n’ai plus besoin de m’en faire pour quelqu’un d’autre que moi-même. La dernière chose dont j’ai besoin, en ce moment, c’est de me faire materner par un inconnu en costard.

-         Hé, Joe, qu’est-ce que tu fous ? Faut y aller, maintenant !

 

Le blond tourna la tête vers la porte. Un petit jeune homme lui faisait signe. D’un petit coup de reins, Gillian se détacha du mur.

 

-         Je t’aurais prévenu, Angelo.

-         Je me fous de ce que tu peux me dire, gueule d’amour !

 

Sans plus un regard, le Chevalier d’Or retourna à l’intérieur du club. Il se rassit à sa table. Le spectacle allait bientôt reprendre. Du coin de l’œil, il vit une forme blanche longer le mur. C’était Gillian. Tout en se déplaçant vers la sortie, l’homme en costume avait l’air de vouloir continuer la conversation.

 

-         Angelo, écoute-moi ! Tu vas faire une énorme bêtise !

 

Angelo lui fit juste un bras d’honneur, et se retourna sur sa chaise, tournant le dos à l’homme blond. Il ne put s’empêcher d’entendre sa voix lui dire encore :

 

-         C’est pas très sympa, ça ! Quand tu seras dans la merde, faudra pas te plaindre !

 

Pendant un court instant, le Chevalier d’Or eut une image fugitive : celle de Pinocchio en train d’envoyer se faire voir ce satané grillon, avant de le regretter amèrement. Mais il ne se sentait pas aussi vulnérable qu’un pantin de bois naïf.

 

Et puis, combien de « bonnes consciences » qu’on n’a pas sollicitées vous mettent dans les ennuis ?

 

L’orchestre reprit la musique. L’image de Pinocchio se dissipa peu à peu. Plus question de se laisser mener par le bout du nez par des personnes présentant bien et « lui voulant du bien ». La musique était joyeuse, entraînante.

 

-         Je peux m’asseoir ?

 

Angelo releva la tête, et ses yeux croisèrent ceux d’une jeune femme. Deux grands lacs jumelés au milieu d’un visage rond, à la peau dorée, encadrée d’une cascade de cheveux blonds et ondulés. Des lèvres de rubis sous un petit nez retroussé s’échappèrent encore quelques mots timidement articulés :

 

-         Je sais qu’ordinairement, les femmes bien éduquées ne traînent jamais seules et ne font jamais ce genre de demande, mais je prends le risque. Alors ?

 

Sans dire un mot, sans même détourner les yeux une seconde, littéralement subjugué par l’apparition, le Chevalier d’Or prit une chaise et la lui présenta. Quand elle s’assit, il remarqua qu’elle portait une robe violette, et des gants lui remontant jusqu’aux coudes.

 

-         Vous n’êtes pas comme les autres, vous…

-         En effet. Cette ville est farcie de zombies ! Je n’y suis que depuis quelques heures, et ça m’a suffi pour voir à quel point ils sont tous mornes à souhait. Mais je ne suis pas comme eux, ça non !

-         Je… je m’appelle Juliet.

-         Angelo. Enchanté, Juliet. Ce n’est pas très original, mais… vous êtes belle comme une principessa.

-         C’est gentil.

 

Juliet eut un petit sourire triste. C’est alors qu’Angelo remarqua que seules ses lèvres souriaient, quand le reste de son visage n’exprimait que peine et désolation.

 

-         Puis-je vous offrir un verre ?

-         Un verre ? Quelle drôle d’idée ! Nous ne sommes pas dans un bar clandestin !

 

Le Chevalier d’Or réalisa brutalement sa bévue, il se sentit très nerveux sur le coup. Mais la femme n’y pensait déjà plus.

 

-         Oh, et puis, de toute façon…

-         Vous, vous avez l’air d’avoir des problèmes.

-         C’est sans importance. « Pour le meilleur et pour le pire »… tu parles !

-         Votre mari a eu un accident ?

-         Si vous qualifiez d’ « accident » un départ précipité à Rio de Janeiro dans les bras d’une fille perdue de quinze ans sa cadette, alors oui, ce salaud a eu un accident !

 

Juliet sortit alors un mouchoir, et s’en tamponna les yeux. L’orchestre jouait un blues mélancolique.

