Une annonce de paternité
Chapitre VIII
Ebranlée, Sakura quitta l'atelier. Elle qui pensait connaître si bien sa mère ! Mais le champ d'application des idées ultra-libérales de Miki excluait de toute évidence sa propre fille... Bah, qu'importe ? De toute façon, elle serait ravie d'être grand-mère et il serait toujours temps de s'expliquer à ce moment-là.
Restait un détail à régler à très court terme, cependant : l'invitation de jeudi soir... Sasuke accepterait-il de jouer le jeu ? Rien dans leur contrat ne les contraignait à fréquenter leurs futures belles-familles respectives ! Sakura accéléra en s'engageant sur le mythique pont qui la ramenait vers Konoha. A la réflexion, Sasuke ne pouvait faire moins que de lui rendre ce petit service. L'idée du mariage venait de lui, après tout, et c'était sa faute, si elle se trouvait dans cette situation ambiguë par rapport à sa mère. A lui d'assumer les conséquences de ses actes !
Profitant de l'exceptionnelle fluidité de la circulation, la jeune femme obéit à une soudaine impulsion et prit la direction ou se trouvait l'usine de Sasuke. Le détour n'était pas bien grand et elle pourrait lancer son invitation sans passer par les affres et les incertitudes d'une conversation téléphonique.
L'après-midi touchait à sa fin lorsqu'elle se gara devant le bâtiment en brique. Plus personne à la réception, constata-t-elle, vaguement inquiète à l'idée qu'elle ait pu se déplacer pour rien. Mais le bureau de Sasuke était encore éclairé. Le jeune homme l'accueillit avec une telle effusion sur le pas de la porte qu'elle se sentit fondre...
- Sakura ! Quelle merveilleuse surprise ! Vous n'auriez pu choisir meilleur moment pour arriver ici !
Lui avait-elle donc tant manqué ? se demanda-t-elle, le coeur battant. Cette séduisante illusion fut, hélas, rapidement dissipée. Dès qu'il lui eut effleuré les lèvres, elle remarqua le désordre de sa chevelure, ses manches retroussées et le flacon qu'il brandissait dans une main.
- Je vous offre l'occasion de me rendre un immense service ! s'écria-t-il sans lui laisser le temps de placer un mot.
- Comme c'est amusant ! Car moi aussi je...
- Ah ! Je vous ai battue d'une longueur d'avance ! Votre tour viendra plus tard, la coupa-t-il en consultant nerveusement sa montre. Que savez-vous de la varicelle, Sakura ?
- Pas grand-chose.
- Peu importe. De toute façon il vous suffira de tenir compagnie à Taiyo pendant que j'assiste à la dernière moitié d'une réunion tout à fait capitale.
- Hé ! Pas si vite ! Croyez-vous que je n'aie que cela à faire ? Et qui est Taiyo, d'abord ?
Mais déjà Sasuke réajustait sa cravate d'un air affairé.
- Taiyo est un de mes jeunes camarades. J'ai promis de m'occuper de lui car son père plaide au tribunal aujourd'hui. Tenez, prenez ceci, ordonna-t-il en lui remettant d'autorité le médicament. Vous en aurez besoin. Et ne vous inquiétez surtout pas, il n'est plus contagieux.
Les yeux verts de Sakura étincelèrent d'indignation.
- Sasuke ! Je ne suis certainement pas venue ici dant le but de servir de baby-sitter. Je...
- Chut ! Taiyo va vous entendre.
Il passa la tête par l'embrasure.
- Taiyo ? Mon amie Sakura va rester avec toi un moment. Elle est très gentille, tu verras. Et ton père ne va pas tarder à arriver.
D'un geste désarmant de tendresse, il caressa les lèvres de Sakura du bout des doigts puis disparut au pas de course dans le couloir. Avec un haussement d'épaules résigné, la jeune femme pénétra dans le bureau. Puisqu'il la mettait devant le fait accompli, autant faire contre mauvaise fortune bon coeur. Une sorte de hamac avait été suspendu à deux crochets au fond de la pièce. Parmi un amas de draps et de couvertures, elle distingua le visage boudeur du petit malade.
- C'est Sasu que je veux, pas toi ! lui lança-t-il en guise de salut.
Sur ces paroles, le garçonnait lui tourna le dos. Charmante fin d'après-midi en perspective... Avec un singulier manque d'enthousiasme, Sakura s'approcha du malade. Comment avait-elle pu imaginer un instant que Sasuke était fou de joie de la voir ? Il aurait accueilli avec enthousiasme n'importe quelle victime potentielle, susceptible de le débarrasser au plus vite d'une corvée pareille !
- Alors Taiyo, y a-t-il longtemps que tu as la varicelle ? s'enquit-elle, décidée à rompre le pesant silence.
- Depuis toujours, on dirait !
Il y avait un tel désespoir dans la voix de l'enfant qu'elle en oublia sa propre contrariété. L'éruption cutanée lui couvrait tout le corps, constata-t-elle, apitoyée.
- Cela te démange beaucoup ?
