Une annonce de paternité
Chapitre XII
Sasuke avait raison, constata Sakura en sortant de son immeuble. Il faisait un temps à courir derrière un cerf-volant, un temps à fouler le sable de la plage, à respirer l'air de l'océan. L'épaisse chape de brouillard qui avait pesé toute la matinée sur les toits de la ville s'était enfin levée et les rues scintillaient sous un ciel d'un bleu très pur.
Dix minutes plus tard, la BMW filait sur l'autoroute et ils laissaient derrière eux les dernières banlieues de Konoha. Bientôt, la route s'éleva au-dessus du niveau de la mer et serpenta dans un paysage de collines avant de se rapprocher de nouveau de la côte. Mais cette fois au sommet d'immenses falaises qui surplombaient de très haut le déferlement puissant du ressac. Sasuke avait ouvert le toit et la jeune femme s'abandonna avec délices à la caresse du soleil sur son visage.
- Je suis bien, fit-elle simplement.
Sasuke se contenta de sourire. Comme ils approchaient, la roche abrupte disparut, cédant la place à la rondeur des dunes. Plus bas, c'était la blondeur du sable fin, le large ruban de la plage qui semblait se dérouler à l'infini, contrastant avec la froide splendeur bleue des eaux. Sasuke se gara devant un bungalow en bois de cèdre patiné dont les hautes vitres rectangulaires donnaient sur la route.
Sakura fut séduite au premier coup d'oeil mais de toute évidence, Sasuke était bien trop impatient d'essayer son cerf-volant pour prendre le temps de lui faire visiter sa maison. Fascinée, elle assista aux préparatifs. Un vent tonique lui fouettait le visage et elle sentit l'excitation de Sasuke se communiquer à elle. Il avait une telle faculté de s'investir entièrement dans ce qu'il faisait !
Il tira face au vent le cerf-volant aux couleurs vives qui s'éleva droit vers le ciel. Maniant les ficelles avec dextérité, Sasuke l'amena à plonger presque jusqu'au sol. Au dernier moment, cependant, il amorça un virage aigu, partit à toute allure sur la droite, évita de justesse une vague déferlante et remonta dans un vol glorieux, sa longue queue décrivant d'élégantes ellipses.
Brusquement, Sakura se rappela à quelle occasion elle avait elle-même lancé un cerf-volant. C'était en compagnie de son père, quelques jours seulement avant qu'il ne les abandonne, Miki et elle. Elle se revit soudain, petite fille émerveillée, suivant des yeux le gracieux jouet qui semblait devoir s'enfoncer à jamais dans le ventre rond des nuages...
Sasuke courait à présent dans sa direction, le visage illuminé par un sourire triomphal.
- Il est magnifique, Sasuke !
- Voulez-vous essayer ?
Au moment même ou elle tendait la main pour prendre les poignées, Sakura se raidit et retira son bras. Il lui paraissait soudain impossible de réitérer l'expérience. Plutôt garder intact le souvenir de cette dernière journée passée avec son père...
- Non merci, cria-t-elle pour couvrir le bruit du vent. Je préfère vous regarder.
Préoccupé par ce revirement inattendu, Sasuke attacha les ficelles à un morceau de bois profondément enterré dans le sable. Abandonnant le cerf-volant à son sort, il entoura les épaules de la jeune femme.
- Que se passe-t-il, tout à coup ?
- Rien. Je n'ai pas envie, simplement.
- Vous êtes trop sérieuse, Sakura. N'avez-vous donc vraiment jamais appris à jouer ?
Elle détourna la tête, le regard rivé sur la danse heurtée de petits échassiers qui esquivaient en criant les longs jets d'écume chaque fois qu'une vague se brisait avec fracas sur le sable.
- J'ai l'impression d'entendre mon père. Il était expert dans l'art du jeu, fit-elle avec amertume.
Sasuke la sentit trembler sous ses doigts.
- Miki m'a appris l'autre soir que votre père vous avait quittée quand vous étiez encore une enfant. Est-ce pour cette raison que vous ne parlez jamais de lui ?