 

-         Mouais… Je comprends ce que vous ressentez. La dernière femme avec laquelle j’ai été en contact m’a balancé comme une vieille chaussette, tellement violemment que quand j’ai repris connaissance, j’étais en train d’errer dans les rues de cette ville.

-         Tout est si absurde, en ce moment…

-         Peut-être, mais vous savez quoi ? Ça m’a permis de remettre le compteur à zéro. Quand j’ai repris mes esprits, j’ai décidé de tout recommencer !

-         Oh… vous avez de la chance.

-         De la chance ? C’est de la volonté.

-         Oui… vous avez de la chance d’avoir cette volonté.

-         J’ai un trop-plein de volonté, je peux en donner un peu…

 

Encore une fois, Angelo éprouva des sensations agréables qu’il n’avait pas goûtées depuis bien longtemps. Il esquissa un sourire sans malice, ni cynisme, sincèrement séduit par cette jolie fille. Combien d’hommes, de femmes et d’enfants étaient passés de vie à trépas à cause de lui, dans sa vie antérieure ? Avait-il seulement connu l’amour d’une femme ? Comme tous les Chevaliers, il n’avait pas connu ses parents, avait été formé à la dure dans des conditions qui ne permettaient pas l’erreur, et toute sa vie de chevalier n’avait été que violence, colère, désespoir et combats. Jamais de répit, jamais de repos. Jamais de moment plus ordinaire, où ses pensées n’étaient pas focalisées sur la mort. Et si…

 

Et si Athéna venait de me donner une chance de connaître autre chose ?

 

Le groupe acheva sa chanson, et le chanteur salua le public.

 

-         Merci à vous tous, mesdames et messieurs. N’oubliez pas que nous sommes tous les soirs sur la scène du Heaven Blues jusqu’à la fin de la semaine !

 

Les musiciens saluèrent sous les applaudissements, et se retirèrent. Angelo se tourna vers Juliet.

 

-         Alors ? Je peux vous ramener quelque part ?

-         Je n’ai nulle part où aller.

-         Moi non plus, alors ça fait deux. Mais… il y a bien des hôtels, dans le coin ?

 

La jeune femme fronça alors les yeux.

 

-         Vous, au moins, vous ne perdez pas de temps.

-         J’ai perdu trop de temps avec Saori. Terminé, je veux vivre une vie libérée. Pas vous ?

 

Juliet se pencha en avant, sa bouche à quelques centimètres de celle du Chevalier d’Or.

 

-         Vous n’êtes vraiment pas comme les autres.

-         Oh que non. J’en ai ma claque, maintenant. Carpe Diem !

 

*

 

L’hôtel n’était pas le plus minable du secteur, et la chambre n’était pas spécialement négligée, quoique mal éclairée, petite et dont le papier peint foncé et le mobilier sombre la faisaient paraître encore plus obscure et plus petite qu’elle n’était déjà. Angelo sauta sur le lit, s’y allongeant de tout son long. Juliet demanda :

 

-         De quel pays vient ton petit accent craquant ?

-         D’Italie, caro. Je crois savoir qu’il y a un quartier italien dans cette ville ? Je devrais peut-être m’y installer ?

-         Ça peut attendre demain, non ?

 

Juliet défit le cordon de sa robe, qui tomba à ses pieds. Angelo sentit que sa tête allait exploser quand il vit qu’elle ne portait absolument rien en dessous. Il ressentit une forte démangeaison dans le pantalon.

 

-         Avec une telle vue, ça peut même attendre deux semaines !

 

Sans plus attendre, Juliet se jeta à son tour sur le lit, et sur le Chevalier d’Or. Elle lui ouvrit furieusement la chemise, et lui caressa la poitrine, pendant qu’il lui rendit la pareille. Leurs respirations se firent de plus en plus haletantes.

 

-         Eh bien, mon bel étalon italien… on dirait que ça fait longtemps que tu n’as pas eu l’occasion de cavaler !

-         Tu n’as pas idée !

 

Avec un sourire enjôleur, Juliet retira lentement, très lentement, son gant gauche. Sa main était fluette et ses doigts fins. Elle le laissa tomber, et s’apprêta à enlever son autre gant.

