Et grandir...

Chapitre 6 : Frère et soeur

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Dernière mise à jour 29/11/2009 23:29

Et grandir…

 

Chapitre 6 : Frère et soeur

 

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La confiance est quelque chose qui se gagne au fil du temps. Chez certaines personnes, elle est spontanée et durable. Chez d’autres, elle n’est que durement acquise et susceptible de se briser à chaque instant. Tout dépend de la nature et du vécu de chaque individu. Pour certains, elle est si fragile qu’il leur faut sans cesse réclamer de nouvelles preuves afin que cette confiance puisse durer. Pour d’autres, elle est immuable, quel que soit le nombre de fois où elle est susceptible d’être brisée.

C’est lorsque l’on passe du temps auprès de quelqu’un que l’on peut lui accorder sa confiance, car le temps vient à bout de la méfiance la plus tenace, et l’on finit toujours par abaisser ses barrières. À l’inverse, il est pratiquement impossible de la donner à un parfait inconnu, et il faudra apprendre à le connaître avant de pouvoir lui confier ce que l’on considère comme précieux.

Souvent, une personne ayant déjà vécu une trahison de la part de quelqu’un en qui elle avait confiance, aura du mal à l’accorder de nouveau ou n’en sera peut-être plus capable. Que ce soit envers la personne fautive de la trahison ou d’une autre. Il faudra du temps, de la patience et beaucoup d’efforts afin de pouvoir s’en remettre complètement.

 

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Shun avait du mal à définir ce qu’il ressentait. Peut-être était-ce l’impression d’avoir été abandonné par sa sœur jumelle. Ou alors celle de l’avoir abandonné, elle. Il ne savait pas, vraiment. Tout ce qu’il savait c’était qu’Hagane s’était faite capturée, s’était sacrifiée, pour que Takibi et lui puissent s’échapper. Il ne se souvenait même plus de comment il avait emprunté le passage du ruisseau. Il s’était juste retrouvé là, trempé et seul avec sa petite sœur. « Quelle ironie… » ne put-il s’empêcher de penser. « Elle rêvait de parvenir à sortir de la Vallée, et c’est elle qui est la dernière à y rester ».

Il soupira. Il avait vraiment mal aux jambes. À côté de lui, Takibi était toujours évanouie. Il avait éprouvé un instant de soulagement quand il avait pu vérifier qu’elle n’avait été qu’assommée et qu’elle était saine et sauve. Mais cette émotion avait disparue aussi vite qu’elle avait surgit. Comment éprouver du soulagement quand Hagane était retenue prisonnière, quelque part dans la Vallée du Démon, ou peut-être déjà emmenée à Konoha ? Il sentit sa gorge se serrer. Sa sœur qui aimait tellement la liberté, sa sœur qui se serait tuée pour ne pas se sentir enfermée entre quatre murs… Capturée.

Capturée. Elle ne s’en remettrait jamais, même si par miracle elle parvenait à s’échapper. Elle était trop sauvage pour passer plus d’une heure sans pouvoir aller où bon lui semblait. Trop sauvage pour prêter la moindre attention aux limites imposées par quiconque. Trop sauvage, trop farouche, trop libre. Rien ni personne ne pouvait l’empêcher de faire ce qu’elle voulait. Il en était persuadé. Et même maintenant, alors qu’elle était retenue prisonnière, ces ninjas de pacotille avaient tout intérêt à avoir la peau dure s’ils voulaient réussir à la tenir en place plus de quelques heures !

Hagane continuerait à se battre pour sauver sa liberté, et elle n’abandonnerait jamais. Car c’était dans son caractère de toujours aller jusqu’au bout de sa volonté, jusqu’au bout de ses forces. Il se leva, en serrant les dents sous la douleur causée par le mouvement de ses jambes blessées, et secoua la tête pour se remettre les idées en place. Il n’avait pas à déprimé comme ça. Après tout, il ne pouvait tout de même pas perdre face à elle ! Et de toute façon, broyer du noir ne servirait strictement à rien.

