Chat noir

« Rapprochez-vous, un peu. »

Les photos de groupe : une tradition.

Kiku se posta entre un Itachi et un Shisui rigide. Akisada sensei se plaça derrière eux :

« Détendez-vous, les garçons. »

Kiku poussa un soupir exaspéré et glissa ses bras sur les épaules de ses coéquipiers. Elle avait revêtu son plus beau kimono pour pallier la coupe de cheveux qu'elle avait (papa avait tenu à les lui couper la veille, elle avait les oreilles décollées depuis) les garçons allaient tout gâcher avec leur tête d'enterrement. Elle pouvait comprendre pour Itachi : difficile d'avoir l'air commode avec de telles cernes mais Shisui pouvait tout de même faire un effort...

« Le principe était de porter son bandeau frontal, Kiku... » Lui souffla Akisada sensei, en serrant les dents.

Elle fit la sourde oreille et adressa un grand sourire à l'objectif. Un, deux, trois... le flash les éblouit. Le vieux photographe tira le cliché de son polaroid et le leur présenta. Kiku se précipita dessus. Shisui et Itachi lui emboîtèrent le pas.

« Tu fais une drôle de tête, Kiku. » Commenta Shisui en s’esclaffant.

Itachi voulut bien reconnaître qu'elle avait l'air étrange. Kiku fit mine d'être offusquée avant de rire de bon cœur. Shisui était un bon camarade, Itachi aussi d'ailleurs, même s'il était un peu timide. S'ils la dépassaient désormais d'une tête, elle pouvait compter sur eux pour l'aider à se hisser au sommet d'un arbre. Elle singeait leurs mimiques belliqueuses derrière leur dos et évitait, paniquée, leurs boules de feu pendant les entraînements mais aucune rivalité profonde ne les animait. Akisada sensei s'était même vanté auprès de ses collègues d'avoir formé l'unité, outre la plus puissante, la plus soudée de la promotion.

Une solidarité qui allait être mise à rude épreuve par l'examen chûnin, lui rétorquait-on avec un sourire amer.

« C'est en martyr que vous envoyait la pauvre Hojo ? » Lui-demandait-on ensuite en ricanant.

Ce n'était qu'un détail pour Akisada Watanabe : si les Uchiwa finissaient chûnin tout en maintenant leur maillon faible en vie, ils auraient alors réussit en tout point. Et il croyait en leur sens de l'honneur : ils ne l'abandonneront assurément pas.

Il y avait par ailleurs quelque chose d'étonnement humain chez Kiku qui subjuguait ses deux coéquipiers mais pour Fukagu, elle aurait une influence néfaste sur son fils et son neveu, les pousserait à la paresse et était allée jusqu'à commettre l'affront de se présenter chez lui et tourner ainsi en ridicule sa famille aux yeux des membres de son clan.

[…]

« Brosse à dent, pommade contre les piqûres de moustiques et pansements. »

Kiku enroula son baluchon. Akisada-sensei leur avait demandé de n'emporter avec eux que le nécessaire. Elle se laissa retomber sur son lit et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Les festivités battaient leur plein dans les rues de Konoha : on annonçait en grandes pompes l'examen chûnin.

Elle était dans de beaux draps.

La présence d'Itachi dans leur équipe avait précipité leur participation à l'examen. Elle avait passé la journée à reparcourir ses manuels de jutsu. Elle était parvenue à mobiliser du chakra en puisant de l'énergie autour d'elle mais elle ne savait plus trop comment elle s'y était prise. Son enthousiasme était très vite retombé : la feuille que lui avait donné Akisada-sensei ne s'était pas pour autant détériorée. Elle ne connaissait donc toujours pas ses affinités.

Kiku se leva. Elle avait prévu de voir les feux d'artifice en se goinfrant de pâtisseries avant le grand jour. Elle devrait profiter de cette dernière nuit  : elle avait entendu dire que des genins y avaient déjà laissé la vie.

Kiku mordit dans son dango* en reniflant.

C'était injuste, elle n'était pas prête.

Elle avait troqué ses jolies robes pour une tenue de combat austère et étanche que papa lui avait confectionné.

Il était fier de sa fille et l'avait érigé en héroïne locale. Justice était faite : un enfant de civil suivait impunément la voie des shinobis. Un gros pied de nez à l'ordre conventionnel.

On attendait beaucoup d'elle.