 

-         Une dernière parole avant d’atteindre le Septième Ciel ?

-         Oh… le Septième Ciel, hein ? Je me disais bien que j’avais affaire à un ange.

 

Le sourire de la jeune femme s’allongea, alors qu’elle finissait de retirer son deuxième gant. À peine sa main droite était à l’air libre qu’elle l’abattit en avant vers le torse d’Angelo. Mais celui-ci fut plus véloce. En un éclair, il saisit le poignet de Juliet et le tordit. Elle hurla.

 

-         Un ange avec des ruses de démon, on dirait !

 

Il se redressa, et lui fit une clef au bras, l’obligeant à lâcher la petite seringue qu’elle avait dissimulé dans son gant.

 

-         Tu me fais mal !

-         Et t’as encore rien vu, bambola ! T’as de vieux fantasmes d’hôpital, ou bien c’est quelqu’un qui t’a demandé de faire l’amour vache ?

-         J’en sais rien… aïe ! Je devais seulement te…

-         Me quoi ? M’empoisonner ?

-         C’est juste… c’est juste un somnifère !

 

Angelo jeta un petit coup d’œil sur la seringue, et vit un liquide verdâtre dans le petit tube de verre.

 

-         Un somnifère, hein ? Alors je suppose que tu ne m’en voudras pas si je fais ceci ?

-         De quoi tu… NON !

 

Le Chevalier d’Or s’empara de la seringue, et la planta sans hésiter dans le cou de Juliet. Elle étouffa, son visage bleuit, ses yeux se révulsèrent, et elle s’effondra dans ses bras.

 

Angelo remit sa chemise, et considéra le désordre qui régnait dans la chambre.

 

Bon, et maintenant ?

 

C’est alors qu’il entendit quelqu’un dans le couloir. Des voisins mécontents ? Non, ils ne marcheraient certainement pas aussi précautionneusement.

 

Deux types. Ils avancent sur la pointe des pieds.

 

Sans hésiter, il ouvrit la fenêtre et bondit dehors. Même au septième étage, il n’éprouvait aucune gêne d’altitude. Il ne resta qu’un instant sur l’appui de la fenêtre. Repérant une gouttière juste à côté, il s’y accrocha, et descendit d’un mètre, pour ne pas être directement à portée de vue. Dans la chambre, la porte s’ouvrit. Encore de lourdes chaussures faisant craquer le plancher. Puis une voix constatant à voix basse :

 

-         Qu’est-ce qui s’est passé ?

-         Il a eu Perséphone !

-         L’enfoiré ! Il va le regretter.

-         Hé, c’était pas prévu, ça ! Où il est passé ?

-         On est au dernier, il n’a pas pu aller bien loin ! Va voir dans la salle de bain.

-         Euh… j’ai pas pris mon flingue, ça devait être du tout cuit.

-         Mauviette ! Attends un peu que j’en parle au boss ! Heureusement que j’ai pris le mien !

 

Un bruit de poignée qu’on tourne.

 

-         Y a personne !

-         Il ne s’est quand même pas envolé !

 

Attention, ça, c’est pour moi !

 

Angelo banda ses muscles, prêt à réagir au quart de tour, les yeux fixés sur l’encadrement de la fenêtre. Il vit alors un bras passer lentement un pistolet, puis la forme vague d’un malfrat avec veston, écharpe et chapeau. Le Chevalier d’Or n’hésita pas un instant. Son bras se détendit comme un fouet, ses doigts s’enfoncèrent dans la chair du visage de l’assaillant, puis il tira, le faisant basculer en avant. Le tueur dégringola avec un cri épouvanté, et s’écrasa dans la ruelle.

 

-         Randy ? Randy ? Oh… oh merde…

 

L’autre avait l’air de paniquer. Angelo eut un rictus cruel.

 

Mon petit père, t’as encore rien vu !

 

Et d’un mouvement exécuté avec la souplesse d’un acrobate, il bondit en salto avant et atterrit dans la chambre, pile en face de l’individu. C’était un homme un peu malingre, mal rasé et blanc comme un linge. Avec un cri effrayé, il tourna les talons et se précipita hors de la chambre.

 

-         Oh non ! Tu ne t’en tireras pas comme ça !