Pour commencer, pensa-t-il, il devait mettre Takibi à l’abri, et loin d’ici. Il la sortit de l’eau en la tirant un peu plus loin sur la berge et lui enleva sa sacoche de fourrure, qui était complètement trempée. Il la passa en bandoulière avant de soulever sa sœur avec précaution et de l’installer sur son dos. Il eut du mal à cause de ses sabres – qui étaient restés accrochés par miracle – et du poids de son corps sur ses jambes. Puis il s’assura qu’elle ne risquerait pas de tomber. Ni qu’il perdrait sa sacoche en cours de route. Il ne savait pas ce qu’elle contenait (gare à celui qui y fourrerai son nez, il en avait déjà fait l’expérience), mais il n’était pas assez fou pour prendre le moindre risque de l’égarer. Takibi pouvait être féroce, quand elle le voulait !

Une fois son précieux fardeau en place (Takibi ET la sacoche), il prit le temps de regarder autour de lui pour essayer de se repérer. Il n’était assurément plus dans la Vallée du Démon : le paysage qu’il connaissait avait complètement changé. Il se trouvait dans une forêt dont le sol était recouvert de mousse et entièrement composée de chênes. Ces arbres feuillus, il y en avait bien un ou deux, dans la Vallée, mais ceux-là étaient beaucoup plus touffus. Par contre, ils étaient ridiculement petits, et il n’y aurait aucun moyen de voyager par les branches. Il n’y avait pas non plus les fougères auxquelles il était habitué, mais les buissons étaient nombreux et épais au point de l’empêcher de progresser normalement. Ou du moins, aussi normalement que cela aurait été possible avec ses jambes en mauvais état. C’était consternant.

Il soupira et commença à progresser laborieusement dans ce nouvel environnement.

 

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Il aurait dû le prévoir. Il aurait dû savoir que Takibi ne prendrait sûrement pas bien le fait de se faire transporter comme un vulgaire sac de pommes de terre. Surtout après avoir été victime d’une agression dont elle n’avait sûrement compris ni le sens ni l’origine. Il aurait s’en souvenir.

Shun ne pouvait donc s’en prendre qu’à lui-même si c’est en sentant les griffes acérées de sa petite sœur qu’il se rendit compte qu’elle se réveillait. Ses jolies petites griffes de trois centimètres de longueur – de la base à la pointe – qui s’étaient enfoncées dans ses épaules comme dans du beurre. Il avait alors… quelques peu sursauté et lâché son passager, qui en avait bien sûr profité pour sauter à terre et se carapater à toute vitesse. Et il se retrouvait là, seul avec une sacoche grise et blanche détrempée, des jambes en – très – mauvais état, et dix trous d’un peu plus d’un centimètre de profondeur qui saignaient abondamment. Magnifique. Il ne pouvait pas rêver mieux.  D’ailleurs, ce n’était pas ce qu’on appelait communément « la cerise sur le gâteau » ?

Takibi n’irait pas loin, bien sûr. Pas sans sa sacoche, dans un milieu qu’elle ne connaissait pas, et âgée de seulement dix ans. Et comme Shun avait sa sacoche et qu’il était de quatre ans son aîné (gage d’expérience, et donc de sûreté), elle ne risquait pas de le lâcher d’une semelle. Même s’il ne connaissait pas l’endroit mieux qu’elle. Même si elle ne lui faisait pas confiance le moins du monde. Elle ne lui avait jamais fait confiance ou, du moins, elle ne lui en avait jamais donné l’impression.

Bon, en vérité Takibi ne faisait confiance à personne. Mis à part son père, qui avait été le seul à lui prêter un peu d’attention durant sa petite enfance. Elle fuyait sa mère comme la peste et ne s’approchait que très rarement d’Hagane ou lui. En un sens, elle était aussi sauvage que sa grande sœur, mais sa faroucherie à elle relevait plus de la méfiance et de la timidité maladive que de l’amour de la liberté. Quoiqu’il soit souvent très difficile de la tenir immobile très longtemps, et elle n’avait jamais supporté la moindre contrainte. Elle ne voulait même pas qu’on la touche !

