Une annonce de paternité

Chapitre XIV

Dans le taxi, Sakura ferma les yeux, passant mentalement en revue le contenu de sa valise. Dans son affolement, elle avait sûrement oublié le plus indispensable. Enfin... il était trop tard, de toute façon, pour revenir sur ses pas ! Après le court trajet, la jeune femme paya le chauffeur et se tint un instant immobile sur la petite place déserte. Personne ! Brusquement, une sensation de solitude s'abattit sur elle, comme elle se tenait là avec sa valise de cuir rouge d'une main, son vanity de l'autre et son sac coincé sous le bras... Que faisait donc Sasuke ? Pourquoi n'était-il pas venu l'attendre ?

En proie à un inexplicable début de panique, la jeune femme pénétra dans la mairie et poussa un soupir de soulagement lorsqu'elle vit Miki se précipiter à sa rencontre.

- Tu es superbe, ma petite Saku. Je suis tellement contente que tu aies choisi cet ensemble blanc, finalement ! Tiens, pose tes affaires, je vais te prendre en photo.

Docile, la jeune femme adressa à l'objectif son sourire le plus radieux.

- Oh ! Mon Dieu, non ! Tu as oublié de fermer un bouton de ton chemisier ! C'est la première fois de ma vie que je note chez toi des signes de fébrilité ! Mais quoi de plus naturel ? On ne se marie qu'une fois...

Excepté que cette occasion unique n'était, en l'occurrence, qu'une vulgaire comédie... Et pourtant Sakura avait la gorge sèche, les jambes coupées, et sa nervosité dépassait de loin celle qu'elle avait ressentie en passant ses examens de droit les plus cruciaux !

Pendant que Miki multipliait les prises de vue, Sakura surveillait du coin de l'oeil la grande horloge murale. Dix minutes de retard, déjà... Et s'il ne venait pas ? D'une certaine manière, ce serait la meilleure solution, pour elle comme pour lui...

- Voilà qui devrait suffire, annonça Miki en reposant son appareil. Et maintenant, j'ai quelque chose pour toi.

Le visage empreint d'une singulière émotion, elle tendit à sa fille un paquet plat. Un cadeau... Pas un instant, Sakura n'avait songé qu'elle en recevrait puisque ce mariage n'en était pas un. Mais c'était précisément ce "" détail "" que sa mère ignorait. Comment avait-elle pu la mêler à cette vaste tromperie ? se reprocha-t-elle, le coeur gonflé de remords. Pour Miki, il s'agissait d'un des événements clés de son existence... Les mains tremblantes, Sakura souleva le couvercle et écarta le mince papier de soie.

- Oh ! Mon Dieu, la mantille de grand-mère !

La jeune femme refoula ses larmes. Comment porter cet objet si hautement symbolique à l'occasion de cette mascarade ? Miki l'enveloppa d'un regard radieux.

- Je savais que tu serais contente. Dépêche-toi de la mettre, voyons, Sasuke risque d'arriver d'une seconde à l'autre !

- Mais maman, je ne peux pas. Je...

- Balivernes, ma chérie. Même si tu ne te maries pas à l'église, la cérémonie n'en garde pas moins tout son sens. Tiens, laisse-moi t'aider.

S'inclinant devant l'inévitable, Sakura baissa la tête pendant que sa mère déployait sur sa chevelure le délicat carré de dentelle qui se déroula jusque sur ses épaules.

- Mmm... une vraie madone ! déclara Miki en reculant pour immortaliser la scène.

Sakura inspira à fond. Aurait-elle signé le contrat préparé par Sasuke si elle avait su en mesurer à temps les implications ? Quoi qu'il en soit, les dés étaient jetés et il ne lui restait plus qu'à  assumer les conséquences de ses actes. Qu'elle le veuille ou non, Sakura aurait l'allure d'une vraie mariée, le voile y compris...

Quelques secondes à peine après l'arrivée du maire, Sasuke traversa le hall de son habituelle démarche assurée. Mais lorsqu'il vit Sakura, il s'arrêta net, les lèvres arrondies par la surprise. Qu'est-ce qui avait poussé la jeune femme à se draper dans ces dentelles comme s'il s'agissait d'un véritable mariage ? Mais qu'importe ? Hiératique et grave, Sakura était d'une beauté à couper le souffle. Etrangement ému, il s'avança à sa rencontre.

- Je commençais à m'inquiéter à ton sujet, Sasuke.

- Je suis désolé d'être en retard. Je... enfin... en un mot, tu es resplendissante.

- Merci.

- A propos de retard, j'ai apporté quelque chose pour toi...

Sasuke tourna vers Shikamaru un regard éloquent. Ce dernier lui tendit un petit bouquet de fleurs aux couleurs tendres enchâssé dans un tour de dentelle avec de longs rubans en satin pendant jusqu'à terre.

La jeune femme ouvrit de grands yeux.

- Sasuke ! Ce n'était pas la peine de... enfin, je veux dire... il est absolument magnifique, merci.

Il lui saisit fermement la taille et un brouhaha s'éleva autour d'eux tandis que les quelques assistants se présentaient l'un à l'autre. Puis le maire s'éclaircit la voix.

- Et si nous passions aux choses sérieuses, à présent ? Je tiens d'abord à vous signaler que le choix d'une cérémonie civile n'enlève rien à la gravité de l'engagement auquel vous vous préparez, Sakura et Sasuke.

Seigneur, voilà qui commençait bien... La tête bien droite, la jeune femme évitait soigneusement de croiser le regard de Sasuke. Sa main trembla lorsqu'elle lui tendit le stylo après avoir signé son nom. Elle l'observa à la dérobée comme il se penchait sur le registre. De toute évidence, Sasuke n'était pas très à l'aise non plus, nota-t-elle, la gorge nouée. Comment avaient-ils pu se prêter de sang-froid à cette imposture ?

Lorsque Shikamaru et Miki eurent signé à leur tour, le maire tint un petit discours, intruisant les jeunes mariés des devoirs et des responsabilités qu'impliquaient leur nouveau statut. Le vieil homme prononçait ces recommandations avec une telle conviction que Sakura se raidit, le bouquet serré dans sa main moite. Désespérément, elle s'efforçait de ne pas entendre, résistant à la tentation de hurler pour lui demander d'en finir au plus vite.

D'une voix à peine audible, Sakura répéta son serment à la suite du maire, puis Sasuke murmura à son tour les paroles requises. Mais lorsqu'il lui prit la main pour passer l'alliance à son doigt, les mots de Sakura ne résonnèrent que trop clairement dans la salle :

- Sasuke, non ! Ce n'était pas prévu !

Consciente que tous les regards étaient braqués sur elle, la jeune femme rougit et se hâta de tendre de nouveau son annulaire qu'elle avait retiré d'un mouvement brusque.

- Excuse-moi. J'ai... enfin, je ne m'y attendais pas, c'est tout.

Elle avait encore les yeux fixés sur l'anneau d'or qui brillait à son doigt quand le maire prononça la formule finale :

- Et maintenant, Sasuke, vous pouvez embrasser la mariée.

Pour la première fois depuis le début de la cérémonie, leurs regards se croisèrent et demeurèrent rivés l'un à l'autre. Puis Sasuke se pencha pour s'emparer de ses lèvres...