- Que voulez-vous que j'en dise ? murmura-t-elle en enfonçant les mains dans ses poches.
- N'est-ce pas en partie à cause de lui que vous éprouvez cette aversion pour le mariage ? s'enquit-il doucement. Vous avez peur, n'est-ce pas ?
Elle se dégagea, ses yeux verts lançant des étincelles.
- Je vous interdis de m'analyser ainsi ! Je n'ai pas peur ! J'ai ma vie bien en main et je n'ai rien à craindre, que ce soit clair !
D'un geste ferme, Sasuke lui reprit le bras et en dépit de ses résistances, l'attira de nouveau contre lui.
- Venez, marchons un peu, murmura-t-il.
Sakura ne répondit pas, mais lui emboîta docilement le pas. Leurs empreintes sur le sable s'étiraient déjà sur plusieurs centaines de mètres lorsque la jeune femme réussit à maîtriser son inexplicable accès de colère et à prendre de nouveau la parole.
- Contrairement à ce que vous pensez, je ne déteste pas mon père. Oh, je n'ignore pas l'opinion des experts en la matière : les filles abandonnées très tôt par leur "" père "" ont tendances à se méfier des hommes. Mais ce n'est pas là mon problème. La seule chose que je reproche au mien c'est de n'avoir vécu qu'au gré de ses caprices. S'amuser était tout ce qu'il savait faire.
- C'est pourquoi le fait de jouer vous procure un sentiment de culpabilité.
- Ce n'est pas vrai !
Ses mots sonnaient faux, admit-elle. Comment nier qu'elle avait toujours consacré sa vie au travail, excluant d'office toute autre occupation ? Mais jouer... A quoi bon ? Se divertir lui avait toujours paru tellement inutile et frivole. Comme s'il lisait dans ses pensées, Sasuke reprit :
- Jouer nous permet d'entrer en contact avec ce que nous sommes vraiment, Sakura.
Il lui prit la main.
- Je suis loin d'être inactif, moi aussi. Je me tue à la tâche dix heures par jour. Mais ce n'est pas cela qui compte.
- Dites-moi, alors, ce qui compte réellement...
- En définitive, ce sont les gens. Les gens et les liens qui les unissent. L'essentiel dans la vie, ce sont les familles et les enfants qui grandissent et en fondent d'autres à leur tour. Le reste est accessoire.
Etonnée, Sakura haussa les sourcils.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas marié, dans ce cas ?
- Je n'ai pas rencontré celle que j'attendais. Que j'attends toujours, d'ailleurs. C'est aussi simple et aussi compliqué que cela. Mon épouse sera ma raison de vivre ou ne sera pas. Et je veux que mes enfants soient conçus dans l'amour.
Sakura laissa résonner ces paroles en elle. Il y avait un tel gouffre entre l'idéal qu'il venait d'évoquer et leur contrat, ce papier qui seul justifiait sa présence à côté de cet homme... Assaillie par une brusque sensation de solitude, Sakura se tut, attentive au va-et-vient des vagues. Les mouettes virevoltaient au-dessus de l'eau d'un bleu-noir, leurs cris comme l'essence même de ce majestueux silence de la nature. Et soudain, une détermination exaltée naquit en elle.
Elle serait libre, comme ces oiseaux, et elle apprendrait à son enfant à savourer cette ivresse. L'enfant. C'était lui qui importait. A aucun prix, elle ne devait se laisser prendre au piège de ses sentiments pour Sasuke. Lui était temporaire. L'enfant serait pour toujours...
Lorsque, un peu apaisée, Sakura se tourna de nouveau vers la plage, elle vit une petite silhouette vêtue de rouge courir à leur rencontre.
- Voilà Taiyo ! annonça joyeusement Sasuke.
Il s'immobilisa, les bras écartés. Sans ralentir sa course, le garçonnet se précipita contre lui. Sasuke vacilla, retrouva à grand-peine son équilibre. Il fit tourbillonner l'enfant avant de le reposer, hors d'haleine, sur le sable.
