Une annonce de paternité
Chapitre IX
Au cours de la semaine qui suivit, Miki appela Sakura à trois reprises afin de mettre au point chaque détail du menu. Du jamais vu. C'était comme si entre Sasuke et elle, les circonstances s'amusaient à tisser des liens de plus en plus serrés, songeait la jeune femme, décontenancée. Non, tout cela ne ressemblait vraiment en rien à ce qu'elle avait imaginé au moment de passer son annonce !
Le jeudi, Sakura travailla sans relâche jusqu'au soir. Sept heures sonnaient lorsqu'elle referma enfin derrière elle la porte de son cabinet. Sasuke devait déjà l'attendre en bas ! Elle émergeait au pas de course de la cabine de l'ascenseur quand une voix essoufflée retentit derrière elle.
- Miss Haruno, une seconde, je vous prie.
Pivotant sur ses talons, Sakura reconnut aussitôt la jeune femme qui voulait retrouver ses enfants. Comme elle paraissait harassée et inquiète, ce soir encore ! Mais sa cliente n'aurait pu choisir un plus mauvais moment. Elle était en retard et il était hors de question de faire patienter sa mère ou Sasuke.
- Je suis vraiment désolée, madame, mais l'heure de fermeture est passée depuis longtemps, expliqua-t-elle avec un sourire. De plus, je suis très pressée, hélas.
- Je vous en supplie, quelques minutes seulement. Il faut absolument que je vous parle.
L'espace d'une seconde, Sakura hésita. La solitude qu'on devinait chez cette femme avait quelque chose d'effrayant. Mais elle ne pouvait accéder à sa demande. La jeune femme avait une vie privée qu'il était important de respecter. Et cela n'aurait pas été très correct envers Miki et Sasuke. Avec une compassion sincère, elle posa la main sur le bras de l'inconnue.
- Je ne peux vraiment pas me libérer, je vous assure. Mais revenez demain, je vous recevrai quand vous le désirerez, même sans rendez-vous.
Dévorée par la mauvaise conscience, Sakura coupa court et s'éloigna sans lui laisser le temps de répliquer. Jamais le claquement de ses talons sur le marbre ne lui avait paru aussi agressif que ce jour-là, alors qu'elle s'efforçait de bannir de sa mémoire la vision d'un regard bleu pâle à l'expression égarée...
***
La jeune femme se voûta un peu en suivant du regard l'avocate qui se hâtait vers la sortie de l'immeuble. Les gens de sa profession n'étaient-ils donc jamais disponibles ? Mais quelle question ! Ne le savait-elle pas d'expérience ? Ce n'était pourtant pas grand-chose ce qu'elle avait voulu lui demander. Juse un coup de téléphone, rien de plus. Son mari aurait été bien forcé d'écouter si c'était quelqu'un comme Miss Haruno qui s'adressait à lui. Peut-être aurait-il même consenti à lui rendre ses enfants si l'avocate avait insisté.
Mais une fois de plus, on se détournait d'elle. Une fois de plus, elle restait là, abandonnée, avec sa solitude, sa vieille et détestable compagne... La poitrine serrée par l'angoisse, la jeune femme sortit sur la place. Elle erra longuement de rue en rue. Devant une épicerie fine, elle hésita un instant, fixant un regard morne sur les bouteilles alignées. Apéritifs, liqueurs, champagne...
Par un effort de volonté, la jeune femme s'arracha à sa contemplation et repartit d'une démarche lourde. Elle avait résisté ! N'était-ce pas la preuve qu'elle n'avait nul besoin d'aller à l'hôpital ? Toute cette semaine, elle n'avait rien bu, à part quelques verres de vin occasionnels. Mais ceux-là ne comptaient pas. Rien donc, ne lui interdisait plus d'assumer dès à présent la garde de ses enfants ! A la devanture d'un photographe, elle s'attarda longuement devant le portrait de deux petits garçons. Ils étaient sensiblement du même âge que les siens... Une vague de douleur la submergea, lui coupant le souffle. Ses bébés... elle voulait retrouver ses bébés ! Quoi qu'il arrive. Par n'importe quel moyen et avec ou sans l'aide de son avocate...
***
Lorsque Sasuke lui ouvrit la portière de sa BMW, Sakura s'installa sans un mot.
- Avez-vous passé la dernière demi-heure en tête à tête avec un fantôme ? s'enquit-il après avoir effleuré ses lèvres. Vous êtes livide.
Sakura eut un pâle sourire.
