Patrocle

Chapitre 36 : Retournement des étoiles

2992 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/02/2024 22:41

Patrocle, scrutant avec attention la garnison de Mycènes, fut frappé par la discipline et la diversité des quatre mille hommes qui la composaient. À travers le prisme de son expertise militaire, il apprécia la sagesse de la reine Clytemnestre, qui avait promptement ordonné l'accumulation de provisions en prévision d'un siège éventuel.

 

Les hoplites mycéniens, lourdement armés et alignés en phalange, formaient le pilier central de la garnison. Leurs boucliers luisaient au soleil, et la régularité de leur formation révélait un entraînement rigoureux. Patrocle reconnut la puissance statique qu'ils représentaient, une force d'arrêt prête à défendre les murs de Mycènes.

 

À leurs côtés, les archers mycéniens déployaient une agilité tout aussi impressionnante. Leur maîtrise de l'arc et leur habileté à manœuvrer dans des positions élevées offraient une protection essentielle contre les assauts à distance. L'importance stratégique de cette unité était évidente pour Patrocle, qui savait que la victoire sur le champ de bataille dépendait souvent de la capacité à affaiblir l'ennemi avant le contact direct.

 

Les cavaliers mycéniens, avec leurs chevaux puissants, conféraient à l'armée une mobilité cruciale. Patrocle apprécia leur capacité à flanquer l'ennemi et à effectuer des reconnaissances stratégiques. Leur agilité contrastait efficacement avec la puissance imposante des hoplites, offrant une polyvalence tactique à la garnison.

 

Les ingénieurs de siège, préparés à l'avance pour des situations de siège éventuelles, témoignaient de la prévoyance stratégique de la reine. Leur expertise en construction de machines de guerre et en assaut des fortifications ennemies renforçait la capacité de la garnison à faire face à diverses situations.

 

En observant la garnison dans son ensemble, Patrocle reconnut également la présence de guerriers étrangers, alliés et mercenaires. Leur diversité apportait une flexibilité bienvenue, offrant des compétences variées et enrichissant la force militaire mycénienne.

 

Au total, les quatre mille hommes de la garnison de Mycènes étaient un témoignage de la vision stratégique de la reine et de la diversité nécessaire pour faire face aux nombreux défis auxquels la cité pouvait être confrontée. Patrocle, bien que n'ayant pas encore le commandement, ressentit une profonde admiration pour la force impressionnante qu'il avait sous les yeux, une force prête à défendre Mycènes avec dévouement et puissance.

 

Le ciel de Mycènes, jadis serein, se ternit soudain comme si un sombre nuage des enfers avait obscurci le destin de la cité. Un cavalier Thrace, silhouette sinistre montée sur un cheval fougueux, surgit devant les imposantes portes de la cité. Le galop de l'équidé résonna comme un présage funeste.

 

Le cavalier, porteur d'une nouvelle macabre, jeta sans crier gare deux têtes coupées, impitoyablement éprises de la mort, sur le sol devant les portes de Mycènes. L'horreur saisit la cité tandis que les habitants se précipitaient pour récupérer ces trophées macabres. Le choc et l'effroi s'emparèrent de tous, car ces têtes n'étaient pas n'importe quelles têtes : elles appartenaient aux illustres Atrides, Agamemnon et Ménélas.

 

Le silence pesant qui s'ensuivit était palpable, brisé seulement par les murmures choqués des citoyens et les pleurs étouffés des proches des défunts. Les rues de Mycènes, jadis animées, se figèrent dans une atmosphère lugubre.

 

Clytemnestre, reine de Mycènes, confrontée à l'impensable, sentit la douleur et la colère embraser son cœur. Son époux, Agamemnon, et son frère, Ménélas, avaient été cruellement arrachés à la vie, et la cité entière était plongée dans le deuil. Patrocle, témoin de cette tragédie, ressentit une onde de choc traverser son être, tandis que l'ombre de la guerre et du deuil s'étendait sur Mycènes, transformant la ville autrefois glorieuse en un théâtre de lamentations et de douleur.

 

Patrocle avait déjà envoyé Automédon prévenir Achille, mais ce dernier ne serait pas là avant des lunes, surtout si les Myrmidons étaient démobilisés, aussi il décida d’aider les sous-officiers du général Halirrhotios à organiser les troupes de défenses, et surtout avec la permission du général il envoya des éclaireurs sur les cols, ces derniers revinrent avec une triste nouvelle. L’armée Thrace campait à un demis stade de Mycènes, et le Cotys en personne menait les soldats.

