Le Fil Conducteur

Chapitre 9 : Marsh Attacks

8039 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/04/2020 14:47

-         Pas trop serré ?

-         Non, je n’ai pas autant grossi que tu le pensais.

 

Deux hommes marchaient côte à côte sur le boulevard. L’un était mince, en costume bleu nuit à la veste largement ouverte, et marchait mains dans les poches d’une démarche nonchalante. L’autre était plus grand, s’était bien taillé la barbe, et rajustait le nœud de la cravate de son magnifique complet blanc rétro.

 

Spike Spiegel tenait dans la main une carte d’inspecteur avec la photo de Jet, un faux nom et une non moins fausse adresse.

 

-         Agent du FBI, hein ?

-         C’est la meilleure couverture dans ce monde arriéré, claironna Ed à travers le communicateur. Une autorité qui est respectée par tous sur ce continent ! En plus, avec des faux papiers d’autant plus réussis qu’ils sont absolument authentiques, où est le problème ? Jet va pouvoir mener l’enquête au mieux ! Et toi, tu le couvres si ça tourne mal !

-         Et pourquoi ce n’est pas moi, l’agent du FBI, hein ?

-         Parce que nous savons tous les deux que je suis plus crédible que toi dans ce rôle, rétorqua le vieux baroudeur.

 

D’un coup sec, Jet lui arracha la carte.

 

-         Et maintenant, reste dehors et ne bouge pas tant que je ne t’appelle pas ! Couvre mes arrières !

-         Hé, dites, pourquoi vous n’avez pas voulu m’emmener avec vous ? Hein ? Hein ? Hein ? Hein ? Hein ? Hein ? Hein ?

 

Spike éteignit précipitamment le communicateur. Il ne fallait surtout pas se compromettre sur ce monde bien moins développé technologiquement.

 

-         Dommage qu’elle n’ait pas les synapses branchées à l’endroit, sinon elle comprendrait que c’est justement ce genre d’attitude qui nous oblige à la laisser en orbite dans le vaisseau !

-         Bah, elle trouvera bien de quoi se distraire. En attendant, pose ton fondement là, et attends-moi comme si de rien n’était.

 

Il y avait un banc juste en face de l’entrée du grand bâtiment.

 

-         Okay, je ne bougerai pas tant que tu ne sors pas, ou que tu me bipes.

-         Bien. Enfin bon, juste poser deux ou trois questions, le temps qu’elle vérifie que je sois bien ce que je prétends être, on sera loin. Les risques sont minimes.

 

Spike s’assit, étira les bras et les croisa derrière sa nuque, profitant du soleil. Jet, de son côté, franchit les grandes portes battantes.

 

 

Il n’y avait qu’une secrétaire derrière le comptoir. Elle remplissait un cahier.

 

-         Bonjour, mademoiselle.

-         Bonjour, monsieur. Que puis-je pour vous ?

-         Agent Mackey, FBI.

-         Le FBI ? Que… que nous veut le FBI ?

-         J’aimerais que vous m’aidiez à retrouver quelqu’un.

-         Qui donc ?

 

Jet sortit la photographie représentant l’un des deux jeunes gens se ressemblant.

 

-         Nous sommes à la recherche de cette personne depuis quelque temps. Nous avons récemment perdu sa trace, mais une de nos sources de renseignements m’a dit l’avoir vu amené dans votre commissariat.

-         Ce… c’est possible. Vous savez, il y a tellement de gens qui vont et viennent…

-         Seulement, il n’est pas resté chez vous. Vous l’avez fait déplacer ailleurs, et nous ne savons pas où. C’est un endroit connu de votre administration seule.

-         Euh… oui, en effet, quand on nous amène des gens qui sont mêlés à une affaire criminelle sans être des criminels eux-mêmes, nous préférons les déplacer.

 

La femme semblait de plus en plus gênée. Un claquement de porte résonna dans le hall. Un homme bien bâti serré dans des vêtements passe-partout rajustait sa casquette, et s’apprêtait à sortir du commissariat en passant derrière Jet. Celui-ci insista.

 

-         Ce jeune homme est impliqué dans une affaire concernant le Bureau Fédéral d’Investigation, je dois lui parler ! Dites-moi où vous l’avez envoyé !

-         Bon, bon… Mais à mon avis, à l’heure qu’il est, son oncle l’a récupéré.

-         Son oncle ?