- Ouf ! Comme tu as grandi, Taiyo ! Si tu continues ainsi, je ne pourrai plus te porter, tu sais.
Le visage du petit garçon s'illumina. De toute évidence, il était très fier de sa taille. D'un geste affectueux, Sakura ébouriffa ses cheveux.
- Nous avons fini le livre, annonça-t-il en se tournant vers elle. Et je suis presque guéri !
Puis, très sérieux, il s'adressa de nouveau à Sasuke.
- Nous sommes descendus sur la plage dès que nous avons vu ton cerf-volant. J'ai dit à papa que je vous trouverais mais Mikoto croit que vous êtes tombés dans l'océan et qu'un requin vous a mangés.
- Oh, oh ! Il serait peut-être temps d'aller le rassurer sur notre sort, dans ce cas.
Mais Taiyo avait des idées plus urgentes en tête.
- Est-ce que je dois tester le cerf-volant ?
- Bien sûr ! Je te le confie aussi longtemps que tu voudras.
- Avant Mikoto ?
Sasuke comprit qu'il venait de tomber dans un piège tendu avec soin.
- Eh bien, oui. Mais chacun à votre tour, n'est-ce pas !
- Youpi ! Dépêchons-nous.
Taiyo leur saisit chacun une main et commença à courir. Sasuke et Sakura se laissèrent entraîner en évitant de se regarder.
Shikamaru vit arriver l'étrange trio en secouant la tête. L'image même d'une famille unie. Comme les apparences pouvaient être trompeuses, parfois... Il y avait quelques années encore, c'était avec son père et sa mère que Taiyo avait parcouru la plage, tous trois riant, échevelés, ivres de vent et de liberté. D'un coup de talon rageur, il écrasa un coquillage, enfonçant les débris dans le sable. Elles avaient été tellement heureuse, ces premières années dans leur nouvelle maison, perdue au bord de l'océan. Si au moins il n'avait pas été retenu aussi souvent en ville par un travail qui accaparait tout son temps, Hinata serait encore là et rien n'aurait changé...
Très vite, Shikamaru était entré dans une espèce de cercle vicieux, plus le gouffre se creusait entre lui et Hinata, plus il s'absentait pour échapper à ses plaintes. A la fin, lorsqu'il lui arrivait de faire le voyage de Konoha, il trouvait sa femme plongée dans un lourd sommeil comateux. Pourquoi l'avait-il poussée alors à avoir un deuxième enfant ? Le remède n'avait servi qu'à empirer le mal. Quant aux psychiatres, ils n'avaient jamais été d'aucune aide non plus. Peut-être aurait-il fallu trancher dans le vif, se résoudre à déménager ?
Mais à quoi bon s'interroger encore sur le passé ? Tout ce qui comptait à présent, c'étaient les garçons. Le regard de Shikamaru erra un instant sur Mikoto. Accroupi au bord des vagues, l'enfant creusait avec ardeur, s'émerveillant de voir monter l'eau dans le trou qui s'effondrait à mesure. Oui, Mikoto et Taiyo rendaient la vie digne d'être vécue. Et cela, même les jours ou ils avaient la varicelle ! songea-t-il en souriant intérieurement.
- Papa ! hurla Taiyo en se détachant de ses compagnons. C'est moi qui commence à jouer avec le cerf-volant !
Sans prendre de s'arrêter, il poursuivit sa course en direction de l'objet tant convoité. Sakura et Sasuke le suivaient à distance, l'un à côté de l'autre mais sans se donner la main. La jeune femme savait-elle qu'il était au courant de leur pacte ? se demanda-t-il tandis qu'ils échangeaient des salutations.
La conversation s'orienta alors sur les maladies infantiles jusqu'à ce que Sasuke sente une petite main tirer sur la jambe de son pantalon.
- Hé ! Bonjour, Mikoto ! Mais tu n'as plus du tout de marques, maintenant !