 

Le fardeau de la trahison pesait lourdement sur les épaules de Patrocle. Avec Achille encore loin de Mycènes, il prit l'initiative d'aider les sous-officiers du général Halirrhotios à organiser les troupes de défense. Les rues résonnaient du bruit assourdissant de la mobilisation, tandis que l'ombre de la menace thrace planait sur la cité.

 

Avec la permission du général, Patrocle dépêcha des éclaireurs habiles sur les cols stratégiques. Lorsqu'ils revinrent, leur regard grave annonça une nouvelle sinistre : l'armée Thrace, conduite par le redoutable Cotys en personne, campait à une demi-journée de marche de Mycènes.

 

La tension monta d'un cran dans la cité. Les citoyens se hâtaient de renforcer les défenses, les soldats s'apprêtaient au combat, et la reine Clytemnestre, mélange de douleur et de détermination, donnait des ordres urgents pour la préparation de la cité assiégée.

 

Un serviteur vint chercher Patrocle, on le convoquait d’urgence au palais. Le chariot de Patrocle fendit l'air alors qu'il se dirigeait en toute hâte vers le hall des lions. L'urgence se lisait sur son visage tandis qu'il passait devant les gardes en faction, escaladait les escaliers avec rapidité, le martèlement de ses pas résonnant dans le hall majestueux.

 

À son arrivée, la scène dans la salle du trône était à la fois familière et chargée d'une tension palpable. Clytemnestre tenait ses deux enfants, Oreste dans ses bras et la jeune Iphigénie à ses côtés. Les voix d'Égisthe et du général Halirrhotios s'élevaient, révélant une discussion animée et sérieuse.

 

Patrocle remarqua immédiatement les deux gardes postés près de la reine, une indication claire que la menace pesait non seulement sur les frontières de Mycènes, mais aussi sur le cœur même du royaume.

 

— J'ai parfaitement l'intention de protéger les sujets de Sa Majesté, seigneur Égisthe. Mais la meilleure façon de le faire, cependant, consiste à protéger la cité entière, pas seulement les nobles.

 

— Ne prenez pas ce ton avec moi, général ! Depuis la mort du roi, c'est moi qui suis le responsable. Je vous saurais gré de le garder à l'esprit et d'attendre mes ordes !

 

— Et quelles pourraient bien être ces ordes, monseigneur ? intervint Patrocle en rejoignant les deux hommes et en défiant Égisthe du regard

 

— Voyons, d'évacuer ce qui reste de la famille royale bien sûr ! Égisthe le regarda comme s’il était un esprit lent, ou un fou.

 

Patrocle croisa les bras et inspira longuement pour calmer sa fureur, cet homme révélait enfin son vrai visage, il avait peur et la guerre n’est pas son terrain propice, ici point de mari jaloux à affronter, son talent a l’épée ne lui sera d’aucun secours au champ de bataille 

 

— Je veux que vous commenciez dès maintenant à prendre des mesures en vue d'une évacuation rapide et calme de tous les nobles mycéniens vers la porte sud, l’armée couvrira notre fuite.

 

— Et le reste des habitants de Mycènes, seigneur Égisthe ? s'enquit doucement Patrocle. Doit-on également les évacuer ?

 

— Bien sûr que non ! La mâchoire d’Égisthe devint écarlate. Et je vous interdis cette impertinence avec moi, seigneur Patrocle ! Vous êtes un étranger ici et vous semblez l’oublier !

 

— Un étranger qui se soucie d’avantage des gens que vous qui semblez fuir vos responsabilités, et que vos instructions sont de les abandonner.

 

La voix de Patrocle était monocorde, dénuée de toute inflexion.

    

— Je suis vraiment désolé de les voir dans cette situation, marmonna Égisthe, cherchant à atténuer le regard dur de Patrocle. C’est malheureux pour le peuple, mais c’est la volonté des dieux. Notre premier souci est la sécurité de la noblesse de Mycènes.

 

— Vous-même inclus.

 

Le silence s'installa dans la salle, uniquement brisé par les murmures étouffés des gardes et des courtisans présents. Clytemnestre, tenant toujours ses enfants, semblait mesurer la situation, percevant la véritable nature de l'homme qui se tenait devant elle.