-         Oui, son oncle est venu, il s’inquiétait de ne pas les voir, lui et son frère.

-         Vous êtes sûre que c’était son oncle ?

-         Il a présenté des papiers d’identité en règle, et des photos de ses deux neveux. En plus, c’est un monsieur respectable, je crois savoir qu’il est en bons termes avec le maire.

-         Comment s’appelle cet oncle ?

-         Winston Marsh, monsieur l’inspecteur.

-         Connais pas.

 

Du coin de l’œil, Jet vit que le type avait suspendu son geste d’ouvrir la porte de sortie et tournait lentement la tête dans sa direction. Son regard était inhabituellement pénétrant, comme celui d’un chasseur de primes. Sûrement pas le premier touriste venu. La voix de l’agente d’accueil le ramena au présent.

 

-         Bon, bon… Nous les avons envoyés à l’hospice de la Grande Miséricorde. C’est là où l’on met les gens dont on ne sait pas trop quoi faire. Ils ont l’habitude.

-         Eh bien voilà !

 

La porte d’entrée claqua. L’individu avait disparu. Jet haussa les épaules et demanda l’adresse de l’hospice. La secrétaire la lui nota sur une page de calepin. Il la remercia poliment, et se retira.

 

Quand il fut à nouveau à l’extérieur, il chercha Spike du regard, le repéra non loin de là, en train d’acheter un hot dog à un marchand ambulant. Il s’apprêta à descendre les marches, lorsqu’une voix l’interpella.

 

-         Hé, vous !

 

Jet se retourna. L’homme qu’il avait vu sortir était appuyé contre le mur, bras et jambes croisés. Le chasseur de primes l’inspecta brièvement des pieds à la tête. C’était un grand homme, habillé avec des vêtements sobres, mais pratiques, et à la mode. Un costume dans les tons marron et beige, avec un gilet et une casquette qui laissaient voir des cheveux de jais. Son visage glabre était taillé à la serpe, ses deux yeux allongés laissaient transparaître une lueur peu rassurante. Instinctivement, Jet comprit immédiatement qu’il faisait face à un individu très dangereux. Celui-ci observa :

 

-         Vous n’êtes pas un agent gouvernemental.

-         Comment le savez-vous ?

-         Vous venez de me le dire.

 

Jet serra les dents. Comment avait-il pu se laisser bluffer aussi facilement ? Il se faisait vieux…

 

-         Et alors, en quoi ça vous regarde ?

-         Par contre, vous voulez vous frotter à Winston Marsh.

-         À ta place, mon petit pote, je me mêlerais de mes affaires.

 

Le chasseur de primes écarta lentement le pan de sa veste, montrant ainsi la crosse de son revolver. L’autre se dégagea du mur, et tendit les deux mains en avant.

 

-         Relax, mon vieux, je suis dans ton camp.

-         Qu’est-ce que t’en sais ?

-         Es-tu dans celui de Winston Marsh ?

-         Y a un problème ? demanda innocemment Spike, en croquant son hot dog.

 

L’individu regarda le jeune chasseur de primes, puis son comparse.

 

-         Jet, décidément, t’as la cervelle en passoire.

-         Comment ça ?

-         Je ne sais pas qui est ce monsieur, mais c’est l’une des cibles du culte.

-         L’une des…

 

Jet se claqua le front. L’homme devant lui faisait effectivement partie des individus pris en photo dans le dossier du père Saunders. Et il ne l’avait pas reconnu. Comme Ed n’avait pas réussi à retrouver son identité, son visage lui était sorti de l’esprit. L’inconnu dit alors :

 

-         Vous avez l’air d’être au courant de certaines choses, vous aussi.

-         Disons que nous avons quelques bonnes raisons de nous méfier des étrangers, répondit Spike avec nonchalance.

-         J’ai une proposition à vous faire, les gars.

-         Genre ?

-         Vous n’avez pas l’air d’être des flics. Vous êtes des mercenaires, ou des détectives privés. Et j’ai entendu de sales histoires à propos de Winston Marsh. Si vous travailliez pour lui, vous connaîtriez son nom. Et, à mon avis, un gars comme ça, si vous ne travaillez pas avec lui, c’est que vous êtes contre lui.

-         Plutôt catégorique, comme opinion.

-         Croyez-moi, j’ai eu mon lot de vacheries. Plus que j’en ai l’air, je pense.