Le garçonnet redressa fièrement le menton.
- Ce n'est pas comme Taiyo qui est encore tout vilain ! Et comme je n'ai que quatre ans, c'est moi qui devrais avoir le cerf-volant en premier.
- Taiyo a la priorité pour cette fois. Je la lui ai promise. Mais ce sera bientôt ton tour.
- Je vais le lui dire tout de suite ! s'écria Mikoto en se lançant à sa recherche.
Il ne fut pas long à revenir, le visage inondé de larmes.
- Taiyo dit que je ne pourrai pas l'avoir tant qu'il n'en aura pas assez ! fit-il en sanglotant. Et il dit aussi que cela durera probablement tout l'après-midi.
Shikamaru s'agenouilla et lui glissa quelques mots à l'oreille.
- Nous allons voir Taiyo, déclara-t-il en prenant son benjamin par la main.
- Tu peux garder le cerf-volant deux ou trois jours, lança Sasuke tandis qu'ils s'éloignaient. Ainsi, ils auront tout le loisir de le tester comme il faut !
- Merci !
Sakura suivit des yeux les deux silhouettes, le père un peu penché, réglant son allure sur celle de son fils.
- Il prend son rôle de père très au sérieux, commenta-t-elle pensivement. Et les résultats sont plutôt concluants.
- Mm...
Sasuke ramassa un coquillage et le projeta au loin de toutes ses forces. Difficile de nier que Shikamaru avait réussi à élever seul ses enfants. Mais personne à part lui ne mesurait le prix qu'il lui avait fallu payer...
- Il n'a guère eu le choix, murmura-t-il en haussant les épaules. Mais rentrons, à présent, le froid commence à tomber.
Se détournant du soleil couchant, il commencèrent à escalader la dune sur laquelle se dressait le bungalow de Sasuke.
- Pensez-vous que mon plan va aboutir ? s'enquit abruptement Sakura, les yeux fixés droit devant elle.
Il lui jeta un regard perçant.
- Si c'est une façon indirecte de me demander s'il est encore temps de renoncer, ma réponse est oui, Sakura. Je ne vous intenterai pas de procès si vous rompez le contrat.
- Ce n'est pas à cela que je songeais. J'aimerais connaître votre opinion, c'est tout.
- Vous n'êtes plus très sûre ? insista-t-il.
- Si ! Mais je... comment dire ? Je me pose des questions après avoir vu Shikamaru avec Mikoto... C'est peut-être idiot de prononcer de telles évidences, mais je me rends compte, tout à coup, que tous les bébés finissent par grandir. C'est une responsabilité immense de mettre un enfant au monde.
Regrettant d'avoir abordé le sujet, la jeune femme jouait distraitement avec un coquillage rose aux nervures délicates. Pourquoi était-elle soudain en proie à une telle confusion... ? Sasuke s'immobilisa, frappé par l'intense vulnérabilité qu'elle laissait enfin transparaître. Jamais, elle n'avait été aussi belle qu'en ce moment, avec les derniers rayons d'un rouge intense jouant dans ses cheveux défaits. Mais il n'avait pas le droit de la prendre dans ses bras. C'était une réponse à sa question qu'elle attendait de lui.
- Il me semble que peu de gens mesurent réellement ce qu'implique ce type de décision, en effet. Quoi qu'il en soit, j'estime que si quelqu'un doit y parvenir, ce sera vous.
Sakura parut soulagée.
- Merci.
- ... Mais je persiste à penser que c'est nettement plus simple à deux.
Un voile de méfiance assombrit les yeux de Sakura.
- Que cherchez-vous à me dire, Sasuke ?
- Rien de plus que ce lieu commun très simple : les parents sont normalement deux...
Les poings serrés dans ses poches, Sakura repartit en direction de la maison, enfonçant rageusement les pieds dans le sable. Et voilà, elle aurait dû s'y attendre. Le grand retour des vieux clichés !