Elle épousseta les pans de son costume et se fraya rapidement un passage dans la foule émerveillée par le ballet de lumières qui s'offrait à elle.

Elle s'immobilisa au milieu de l'attroupement.

Une brise légère chatouilla sa nuque découverte, elle sourit en entendant le rire hoquetant d'un bébé et leva les yeux au ciel. Le ballottement des cerfs volant au gré du vent, un battement d'aile, l'odeur âcre de l'encens sur les autels, la lente progression des colonies de fourmis sur le pavé. Son rapport au monde était devenu très charnel depuis sa dernière séance de méditation.

Elle s'était alors aperçue qu'elle ne parvenait pas à se concentrer sur elle-même mais était constamment distraite par son environnement. Elle avait appris dès lors à être à son écoute : sons et mouvements exacerbaient une réalité qui valait la peine d'être contemplée.

L'image des étincelles chatoyantes du feu de joie dressé sur la place se dilata.

Le feu avait réduit la serre en cendres et gagnait désormais les pavillons. Maman et Papa lui tenaient la main fermement dans le cortège d'évacués. Ils devaient rejoindre les bois sur ordre du quatrième Hokage. Kiku se souvenait encore de la silhouette titanesque du renard à neuf queue.

Un vif picotement l'arracha à sa rêverie. Une fourmi rouge l'avait mordue. Elle poussa un juron et se frotta farouchement l'orteil avant de rejoindre l'atelier de ses parents en boitillant.

[...]

Itachi compta cinquante et un participants dans leur salle de classe : sept équipes de Konoha, quatre du village caché du sable, trois de la pluie et deux du son. A l'autre bout de la table, Shisui suivait d'une oreille distraite les indications qui leur étaient données.

Il détourna le regard.

Ils pouvaient les entendre.

« Les Uchiwa ? De bonnes têtes de classe à ce que j'ai entendu dire mais ce ne sont encore que des enfants... »

« Ils sont plutôt pas mal dans leur genre. Rien qu'à leur joli minois on sent la noblesse du sang qui coule dans leurs veines. »

« Uchiwa ou pas, ils vont se faire buter... »

Les concurrents se jaugeaient les uns les autres mais la véritable curiosité du jour était la précocité de deux prétendants au grade de chûnin : Itachi et Shisui La renommée des Uchiwas s'étendait bien au-delà des frontières du pays du feu. On avait eut aussi bien vent de leurs compétences que de leur déchéance.

Son père lui avait expliqué les enjeux géopolitiques qui se cachaient derrière l'événement. Aux lendemains de la Troisième Grande Guerre shinobi, il n'était pas encore question de réconciliation même si l'on cherchait à apaiser les tensions en réunissant les novices du monde ninja. Il s'agissait surtout d'intimider, de dissuader l'ennemi en faisant valoir la formation que l'on dispensait aux générations futures.

Kiku Hojo jubilait dans son coin, croisait et décroisait les jambes sous son pupitre et glissait ses mèches rebelles derrière ses oreilles.

Un examen écrit, rien que ça !

Elle étouffa un sourire triomphant lorsque les examinateurs distribuèrent le questionnaire. Elle ne pouvait rêver mieux : pas de courses poursuites effrénées, ni d'embuscades ni, ô comble de joie, de combats à mort !

Kiku retourna sa feuille et se pencha sur la série de questions. Elle parcourut rapidement les différents énoncés et redressa la tête. Sans surprise, Itachi avait déjà commencé à écrire sur sa feuille...

Elle se replongea dans sa copie. En y réfléchissant, elle pourrait éventuellement trouver des pistes de résolution.

Le temps filait à une vitesse ahurissante. La première demi-heure s'était écoulée et Kiku n'avait griffonné que d'insignifiants débuts de réponse. La pièce était plongée dans un silence concentré. Était-elle donc la seule à trouver les problèmes insolvables ? Les tentatives de fraude qui arrivaient par intervalles étaient punies par l'élimination définitive de l'ensemble de l'équipe : il était hors de question pour Kiku de tricher, elle ne voulait surtout pas se mettre à dos ses coéquipiers en se faisant repérer !

Elle se frotta nerveusement la nuque. En toute honnêteté, elle avait cassé la mine de son crayon et n'osait pas le signaler aux examinateurs.

Une véritable torture.

Elle fit craquer les articulations de ses doigts et patienta. Après tout, même si son crayon était encore intact, elle n'aurait pas pu faire mieux.