- J'ai dû éconduire une cliente qui arrivait juste à l'instant. Elle donne une telle impression de détresse que je ne puis m'empêcher d'éprouver un certain remords. Enfin... je préfère ne plus y penser, fit-elle d'un air d'excuse. Si on ne s'accorde pas de vrais moments de répit, dans ce métier, on s'use très vite.
- Je comprends. Parlez-moi plutôt de votre mère, alors.
- Miki ? C'est une artiste. Elle illustre des livres pour enfants.
Cette révélation éveilla aussitôt l'intérêt de Sasuke.
- C'est passionnant ! Et réussit-elle à gagner sa vie grâce à son art ?
- Elle est reconnue dans son domaine. Avez-vous entendu parler de Soura et le tigre ?
Tout en pestant à voix basse contre la circulation, Sasuke fit rugir son moteur et réussit à passer au feu orange.
- Soura et le tigre ? Mais certainement ! J'en ai fait la lecture à Mikoto, le petit frère de Taiyo, il n'y a pas si longtemps.
- Eh bien, les dessins sont de Miki. Elle a un contrat avec cette maison d'édition depuis des années.
Ils arrivaient au sommet d'une colline et Sakura vit le flot de voitures s'écouler à vive allure sur le pont. Au-delà des premières piles, l'imposante construction demeurait invisible, comme engloutie par la masse opaque du brouillard qui se mouvait d'un seul bloc en direction de la ville. Par chance, les embouteillages de fin d'après-midi étaient à présent résorbés.
- Votre mère a-t-elle toujours vécu à Konoha ?
- Depuis que je suis petite. Elle s'est installée dans une de ces vieilles maisons que l'on pouvait acheter pour presque rien avant que le quartier ne devienne à la mode. Elle a même envisagé un temps de s'installer dans un bateau-habitation ! Vous verrez, elle est un peu, comment dire ? Spéciale, il n'y a pas d'autre terme.
- Croyez-moi, je m'en suis douté dès que vous avez prononcé le mot de sushi ! Je vous préviens que si d'aventure nous nous rendions à Suna, chez la mienne, le menu serait nettement plus traditionnel !
- Selle d'agneau et haricots verts, par exemple ?
- Ce sont ses plats préférés, en effet, acquiesça-t-il en empruntant l'allée que Sakura lui indiquait.
- Voilà, nous sommes arrivés. Vous pouvez vous garer devant la porte du garage.
Mal à l'aise, Sakura risqua un regard à la dérobée en direction de Sasuke qui considérait les alentours d'un oeil sceptique. Là ou aurait dû se trouver une coquette pelouse, il n'y avait plus, désormais, qu'un joyeux enchevêtrement d'herbes folles et de fleurs sauvages. Quant à la maison, elle semblait se dissimuler derrière les arbres, comme pour dérober aux regards sa façade de bois fatiguée par l'âge et les intempéries... Sakura sentit sa confiance faiblir. Quelle situation, Seigneur ! Pourquoi avait-elle eu la malencontreuse idée de mentir à Miki ? Pour rien au monde, en tout cas, elle ne consentirait à se rendre à Suna, chez la mère de Sasuke !
- Je me demande si nous n'avons pas commis une erreur en venant ici, fit-elle en soupirant. Miki est sûrement différente des gens auxquels vous êtes habitué.
- Et alors ? Ce sera d'autant plus enrichissant pour moi !
- Admettons... mais avez-vous songé seulement qu'il nous faudra jouer la comédie ? Pour ma mère, nous sommes un couple d'amoureux ordinaire, ne l'oubliez pas.
Refermant sa portière, Sasuke contourna la voiture pour venir prendre ses mains dans les siennes. Elles étaient glacées...
- Ecoutez, Sakura, quel mal y-a-il à lui laisser ses illusions ? Il sera plus facile pour elle d'accepter l'échec d'un mariage que d'admettre que vous avez choisi délibérément de devenir une mère célibataire, vous ne pensez pas ?
Tout en parlant, il s'empara de son bras et l'entraîna à sa suite en direction de l'entrée brillamment éclairée. En vérité, Sasuke était loin d'être aussi sûr de lui qu'il ne le prétendait. Quoi d'étonnant à ce que Sakura soit tendue ? En élaborant son projet, il n'avait pas songé un instant que leur accord aurait nécessairement des répercussions au niveau de leurs familles respectives. Suna, par chance, était loin et il pourrait peut-être passer sous silence une union de six mois. Mais la mère de Sakura n'était qu'à un pont de distance...
Déjà la porte peinte en bleu turquoise s'ouvrait à la volée.
- Vous voilà !
- Miki, je te présente...