Mais même si elle redoutait le moindre contact avec l’espèce humaine, même si elle considérait parfois sa propre famille comme des étrangers, Takibi n’avait pas le choix. Elle serait obligée de se rapprocher de son grand frère, obligée de lui accorder un minimum de confiance, parce qu’il était le seul à être là pour s’occuper d’elle. Parce qu’il était le seul sur lequel son âme de petite fille puisse s’appuyer alors qu’elle se retrouvait dans un endroit inconnu, alors que ses repères déjà chancelants avaient brutalement disparus sans que personne ne daigne lui en donner la raison. Et puis… c’était lui qui avait sa sacoche, après tout. Il devait reconnaître ça aux ninjas de Konoha, les otages étaient parfois très pratiques.

Il décida de continuer à avancer, en faisant semblant de ne pas s’intéresser à elle. Le temps passé à ses côtés lui avait appris que dans ces cas-là, moins on s’occupait de Takibi plus on avait de chance de la revoir dans les heures à venir. Au contraire, si l’on se préoccupait un peu trop d’elle, si l’on  tentait de l’aider ou de lui rendre service, elle se repliait sur elle-même et fuyait sans prendre la peine d’y réfléchir à deux fois. C’était sans doute pour cette raison qu’il se retrouvait avec les épaules trouées. Ça lui apprendrait à la porter sur son dos pendant des kilomètres, tiens ! Pff… Sauvage.

 

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Il marcha durant quelques heures, pendant lesquelles il eut tout le loisir de mettre au point de nombreuses techniques pour ignorer la douleur. Hagane, qui revenait tout les soirs pleine d’écorchures et de diverses blessures, était vraiment une masochiste. De temps à autre, il sentait la présence furtive de Takibi, derrière lui. Elle le suivait à distance raisonnable, et c’était déjà ça de gagner.

Il se demanda comment il trouverait de quoi les nourrir, tout les deux. Il n’était certainement pas en état de chasser (et pas question d’essayer, il n’avait pas envie de subir l’humiliation de se faire distancer par les lapins !) et il savait qu’il pouvait attendre longtemps avant que sa chère petite sœur ne consente à le faire pour lui. Bon, tant pis. Il se contenterait de grignoter les baies qui poussaient sur les buissons, puisqu’il y en avait quelques unes qu’il reconnaissait. Takibi était capable de se débrouiller toute seule.

Le paysage changeait au fur et à mesure qu’il parcourait du chemin. Les arbres étaient de plus en plus grands, mais toujours aussi feuillus. Il y avait moins de buisson, ce qui rendait sa progression plus aisée – merci, mon dieu ! – et beaucoup plus de rochers. Les chants des oiseaux, par contre, étaient les mêmes que ceux de la Vallée du Démon. Pour cela, au moins, il était plutôt blasé. Les animaux qu’il croisait parfois ressemblaient à ceux qu’il connaissait déjà mais, comme les arbres, ils étaient plus petits et plus chétifs.

Il commençait sérieusement à se demander si la Vallée du Démon n’abritait pas en réalité un repaire de géants.

 

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Au soir, alors que la lumière se faisait de plus en plus tamisée, il était si exténué (et endolori, bordel de m… !) qu’il ne trouvait même plus la force de vérifier si sa soeur le suivait toujours. Il n’en doutait pas vraiment, cependant. Il avait décidé de passer la nuit caché dans un creux entre deux rochers. Ainsi, il était abrité du vent, du froid apporté par la nuit, et des éventuels prédateurs – ou ninjas – qui en voudraient à sa peau. On n’était jamais trop prudent et il n’avait absolument pas envie de passer la nuit à grelotter de froid ou de peur (enfin, par « peur » il entendait « légère appréhension tout à fait passagère ». Bien sûr).

Il n’attendit pas longtemps dans son trou avant de percevoir le son familier des pieds nus de Takibi sur la terre. Il fit semblant de dormir pour qu’elle continue à approcher sans crainte et l’entendit s’installer à son tour dans les rochers, pas très loin de lui. Il écouta sa respiration devenir de plus en plus lente, de plus en plus profonde. Il savait qu’elle ne s’assoupirait complètement que si elle était absolument certaine qu’il était lui aussi profondément endormi. Si ce n’était pas le cas, elle ne ferait que somnoler, toute la nuit s’il le fallait. Il avait l’habitude : le même rituel avait lieu tous les soirs.