 

Patrocle, par sa seule présence, semblait posséder une autorité divine, un protecteur inébranlable de la justice et de la loyauté. Dans ce moment crucial, il avait défendu la vérité et dévoilé la lâcheté d'Égisthe. La bataille imminente n'était pas seulement physique, mais aussi une lutte pour l'âme de Mycènes, et Patrocle se tenait au cœur de cette confrontation.

 

Le regard de ce dernier se posa sur le général Halirrhotios, et il pouvait voir dans les yeux du vieux soldat une lueur de compréhension et de respect. Toute tension passée entre eux s'était dissipée, remplacée par une reconnaissance mutuelle de la loyauté envers Mycènes.

 

— Pensez-vous que nous devons nous servir de votre armée pour évacuer les nobles mycéniens de la cité, général ? interrogea Patrocle, ses yeux fixés sur Égisthe.

 

Le général Halirrhotios, sans détour, répondit avec une conviction profonde.

 

— Non, mon garçon. Selon moi, notre armée sera mieux employée à protéger Mycènes. Et mes hommes sont des hommes d’honneur, jamais ils n’aideraient une poignée et abandonneraient une majorité.

 

L'écho des paroles du général résonnait encore dans la salle du trône lorsque l'impulsion de Patrocle se fit sentir. Égisthe, confronté à l'alliance émergente entre le général et le Hoplite Sanglant, ne pouvait tolérer le défi à son autorité.

 

— Dans ce cas, vous n’êtes plus le général de notre armée, rugit Égisthe dans un accès de rage.

 

Le général Halirrhotios, impassible, répliqua avec un grognement méprisant.

 

— Vous pouvez toujours essayer !

 

Patrocle, cette fois-ci, ne resta pas en retrait. D'un pas assuré, il s'avança vers Égisthe, dominant la scène de sa stature imposante.

 

— Ferme ta grande gueule de lâche, enfant de putain.

 

Les mots de Patrocle étaient glaçants, prononcés avec une précision calculée. Égisthe, secoué par cette réprimande inattendue, recula, son visage passant par une gamme de couleurs sous l'effet de l'indignation.

 

— Pour moi, tu n’es qu’une mouche à merde. Le général Halirrhotios a entièrement raison, et tu le sais. Tu refuses simplement de l'admettre parce que tu n'as pas les tripes de faire face à la vérité.

 

La menace de représailles d'Égisthe fut rapidement réduite au silence par l'action suivante de Patrocle. Sans un mot de plus, il gifla Égisthe, un geste qui transcenda le mépris pour atteindre la manifestation physique de l'autorité. La salle du trône retentit du claquement de la gifle, et un silence tendu s'installa, les regards fixés sur cette scène de défi ouvert.

 

Patrocle ignorait ce qu’il avait fait ensuite, une brume rouge lui brouillait la vision, si Égisthe avait montré le moindre courage physique. Il ne le saurait jamais car, tandis qu'il s'avançait dangereusement au-dessus de lui, elle l'entendit sangloter de terreur, ce qui l'arrêta net.

 

Sa fureur brute regagna l'arrière-plan de son esprit, une fureur toujours grondante, aux griffes acérées, mais cette fois Patrocle en avait le contrôle. Quand il parla, sa voix était froide et distante... et cruelle.

 

— J’ai longtemps combattu pour les autres, et je n’ai jamais mené un combat auquel je crois. J’ai pris Thèbes avec Achille et je sais ce qui attend Mycènes si jamais elle tombe. Et cela je le refuse, je ne laisserai plus aucun enfant se faire tuer, aucune femme se faire violer, et cela je le jure sur mon honneur, et si je dois mourir ici avec vous, je le ferai sans rien regretter.

 

Les paroles de Patrocle résonnèrent dans le silence pesant, imprégnées d'une détermination sans faille. Les gardes, autrefois partisans d'Égisthe, frappèrent leurs poitrines en signe d'allégeance. Le général Halirrhotios, ému, frappa du poing en regardant Patrocle avec admiration.

 

Clytemnestre, se levant tremblante, observa Patrocle avec des yeux emplis d'étonnement. Il était un homme, mais semblait aussi incarner une force divine, animé par une volonté inébranlable de protéger Mycènes. Cette détermination n'était pas simplement motivée par l'amour envers la reine, mais par une foi profonde en ce qui était juste. Les horreurs de Thèbes avaient brisé quelque chose en lui, et il refusait de voir Mycènes subir un sort similaire.

 

Et elle l’enviait aussi.

 

Elle ressentait une envie mêlée de fierté. Ce n'était pas une jalousie habituelle, mais plutôt un sentiment d'envie sereine.