 

Les deux chasseurs de primes se regardèrent. Spike dit alors :

 

-         D’accord. On va parler de ça dans un endroit plus discret. Et je te conseille d’éviter les coups tordus.

-         C’est Winston Marsh qui les organise, les coups tordus. Et moi, je suis une de ses cibles. Et si vous savez quelque chose, je serai heureux de partager des informations.

-         Allons plus loin, cher… comment, au juste ?

-         Appelez-moi Angelo.

 

 

La promenade au bord du fleuve était déserte. L’endroit idéal pour parler calmement et sans attirer l’attention. Angelo raconta son histoire aux deux chasseurs de primes :

 

-         Winston Marsh a tenté de me dessouder, et j’ai pas apprécié. Je mène une enquête sur ce gusse depuis hier, et d’après ce qu’on m’a dit, il trempe dans des affaires louches. Avec des types très louches. J’ai été envoyé ici pour empêcher un désastre d’avoir lieu. Dans deux jours, le 2 avril, il va se passer quelque chose de vraiment catastrophique, et je soupçonne Winston Marsh d’y être mêlé. Ma patronne pense que l’événement à venir va avoir des conséquences apocalyptiques ; en gros, il s’agit d’une énorme inondation. Et j’ai appris par des marins que Winston Marsh s’est jadis mouillé dans une sale histoire durant laquelle il a trouvé quelque chose sur une île non répertoriée. Je parierais que ce « quelque chose » soit une énorme bombe, une machine infernale dissimulée ou tout autre dispositif du genre qui serait à même de provoquer une inondation sur la côte est. Ce qui m’étonne, c’est que ses larbins aient pu me repérer et me retrouver aussi rapidement.

-         À ça, j’ai une explication, répondit Spike. Il y a quelques jours, j’ai moi-même été attaqué par les membres d’une secte, plusieurs fois. Ils me suivaient depuis un moment, ont pris des photos de moi… J’ai pu rencontrer un de leurs chefs, un certain Saunders. Il m’a dit que j’étais destiné à servir une « Grande Cause », avec les majuscules. Il a ajouté qu’il y aurait d’autres élus. Je suppose que tu étais destiné à être sacrifié, ou à servir leurs plans d’une façon ou d’une autre.

-         Et pourquoi moi ?

-         Sais pas. Pas plus que pour moi. Quant à savoir comment cette secte a pu avoir aussi vite ton signalement… Un don de divination, peut-être ?

-         Ce n’est pas le plus urgent, intervint alors Jet. Quatre autres personnes sont menacées, à l’heure qu’il est, et nous étions en route pour chercher l’une d’entre elles.

-         C’est juste, Angelo, nous devons y aller.

-         Je vous accompagne.

-         Mettons les choses au point, Angelo : si jamais t’essaie de nous doubler, on t’abat.

-         D’accord, d’accord.

 

Ils se redirigèrent vers la zone résidentielle, tout en continuant.

 

-         La personne que nous cherchons se trouve à l’hospice de la Sainte Miséricorde, et j’imagine qu’elle ne sera pas seule.

-         Comment ça ?

-         Regarde ces photos. Il y a de fortes chances que celui-ci soit en fait le frère de celui-là.

-         C’est vrai, il y a un bon air de famille. À moins d’un imprévu, si on trouve l’un, on ne devrait pas avoir de mal à trouver l’autre.

 

Trois quarts d’heure de marche plus tard, les trois associés arrivaient en vue du quartier où se trouvait l’hospice.

 

-         Vous entendez ce que j’entends ?

-         Des sirènes ? Et alors, dans une grande ville comme ça…

-         Elles se rapprochent !

-         Hé, qu’est-ce qui se passe ? Il y a comme un attroupement ?

-         Bon sang ! Nous arrivons trop tard !

 

Spike s’élança en avant. Jet allait le suivre, quand Angelo posa sa main sur son épaule.

 

-         Je vais voir dans la ruelle arrière !

-         D’accord.

 

Et le Chevalier d’Or fit le tour de l’attroupement, se faufila dans une ruelle sombre. Quelques petites foulées, et il se retrouva pile derrière le bâtiment incendié. Au même moment, la porte arrière craqua, et un petit jeune homme blond, seulement vêtu d’une longue chemise de nuit blanche partiellement brûlée, au visage noirci, titubait en reprenant péniblement son souffle. Angelo sourit en reconnaissant celui que les deux chasseurs de prime cherchaient.