Elle était sauvage, sa petite sœur. Sauvage, craintive et méfiante. Elle prenait soin de vivre le plus à l’écart possible de sa famille, au point qu’il n’était même pas sûr de la connaître comme un frère était sensé connaître sa sœur. En tous cas, il ne la connaissait certainement pas aussi bien qu’il connaissait Hagane. C’était peut-être difficile à dire, mais c’était vrai. Avant… avant « aujourd’hui », il passait ses journées à crapahuter dans la Vallée avec sa jumelle. Ils feignaient de se croiser par hasard, ils prétendaient ne pas espionner l’autre dans ses activités, mais la vérité était qu’ils passaient tout leur temps ensemble. Ou presque. Suffisamment pour qu’il se sente vraiment seul lorsqu’il n’était pas avec elle. Mais ce n’était pas le cas avec Takibi. C’était même le contraire, à vrai dire, et il se sentait presque soulagé lorsqu’elle gardait ses distances.

Ce n’était pas qu’il ne l’aimait pas. Bien sûr que non. Mais elle était parfois si étrange, et ses réactions étaient parfois tellement disproportionnées par rapport à une situation, qu’elle le mettait mal à l’aise. Vraiment mal à l’aise. Et quelque part, au fond de lui, il sentait que Takibi n’était pas tout à fait normale, pas tout à fait… humaine. Il s’en voulait terriblement de penser à sa petite sœur de cette manière, quel que soit le nombre de fois où cela arrivait. Il s’en voulait à chaque fois parce qu’il l’aimait malgré tout. Il l’aimait, même s’il ne la connaissait pas vraiment, même s’il ne la comprenait pas. Et il savait que cela aurait du suffire, et qu’il ne devrait pas essayer sans cesse de déterminer à quel point elle était différente. Il savait qu’il était sensé la considérer avant tout comme sa petite sœur et non comme une étrangère qui vivait sous le même toit que lui. Qu’il aurait dû s’efforcer de l’accepter telle qu’elle était.

Mais cela ne suffisait pas. Il pouvait bien essayer de toutes ses forces, cela ne suffisait pas. Depuis dix ans qu’elle était née, il n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’elle avait des crocs, des griffes, et des yeux rouges avec des pupilles fendues. Il n’arrivait toujours pas à réaliser qu’il avait une petite sœur.

 

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Lorsqu’il se réveilla, ce qu’il remarqua avant tout était qu’il avait considérablement moins mal aux jambes. Elles l’empêcheraient toujours de courir mais il pourrait au moins marcher normalement. Il avait l’esprit moins embrumé, aussi, et il réfléchissait plus clairement. Curieusement, les « évènements » de la veille lui paraissaient s’être déroulés des siècles auparavant, et il n’en conservait que des souvenirs très flous. Par contre, et à son grand regret, il se souvenait parfaitement de certaines choses. Les seules qu’il aurait préférer oublier. Comme la capture de sa sœur, la mort probable de sa mère…

Il secoua la tête pour chasser ses idées noires et regarda autour de lui. Takibi n’était nulle part en vue. Normal. Sa sacoche, qu’il avait posée à côté de lui avant de s’endormir, avait également disparue. Normal aussi. Ce qui l’était moins, par contre, c’était le lapin carbonisé à quelques pas de lui, posé bien en évidence sur un rocher. Comme s’il était sensé le prendre et le manger. Cela ne pouvait venir que de Takibi, mais il avait du mal à croire qu’elle ait fait ça pour lui. En temps normal, cela aurait même été inimaginable. En temps normal. Bref…

Il s’approcha prudemment du gibier, craignant vaguement un piège ou un quelconque coup tordu. La scène était trop inhabituelle pour qu’il ne se méfiât pas. Trop… inattendue.

Lorsqu’il le prit entre ses mains, il put constater deux choses. La première était que le lapin était encore chaud, et donc qu’il avait été cuit peu de temps avant. Rien d’exceptionnel, Takibi était une très bonne chasseuse. La deuxième chose était que le mot « carbonisé » était un euphémisme.