- Ils commencent peut-être à deux, mais combien finissent ainsi ? Je suis persuadée qu'il est plus sécurisant pour un enfant d'avoir un seul parent, mais d'avoir la certitude de ne jamais le perdre !
- En amour, il n'y a jamais de garanties, Sakura.
Il l'observa à la dérobée. Etaient-ils nombreux à avoir entrevu la femme sensible et craintive qui se dissimulait sous le masque de l'avocate à succès ? Ce que Sakura cherchait, c'était un moyen d'échapper au système, d'assurer une vie plus harmonieuse à elle-même et à cet enfant qu'elle désirait. Peut-être était-ce une erreur... Peut-être pas... En tout cas, il n'était pas encore trop tard pour détruire le simple morceau de papier qui scellait leur étrange pacte.
- Etes-vous bien certaine de vouloir aller jusqu'au bout de ce que nous avons entrepris, Sakura ? interrogea-t-il en accélérant le pas.
La jeune femme sursauta lorsqu'il posa la question. Si elle voulait abandonner, c'était maintenant ou jamais... Mais Sakura hocha la tête, lasse de peser le pour et le contre de ce projet qu'elle caressait depuis toujours.
- Tous à fait certaine. Ma décision est établie depuis trop longtemps... et vous ? le défia-t-elle.
Un instant, il demeura silencieux, puis la réponse vint, ferme et assurée.
- Je ne recule pas. Maintenons notre contrat.
Sasuke lui prit la main et elle le laissa entrelacer ses doigts aux siens. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à déterminer, il lui apparut que le mur de doute et d'incertitude qui les séparait avait soudain disparu. Ils étaient si proches, tout à coup...
Lorsqu'il l'attira à lui, elle enfouit spontanément sa tête au creux de son cou et s'abandonna, étonnée de savourer des sensations entièrement neuves pour elle : celle d'être protégée, à l'abri du monde. Sasuke resserra son étreinte. Ils allaient s'embrasser, comprit-elle, le coeur battant. Et pourtant, il ne fit aucun geste, attendant que d'elle-même, Sakura lève vers lui son visage offert.
Ses mains dans son dos éveillaient une sensation de chaleur qui brusquement se diffusa dans tous ses membres. Lentement, du bout de la langue, il explora ses lèvres jusqu'à ce qu'elles s'écartent, s'ouvrent à lui. Sakura ne se rétracta pas lorsque sa paume glissa vers ses sains, modelant leur rondeur sous la tiédeur de la laine. Etourdie par l'ardeur de leurs baisers, la jeune femme chancela quand il se détacha d'elle.
- Venez, Sakura, il commence à faire froid. J'allumerai la cheminée et nous mangerons devant le feu. Vous voulez bien ?
Sakura acquiesça en silence, heureuse de prolonger leur tête-à-tête dans l'intimité de sa maison. Ils marchèrent main dans la main vers le bungalow dont le bois blanchi par le temps et les intempéries se confondait presque avec la pâleur des dunes.
Sasuke la précéda dans une vaste pièce qui occupait tout l'arrière de la construction. Sous le charme, Sakura s'immobilisa sur le seuil. Par les immenses baies vitrées, le soleil qui disparaissait à l'horizon baignait les lieux d'une extraordinaire lumière pourpre. L'effet créé était à ce point saisisant qu'elle retint son souffle comme si elle venait de pénétrer dans un palais enchanté. L'ameublement était pourtant d'une simplicité qui confinait au dépouillement. Tapis écrus en fibre naturelle, tables basses en verre dont les pieds aux formes irrégulières avaient été fabriqués à partir de ces morceaux de bois que l'on trouve, échoués, sur les plages. Et, çà et là des poufs colorés et de grands sacs à billes en cuir bleu remplis de kapok tenaient lieu de sièges.
- Vous aimez ?
- Quelle question ! Je crois que si je possédais une maison comme celle-ci, je n'aurais plus jamais envie d'aller ailleurs !
Sasuke se pencha pour disposer du bois d'allumage dans la cheminée.