 

-         Alors c’est toi, Edward Elric…

 

Le petit jeune homme pivota, se mit en garde, prêt à agir. Un cri effrayé éclata derrière le Chevalier d’Or.

 

-         Grand frère, attention !

 

Angelo se retourna, et vit deux autres personnes arriver : un autre petit jeune homme, et une jeune fille rousse. Il eut un rictus réjoui : tous deux avaient également été photographiés dans le dossier de Saunders.

 

L’étau se resserre, nous sommes pratiquement tous réunis !

 

-         Éloignez-vous ! cria le jeune frère.

 

Angelo en était sûr, à présent. Même sans l’interjection du jeune, il n’y avait qu’à les regarder côte à côte pour comprendre qu’ils étaient frères. Il leva lentement les bras.

 

-         Doucement, je viens en ami. Je ne suis pas seul, deux autres sont avec moi, et je ne suis pas armé.

-         Il dit la vérité, dit la jeune fille sans hésiter.

-         Évidemment que je dis la vérité, répliqua Angelo. Quel intérêt aurais-je à mentir ?

-         Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, quelqu’un vient de vandaliser notre hospice ! cracha Edward. Il y a de quoi se méfier des nouvelles têtes !

-         Ne t’en fais pas, je peux te garantir qu’il ne ment pas.

-         Qu’est-ce qui te rend si sûre de toi ? demanda Edward avec méfiance.

-         Disons que j’ai un don de divination.

 

En entendant ces mots, Angelo éprouva alors une sensation très particulière, à la fois lointaine et très familière. Un peu comme quand… quand…

 

Athéna ?

 

Non, cette fille n’était pas Athéna. À cette époque, le grand-père Kido devait être relativement jeune, il ne pouvait donc s’agir de Saori. L’incarnation de la Déesse de la Justice de ce temps-là ? Pourquoi pas ? Mais… peut-être pas. Quelque chose émanait bien de la jeune personne, mais ce n’était pas la résonance de l’équilibre, la justice, la loi et la sagesse. Non, c’était quelque chose de plus profond, de plus primaire, de plus sauvage, instinctif. Quelque chose qui poussa de toute façon le Chevalier d’Or à croire la femme sur parole.

 

-         Grand frère, tu es blessé ! s’écria Alphonse.

-         Rien de grave, Al.

-         Il faut qu’on te soigne, vite !

-         Déjà, nous devrions sortir d’ici et retrouver Sœur Helen !

 

Et les quatre quittèrent la cour et regagnèrent la rue principale. L’incendie semblait maîtrisé. Jet et Spike vinrent à la rencontre du petit groupe.

 

-         Hé, Angelo, on dirait que tu les as trouvés !

-         On dirait, oui.

-         Mais de quoi parlez-vous, enfin ? s’indigna Edward, visiblement nerveux.

-         Edward Elric, je m’appelle Spike Spiegel. Lui, c’est Jet, et ce gars-là, c’est Angelo.

-         Et comment vous connaissez-nous ?

-         Nous avons affaire à une secte de fanatiques qui a tenté de me buter, et de faire la même chose à Angelo. Et d’après ce qu’on a pu apprendre en lisant les rapports de police, toi et ton frère avez été agressés par les mêmes personnes.

 

Le chasseur de primes avait réussi à attirer l’attention des trois jeunes gens. Horo confirma la véracité de ses dires d’un petit signe de tête. C’est à ce moment qu’arriva Sœur Helen.

 

-         Edward ! Dieu soit loué, vous êtes sain et sauf !

-         Ma Sœur, vous… vous aviez raison. Ceux qui ont fait ça… ils avaient les mêmes traits que les fanatiques.

 

Alphonse se tint la tête à deux mains.

 

-         Tout ça, c’est notre faute ! Nous n’aurions pas dû…

-         Ne dites pas cela, mon fils, coupa Sœur Helen. Ce n’est pas vous qui avez fait irruption dans notre hospice, armes à la main, et qui avez mis le feu au bâtiment, Dieu me garde, j’ai vu votre frère chasser ces démons avec le courage de Saint-Michel !

-         Ils vous auraient retrouvés de toute façon, ajouta Jet. C’est un magnat industriel avec beaucoup de moyens qui est à leur tête. Il a su où vous trouver en se renseignant chez les flics du coin.

-         Je dois nous compter ! s’exclama Sœur Helen. Ne vous éloignez pas, je vous prie !