 

Il courut à la poursuite de l’homme. Dans le couloir, le fuyard avait atteint la porte du fond, qui donnait sur l’extérieur. Angelo se craqua les doigts avec un sourire amusé. Il était tellement sûr de lui qu’il courut en petites foulées, sans s’épuiser. Sa proie dévalait maintenant l’escalier de secours. Le Chevalier d’Or la repéra quand il arriva sur le pas de la porte. Il attendit tranquillement, regardant l’homme dégringoler plus que descendre les marches de métal. Il savoura les faux espoirs qu’il lui laissait. Quand le malfrat n’eut plus que quelques marches à descendre, Angelo fit un immense plongeon en avant, bras déployés. Il pivota sur lui-même, et se reçut pile devant le bandit, accroupi pour amortir le choc. Il se releva lentement, foudroyant des pupilles l’homme qui était paralysé de terreur.

 

-         Je crois que tu t’es attaqué à la mauvaise personne, pollo. Pas toi ?

 

Il ne lui laissa pas le temps de répondre, et lui enfonça l’index et le majeur de chaque main dans les tempes. Quand il les retira, l’homme mourut sur-le-champ et tomba sur les pavés comme un paquet de vieux chiffons.

 

Dans la cour arrière de l’hôtel, il n’y avait pas de témoins, mais il ne voulut pas prendre le risque d’être vu en compagnie d’un corps. Ou plutôt deux corps, le tueur au pistolet étant disloqué un peu plus loin. Il fouilla rapidement dans le veston de ce dernier, arracha le portefeuille et disparut dans la nuit.

 

 

Evidemment, l’homme n’avait aucune pièce d’identité sur lui. Il avait bien quelques dollars, qu’Angelo avait empochés, ainsi qu’un paquet de cigarettes, mais rien qui puisse donner clairement une indication sur son identité. Deux choses avaient vraiment capté l’attention du Chevalier d’Or. La première était une photo de lui, en noir et blanc. L’autre était un laissez-passer, une carte imprimée et tamponnée, lui permettant l’accès à l’un des docks de la ville. Sans hésiter, Angelo s’y était rendu.

 

Cela faisait deux heures qu’il errait entre les nombreux entrepôts, à la recherche de quelque chose de concret. Mais il ne trouvait rien, et cela le frustrait de plus en plus. Et encore une fois, les doutes l’assaillirent.

 

Est-ce que cette femme et ses deux complices étaient vraiment après moi ? Peut-être qu’il s’agit simplement d’un trio de petites crapules cherchant à détrousser les pigeons ? C’est l’autre blondinet qui s’imagine n’importe quoi, et qui m’a mis dans la tête ses délires de « gens qui s’intéressent à moi » ! Mais alors, pourquoi avaient-ils ma photo ? Et comment ont-ils pu l’avoir alors que je ne suis ici que depuis même pas vingt-quatre heures ?

 

Il se demanda sérieusement s’il n’avait pas non plus inventé toute la scène dans la cour. En y réfléchissant, il eut du mal à se remémorer précisément les traits de ce Gillian. Et puis, cette fille avait l’air trop jolie et innocente pour tuer. Il se rappela en serrant les dents son expression tordue d’épouvante et de douleur quand il l’avait piquée avec la seringue. Le tonnerre gronda, et la pluie se mit à tomber. Il repéra un coin au sec, s’assit par terre, appuyé sur une caisse. Que penser de tout ce qui lui arrivait ? Encore une fois, il se surprit à se demander si tout cela n’était pas le fruit de son imagination.

 

Peut-être que je perds la tête ? Peut-être que cette Juliet, ou Perséphone, n’était que…

 

En réfléchissant, il sentit ses paupières s’alourdir. Peu à peu, son esprit glissa dans les limbes, progressivement.

 

« Angelo ! »

 

Il se réveilla en sursaut, avec un cri de frayeur. Une voix lui avait parlé, avait crié son nom, juste derrière lui. Bien sûr, il n’y avait personne, ce n’était que le fruit de son subconscient. Mais il frissonna tout de même. Ce genre de réveil n’avait rien d’agréable. Et puis, en y réfléchissant, il se rendit compte qu’il n’y avait pas seulement eu le son. Cette voix, très grave, caverneuse, lui rappelait quelque chose. Peu à peu, il lui sembla même se remémorer un visage, en filigrane. Une peau flasque et verdâtre, des yeux rouges et brûlants… D’où pouvait donc lui venir cette image ?