- Commencez-vous à comprendre pourquoi je suis venu m'installer ici, si loin de la ville ? C'est très incommode, mais l'endroit vaut le déplacement...
Il fit craquer une allumette, puis se releva, essuyant ses mains sur son jean.
- Que diriez-vous de manger tout de suite ? Cela laissera au feu le temps de chauffer la pièce.
Sakura se garda bien de protester. En vérité, elle mourait de faim depuis une heure ! La cuisine de Sasuke était non seulement bien équipée mais son congélateur était rempli de plats tous plus tentants les uns que les autres. Elle devait reconnaître que l'organisation du jeune homme était plus efficace que la sienne ! Ils composèrent un menu tout simple avec des toasts beurrés, une salade composée et une soupe de poisson. L'après-midi au grand air leur avait ouvert l'appétit et ils firent honneur aux plats. Ni l'un ni l'autre ne laissèrent une seule miette dans leur assiette !
Rassasiés, euphorique, les joues encore brûlantes de vent et de soleil, ils échangèrent un sourire tandis que Sasuke leur servait du café. Puis il se renversa dans son siège, envahi par une délicieuse sensation de bien-être. Légère, mutine, une vision de Sakura drapée dans sa serviette de bain vint lui taquiner l'esprit.
- Je vous aime beaucoup en bleu, annonça-t-il, une expression énigmatique aux lèvres. La naïade en bleu, c'est un nom qui vous irait bien.
- Mais Sasuke ! Je porte du blanc !
- Maintenant, oui. Mais cet après-midi...
Une soudaine rougeur envahit les joues de la jeune femme. Ainsi c'était à cela qu'il songeait tandis qu'il la dévisageait d'un air pensif ! Pourquoi n'éprouvait-elle aucune colère ? Seulement une étrange émotion, un trouble qui lui faisait battre le coeur... Elle se leva d'un bond, rassembla leurs assiettes et se dirigea vers l'évier.
- La journée s'achève et nous n'avons encore rien mis au point en ce qui concerne notre voyage de noces, Sasuke ! Nous devons pourtant parvenir à un compromis sur sa durée !
- Ai-je jamais prétendu le contraire ? Il n'est pas trop tard. Venez vous asseoir, ma naïade, nous allons en discuter à l'instant même.
Sakura le suivit jusque dans le séjour, puis s'immobilisa, observant d'un oeil inquiet que le jeune homme tirait près du feu un seul des grands poufs en cuir bleu.
- Croyez-vous vraiment que ce soit le cadre approprié pour aborder des sujets sérieux ? soupira-t-elle en secouant la tête.
- Des projets de voyage de noces sont rarement planifiés comme des réunions d'affaires ! Tenez, je vais vous montrer comment on les prépare.
Il s'approcha en riant et la souleva dans ses bras pour l'emmener jusqu'au coussin.
- Lâchez-moi ! protesta-t-elle, en se débattant.
- Dans un instant.
Il se pencha pour la déposer sur le siège mais au même moment, Sakura s'accrocha à son cou et ils tombèrent ensemble, étroitement emmêlés, pouffant.
- Moi qui voulais me conduire en galant homme ! Mais non restez là, vous n'êtes pas lourde, proposa-t-il comme elle cherchait à se relever... A moins que vous ne vous déplaisiez ici, bien sûr...
- Eh bien...
Sakura baissa les paupières, dissimulant son regard derrière l'écran de ses cils.
- Il fait bon, murmura-t-elle.
Sasuke lui caressa les cheveux, disciplinant ses mèches rebelles. Il aimait la voir ainsi, accessible, détendue, naturelle. Ses doigts tracèrent avec lenteur la ligne de sa joue, puis de l'index, Sasuke lui souleva le menton et inclina la tête pour couvrir ses lèvres des siennes. Sa bouche était douce, offerte.
- Tu parais si heureuse, ma naïade en bleu, murmura-t-il en attirant sa tête contre son épaule.
Elle sourit.