 

La sœur appela les pensionnaires de l’hospice, les invita à se rassembler devant la porte, laissant les deux frères, les deux chasseurs de prime, la jeune femme et l’homme entre eux. Angelo reprit :

 

-         Le problème, c’est Marsh.

-         Marsh ? répéta Edward. J’ai déjà entendu ce nom. Oui ! Oui, je me rappelle ! Quand nous nous sommes évadés, l’un d’eux a parlé d’un certain « maître Marsh » !

-         Marsh, hein ? Et qui est ce Marsh ?

-         D’après les marins, les Marsh sont une famille avec une sacrée histoire, le genre qui pue à trois kilomètres.

-         Des histoires de cultes religieux douteux ? demanda Spike.

-         Quelque chose du genre. En tout cas, de quoi coller le frisson.

-         Cela se recoupe avec ce qui m’est arrivé, à moi. Et avec le fait qu’on vous connaisse au moins de visu. Regardez :

 

Spike tira de sa veste le porte-documents trouvé dans le bureau de Saunders.

 

-         Pendant nos recherches, nous avons mis la main sur un dossier présentant les différentes personnes visées par ces clowns sinistres. Et, je vous laisse vérifier, vous avez tous votre portrait !

 

Il présenta tour à tour les photos de Horo, Alphonse et Edward. C’est alors que Sœur Helen revint à la charge.

 

-         Horo ! Horo ! Il manque quelqu’un !

-         Quoi ?

-         Je les ai tous recomptés, je n’arrive qu’à dix-sept ! Or, nous sommes à dix-huit, en comptant les deux frères Elric !

 

Spike et Jet se regardèrent, avec une expression mêlant fatalisme et résignation. Le grand chasseur de primes tendit un dernier cliché en demandant :

 

-         Votre disparu, il n’aurait pas cette tête ?

 

La Sœur Helen regarda la photo, et la peau noire de son visage pâlit.

 

-         Oh, mon Dieu…

 

Horo sentit son cœur manquer un battement quand elle vit à son tour que la photographie représentait Phil.

 

*

 

Ils avaient trouvé refuge dans la paroisse voisine. Afin d’éviter de longues heures d’interrogatoire de la part des policiers. Tous avaient plus ou moins avoué ne pas faire partie de ce monde, à l’exception d’Horo qui n’avait rien précisé sur sa véritable identité. Ils avaient également rassemblé toutes les informations qu’ils pensaient en rapport avec cette mystérieuse affaire.

 

-         Alphonse et moi avons été victimes de rituels tordus, expliquait Edward. Et si l’on en croit le pasteur à qui Sœur Helen en a parlé, il s’agirait d’anciens rites qui viendraient des îles haïtiennes.

-         Tout comme Loé Saunders et son père, acquiesça Spike. La famille Saunders vient de ce coin-là de la Vieille Terre.

-         Quel genre de cérémonial était-ce, déjà ? demanda Angelo.

-         Ils étaient censés nous pomper notre énergie alchimique, je suppose. Au lieu de ça, ils ont inversé les choses, et nous l’ont restaurée.

-         Edward a pu ainsi récupérer son bras et sa jambe, qui avaient été désintégrés au cours d’un… enfin, disons qu’ils ont repoussé.

 

Un court silence que rompit Spike.

 

-         Tous nos malheurs semblent venir des Marsh, et plus précisément de Winston Marsh !

-         C’est fort probable, approuva Horo. Même si ce n’est pas ce Marsh-ci le responsable, il devrait au moins pouvoir nous donner le nom du gourou – enfin, si ce n’est pas lui.

-         Il faut donc qu’on lui mette le grappin dessus ! déclara fermement Jet.

 

Le visage d’Edward se crispa.

 

-         L’ennui, c’est qu’on ne sait pas où trouver Winston Marsh.

-         Tu veux dire que vous ne savez pas où trouver Winston Marsh, mais moi, je le sais ! triompha Angelo. En fait, j’étais sur une piste avant de me faire arrêter par la flicaille, et enfermer dans ce commissariat où vous m’avez croisé.

-         Et alors, où doit-on aller ?

-         Il faut suivre la voie du C.r.a.b.e.

-         Du crabe ?

-         Le Centre de Recherches en Armements et Blindages Emerson. C’est une filiale qui appartient aux Marsh, Emerson est leur pantin.