 

Angelo se redressa en entendant le bruit d’un moteur. Un camion quittait l’un des entrepôts. Les gardiens fermaient les portes derrière le véhicule qui roulait vers la sortie des docks. Le Chevalier d’Or suivit d’un œil distrait le camion, quand soudain, un détail déclencha une poussée d’adrénaline.

 

Sur la bâche du camion, il y avait un sigle : la mention « Centre de Recherches en Armements et Blindages Emerson ». Et au-dessus, un dessin stylisé représentant un crabe.

 

Un crabe… Mon Signe astrologique ! C’est ça ! La voilà, ma « voie à suivre ! »

 

Tout excité, le Chevalier d’Or se releva un peu vite, et se froissa un muscle de la jambe, avec un grognement. La réclusion, la frustration et l’âge avaient manifestement affaibli son organisme. Il réalisa qu’il avait intérêt à ne pas trop se montrer, et resta caché dans l’ombre. Il tenta de suivre le camion, mais quand celui-ci franchit la barrière, il accéléra brutalement et disparut dans la nuit.

 

Angelo pesta. Il lui fallait trouver un autre moyen de retrouver sa proie. Il quitta à son tour la zone, muni de sa carte, et marcha lentement, pensivement. Son oreille perçut alors un brouhaha un peu lointain. De la musique, des rires, et des tintements de verre. Un bar, La Grosse Sirène, sans doute un bouge à marins. L’endroit idéal pour pêcher des informations.

 

Faut croire que les marins préfèrent prendre le risque d’une descente que renoncer à leurs saouleries quand ils sont à terre.

 

À l’approche de l’enseigne, il fut tout de même surpris de l’audace du tenancier. C’était presque un appât à policiers, en ces temps de Prohibition. Peut-être que ce bistrot était protégé par une influente personnalité ?

 

 

L’intérieur donnait vraiment l’impression d’entrer dans l’univers très fermé les gars de la Marine… plusieurs tableaux accrochés aux murs représentaient des bateaux, un filet de pêche parait tout le mur du fond, les fenêtres étaient faites avec des hublots et gainées de bouées de sauvetage, et même une figure de proue à l’effigie d’une sirène opulente trônait dans un coin. Le tenancier était un gros homme avec une impressionnante barbe rousse, et un visage buriné, marqué par des dizaines d’années d’embruns.

 

La clientèle n’était pas en reste. Vêtus de costumes de toile lourde, de cirés, ils buvaient à même les bouteilles, et parlaient de leurs voix fortes et cassées. Tous avaient la même expression de lassitude. Le Chevalier d’Or sentit bien qu’il fallait se méfier des eaux dormantes. Le moindre écart, le moindre faux pas pouvait déclencher la colère de tous ces marins, tous unis pour se débarrasser des gêneurs.

 

Mais il n’était pas pour autant impressionné. Même s’il n’avait plus qu’une partie de ses pouvoirs, il était parfaitement capable de briser les crânes de tous ces gaillards réunis sans s’essouffler. Les buveurs le sentaient inconsciemment, aucun n’osa faire une remarque au nouveau venu, bien qu’il n’eût pas l’apparence d’un marin. Il s’approcha du comptoir du bar. Le gérant arrêta de nettoyer son verre, et contempla Angelo d’un œil interrogateur. Celui-ci posa un billet sur le bois collant.

 

-         Servez-moi ce que vous avez de plus fort.

 

Sans mot dire, le gros barman empocha le billet, et sortit de sous le comptoir une vieille dame-jeanne qu’il déboucha. Il remplit un petit verre d’un liquide sombre et visqueux. Angelo saisit le verre entre le pouce et l’index, et le vida d’un trait. C’est à peine s’il sentit un léger picotement sur sa langue.

 

-         Hé bé ! T’as l’air d’un plouc, mais t’as du cœur au ventre !

 

Le Chevalier d’Or eut un petit sourire. Son plan était en train de fonctionner. Il se tourna lentement, et vit un homme très maigre, mal rasé, à la peau blanchâtre.

