Chat noir
Itachi assena un violent coup de coude à son adversaire qui s'effondra dans un affreux gargouillis. Il pivota sur lui-même pour faire face à la foule en liesse et rangea son kunaï ensanglanté dans sa poche arrière.
Depuis son estrade, Kiku aperçut les membres du clan Uchiwa réunis applaudir avec ferveur. La mère d'Itachi coinça fièrement son bras sous celui de son plus jeune fils tandis que son père, arborait une mine plus grave mais clairement approbatrice.
Elle reporta son attention sur l'arène de combat. Itachi s'inclina devant le 3ème du nom et les kage des pays invités.
Il avait littéralement abattu son adversaire. Le combat n'avait duré que quelques minutes tout au plus. Elle l'avait vu ficher ses shurikens à plusieurs reprises sur la peau meurtrie du genin du village caché du sable.
Elle l'avait connu plus clément.
Kiku sentit la main de ses parents serrer la sienne alors que l'examinateur annonçait dans un porte-voix les noms des prochains concurrents :
« Zakuro Hidekane du village caché des nuages et Kiku Hojo du village caché de la feuille ! »
Kiku avait laissé glisser ses doigts entre ceux de ses parents pour rejoindre l'arène sous une vague d'acclamation. Elle avait dévalé très lentement la tribune, l'esprit embrumé par une série de pensées furtives : Shisui n'était donc pas le second à passer ? Où était donc passé Akisada-sensei ? Elle ne l'avait plus revu depuis le début du premier affrontement. Le village caché des nuages, c'était où déjà ? Une des îles méridionales ? Non, elle confondait sans doute avec le village caché de la brume...
Elle se présenta devant l'arbitre et plaça sa main en visière. Les hourras du côté adverse fusèrent alors qu'il lui fit face : un grand garçon au teint basané et aux longs cheveux blonds.
L'arbitre leur rappela brièvement les règles.
« … une fois que le combat sera lancé il ne sera plus possible pour vous de vous rétracter. Si l'un de vous souhaite y mettre fin qu'il se prononce tout de suite. » Acheva-t-il.
Le genin de kumo ne broncha pas et garda les yeux fixés sur Kiku. Elle se demandait ce qu'il pouvait bien penser.
Elle tourna les yeux vers l'emplacement qu'elle avait quitté. Papa avait eu l'air aussi torturé qu'elle et sa mère lorsqu'elle avait été appelée.
« Très bien. Que le combat commence ! »
Une profonde tristesse la submergea : elle ne parvenait pas à les apercevoir depuis l'arène.
Son adversaire s'était déjà lancé dans sa direction, le visage crispé et les mains chargées d'un chakra foudroyant. Une lumière aveuglante illumina l'arène à l'issue de l'impact. Elle se dissipa sur la rumeur essoufflée de l'assemblée.
Itachi s'arrêta à mi-chemin alors qu'il regagnait les places destinées au membres de son clan et jeta un coup d’œil par-dessus la rambarde : Kiku se tenait encore debout, le regard tourné vers les tribunes. Le ninja de Kumo retira son bras d'un coup sec. Kiku s'effondra dans un bruit sourd. Itachi détourna les yeux.
Plus bas, Zakuro considérait avec méfiance le corps qui gisait à ses pieds : elle n'avait opposé aucune résistance et s'était simplement exposée à son attaque. L'arbitre évoluait déjà dans leur direction puis se rétracta en redressant la tête.
Zakuro fléchit les jambes en position de combat : une silhouette le happa.
Kiku s'abattit de tout son poids sur lui alors que son clone de substitution se décomposait lentement. Zakuro para une succession d'attaques et pivota sur ses hanches pour opposer une ultime défense. Il s'écarta comme il perdait du terrain et se replia à quelques pas de son assaillante.
Kiku lui fit face, le souffle court. Elle avait manifestement encore du mal à émerger.
La substitution, qui leur avait été enseigné à l'académie, était à peu près le seul jutsu qu'elle maîtrisait dans la mesure où il ne requérait pas la maîtrise d'une affinité élémentaire particulière. Si cela pouvait lui permettre de l'arracher de justesse à de gros dommages, elle ne pouvait pas non plus se permettre de trop en abuser puisque cette technique sollicitait une quantité de chakra assez importante. Comme Itachi et Shisui étaient trop occupés à s'entraîner chez eux, elle s'était accrochée à cet alter ego comme à une bouée de sauvetage dans le terrain vague.
Depuis qu'elle avait appris qu'ils avaient été reçu à la troisième épreuve, elle avait travaillé d'arrache-pied et trouvé une parade sous les conseils d'Akisada-sensei : malaxer constamment son chakra dans une espèce de processus cyclique régénérateur pour ralentir son épuisement. Elle avait appris à mieux desservir son corps et à limiter au maximum les pertes d'énergie.