- Quel besoin de me le présenter ? Cela ne peut être nul autre que Sasuke !
Jetant les bras autour du cou de Sasuke, leur exubérante hôtesse lui plaqua un baiser sonore sur chaque joue. Eberlué, il réussit de justesse à maintenir son équilibre.
- Je suis ravi de faire votre connaissance, Miki !
Bien qu'il fût averti, Sasuke dut faire un louable effort pour dissimuler son étonnement. En kimono violet avec un gardénia en équilibre instable dans la masse capricieuse de ses cheveux d'un rose flamboyant, Miki Haruno offrait un spectacle pour le moins déroutant !
- Mmm... je suis prêt à parier que nous allons déguster des spécialités japonaises ce soir, s'exclama-t-il avec bonne humeur, une fois remis de sa surprise.
Miki leur entoura les épaules et les entraîna à l'intérieur.
- Vous avez deviné juste, mon futur gendre ! Et comme je tiens beaucoup à créer l'ambiance adéquate, je vais vous demander à tous deux d'enlever vos chaussures à l'entrée.
Penchée en avant pour retirer ses escarpins en vernis noir, Sakura lui glissa à l'oreille :
- Je suis désolée.
- Quelle idée ! L'expérience va être encore plus éclairante que je ne le pressentais...
- Venez, maintenant ! intima Miki en les précédant à l'inérieur.
Enfonçant les pieds avec délices dans le haut tapis de laine blanche, Sasuke promena sur la salle de séjour un regard circulaire. Un sourire appréciateur erra sur ses lèvres.
- Voilà qui est tout à fait extraordinaire !
Pas une chaise, pas un fauteuil dans cette pièce ! Dans un bruissement de soie, Miki alla jusqu'à la table en laque noire et s'assit en position du lotus sur un coussin de satin jaune. Peut-être y avait-il une certaine ostenstation dans tant d'excentricité. Mais qu'importe ? La pétulante artiste lui inspirait d'emblée une immense sympathie.
- Et à présent, je veux tout savoir sur vos projets de mariage ! s'exclama Miki lorsqu'ils eurent suivi son exemple. A quand la cérémonie ?
Réprimant une grimace, Sakura jeta un coup d'oeil furtif du côté de Sasuke. S'il avait fixé une date, il avait omis de la mettre au courant...
- Ce sera le samedi de la semaine prochaine, annonça-t-il avec désinvolture.
La mère de Sakura ouvrit de grands yeux.
- Déjà !
- Oui, j'aurais dû te prévenir, maman. Mais nous avons décidé de ne pas attendre, expliqua Sakura, volant à la rescousse.
- Mm... je commence à comprendre. En fait, tout était déjà prévu depuis longtemps. Vous avez tardé à m'en parler, voilà tout !
- Oh non ! Enfin... oui, balbutia la jeune femme en prenant soin d'éviter le regard de Sasuke. Nous sommes très pris, l'un et l'autre, tu sais ce que c'est.
- Mais vous aurez le temps de partir en voyage de noces, quand même ?
En voyage de noces ! Sasuke et Sakura ouvrirent la bouche en même temps, mais le "" non "" prononcé d'une voix étranglée par la jeune femme fut presque noyé par le "" oui "" retentissant de son compagnon.
Miki arqua un sourcil, un peu étonnée par leurs réactions contradictoires. Se doutait-elle de quelque chose ? Sakura jeta un regard affolé du côté de son "" fiancé "".
- Euh... tu as dis "" oui "", Sasuke ?
- Bien sûr, ma chérie ! Qui dit mariage, dit voyage de noces, voyons !
- Mmm... j'ai l'impression que vos avis divergent sur la question, observa Miki d'un air suspicieux. Et ou comptiez-vous vous rendre ? s'enquit-elle en se tournant vers Sasuke.
- Dans la petite ville de Hounel, sur la plénintude de Monthie. En vérité, je comptais faire la surprise à Sakura.
- Oh, mon Dieu ! Et moi qui viens de tout gâcher ! Mais il faut bien que ma fille soit mise au courant afin de pouvoir se libérer, n'est-ce pas ? Et Hounel ! Quel choix romantique. L'océan, ce merveilleux paysage de collines, les boutiques pittoresques ! Voilà un projet qui se fête. Je vais vite chercher les apéritifs.
Dès qu'elle eut disparu dans la cuisine, Sakura souffla à l'oreille de son compagnon :
- Vous vous moquez vraiment de moi ! Non seulement, vous ne m'aviez pas informée de la date de la cérémonie, mais en plus vous organisez un voyage de noces à mon insu. Pour autant que je sache, ce séjour à Hounel ne figure pas dans notre contrat !