 

-         T’es pas un marin, pas vrai ?

-         Et alors ?

-         Oh, rien ! Je suis surpris, c’est tout. On t’a jamais vu ici.

-         Je viens d’arriver.

-         T’es pas un marin, mais t’as vraiment l’étoffe d’un vieux loup de mer !

-         J’ai eu mon compte d’embrouilles.

-         Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

 

Angelo ne répondit pas. Le bonhomme fit alors signe au tenancier.

 

-         Lachlan ! Sers-m’en un, et un autre pour Monsieur, je régale.

-         Ça marche.

 

Les deux verres servis, le vieux reprit :

 

-         Je m’appelle Emmett, et toi ?

-         Shun…

-         Sean, hein ? Alors, Sean, qu’est-ce tu cherches, ici, si t’es pas un marin ?

-         Y a un gars qui a décidé de jouer avec mes nerfs. Il s’amuse à me faire peur avec des lettres, des photos, des pavés dans mes fenêtres, et j’aimerais lui expliquer en face que c’est pas une bonne idée.

 

Emmett eut une petite moue admirative.

 

-         C’est pas un marin, j’espère ? Nous, on n’aime pas les tapettes qui se planquent, on règle les problèmes entre hommes !

-         Je crois que c’est un gars qui travaille pour le centre d’armes Emerson. Vous connaissez, non ? Y a des entrepôts sur le port.

 

Un lourd silence plana alors au-dessus des têtes. Certains visages pâlirent.

 

-         Hé, t’es pas sérieux ?

-         C’est quoi, l’embrouille ?

-         T’as pas entendu parler des histoires du Crabe ?

-         Qu’est-ce qu’il y a à savoir, papy ?

-         Cette compagnie appartient à un drôle de calamar !

-         C’est pas le gusse qui vient d’Innsmaw ? demanda un deuxième loup de mer.

-         Innsmouth, Clive ! Cette engeance pourrie a été vomie par Innsmouth !

-         Innsmouth ? répéta Angelo.

 

Emmett le regarda avec inquiétude.

 

-         Innsmouth est une ville très au nord d’ici. Il y a eu plusieurs histoires pas claires dans c’te ville. Nous, les marins, on a appris à l’éviter.

-         C’est les Marsh, le problème, glapit une voix.

-         La famille Marsh, c’est rien que des rejetons de l’Enfer !

-         Ouais, même Poséidon n’en voudrait pas !

 

Le Chevalier d’Or n’en était pas aussi sûr, il eut un petit sourire en coin nerveux.

 

-         Quel rapport ? Cette société n’appartient pas à Emerson ?

-         Ce n’est qu’une couverture ! Tous les marins le savent ! C’est un industriel qui a fait fortune avec des navires de guerre qu’il a vendus en Europe, pendant la guerre ! Des armes, des blindages...

-         Enfin, c’est ce qu’il fait croire, reprit Emmett. Angus Emerson n’est qu’une marionnette. Il est à la botte des Marsh, et puis c’est tout.

-         Et le Marsh qui te fait tourner en bourrique, c’est Winston, pour sûr !

-         Winston Marsh…

 

Angelo grava le nom dans son esprit. Une voix lugubre creva alors le silence :

 

-         Oh, mon Dieu… Le Mamamouchi

 

L’homme qui avait parlé était sans doute le plus âgé de toute la clientèle. Il était d’une maigreur effrayante, la peau parcheminée de son visage le faisait davantage ressembler à un cadavre. Il avait les yeux d’un blanc laiteux. Une crainte empreinte de respect alourdit l’atmosphère. Le Chevalier d’Or prit le risque :

 

-         Et… c’est quoi, le « Mamamouchi » ?

-         Tu es bien un amoureux du plancher des vaches, petit, marmonna Emmett.

-         Le Mamamouchi était un navire fourni par Marsh, reprit le vieillard aveugle. Le dernier sur lequel j’ai navigué, il y a bien longtemps. C’est à la suite de cette expédition que j’ai perdu la vue. Mes yeux n’ont rien eu, mais mon cerveau a décidé de ne plus jamais rien voir.

 

Sous les regards inquiets, Angelo s’installa à la table du vieux marin.

 

-         Que s’est-il passé ?