Zakuro s'était aperçu de son côté que les attaques au corps à corps de la genin de Konoha étaient plus vives qu'il ne l'aurait pensé.
« Elle a manifestement l'habitude de se mesurer au sharingan. Je dois être très lent en combat rapproché à côté de ses coéquipiers. » Songea-t-il en la jaugeant avec méfiance.
Il exécuta trois signes incantatoires et posa le plat de sa main contre le sol : il allait l'éloigner un peu plus et mener un combat à distance pour le moment.
Kiku s'écarta alors que la foudre chercha à la transpercer une nouvelle fois.
Zakuro se plaça en position de défense et attendit une riposte mais rien se produisit.
« Qu'est-ce qu'elle mijote ? » Grinça-t-il en exécutant un nouveau jutsu.
Kiku sentit le sol se dérober sous ses pieds, elle jeta un regard alarmé à ses jambes empêtrées dans la terre mouvante : un justu doton !
Zakuro esquissa un sourire cruel : il maîtrisait plus d'une affinité. Il écarta les bras et fonça vers elle. Une charge de chakra se forma dans chacun de ses poings. Il hurla triomphalement comme la distance qui les séparait se réduisait.
Kiku hurla de concours dans la panique. Elles lança une série de shurikens pour le ralentir mais il les dévia aisément et accéléra. Dans un dernier recours, elle tira un kunaï et commença à creuser frénétiquement la masse boueuse qui évoluait autour de sa taille.
Zakuro tiqua et bondit :
« Te fous pas de moi ! »
Kiku redressa la tête. L'éclair l'aveugla.
Elle ouvrit un œil halluciné : la puissance de l'attaque avait creusé un profond cratère autour d'elle. Elle vacilla sur le côté et voulut rire : elle sentait drôlement le roussi. Son sourire se déforma en rictus douloureux, elle laissa échapper un filet de sang.
Zakuro recula en fronçant les sourcils : elle tenait encore debout. Il tira un kunaï. Il ne pouvait pas se permettre de ninjutsu avant que sa réserve de chakra ne se régénérât mais dans cet état, elle ne pourra pas non plus opposer une défense aussi effective que tout à l'heure au taijutsu.
« Oh, non. » Songea Kiku en apercevant sa lame filer dans sa direction.
Akisada-sensei serra fermement la main du chef du clan Uchiwa. C'était ici que s'achevait sa tâche. Les examinateurs avaient débattu de la promotion du jeune prodige bien avant la fin de l'examen : il avait tout de suite percé à jour le but de chacune des épreuves et avait, comme Shisui par ailleurs, fait preuve d'une discrétion sans faille pour recueillir de bonnes informations, avait ensuite guidé son équipe dans la forêt de la mort alors que ses compétences au combat n'étaient plus à prouver.
C'était un parcours sans faute pour les Uchiwa.
Il détourna les yeux et aperçut le couple Hojo penché au-dessus de la balustrade, la mine décomposée par l'inquiétude.
Il jeta un coup d’œil à l'arène : elle luttait tant bien que mal en encaissant plus de coups qu'elle n'en donnait.
Mais elle avait eu au moins le mérite d'intriguer les examinateurs.
« Qu'est-ce qu'elle a votre petite dernière ? Lui avaient-ils demandé comme il était venu prendre des nouvelles des performances des Uchiwa, elle n'attaque jamais.
Kiku Hojo se serait aussi largement reposée sur ses compagnons tout au long de l'épreuve. Il se sentait un peu coupable de l'avoir entraînée dans cette histoire.
Akisada serra les dents lorsque Kiku rampa sous une pluie de coups. Elle affrontait un adversaire de taille : un genin de kumo manipulant la foudre et la terre. Il aurait voulu que le combat prenne fin plus rapidement mais les directives données par les examinateurs étaient de canaliser les rivalités nationales en divertissant avec des combats aussi injustes que spectaculaires.
« C'est tout ce dont sont capables les ninjas de Konoha ? »
Kiku plissa un nez ensanglanté et s'appuya mollement sur ses bras pour se redresser. Il se posta devant elle :
« J'ai presque de la peine pour toi... »
Elle retomba au prix d'un nouvel effort et tourna des yeux morts vers l'arbitre.
Pourquoi n'annonçait-il pas la fin du combat, cet abruti ?! Devait-elle mourir pour cela ?!