- Oh oui. Partout... Et Sasu, lui, me mettait de la lotion à la calamine, ajouta-t-il d'un ton catégorique.
Voilà qui constituait clairement un appel ! Courageusement, Sakura déboucha le flacon que le jeune homme lui avait remis.
- Ou veux-tu que je commence, Taiyo ?
- Par les pieds ! C'est là que c'est le plus insupportable.
Stoïque, Sakura versa un peu de liquide sur le bout de ses doigts et entreprit de masser doucement les points douloureux. Une fois passé le premier moment de répulsion, elle se surprit à apprécier sa tâche. C'était exaltant de réussir à soulager la douleur de cet enfant inconnu ! D'autre part, elle tenait Sasuke en son pouvoir, à présent. Pas moyen pour lui de refuser l'invitation de Miki après avoir exigé d'elle un service pareil...
- Est-ce que tu connais M. Uchiwa depuis longtemps, Taiyo ?
Sakura éprouva une singulière sensation de triomphe lorsque le garçonnet daigna lui rendre son sourire.
- Moi, je ne l'appelle pas M. Uchiwa, mais Sasu, riposta-t-il avec fierté. Et je travaille pour lui depuis quelques années.
- Ha ! Ha ! Je vois. Tu dois être un de ses "" contrôleurs "" de jouets, c'est bien cela ?
- Oui, avec mon frère Mikoto. Mais lui n'a que quatre ans, il est trop petit pour être vraiment efficace. Et puis c'est lui qui m'a donné la varicelle !
Il se tortilla soudain en grimaçant.
- Est-ce que tu pourrais te dépêcher, s'il te plaît ? Cela me démange tellement ! Et tu es toujours sur le même pied depuis tout à l'heure.
- La méthode n'est pas très rapide, en effet. Voyons... il faudrait inventer une technique plus efficace...
Embrassant la pièce d'un regard circulaire, Sakura repéra des pinceaux et de la peinture sur une étagère.
- Eurêka ! Je crois que je tiens notre solution, Taiyo !
- Fais vite, s'il te plaît, supplia-t-il en se tordant.
Vidant en hâte une coupe pleine de trombones, la jeune femme l'essuya avec un mouchoir avant de la remplir de lotion à la calamine. Puis elle s'empara du plus gros des pinceaux et s'attaqua résolument à la jambe de Taiyo.
- Hé ! Qu'est-ce que tu fais ? s'écria-t-il en se dressant sur ses coudes.
- Je te peins ! Allons... remonte un peu ton pyjama. Voilà... Tu vois à quelle allure j'avance, cette fois !
Les yeux blancs de l'enfant s'écarquillèrent d'admiration.
- Youpi ! Sasu lui-même n'y avait pas pensé !
Pour un compliment, c'était un compliment ! devina Sakura non sans plaisir. Simultanément, elle recouvrait un peu de la confiance perdue au cours de sa discussion avec Miki. Pourquoi ne réussirait-elle pas à prendre soin de son propre bébé puisque tout se passait si bien avec Taiyo qu'elle ne connaissait même pas ?
- Et hop ! Te voici enduit des pieds à la tête ! Comment te sens-tu maintenant ?
- Beaucoup mieux !
Elle lui ébouriffa les cheveux avec affection.
- Veux-tu que je te lise une histoire, à présent ? Je vais voir se je trouve quelque chose dans ces rayons.
Sakura entamait le second chapitre d'un livre pour enfants lorsqu'elle entendit derrière elle une voix d'homme qui ne lui était pas tout à fait inconnue.
- Taiyo ?
- Papa !
Dressé sur son séant, le petit garçon tendit les bras. Le nouvel arrivant contourna Sakura et se baissa pour embrasser son fils. Puis il se tourna vers la jeune femme, Taiyo toujours cramponné à son cou. Elle écarquilla les yeux.
- Shikamaru Nara !
- Sakura ! s'exclama-t-il. Que faites-vous ici ?
- C'est une amie de Sasu, papa. Elle m'a presque guéri avec un pinceau.
- C'est une vraie fée, alors ? Je vous remercie infiniment de vous être occupée de lui, Sakura.
D'un geste distrait, Shikamaru repoussa ses lunettes sur son nez. Ainsi le projet insensé de Sasuke prenait tournure. Et cela, beaucoup plus rapidement que prévu. Il ne s'était certes pas attendu à trouver Sakura Haruno installée dans son bureau à jouer les gardes-malades ! La jeune femme était plus belle encore que dans ses souvenirs, plus amicale et plus chaleureuse, aussi... Certainement pas le type de femme que l'on pouvait épouser en restant de marbre et oublier après six mois ! Cette constatation le confirmait d'ailleurs dans ses craintes : son ami ne tarderait pas à se repentir de s'être prêté en toute inconscience à ce simulacre de mariage...
- Sasuke avait une réunion très importante, expliqua la jeune femme. Alors j'ai tenu compagnie à Taiyo. Et nous avons passé un excellent après-midi ! N'est-ce pas ?