Après avoir manger ce qu’il restait de comestible sur l’animal, il se concentra sur ce qu’il était sensé faire. D’abord, il devait se rendre avec sa petite soeur dans un endroit où ils pourraient se cacher. Et aussi où ils pourraient trouver de l’aide pour libérer Hagane, parce ce qu’il était absolument hors de question de l’abandonner à son sort. De vieilles connaissances de leurs parents feraient sûrement l’affaire, mais il devait aussi prendre en comte l’état de ses jambes qui ne lui permettraient ni de courir ni d’effectuer un voyage trop long. La poisse.

En réfléchissant, il se rappela que son père lui avait confié un jour qu’il redoutait qu’une situation pareille arrivât. Il lui avait alors révélé plusieurs adresses où il pourrait se rendre avec ses sœurs, en cas d’urgence. À cette époque, Naruto avait sans doute espéré qu’ils seraient trois à se réfugier dans l’un de ces abris. Et non deux. Shun avait le choix pour la destination, mais il ne savait pas vraiment laquelle choisir. Il ne savait pas laquelle était la plus proche, laquelle était la plus sûre. Il fit mentalement la liste des adresses et constata, à son grand regret, qu’elle était considérablement plus courte qu’il ne l’aurait souhaité.

Le village de Suna, au Pays du Sable, était un lieu où se rassemblaient beaucoup des déserteurs de Konoha, et Naruto et Hinata avaient toute confiance en son Kazekage. Cela aurait été un choix judicieux si le trajet n’avait pas nécessité des semaines de voyage (en marchant, bien sûr. Pff…). Il y avait également une cachette au Pays de la Terre, où habitaient de vieux amis de leurs parents. Mais ils pouvaient facilement s’être déplacés depuis la dernière fois que son père ou sa mère leur avait rendu visite, car cela remontait à plusieurs années. Et Shun ne tenait absolument pas à faire une aussi longue route pour rien. Quand au dresseur de chiens qui leur rendait parfois visite, il était tout le temps en déplacement et ne leur révélait jamais où il habitait exactement.

Il allait se résoudre à effectuer un long trajet vers Suna, puisque c’était la seule option possible, lorsqu’il se souvint d’un autre endroit. Un endroit que son père avait finit par lui confier de mauvaise grâce, lorsqu’il lui avait fait remarquer que la liste n’était pas très conséquente. Il l’avait prié de ne s’y rendre que s’il n’avait pas d’autre solution et de ne surtout pas le répéter à Hinata. Shun ne savait pas qui habitait là, ni pourquoi il devait le garder secret. Mais il savait comment s’y rendre depuis la Vallée du Démon, et que le trajet ne leur prendrait que quelques jours de marche. Son choix était fait.

Il regarda autour de lui pour essayer de repérer Takibi et finit par l’apercevoir à quelques mètres de lui, cachée dans l’ombre des arbres. Elle n’était pas vraiment visible mais il sentait le poids de son regard acéré sur lui, comme s’il le transperçait. Fatigué de ce jeu de cache-cache, il se décida à entamer la discussion. Il faudrait bien le faire un jour, de toute façon.

- Tu sais, dit-il en la regardant (enfin, en regardant « l’endroit où elle se trouvait »). Le voyage serait moins fatigant si tu voulais bien marcher à côté de moi, plutôt que de dépenser toute ton énergie en te dissimulant sans cesse.

Il distingua la silhouette effectuer un mouvement de surprise, ou d’hésitation. Il ne la lâcherait pas du regard avant qu’elle ne lui ait répondu, et Takibi le savait parfaitement. Au bout d’un moment, elle apparue alors qu’elle faisait quelques pas dans la lumière. Mais son expression demeurait farouche et son regard en alerte.

- De quel voyage parles-tu ? demanda-t-elle de sa voix grave et méfiante.

- De celui qui va nous conduire vers un endroit où nous pourrons nous cacher pendant un moment et trouver de l’aide.

« Enfin, je l’espère » pensa-t-il.

Takibi fronça les sourcils et croisa les bras. Elle faisait souvent ça quand elle ne comprenait pas ce qu’on lui disait.

- Nous cacher ? fit-elle. Pourquoi faire ? Et pourquoi aurions-nous besoin d’aide ?