Elle n'avait même plus la force pour pleurer ses blessures. Elle en voulait au monde entier : détestait les Uchiwa qui assistaient à sa défaite uniquement pour ne pas rater la victoire de Shisui au prochain combat, détestait ses parents qui étaient venu l'encourager, détestait le public qui applaudissait les ruées de son adversaire ou huait son manque de combativité, détestait le troisième du nom et les autres kage pour avoir organisé un tel événement.
Et elle voulait rentrer chez elle vivante.
« C'est fini. » Cracha Zakuro en pointant un kunaï sur elle.
Elle détourna les yeux vers les tribunes puis le ciel qui s'assombrit. Elle eut l'étrange impression de ne plus avoir les yeux en face des trous mais pouvait encore sentir la brise chaude balayer son visage poussiéreux, entendre grouiller les petits insectes dans la terre meuble et leurs cris...
***
On se bousculait pour rejoindre les abris, Kiku ouvrait de grands yeux et hochait la tête aux injonctions des Uchiwa qui les guidaient dans les rues ravagées de Konoha, tirée par maman et papa. Elle avait perdu son cerceau en cours de route mais pourrait peut-être le récupérer lorsque tout cela serait finit. La bête se dressait, immense, au-dessus de leur tête. Son grondement faisait trembler les façades des maisons.
Elle essayait de poser des questions mais on n'avait pas le temps d'y répondre. Elle avait rapidement visité la carrière où on les avait évacué avant de rejoindre ses parents. Elle tendit l'oreille aux sanglots d'un bébé et s'approcha timidement du garçon qui le portait.
« C'est ton bébé ? » S'était-elle esclaffée, parce que l'idée qu'un garçon aussi jeune qu'elle en ait lui parut amusante.
Elle aurait voulu essuyer les larmes qui coulaient sur les joues roses de l'enfant mais avait vite retiré ses doigts lorsque papa l'avait interpellé :
« Kiku ! »
***
« Kiku ? »
L'image brouillée de la chambre de convalescence se fit plus nette sous les papillotements. Kiku battit à plus reprises des paupières.
« Akisada-sensei ? » Articula-t-elle en se redressant péniblement.
Sa voix se brisa lorsqu'une vive douleur transperça son thorax : elle se laissa retomber lourdement contre son oreiller.
Elle répondit par une grimace au sourire désolé de Shisui et salua du regard Itachi.
Ils portaient tous les deux le gilet vert des chûnins.
« Contente de vous revoir en un morceau, les garçons. » Lâcha-t-elle en toussant.
Elle chercha des yeux autour d'elle. Des murs immaculés, un bouquet de lis blanc à côté d'un plateau-repas vide et un chariot aux instruments inquiétants abandonné à l'entrée.
« Tes parents sont partis chercher du linge propre. Ils seront bientôt de retour. » Lui expliqua Itachi.
Elle acquiesça tant bien que mal.
« Tu as dormi quelques jours mais le médecin a dit que tu pourras bientôt sortir. » Avança alors Shisui avec entrain.
Elle acquiesça de nouveau et se tourna vers leur mentor :
« C'est pour quand le prochain examen chûnin, sensei ? »
Elle voulut rire à sa plaisanterie mais finit par pousser un gémissement souffreteux. Shisui et Itachi étaient pressés par leur nouvelle fonction et devaient bientôt repartir. Ils souhaitèrent à Kiku un bon rétablissement et lui promirent de revenir lui rendre visite.
Akisada referma la porte derrière eux et s'assit à son chevet.
« Je suis navré, Kiku, je n'ai pas été très honnête avec toi, commença-t-il, j'aurais pu mieux te préparer à l'examen. J'ai discuté avec tes parents, je me suis engagé à assurer ton entraînement maintenant que tes coéquipiers sont pris par d'autres obligations. Ils m'ont d'ailleurs parlé de tes potentialités : il semblerait que tu ais des aptitudes sensorielles intéressantes. »
Kiku passa sa langue sur ses lèvres gercées.
« Tu parles d'un crève-cœur... » Songea-t-elle avec amertume.
Elle se hissa lentement sur son coude :
« Et si, balbutia-t-elle, si je vous disais que j'avais d'autres projets ? »
Akisada haussa un sourcil. Kiku Hojo n'avait jamais eu les aspirations épiques de ses deux camarades. Il s'en était aperçu et s'était contenté de l'ignorer parce que l'on était rarement shinobi par vocation. Il aurait voulut le lui faire entendre : se confronter à la mort était inévitable et être ninja était le meilleur moyen d'en réchapper.
Seulement, ses yeux clairs sur son visage encore tuméfié brillaient d'une soif incommensurable de vivre.
« C'est à toi de voir. » Lâcha-t-il.
Fin de la première partie