Comme Taiyo acquiesçait, elle lui tendit le petit recueil dont elle avait commencé la lecture.
- Je suis certaine que Sasuke ne t'en voudra pas si tu l'emportes avec toi.
- Et le pinceau ? s'écria-t-il.
- Je prends la responsabilité du pinceau sur moi, déclara Shikamaru en l'empochant. Et maintenant, rentrons vite à la maison. Vous nous excuserez, Sakura ? Je suis vraiment épuisé.
Demeurée seule, la jeune femme se laissa choir dans un fauteuil. Pour tromper son attente, elle essaya de déterminer qui parmi les hommes qu'elle connaissait accepterait de garder toute une journée un enfant malade dans son bureau. Personne, évidemment. Une fois de plus, Sakura découvrait chez Sasuke un côté attachant, émouvant même. Elle s'approchait du hamac pour mettre un peu d'ordre dans le fouillis des draps lorsque le jeune homme fit irruption dans le bureau.
- Sakura, vous êtes encore là, Dieu merci ! Shikamaru est-il venu chercher Taiyo ?
- Il y a tout juste cinq minutes.
Sasuke dénoua sa cravate en souriant.
- Shikamaru est mon meilleur ami. Mais je suppose que ce n'est pas la première fois que vous le rencontrez ?
- Je l'entrevois parfois au tribunal, entre deux portes... Lui et Taiyo semblent vraiment très attachés l'un à l'autre, commenta-t-elle pensivement. Mme Nara travaille, je présume, puisqu'elle n'a pas le temps de s'occuper de son enfant malade ?
- Hinata les a quittés il y a un an... Mais je vous raconterai toute cette histoire une autre fois.
En fait, Sasuke n'avait pas la moindre envie de parler de Shikamaru ou d'Hinata. Sakura monopolisait soudain toute son attention : sa beauté qui ne lui semblait plus du tout froide, la douce plénitude de ses seins qui se dessinaient avec une certaine insolence sous la soie mouvante de sa blouse vert émeraude. Comme elle continuait à plier les couvertures, il s'approcha pour lui prendre les coudes. D'un mouvement très doux, il la fit pivoter vers lui et leurs regards demeurèrent un instant rivés l'un à l'autre.
- Je vous suis très reconnaissant, Sakura, murmura-t-il d'une voix caressante. Je me rends bien compte que je vous ai honteusement forcé la main. Il est peut-être un peu tard pour prononcer mon mea culpa, mais...
Infiniment troublée, la jeune femme l'interrompit d'un geste de la main.
- Rassurez-vous, l'épreuve n'a pas été si dure, Taiyo a su me séduire ! Je ne suis pas fâchée si c'est là ce que vous craignez.
Mais Sasuke avait bien autre chose en tête que de la crainte à l'instant même. Il n'avait plus conscience que de la proximité envoûtante, de la façon dont sa respiration légèrement saccadée soulevait sa poitrine. Avec une lenteur infinie, il l'enlaça, ses yeux soudain plus noirs, insondables et fascinants.
Comme prisonnière d'un cercle magique délimité par ses bras, Sakura entrouvit les lèvres. Elle trouva les siennes, proches et tentantes. Mais, au moment même ou elle s'abandonnait, la réalité de leur situation s'imposa à la jeune femme avec une évidence pénible.
- Sasuke... ou allons-nous ainsi ? murmura-t-elle en se dégageant.
Le jeune homme réprima sa déception lorsqu'elle se déroba à son étreinte. Il glissa la main sous la masse rose de ses cheveux, découvrant avec délices la peau fine et tiède de sa nuque.
- Ou nous allons ? Nous apprenons à mieux nous connaître... Quoi de plus naturel pour deux futurs époux ?
Sakura se raidit.
- Ne remuez surtout pas le couteau dans la plaie, Sasuke ! Je peux vous assurer que tout aurait été beaucoup plus simple si nous nous en étions tenus à mon plan initial.
- De quel point de vue, par exemple ?
- Ma mère tient absolument à ce que nous venions dîner chez elle ensemble !
Sasuke éclata de rire.
- Ce n'est donc que cela ! A voir votre mine accablée, je m'attendais à une véritable catastrophe... Sait-elle cuisiner, au moins ?
- Bien sûr ! Mais pas tout à fait les mêmes repas que tout le monde, hélas. Avez-vous une aversion particulière pour les sushi ?
- Du poisson cru ? Quelle horreur ! Mais je vous dois bien cela, Sakura. Notez quand même que nous serons quittes à la suite de cette épreuve ! Lui avez-vous annoncé que nous allions nous marier ?
Elle haussa les épaules.
- C'est le genre d'événement qu'il est difficile de passer sous silence. Miki est transportée de bonheur. Je... je n'ai pas eu le courage de lui avouer qu'il s'agissait d'un arrangement.
- Seigneur...
D'un geste plein de sollicitude, Sasuke lui entoura les épaules et ils échangèrent un regard lourd de signification. Dans quel piège s'étaient-ils précipités de leur plein gré, l'un et l'autre ?