Les autres genins s'acharnaient, le dos courbé, sur leur copie. Elle essaya d'associer les symboles qu'il portait au front aux villages cachés, sans succès. Elle ne s'en souvenait plus.

« Le temps imparti est écoulé ! Posez vos crayons ! »

Les examinateurs se levèrent et ramassèrent les feuilles une à une. Ils en arrachèrent certaines aux plus bornés puis intimèrent le silence.

Le responsable de l'épreuve prit enfin la parole :

« La première épreuve de cet examen est finie. Selon les résultats que vous auraient obtenu à l'écrit vous serez ou non reçus à la suivante. Inutile d'ajouter que les points seront comptabilisés sur les copies des différents participants d'une même équipe. Vous pouvez disposer. »

Kiku blêmit lorsque les deux Uchiwa se retournèrent vers elle. Elle leur remboîta le pas jusqu'à la sortie, les bras ballants.

« Un jeu d'enfant... » Mentit-elle.

Itachi lui adressa un regard suspicieux, du moins c'était ce qu'elle pensait, Itachi avait toujours l'air soupçonneux. Shisui se pencha vers eux :

« Je n'aurais jamais réussi à répondre aux questions sans le sharingan. » Leur confia-t-il.

Kiku ouvrit de grands yeux. Elle n'en revenait pas ! Shisui avait triché ! Shisui Uchiwa, honnête et brave garçon ! Elle aurait tout d'un coup voulu leur avouer, elle aussi, qu'elle n'avait pas compris grand chose à ce qui leur était demandé.

Ils s'arrêtèrent à un carrefour bondé. Les ninjas des pays voisins se mêlaient aux villageois, goûtaient aux spécialités et se moquaient des mœurs locales. On bouscula au passage Itachi. Kiku se raidit : un colosse du « village de la Brume Sanglante ». C'était ainsi qu'on surnommait le village caché de Kiri. Les voyageurs rapportaient des récits effroyables d'apprentis ninjas contraints de s'entretuer pour obtenir leur diplôme. C'était par ailleurs, leurs espions qu'ils avaient combattu l'autre nuit...

Le genin considéra Itachi, un sourire carnassier sur les lèvres et passa son chemin en caressant des doigts le fourreau de son épée.

Kiku attendit qu'il fut suffisamment loin pour détendre l'atmosphère.

« Tu ne nous as pas dit que tu t'étais fait un nouvel ami, Itachi ? » Plaisanta-t-elle mollement en s'agrippant à lui.

Itachi n'avait pas l'air très perturbé par la menace sourde que lui avait lancé le concurrent. Il se dégagea doucement.

« Tu devrais abandonner maintenant, Kiku. » Lâcha-t-il enfin.

Shisui plongea nerveusement les mains dans ses poches et guetta la réaction de la jeune fille.

Elle plaça sa main en visière, aveuglée par la lumière du soleil et se tourna vers lui :

« Pourquoi tu dis ça ? »

Il la fixa du regard.

« Le prochain tour est une épreuve de survie en milieu hostile. Les participants seront autorisés à tuer. » Reprit-il calmement.

Kiku ne broncha pas. Elle savait qu'il n'avait pas l'intention de l'offenser. Itachi avait seulement appris à mener à bien ce qu'on attendait de lui.

« J'ai appris à poser des pièges à têtards dans la mare et à souffler dans les braises pour ranimer le feu. » Plaida-t-elle en réprimant un fou rire.

Shisui serra les poings dans ses poches. L'examen chunin s'annonçait aussi meurtrier que les précédents : en s'étirant sur plusieurs années, la trêve avait attisé les rivalités. Ce n'était pas un jeu.

Itachi avait eu du mal à dissimuler son mépris lorsqu' Akisada-sensei les avait encouragé avant d'entrer dans la salle d'examen. Kiku Hojo n'avait rien à faire ici, leur mentor le savait pertinemment mais l' avait tout de même laissée concourir.

« Vous en faites une tête... » Murmura-t-elle au bout d'un moment, le sourire figé.

Itachi battit en retraite et fit mine d'être absorbé par les étendards des pays participants brandis par des genins survoltés. Shisui chercha ses mots. Kiku se renfrogna. Elle repoussa ses explications bafouillées et tourna les talons.

*nom japonais d'une boulette faite à base de mochi, une pâte de riz gluant et d'eau