Elle enviait Patrocle, non pas parce qu'il avait attiré les hommes à sa cause, mais parce qu'ils le suivaient pour ce qu'il était, pour la force de son caractère, pour la justice qu'il représentait. C'était une envie empreinte de respect et d'admiration, une reconnaissance silencieuse de la qualité exceptionnelle de l'homme qu'elle avait appris à aimer. De l’homme qu’elle aime par-dessus tout.

Ignorant Égisthe qui sanglotait au sol, Patrocle rejoignit la reine, suivi du général. Clytemnestre tenait toujours le petit Oreste, et Iphigénie ne quittait pas Patrocle du regard.

— S’il nous fallait assembler une force qui ne soit pas totalement mycénienne, où irions-nous chercher nos soldats ? questionna Patrocle.

— Nulle part, répliqua Halirrhotios. Les renforts que nous pouvons demander tarderont. Nous sommes seuls.

— Si chaque homme de la cité recevait une épée, de combien d’hommes disposerions-nous ? demanda Patrocle.

— Tu veux dire, en comptant les esclaves ? demanda Clytemnestre en regardant Patrocle, surprise.

— Précisément.

Elle se tourna vers Halirrhotios, qui répondit après un moment de silence.

— Quinze mille… vingt, peut-être. Mais ce ne sont pas des soldats, ils seraient incapables de faire preuve de discipline. Et si jamais nous venions à l’emporter, il nous faudrait ensuite les désarmer…

— Une chose à la fois, mon ami. Si le terrain nous est favorable aucune armée ne pourra nous résister, expliqua Patrocle. Nous devons donc affronter les Thraces et les contenir tous autant qu’ils sont sur le champ de bataille… ce qui est impossible avec quatre mille hommes seulement.

— Dans ce cas, que pouvons-nous faire ? voulut savoir Halirrhotios.

— Avec votre permission, majesté ! dit Patrocle à Clytemnestre. Nous rassemblerons tous les esclaves et les Mycéniens ayant entre quinze et soixante-cinq ans. Tout esclave acceptant de combattre se verra offrir sa liberté. Ce sera ensuite à vous général, de leur donner un entraînement rudimentaire. Nous disposerons de cinq jours, peut-être moins.

— Tu as un plan en tête, n’est-ce pas ? demanda Clytemnestre en le scrutant de ses yeux violets.

— Oui j’ai un plan, dit Patrocle en soupirant. Il est en fait très simple, je vous l’exposerai plus tard, mais nous devons faire vite.

— Et tu crois qu’il va réussir ? demanda encore la reine sans le quitter des yeux.

— Pour être honnête, je n’en sais rien. Il est risqué, mais au point ou en est, on n’a pas le choix.

Sans hésiter une seconde elle se tourna vers le général.

— Que dites vous de laisser l’Hoplite Sanglant mener la bataille ?

— Ma fois, répondit ce dernier amusé. Je suis curieux de voir le plan qu’il a en tête, aussi oui j’accepte de voir enfin la légende de Qadesh à l’œuvre.

— Patrocle, déclara la reine de Mycènes. Tu superviseras tout cela avec l’aide du général et je te donne le commandement de l’armée de Mycenes.

Patrocle s'inclina légèrement en signe de respect envers la reine, puis se tourna vers Halirrhotios.

— Mon général, c'est un honneur de combattre à vos côtés. Ensemble, nous protégerons Mycènes et son peuple.

Halirrhotios hocha la tête avec un sourire fier.

— L'Hoplite Sanglant ne pouvait avoir meilleur compagnon d'armes. Mon épée est à votre service.

Clytemnestre, tenant toujours ses enfants, observa la scène avec un mélange d'inquiétude et de confiance. Patrocle s'approcha d'elle, posa une main sur son épaule et lui adressa un regard rassurant.

— Nous traverserons cette épreuve ensemble. Mycènes ne tombera pas.

La reine acquiesça, fière et déterminée. Dans l'ombre du palais, Égisthe, se relevant péniblement, observait la scène avec une haine renouvelée. L'avenir de Mycènes était suspendu à un fil, et l'Hoplite Sanglant allait devoir déployer toute son ingéniosité pour défendre la cité contre l'ombre menaçante qui s'approchait.

La nuit tomba sur Mycènes, apportant avec elle l'incertitude et la promesse d'une bataille imminente. Les étoiles scintillaient au-dessus de la cité, témoins silencieux de l'histoire qui allait se jouer.

 

   


Laisser un commentaire ?