Patrocle

Chapitre 35 : Les ombres de la guerre

2128 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/02/2024 19:02

Agamemnon envoya un messager à Mycènes, et Clytemnestre demeura silencieuse lorsque ce dernier lu à voix haute devant la cour la missive. Leur roi qui s’était absenté était en fait parti guerroyer contre Cotys de Thrace et la reine examina les membres de la cour pendant que le messager lisait. Le général Halirrhotios habillé de son armure demeura froid mais respirait comme un lion furieux. Égisthe ne souriait pas non plus mais observait les alentours comme elle le faisait, le divin Calchas était nerveux de même que le noble Eurékas et son épouse Zosime.

 

Comment ne le seraient-ils pas ? alors que leur roi fut attaqué par la plus féroce des tribus thraces les Triballes : elle subit de graves pertes et dut abandonner tout le butin. Le roi lui-même fut blessé, et ne parvint qu’avec grande difficulté à sortir ses soldats des cols, en se frayant un chemin à l’épée, en ce moment il campait a Ismaros et attendait les renforts de Nestor, malheureusement ce dernier fut attaqué sur le chemin par les redoutables amazones de la reine Atalante, elle avait rompu son pacte de non-agression et s’est alliée à la horde barbare de Penthésilée.

 

Clytemnestre, après avoir entendu la missive, posa une question cruciale au général Halirrhotios, évaluant la situation avec une froide détermination.

 

— Combien disposons-nous de soldats, général ? demanda-t-elle, son regard fixé sur lui, les yeux révélant une inquiétude profonde.

 

— Deux mille hommes, majesté, mais nous ne pouvons envoyer de renforts et laisser la cité sans protection, répondit Halirrhotios d'une voix mesurée, scrutant les réactions de la cour.

 

L'annonce des pertes subies par Agamemnon aux mains des Triballes et des Amazones avait jeté une ombre sur la cour. Clytemnestre, observant les visages préoccupés de ses conseillers, était confrontée à un dilemme complexe. La protection de Mycènes ne pouvait être compromise, mais en même temps, l'absence de renforts pourrait s'avérer fatale pour le roi et ses troupes en Thrace.

 

Clytemnestre, après un moment de réflexion, prit une décision avec autorité.

 

— Envoyez un messager à Agamemnon. Dites-lui que nous soutenons ses efforts, mais que la sécurité de Mycènes reste notre priorité. Nous ne pouvons risquer la vulnérabilité de notre cité. Priez pour son retour en sécurité.

 

Halirrhotios acquiesça, comprenant la complexité de la situation. La reine, en femme de pouvoir, venait de prendre une décision difficile dans l'intérêt de son royaume.

 

Égisthe, manifestant son inquiétude, s'écria d'une voix puissante dans la salle du trône.

 

— Et nos alliés, alors ? Athènes, Thèbes, et sans oublier Sparte. Ne peuvent-ils pas nous envoyer leurs guerriers ? Ils ont prêté serment à notre roi, qu'ils l'honorent !

 

Son ton résonnait d'une note de colère, exprimant la frustration face à l'apparente indifférence des cités alliées. Clytemnestre, évaluant la situation de manière pragmatique, répondit avec calme.

 

— Nos alliés sont liés par des serments, c'est vrai. Mais chacun protège d'abord ses propres intérêts. Envoyons des émissaires, rappelons-leur nos alliances, mais ne nous reposons pas entièrement sur l'aide extérieure. Nous devons être prêts à défendre Mycènes par nos propres moyens.

 

Cette réponse ne satisfaisait pas pleinement Égisthe, mais la réalité des relations entre cités grecques était souvent complexe. Clytemnestre, en femme de stratégie, comprenait que la dépendance excessive envers les alliés pouvait s'avérer risquée. Mycènes devait se préparer à affronter les défis avec ses propres ressources, même si les alliances devaient être rappelées et renforcées.

 

— Nous pouvons aussi demander l’aide du roi Pélée, intervint à son tour Eurékas, son armée est déjà sur le pied de guerre et ses Myrmidons sont réputés pour leurs férocités.