Shun se passa la langue sur les lèvres en réfléchissant. Il hésitait à lui révéler l’histoire dans sa totalité. Elle était encore très jeune pour envisager la capture de sa sœur, la mort de sa mère. Et il ne savait pas s’il aurait la force d’en parler jusque bout.

- Qu’est-ce qui s’est passé, au juste ? demanda-t-elle. Tout ce dont je me souvienne, c’est d’avoir été attaquée par un homme qui ressemblait à une fouine.

Elle restait toujours à distance, et n’avait visiblement pas l’intention de s’approcher. Bon, puisqu’elle ne daignerait pas faire un effort en ce sens, il s’en tiendrait au strict minimum. Et de toute manière, pas question de lui raconter les évènements des dernières heures en criant à tue-tête pour se faire entendre.

- Nous avons été attaqués par des ninjas de Konoha, dit-il d’une voix qu’il espérait résolue. Ils ont trouvé le passage qui permet d’entrer dans la Vallée. Nous nous sommes battus contre eux et maman a probablement été… abattue. L’homme qui t’a assommée s’est servi de toi comme otage pour pouvoir nous atteindre plus facilement, mais Hagane s’est sacrifiée pour que l’on puisse s’échapper tous les deux. Maintenant, j’ai l’intention de nous emmener dans une cachette loin d’ici pour nous mettre à l’abri.

La tirade était tombée comme une sentence, et quelques secondes passèrent sans que Takibi ne réagisse. Son visage s’était figé jusqu’à ressembler à une statue de cire. Puis elle cligna des yeux, et s’approcha un peu – juste un peu ! – à petits pas.

- Qu’est-ce que tu veux dire par « sacrifiée » ?

- Je ne sais pas. Mais elle a sûrement eu plus de chance que maman, car ils avaient l’air de vouloir nous capturer sans avoir à nous tuer.

Takibi gardait une expression impassible mais elle avait décroisé les bras et se tordait les doigts inconsciemment. C’était la première fois qu’il la voyait faire ça. C’était bizarre.

- Et papa ? Il est où ?

Il la regarda d’abord avec surprise. Avec tout ça, il avait presque oublié où se trouvait son père. Enfin, il avait oublié qu’il ne savait pas où se trouvait son père, plus exactement. Il ne voulait même pas imaginer qu’elle serait sa réaction lorsqu’il découvrirait sa maison dévastée et sa famille disparue.

- Je ne sais pas, répéta-t-il à Takibi. Je crois qu’il était encore dans une de ses mystérieuses missions. Tu sais qu’on ne sait jamais quand est-ce qu’il rentre exactement. Il n’est sans doute même pas au courant de ce qui s’est passé.

- Et nous, on est où ?

- À l’extérieur de la Vallée.  J’ai oublié comment est-ce qu’on en est sorti.

- … D’accord.

D’accord.

Il n’y avait, après tout, rien d’autre à dire.

Takibi baissa les yeux, étrangement vulnérable pour une fois. Puis elle les releva et s’approcha encore. Elle semblait perdue mais Shun discernait déjà dans ses yeux la détermination propre à leur famille. Cette faculté à se relever encore et encore malgré le découragement, la fatigue, le désespoir. Takibi pleurerait peut-être et finirait par repartir de l’avant, comme il devrait s’efforcer de le faire lui-même.

Ils se rendraient à cet endroit dont lui avait parler leur père, et ils iraient délivrer leur sœur.

Coûte que coûte.

 

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Encore une fois, Hagane se jeta sur la porte de sa cellule. De toutes ses forces. Et encore une fois, elle rebondit dessus et tomba violemment au sol.

Cela faisait des heures qu’elle moisissait dans cette pièce. Cette pièce sombre, froide et humide. Des heures qu’elle inspectait les murs, la porte en acier blindé, et les moindres fissures qui lui auraient soufflés une échappatoire. Des heures qu’elle se jetait sur la porte dans l’espoir de la faire céder. Et des heures qu’elle avait faim. Faim, et froid, et soif, et peur. Peur, maladivement peur.