- Est-ce ma faute ? L'idée vient de votre mère, pas de moi ! D'ailleurs, c'est vous qui voulez un enfant, si je ne m'abuse ! Mais chut ! La revoilà...
Les joues en feu, Sakura bénit l'arrivée de sa mère portant un plateau avec trois minuscules bols en porcelaine et une assiette de sushi.
- Du saké chaud ! annonça leur hôtesse avec un sourire très japonais. A vous deux ! Je bois à un avenir heureux !
Elle prit une gorgée d'alcool de riz tout en couvrant sa fille d'un regard radieux.
- Mon Dieu, Sakura, voilà des années que tu n'as pas eu d'aussi bonnes couleurs ! La perspective du mariage te réussit.
La jeune femme crut un instant qu'elle allait s'étrangler en buvant son apéritif. Sasuke, lui, était tout sourire. Pire même, il semblait s'amuser beaucoup de son embarras... Très à l'aise, il dégustait ses sushi comme s'il n'avait mangé que cela toute sa vie.
- A nous ! proclama-t-il en se penchant pour lui effleurer la joue.
Troublée, embarrassée, furieuse, Sakura tressaillit. Qu'il s'arrête. Qu'il mette un terme à l'instant à cette comédie !
- Vous êtes parfaitement assortis, vous deux, décréta Miki d'un ton péremptoire. Il faudra à l'occasion que je fasse établir une comparaison de vos thèmes astraux pour en être tout à fait certaine.
- Oh non ! gémit Sakura.
- ... Mais mon astrologue est en vacance pour l'instant. Nous verrons cela plus tard. Je vais aller chercher le suki yaki, le plat de viande, mes enfants.
Sakura se leva aussitôt, bien décidée à fuir un second tête-à-tête avec Sasuke.
- Laisse-moi t'aider, Miki
- Il n'en est pas question, ma chérie ! Tu ne vas pas abandonner ton fiancé ainsi.
A contrecoeur, la jeune femme s'agenouilla de nouveau sur son coussin de satin rose. Assis en tailleur, Sasuke jubilait. Le terme de "" fiancé "" appliqué à sa personne n'était certainement pas étranger à cette insolente bonne humeur.
- Quel plaisir de vous voir obéir aux ordres pour une fois ! Votre mère est vraiment extraordinaire...
Sakura le foudroya du regard.
- Ah vraiment, vous trouvez ?
- Il n'y a qu'une seule chose que je ne parviens pas à m'expliquer... Comment diable une femme comme Miki a-t-elle pu mettre au monde une fille telle que vous ?
Sakura ne se l'expliquait pas non plus. Que de fois ne s'était-elle pas interrogée à ce sujet !
Pendant le reste du repas, Miki et Sasuke débattirent avec entrain des rapports entre enfants et créativité. Sakura, elle, demeurait silencieuse. Pourquoi fallait-il qu'ils s'entendent si bien, elle et lui ? Manifestement séduite pas son futur gendre, Miki tomberait des nues lorsque Sakura lui annoncerait "" l'échec "" de leur mariage dans six mois...
Ce fut avec un malaise croissant qu'elle écouta Sasuke s'enthousiasmer sur les oeuvres de sa mère durant le trajet du retour. En tout cas, sa résolution était prise : d'une façon ou d'une autre, il faudrait qu'elle limite le plus possible les contacts futurs entre lui et Miki. Ce mariage n'était qu'après tout qu'un arrangement commode, une formalité. En aucun cas, ils ne devaient perdre de vue cette optique.
Face au mutisme obstiné de sa compagne, Sasuke finit également par se taire. Lorsque la BMW s'immobilisa devant l'immeuble ou vivait la jeune femme, il résista même à la tentation de la prendre dans ses bras. Vu la façon hâtive dont elle prenait congé, il était clair que le moment serait mal choisi... Sans s'attarder à la suivre des yeux, il démarra en trombe. Qu'était devenue sa bonne humeur, tout à coup ? Peut-être était-ce la perspective de ce mariage factice qui le contrariait. Sasuke commençait à éprouver un réel attachement pour Sakura. Qui sait ce qui aurait pu se passer s'ils s'étaient rencontrés dans d'autres circonstances ? Hélas... Le côté terre à terre de l'étrange pacte qui les liait allait tout compromettre, inéluctablement. Sourcils froncés, Sasuke accéléra encore son allure. Finalement, c'était Shikamaru qui avait raison. Ce maudit projet risquait bel et bien de se révéler moins anodin que prévu...