-         Super, on va lui rendre une petite visite, alors, résuma Spike en allumant une cigarette.

 

 

Le quartier d’affaires grouillait d’activités. Sur la place, un petit groupe de gens distribuaient des tracts. Angelo en vit un par terre, d’un œil distrait : cela représentait le symbole Yin-Yang, avec l’un des deux pôles constitué d’eau, et l’autre de feu, et dessous figurait une publicité pour un grand rassemblement censé avoir lieu environ deux mois plus tard.

 

L’immeuble où était logée l’administration d’Emerson était de grande taille. Le hall d’entrée était déjà très spacieux, et des dizaines de personnes allaient et venaient à un rythme presque irréel. Spike, Angelo et Jet s’étaient présentés à l’accueil, le chasseur de primes barbu en tête. Une fois de plus, il avait joué la carte de l’agent du FBI, et la chargée d’accueil s’était empressée de leur indiquer l’ascenseur. Ils étaient tombés d’accord sur le fait qu’Horo et les frères Elric avaient intérêt à les attendre. Dans ce monde-là, le FBI ne recrutait ni les femmes, ni les mineurs.

 

Laissant donc Edward, Alphonse et la jeune fille dans une petite salle de détente, les trois adultes montèrent jusqu’au dernier étage. L’ascenseur s’arrêta avec le petit tintement de clochette caractéristique. Les doubles portes s’ouvrirent sur une grande galerie art déco. Quelques pas au milieu de tableaux, sculptures et autres objets décoratifs plus loin, ils entrèrent dans le bureau sans frapper.

 

Un petit homme grassouillet portant d’épaisses lunettes était assis derrière un grand meuble de bois verni. Il sursauta en voyant entrer les trois hommes. Spike ne put s’empêcher de voir quelques similitudes avec le cabinet de Saunders au niveau du style de décoration qui laissait supposer que son occupant aimait voyager dans les pays exotiques.

 

-         Angus Emerson ?

-         Oui, c’est moi, répondit l’autre d’une voix aiguë. Ma secrétaire m’a prévenu de votre arrivée, mais je vous trouve tout de même bien cavalier !

-         Agent Mackey, FBI, monsieur Emerson, répliqua Jet en montrant son faux insigne. Épargnez-moi l’indignation dissimulant la culpabilité, et répondez à mes questions.

 

Angus Emerson avait devant lui trois grands gaillards qui ne semblaient pas venus pour une conversation amicale. De la sueur chaude suinta de son crâne brillant.

 

-         Agent Mackey, je… je vous préviens que…

-         Quoi donc ? Vous allez prévenir la police pour me mettre dehors ? La bonne blague !

 

Spike et Angelo rirent de concert, histoire d’effrayer davantage le petit homme.

 

-         J’ai… je connais personnellement le sénateur Paine…

-         C’est ça ! Qu’il essaie de m’emmerder, et je vais lui montrer à quel point je peux être très méchant. Vous partagerez la même cellule.

-         Vous… êtes venus m’arrêter ?!

-         Seulement si vous essayez de jouer au malin avec moi, monsieur Emerson. Après une enquête approfondie, il s’avère que vous êtes impliqué dans une histoire qui fait vraiment tache sur votre CV.

-         Que… que voulez-vous dire, agent Mackey ?

 

Ce fut Spike qui répondit :

 

-         À notre connaissance, nous en sommes à « complice d’une religion dont le culte est prohibé », et par extension « enlèvements de personnes mineures », « incendie criminel », « tentative de meurtre », et je parierais qu’en fouillant encore un peu, on trouvera les classiques du genre « détournement de fonds » et « harcèlement sexuel sur le personnel féminin »… ou même masculin.

-         L’agent Mirror ici présent ne manque pas d’humour, reprit Jet.

-         Moi, par contre, je manque de patience ! déclara alors Angelo.

 

Le visage d’Emerson se décomposa peu à peu.

 

-         Vous n’êtes pas du FBI…

-         T’en as mis du temps ! ironisa Spike.

 

Le PDG se jeta sur son téléphone, mais fut saisi à la gorge par le grand homme en costume simple, qui lui était tombé dessus avec une rapidité surnaturelle. Angelo souleva d’une main le petit homme et le plaqua contre le mur.

 

-         Mauvaise idée, nain de jardin !

-         Ah… Au secours, au sec…

 

Angelo crispa le poing, compressant la trachée d’Emerson, qui ne put que gargouiller.