-         Il y a quarante ans, une université d’une ville voisine d’Innsmouth a organisé une expédition vers le Pôle Sud. J’étais le navigateur. Tout allait bien, jusqu’au jour où nous sommes tombés sur une terre qui ne figurait sur aucune carte. Et ce qu’on a vu… Des ruines d’une civilisation que personne ne connaissait, des signes et des idéogrammes qu’aucun de nous n’était capable de traduire. Sauf Gustavus Marsh.

-         Un autre membre de cette famille ?

-         Oui, mon jeune ami. Il avait financé l’expédition, et insisté pour se joindre à nous. L’université n’a pas refusé, il avait donné bien plus d’argent que cette expédition avait nécessité. Alors que la peur commençait à étreindre nos entrailles et à glacer le sang dans nos veines, il était de plus en plus exalté. Il semblait en connaître bien plus qu’un simple armateur. Et par-dessus le marché, il n’avait pas l’air surpris par la tournure qu’avait pris cette expédition. Comme si les choses s’étaient produites selon un schéma qu’il avait anticipé. Mais le pire est venu quand la lune s’est levée…

 

Personne n’osait parler, et les respirations se firent plus rauques. Le Chevalier d’Or était resté calme. Il demanda simplement :

 

-         Qu’est-ce qui s’est passé ?

-         Nous… l’université nous a fait promettre de ne jamais rien révéler. Et de toute façon… personne d’autre qu’un marin confiant ne pourrait me croire. Vous tous, les gars, je sais que vous savez, et que vous ne me prenez pas tous pour un vieux cinglé, mais… toi, fiston, qui suis les Marsh ?

-         J’en ai vu d’autres, l’ami. Parlez sans crainte.

 

La voix du vieillard était réduite à un murmure quand il dit :

 

-         Des créatures… Des choses pas humaines nous avaient suivi. J’en avais repéré une ou deux pendant le trajet qui nageaient près du bateau, mais j’avais cru que c’était un marsouin, ou une autre bestiole du genre. Mais ces choses… ces choses… n’étaient pas des poissons. Et elles n’étaient pas des hommes, non plus ! Elles nous ont attaqué, alors que le Marsh n’arrêtait pas de se marrer, comme s’il n’avait rien à craindre d’elles ! Quand je l’ai vu ricaner au milieu de ces horreurs, j’ai le cerveau qui a disjoncté. Et c’est la dernière image que j’emporterai en Enfer… J’ai repris connaissance sur la plage, avec une demi-douzaine de gars qui avaient réussi à s’en sortir en m’emmenant. Ils ont pu manœuvrer le bateau avec mes instructions, à l’aveugle, et on a pu rallier le Brésil. Là, ils ont pu nous rapatrier. Mais bon Dieu, je ne peux plus rien voir, mais c’est mieux ainsi, car je n’aurais pas à supporter de revoir leurs immondes faciès une fois encore…

-         T’es sûr que c’était pas des éléphants roses, le vieux ?

 

Il y eut des exclamations indignées. Angelo pivota en direction de la porte d’entrée, prêt à se battre. Trois policiers armés de fusil se tenaient dans l’encadrement de la porte. Pour la « protection », on allait repasser. L’un des marins s’avança, le regard mauvais. Le policier en tête braqua son fusil dans sa direction.

 

-         Mauvaise idée, mon gars. On a prévu le coup.

 

En effet, plusieurs sirènes de police retentirent simultanément à l’intérieur.

 

-         Sortez sans histoire ! Au nom de la Loi, vous êtes tous en état d’arrestation !

 

Personne n’osa bouger. Angelo réfléchit rapidement. Même si, théoriquement, il pouvait venir à bout de tous ces gens… il y aurait des blessés, sans doute des morts. Et après ? Dommages collatéraux. Oui, mais sans son armure, et sa puissance, une balle de fusil en pleine tête... les policiers ne le rateraient pas, à cette distance. Et quand bien même il s’en sortirait, son signalement serait rapidement diffusé partout. Adieu la discrétion.

 

Si je veux commencer une nouvelle vie, j’ai intérêt à ne pas faire de dégâts. Je pourrai toujours m’enfuir si les choses tournent vraiment trop mal.

 

Docilement, il leva lentement les mains, et se rendit aux policiers.

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