Et ses bras lui faisaient toujours mal, personne n’ayant daigné la soigner. Les bandages rudimentaires que Shun lui avait faits étaient déchirés et imbibés de sang. Ils ne servaient plus à rien, en fait. Elle regarda le sang goutter lentement. À force de s’écraser sur la porte de métal, elle avait finit par les abîmer un peu plus.

Elle en avait marre. Terriblement marre d’être enfermée. Elle aurait donné n’importe quoi pour que quelqu’un ouvre la porte, qu’elle le tue, qu’elle s’en aille, et qu’elle ne revoit plus jamais cette foutue cellule.

Elle voulait SORTIR !!!

 

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Soudain, Hagane entendit le bruit caractéristique des clés qui ouvraient une serrure. Un bruit qu’elle avait apprit à reconnaître depuis le temps qu’elle était ici. Celui qu’elle guettait dans l’espoir de décapiter son geôlier. Elle s’immobilisa devant la porte, prête à bondir. Lorsqu’elle s’ouvrit, elle se jeta sur la personne qui lui avait ouvert sans même prendre la peine de le regarder. Et comme toutes les autres fois où elle avait tenté cette attaque, elle fut repoussée sans difficulté.

Elle grogna en sentent sa tête percuter le sol. Elle se redressa vivement et sursauta. L’homme qui se tenait devant elle n’était pas celui des autres fois. Il était assez grand, avait des cheveux longs et paraissait avoir une cinquantaine d’années. Elle avait du mal à distinguer son visage à cause de la lumière dans son dos, mais elle le voyait assez pour s’apercevoir qu’il était très semblable à la femme qui les avait attaqué dans la Vallée. Il se tenait droit dans l’embrasure de la porte et son regard dur la jaugeait comme s’il essayait de déterminer à quel point elle lui ressemblait.

L’intuition d’Hagane lui murmurait que c’était peut-être l’occasion de recevoir quelques réponses à ses nombreuses questions.

 

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Une semaine qu’ils marchaient. Une semaine qu’ils avaient d’abord passée à s’ignorer mutuellement, puis à se jeter des coups d’oeils qu’ils espéraient discrets. Et puis enfin, commencer à discuter, prudemment. Shun et Takibi avaient finis par s’apprivoiser au fil des jours qu’ils avaient passés ensemble. Ils y avaient été obligés s’ils voulaient pouvoir survivre à cette semaine de cohabitation forcée.

Shun n’avait encore jamais put observer autant de paysages. Avec Takibi, ils en avaient découverts plus en quelques jours qu’ils n’en avaient vus dans toute leur vie. Et ils avaient fini par arriver dans le lieu le plus insolite qu’il aurait put imaginer : une plaine recouverte d’herbe verte. Plate et déserte, elle s’étendait à perte de vue, traversée uniquement par des bourrasques de vent. Shun savait que leur direction était la bonne mais il ne pouvait s’empêcher d’être déboussolé. Lui avait toujours vécu parmi les montagnes, il n’avait vraiment pas l’habitude de cette uniformité, sans le moindre relief à l’horizon. Et il doutait qu’il parvienne à s’y habituer.

Takibi non plus n’aimait pas la prairie. Depuis qu’ils y étaient entrés, elle marchait plus près de lui avec une expression renfrognée. Il la comprenait. Elle ne devait pas se sentir en sécurité dans cet endroit où elle n’avait nulle part où se cacher. Et ils étaient d’autant plus vulnérables que ses jambes blessées s’étaient infectées. Depuis quelques jours elles avaient gonflé et du pus coulait de ses plaies encrassées. Depuis, il marchait très lentement et avec de plus en plus de difficultés.

Shun espérait qu’ils trouveraient bientôt l’endroit dont lui avait parlé son père, parce qu’il ne tiendrait plus très longtemps à ce rythme. Et Takibi non plus. Elle voyait parfaitement qu’il allait mal, et cela n’était pas pour la rassurer. Autour d’eux, il n’y avait que de l’herbe à perte de vue, et pas la moindre habitation à l’horizon. Ils n’arriveraient peut-être pas avant qu’il ne s’écroule complètement. Mais il s’efforcerait de tenir le plus longtemps possible, au moins pour Takibi. Au moins pour sauver ce qui restait de sa famille.