 

-         Bon, on va la faire courte : où est Marsh ?

 

Il desserra un peu les doigts, le tira vers lui, attendit une réponse de l’autre.

 

-         Je… ne sais pas…

-         Mauvaise réponse.

 

Angelo flanqua une claque à Emerson de sa main libre. Jet se rapprocha, se pencha vers le visage rougi du prisonnier.

 

-         Allez, inutile de l’énerver, n’est-ce pas ? Parlez donc !

-         Je… ne connais pas… de Winston Marsh…

 

Le Chevalier d’Or plaqua derechef Emerson contre le mur.

 

-         On n’a jamais dit qu’il s’appelait « Winston », tu t’es trahi ! Bon, maintenant, y en a marre. Ouvrez la fenêtre !

-         Non ! Non, pas ça !

 

Spike ouvrit en grand l’une des fenêtres donnant sur l’extérieur. Sans la moindre hésitation, Angelo courut droit vers l’ouverture. Il serra encore la gorge de sa malheureuse victime pour prévenir toute résistance, et le laissa suspendu dehors, le tenant à bout de bras. Emerson devint blanc, ses yeux se révulsèrent. Le Chevalier d’Or ricana quand il distingua une tache sombre auréoler peu à peu son pantalon.

 

-         Alors, mon petit gars, tu as une dernière chance. Ou tu nous dis où trouver Winston Marsh, et tout de suite, ou je lâche. Décide-toi vite, je commence à avoir une petite fatigue dans le poignet.

 

L’homme râla juste :

 

-         Oui… oui… Je vais… parler…

 

D’un geste, Angelo le ramena à l’intérieur et le balança vers son bureau. Emerson reprit son souffle, et dit juste :

 

-         Vous me condamnez. Je meurs si je parle.

-         T’auras le temps d’échapper à ton patron. Pas à nous.

-         Ce n’est pas ce que vous croyez ! Une fois que Maître Marsh aura compris que je l’ai trahi, il me jettera un sort qui me tuera.

-         C’est ça… ricana Spike.

-         Remarque, si on le tue avant, il n’y aura plus de risque, observa Angelo.

-         Vous ne pourrez pas le tuer.

-         Arrête un peu, j’ai déjà tué des êtres autrement plus dangereux qu’un simple pied plat de bureaucrate ! cracha encore le Chevalier d’Or. Maintenant, dis-nous où on peut le trouver, ou je t’apprends à voler !

 

Emerson toussota, rajusta ses lunettes, et parla :

 

-         Vous connaissez l’île de Deep Turtle ?

-         Non.

-         Normal, elle ne figure pas de manière officielle sur les cartes. Elle se trouve à quelques lieues au large de la côte, suffisamment loin pour qu’on ne puisse pas la voir de trop haut. Elle n’est pas non plus sur les routes maritimes habituelles. Il vous faudra plusieurs heures de bateau pour l’atteindre. Je vais vous donner une carte.

 

D’une main tremblante, Emerson ouvrit lentement l’un des tiroirs de son bureau, sous la menace des pistolets de Spike et Jet. Il tendit lentement un papier plié en quatre. Angelo le prit, le déploya. Il s’agissait effectivement d’une carte représentant les eaux du secteur. Le Chevalier d’Or eut un vilain sourire aux lèvres.

 

-         Eh bien tu vois bien ! Avec un petit peu de bonne humeur, tout s’arrange !

 

 

Une fois dans l’ascenseur, les trois collaborateurs se détendirent et rirent en chœur.

 

-         Après ça, il n’aura plus jamais le hoquet !

-         Dis, tu ne serais pas un chasseur de primes qui s’ignore ?

-         Ou un flic, peut-être ? Parce que pour faire parler les pas bavards, t’as quand même la technique !

-         Je ne pense pas que cette technique-là soit homologuée, agent Mackey, répondit Angelo d’un ton ironique.

 

La grande double porte de l’ascenseur s’ouvrit sur le hall. Un chasseur leur indiqua la salle d’attente où leurs trois compagnons d’infortune les attendaient.

 

Mais une drôle de surprise les attendait également.

 

Quand ils ouvrirent la porte du petit salon, ils virent les deux frères Elric, par terre, inanimés. Le cendrier était renversé, les cendres répandues sur la moquette. Spike saisit Edward, le rassit sur le canapé, et lui claqua les joues.