- Je suis heureuse... d'avoir couru dans le sable, regardé le cerf-volant, d'avoir senti le vent sur mon visage et... et d'être ici avec toi.
Sakura se tut, un peu incrédule face à ce bonheur qu'elle se refusait à analyser. Longtemps, ils demeurèrent allongés l'un contre l'autre, savourant le silence, les yeux perdus dans les flammes. Puis Sasuke caressa sa joue du dos de la main, lentement, doucement. Elle pivota dans ses bras, se nichant contre lui, effleurant son bras du bout des doigts.
Il était si différent d'elle. Sakura reconnut l'odeur citronnée de son eau de toilette et ferma les yeux, sensible à la tièdeur de son souffle dans sa nuque. On n'entendait plus que la rumeur calme et puissante de l'océan, son va-et-vient sur la plage, son immémorial rythme éternel. Comme possédée par un charme, elle sentit son corps onduler en unisson avec les vagues... Sakura se coula contre Sasuke, le visage renversé, en attente.
- Mon Dieu, Sakura, tu es si belle...
La jeune femme eut l'impression de flotter entre ses bras, retrouvant au creux de son cou la saveur salée de la brise marine. Grisée, presque ivre, elle glissa les doigts dans ses cheveux, l'attirant à elle, tout animée par le mouvement des vagues qui trouvait en elle comme un écho docile.
Un instant, Sasuke enfouit sa bouche dans la vallée entre ses sains. Puis il leva la tête, cherchant au fond de ses yeux ouverts une réponse à sa question fiévreuse, muette. Lorsqu'elle bougea contre lui, Sasuke se sentit emporté par un tourbillon irrépressible tandis que son corps entier se tendait de désir.
Mais lorsqu'il se pencha pour approfondir ses caresses, une transformation immédiate s'opéra en elle. Ses muscles se contractèrent tandis que cessait son léger balancement. Oh non, elle n'est pas prête. Sakura ne le repoussa pas, n'offrit aucune résistance, et pourtant l'enchantement était rompu. Sakura s'était éloignée de lui. L'espace d'une seconde, il la serra à l'étouffer puis, par un effort de volonté, retrouva le contrôle de lui-même.
Lorsque Sasuke se détacha d'elle, Sakura se mordit la lèvre, attendant l'inéluctable. La passion qui l'avait submergée presque jusqu'à l'engloutir avait reflué, lui laissant un sentiment de vide. Mais si elle était déçue, la jeune femme n'était pas étonnée. N'en avait-il pas toujours été ainsi pour elle ? Il était trop tard pour se dérober, en tout cas et elle lui appartiendrait dès ce soir...
Sasuke cependant demeurait figé, lointain, comme s'il avait renoncé à aller plus loin.
- Je t'en prie, non. Ne me laisse pas, chuchota-t-elle.
Etrangement, Sakura continuait à le désirer, même si l'élan qui la poussait vers lui avait cessé d'être physique. Mais lorsqu'elle ouvrit les yeux, Sasuke était déjà debout, sa silhouette se détachant sur le fond rouge des flammes.
- Le reste attendra le voyage de noces, décréta-t-il.
Médusée, Sakura cligna des paupières. Que s'était-il donc passé ? Aucun homme ne se rétractait après de tels préliminaires...
- Pourquoi ? s'enquit-elle dans un murmure à peine audible.
- Parce que ce n'est pas encore le moment.
Il se pencha pour lui effleurer les lèvres.
- Je veux que ce soit bien pour toi comme pour moi.
Sakura leva la main pour toucher sa joue et, sous le modelé puissant des muscles de sa mâchoires, perçut nettement la tension qui grondait en lui. Lorsqu'il tourna les yeux de son côté, Sakura vit qu'ils luisaient comme de la braise, révélant toute l'ardeur d'un désir contenu à grand-peine...
- A propos de notre voyage de noces, Sasuke...
- Oui ? l'encouragea-t-il d'une voix étranglée.
- Je crois que je pourrai m'arranger pour prendre une semaine entière, tout compte fait...