 

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Quelques heures après, il était tombé. Trop de douleur, trop de fatigue pour qu’il puisse faire un pas de plus. À ses côtés, Takibi semblait s’être résignée et restait simplement là, assise sur ses talons à fixer l’horizon. Elle avait l’air maussade, les yeux à demi-fermés.

Ses jambes lui faisaient un mal de chien. Il craignait que même un médecin ne puisse plus les sauver, à présent. Bon sang… Il ne voulait pas finir sa vie sans pouvoir marcher à nouveau. Il ne voulait même pas boiter ! Il voulait pouvoir courir comme il en avait envie et sentir le vent sur son visage. Il avait tellement mal…

Allongé sur le dos, il regardait les nuages bouger dans le ciel. Il avait du mal à penser correctement, mais au moins il ne perdait pas la tête comme lors de sa fuite de la Vallée du Démon.

C’est alors qu’il sentit Takibi sursauter et se lever brusquement. De sa position, il la voyait fixer quelque chose au loin.

- Takibi… ? réussit-il a demander à travers le voile brumeux de sa conscience défaillante. Qu’est-ce qui… se passe… ?

- Quelqu’un approche ! cracha-t-elle. Je l’attaque ?

- Non.

C’était difficile de parler. Il était obligé de rependre une nouvelle inspiration entre chaque lambeau de phrase.

- Dis-moi… à quelle distance… il se trouve.

- Il est loin. À l’allure où il progresse, il sera ici dans une heure.

Il s’efforça de réfléchir. Dans cette immensité désertique il y avait peu de chance pour qu’il y ait d’autres personnes que celles qu’ils cherchaient. Il ne préférait pas prendre de risque, cependant.

- Écoute-moi… Takibi… dit-il. Tu vas aller… à sa rencontre… d’accord ?

- Quoi ? Mais…

- Laisse-moi finir… Tu vas lui demander… de nous aider… mais si les choses tournent mal… ou si sens que ta vie… est en danger… tu cours le plus vite… et le plus loin possible… tu cours… sans te retourner…et tu ne te préoccupes… pas de moi… Tu as compris… ?

- J’ai compris, mais je ne suis pas d’accord avec toi. Si tu meurs, je n’aurais plus nulle part où aller.

- Ne dis pas de bêtise… Il te suffira… de retourner… dans la Vallée… et d’attendre… le retour… de papa.

Il y eu un instant de silence pendant lequel elle sembla hésiter.

- Dépêche-toi… fit-il. Sinon… je vais crever… avant que… tu n’ais eu… le temps… de partir… !

- C’est pas drôle, grogna-t-elle.

Elle le regarda pensivement pendant une seconde. Puis elle dit avec un sourire en coin et une voix chargée d’ironie :

- Je reviendrais, grand-frère. C’est une promesse.

Les promesses étaient quelque chose de sacré chez les Uzumaki, Takibi ne disait certainement pas ça à la légère. Il ne put rien faire d’autre que de répondre à son sourire. Le premier qu’elle lui faisait depuis bien longtemps. Des années, en fait.

Et un peu avant de s’évanouir, Shun réalisa que c’était la première fois de sa vie qu’elle l’appelait « grand-frère ».

 

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Il ouvrit les yeux lorsqu’il sentit qu’on le secouait rudement. Après avoir un peu reprit ses esprits, il s’aperçut que c’était Takibi qui l’avait réveillé. Elle était accroupie à côté de lui et avait encore sa main griffue sur son épaule. Elle était très pâle, et elle avait les traits tendus et la mâchoire crispée. Qu’est-ce qui n’allait pas ?

Il le comprit lorsqu’il vit l’homme aux cheveux noirs qui se tenait derrière elle. Il était grand et mince dans son kimono aux couleurs sombres. Il portait un katana dans son dos, mais ne paraissait pas menaçant. Il le regardait fixement, d’un air parfaitement impassible.

Il n’était pas étonnant que sa petite sœur ait été effrayée par cet homme. Parce que Shun n’avait encore jamais rencontré quelqu’un qui lui ressemblait à ce point.

 

  

… à suivre…

 

Désolée pour ce petit retard ! J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, et à la semaine prochaine pour le suivant !

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