 

La proposition d'Eurékas d'implorer l'aide du roi Pélée, et en particulier celle de ses Myrmidons, suscita des espoirs parmi les membres de la cour. Cependant, la voix calme de Patrocle apporta une réalité crue à la situation :

 

— Il ne le fera pas !

 

— Vous dites que votre roi ne va pas honorer son serment ? Ou est donc la légendaire invincibilité des Myrmidons ? Ou du seigneur Achille ? s'écria Égisthe, frôlant la rage.

 

Patrocle répondit avec une sérénité apparente.

 

— Vous devez savoir que le roi Pélée, au cours de sa dernière campagne, a subi des pertes considérables. Il doit reconstruire les subdivisions de son armée que la guerre contre Thèbes a fauchées. Il n'a pas peur de se battre, mais préfère le faire lorsque les chances de victoire seront plus nombreuses.

 

Cette explication n'était pas celle que la cour espérait, mais elle était empreinte de réalisme. Les souverains et leurs armées devaient souvent jongler avec les priorités, et le roi Pélée faisait face à une reconstruction difficile après des pertes importantes. La perspective d'une guerre en Thrace, alors que les forces étaient encore en convalescence, était un défi de taille.

 

— De plus, ajouta-t-il, la Thrace centrale est un territoire dangereux où il est facile de se laisser enfermer dans des vallées étroites, de se voir ôter brusquement toute liberté de manœuvre et d’être écrasé par l’ennemi.

 

Eurékas, exprimant son mécontentement, lança une pique envers Halirrhotios.

 

— Vous auriez pu le dire à notre roi, avant qu’il ne se lance dans cette compagne absurde, dit-il avec mépris.

 

La réplique d'Halirrhotios ne se fit pas attendre, empreinte d'une menace implicite.

 

— Qui vous dit que je ne l’ai pas fait ? Lorsque le roi décide de quelque chose, il le fait.

 

Cette fois et la surprise de tous, ce fut Égisthe qui intervint pour calmer les deux hommes.

 

— Messeigneurs, dit Égisthe, gardons l’esprit de glace et un visage de marbre. Nous devons aussi nous préoccuper d’un autre problème plus urgent.

 

Eurékas, manifestement irrité, répliqua :

 

— Quel autre problème est plus urgent que ceci ?

 

Égisthe, avec une expression sérieuse, répondit :

 

— Je veux parler de la succession.

 

Clytemnestre demeura de marbre, mais continuait d’écouter, tandis que Patrocle ressentit sa fureur, visible dans ses yeux, que lui seul pouvait voir et sentir. Cette femme, qu’il apprenait à connaître chaque jour, il l'aimait davantage à chaque instant.

 

— La guerre en Thrace ne doit pas nous aveugler sur l'avenir de Mycènes, déclara Égisthe d'un ton grave. Si quelque malheur devait arriver à notre roi Agamemnon, nous devons avoir un plan en place pour assurer la continuité et la stabilité du royaume.

 

— Et je suppose que vous seriez ce roi, n’est-ce pas ? répliqua Halirrhotios. Le roi Agamemnon est encore de ce monde à ce que je sache, et il a un fils, le prince Oreste.

 

— Un nourrisson, fit remarquer Eurékas en hochant la tête.

 

Cette fois, Clytemnestre intervint d’une voix puissante.

 

— Assez ! Tant que le roi est vivant, il n’y aura aucune discussion sur la succession. Pour le reste, nous enverrons des missives à nos rois alliés, à savoir Ulysse d’Ithaque et Ajax de Salamine. J’écrirais aussi à mon père, le roi Tyndare. C’est tout ce que j’avais à vous dire ; vous pouvez donc retourner à vos occupations.

 

Tout le monde se retira, Égisthe salua la reine et partit avec Eurékas en murmurant à voix basse. Seul le général Halirrhotios et Patrocle demeurèrent sur place. Le vieux général se tourna aussitôt vers la reine.

 

— Le roi a toujours refusé de voir le danger que représente Égisthe, ma reine. Son ambition risque de nous entraîner tous vers une catastrophe.

 

— Égisthe n’est qu’un vil serpent, mais je connais son esprit, dit-elle avec gravité. Il ne défiera jamais Agamemnon ouvertement et ce dernier sait comment le museler. Toutefois, demandez à vos hommes de redoubler de prudences, il se pourrait même que des ennemis cachés marchent sur nous pour nous anéantir.Haut du formulaire

 

— Je ferais le nécessaire et placerai la garnison en état d’alerte, assura ce dernier.