 

-         Hé, debout, debout !

-         Hein ? Aïe ! s’écria le jeune homme qui reprit conscience.

 

Spike cessa de taper, et fit mine d’administrer le même traitement à Alphonse. L’Alchimiste d’Acier secoua la tête, et ouvrit de grands yeux.

 

-         Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Jet.

-         Je… j’en sais rien… Al… Al ?

-         C’est bon, il est là.

-         Ouille !

 

Alphonse Elric venait d’être tiré de sa torpeur par le chasseur de primes.

 

-         Grand frère, mais que…

-         J’en sais rien.

-         Horo… Horo ! Horo a disparu !

 

Mais oui, il n’y avait bien aucune trace de la jeune femme. Elle ne s’était pas effondrée derrière un canapé, ou recroquevillée dans un coin de la pièce. Angelo était furieux.

 

-         C’est pas possible ! Mais comment vous avez pu…

-         Attends, calme-toi ! J’ai une explication.

 

Le Chevalier d’Or se tourna vers Spike.

 

-         Ah ouais ? Raconte…

-         Tu ne sens rien ?

-         Attends… Y a comme une odeur bizarre.

 

Les deux frères Elric se regardèrent.

 

-         C’est vrai, la dernière chose dont je me souviens, c’est d’avoir senti quelque chose d’étrange dans l’atmosphère.

-         Moi aussi. J’ai voulu me lever pour voir s’il n’y avait pas un rat crevé sous un siège, mais j’ai pas réussi à me mettre debout, et je suis tombé dans les pommes.

 

Spike montra du doigt la conduite d’aération dans un coin.

 

-         On a déjà eu droit à ce genre de truc chez un autre guignol qui bossait pour Marsh. Un gaz diffusé par le système d’aération.

-         Et donc, ils ont enlevé votre amie…

 

Alphonse sentit une brutale poussée de sueur.

 

-         Oh non ! Mais où est-ce qu’ils l’ont emmenée ?

-         On va le savoir très vite.

 

Les cinq camarades remontèrent dans l’ascenseur comme un seul homme. Une fois au dernier étage, Angelo enfonça d’un coup de pied la porte du bureau d’Emerson. Ils entrèrent ensemble, mais s’arrêtèrent à peine quelques pas plus loin.

 

-         Mais qu’est-ce que…

-         Oh, merde !

 

Angus Emerson gisait sur la moquette qui s’imbibait peu à peu de sang. De son sang. L’odeur cuivrée était accompagnée de répugnants bruits de succion et de crépitements organiques, et le triste état du corps finit de donner la nausée aux deux frères Elric, même si ce n’était pas la première fois qu’ils voyaient un tel spectacle. D’énormes larves d’une dizaine de centimètres de diamètre dévoraient goulûment les entrailles du complice de Marsh.

 

-         Ces… machins l’ont becqueté de l’intérieur. On a déjà vu ça.

 

Jet regarda l’aîné des Elric avec étonnement.

 

-         T’es sûr ?

-         Ça vaut bien la tête de poisson qu’avait Saunders, intervint Spike.

-         T’étais sous l’effet d’une vapeur hallucinogène.

-         Je l’ai vu de mes yeux, moi aussi ! protesta Alphonse. Des vers géants ont fait exploser le ventre de l’un de nos ravisseurs, il en est mort ! Et puis ces bestioles-là n’ont pas laissé de traces sur le plancher, elles lui sortent bien des tripailles ! Y en a même une qui est encore à moitié dans son bide !

-         C’était arrivé comment ? demanda Angelo.

-         Quand le type a essayé de prononcer le nom de son dieu, les larves géantes ont jailli de sa bedaine. Il ne voulait pas dire ce nom, il avait peur de mourir. Et il n’a pas eu le temps d’en dire plus.

-         Emerson nous a dit que s’il crachait le morceau, les autres le tueraient, rappela Jet. Faut croire qu’ils l’ont tué.

 

Spike fronça les sourcils.

 

-         Les hallucinations, les bestioles dans les tripes, les cérémonies… Je sens cette affaire de moins en moins.

-         Faut qu’on la retrouve, absolument ! Ils vont la sacrifier à leur divinité !

-         Mais par où commencer, Al ?

 

Alphonse semblait vraiment très nerveux. Jet posa sa main sur son épaule.

 

-         T’en fais pas. On a une petite idée, là-dessus.

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