 

Clytemnestre se tourna vers Patrocle.

 

— Seigneur Patrocle, accompagne-moi !

 

Ce dernier hocha la tête en direction du général et suivit la reine. Le général tourna aussitôt les talons et se dirigea vers la sortie à grandes enjambées. Patrocle réfléchit à toute vitesse, se rendant compte qu'il s'inquiétait profondément pour Mycènes, presque comme si elle était sa patrie. Ou peut-être était-ce son amour pour Clytemnestre qui le poussait, malgré lui, à les aider dans leurs épreuves.

 

Le palais résonnait des murmures étouffés des serviteurs et des gardes alors qu'ils traversaient les couloirs sombres. Clytemnestre conduisit Patrocle vers une salle retirée, éclairée par une faible lueur des lampes à huile. Là, à l'abri des regards indiscrets, elle se tourna vers lui avec une expression mêlée d'inquiétude et de détermination.

 

— Patrocle, tu es mon pilier. J'ai besoin de tes conseils. Les enjeux sont grands, mais avec toi à mes côtés, je me sens plus forte.

 

Patrocle prit doucement les mains de Clytemnestre dans les siennes, sentant la chaleur réconfortante de sa peau.

 

— Mon épée est tienne, comme l’est mon cœur. Dis-moi ce que tu veux que je fasse.

 

— Je veux que tu évalues la garnison de la cité, et cela en devenant le commandant en second d’Halirrhotios, d’après mes sources il a loué tes mérites lorsque tu as diné avec lui dans sa demeure.

 

Patrocle opina du chef, il avait passé du temps avec le vieux général, et il en est venu aussi à l’apprécier.

 

— D’accord, je vais envoyer Automédon porter un message au roi Pélée, c’est un bon soldat et il est prudent.

 

— C’est un excellent choix, approuva Clytemnestre qui ne s’attendait pas à une telle disponibilité.

 

— En quoi puis-je t’être encore utile ? demanda Patrocle vivement.

 

Clytemnestre leva les yeux vers Patrocle, reconnaissante pour son dévouement.

 

— J'ai également besoin que tu sois mes yeux et mes oreilles au sein de la cour. Écoute les murmures, observe les alliances secrètes, et assure-toi que rien ne se trame dans l'ombre qui puisse mettre en péril Mycènes.

 

Patrocle acquiesça, comprenant l'importance de la tâche qui lui était confiée.

 

— Je veillerai attentivement, aucun complot ne passera inaperçu, et je te tiendrai informée de tout ce qui pourrait menacer notre royaume.

 

— Notre royaume ? demanda à la fois émue et amusée la jeune femme. Nous aurais-tu adopté mon aimé ?

 

— C’est ton peuple, dit Patrocle gravement. On peut dire que c’est le miens aussi.

 

Ne pouvant se contenir et sans regarder les alentours, elle sauta sur son cou et l’embrassa voracement en lui mordant les lèvres et en agaçant sa langue avec la sienne. Puis elle le regarda dans les yeux et murmura d’une voix presque farouche.

 

— Tu es à moi pour toujours, et il n’est plus question que je te laisse partir loin de moi, même si je dois défier les dieux en personne si jamais ils tentaient de t’arracher à moi.

 

Patrocle la regarda avec une lueur d'amour et de surprise dans les yeux après ce baiser passionné.

 

— Je te crois sur parole, murmura-t-il d’une voix à peine audible.

 

Il lui embrassa les mains et s’apprêta à se retirer, mais elle le retint encore et lui donna un dernier baiser aussi enfiévré que le premier. Patrocle le lui rendit, puis lui sourit d’un air confiant. Il se retira ensuite à grandes enjambées, prêt à faire face à tous les défis, que ce soit sur les champs de bataille ou dans les cours royales. Clytemnestre resta là, regardant la silhouette de Patrocle disparaître dans l'ombre, avec une étincelle d'amour et de fierté dans les yeux. Elle savait que, quoi qu'il advienne, ils affronteraient l'avenir main dans la main.

 

    

 


 

 

    


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