Chat noir

Chapitre 7 : Escalade

2426 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/08/2015 12:14

TRAGEDIE

 

 

Kiku passa une main souillée sur son front trempé de sueur. L'atelier était plongée dans une douce pénombre mais l'air était toujours aussi lourd et chargé d'effluves : les voisins faisaient mijoter un bouillon épicé pour le dîner, l'herbe jaunie de l'allée avait encore été vainement arrosée, les enfants rentraient du four du village, les bras chargés de biscuits à l'odeur sucrée, de gros bras soulevaient une lourde poutre en ahanant.

Elle n'avait plus connu un été aussi chaud depuis celui de ses onze ans.

Kiku tira du bout des doigts sur son épingle, son chignon se déroula sur sa nuque, elle secoua ses cheveux gras sur le côté avant de les renouer à pleines mains.

Elle entendit le carillon de la porte d'entrée tinter. Kiku jeta un coup d’œil aux motifs évanescents que dessinait le crépuscule sur le mur : les clients étaient plus matinaux d'ordinaire.

Elle réfléchit rapidement, accroupie devant son amphore. Elle espérait que ce n'était pas encore ce benêt de Naoshige qui s'entêtait à lui rendre visite depuis qu'elle lui avait montré ses fesses à la dernière fête du village.

Elle se redressa et essuya machinalement ses mains sur son tablier. Elle se promit de ne plus jamais voler la gourde de sake de son père.

Kiku referma dans un claquement sonore la porte de l'arrière-boutique et se plaça derrière le comptoir. Un petit garçon accourut en l'apercevant et se hissa sur la pointe des pieds de l'autre côté du comptoir.

« Je te connais, toi... » Commença Kiku en se penchant vers lui.

Yeux noirs, teint de porcelaine et mèches rebelles encadrant le visage : un Uchiwa.

Elle esquissa un sourire amusé :

« Mais regardez qui voilà ? Sasuke ! »

Le petit garçon retomba sur ses pieds, désarçonné avant d'afficher une mine soupçonneuse.

« Ça fait longtemps, Kiku... »

Kiku redressa la tête. Sasuke courut se réfugier derrière Shisui.

La grande fille croisa les bras.

«  Et nous voilà réunis de nouveau... Je suppose que Sasuke vient remplacer Itachi ? »

Elle tourna les yeux dans sa direction, Sasuke évita son regard en rougissant. Il n'aimait pas la potière même si c'était elle qui lui avait offert les animaux en argile.

« Itachi est en mission pour les services secrets. » Reprit Shisui.

Kiku hocha la tête en faisant mine d'être impressionnée. La boutique sentait fort la faïence et la peinture fraîche, Sasuke se pinça le nez en fronçant les sourcils.

« Qu'est-ce que je peux faire pour vous, les garçons ? » Demanda-t-elle alors en réajustant avec véhémence ses manches retroussées.

Shisui poussa doucement Sasuke en avant :

« Dis-lui ce que tu es venu chercher. »

Sasuke avança timidement, les mains négligemment plongées dans les poches.

« C'est pour la fête des mères. » Articula-t-il, les joues en feu.

Kiku rit à gorge déployée :

« Je dois avoir ce qu'il te faut. »

Elle passa sous le comptoir et tira une échelle rangée sur le côté. Elle allongea son bras sur la plus haute étagère et déplaça à tâtons les vases en céramique en vantant qu'elle avait-elle même fabriqué la plupart des objets qui étaient exposés.

Shisui n'avait pas eu l'occasion de la croiser depuis un certain temps. Elle avait déposée les armes quelques semaines après l'examen chûnin. Il avait encore du mal à concevoir qu'elle menât une vie aussi anodine lorsqu'elle aurait pu connaître l'honneur de remplir son devoir.

« … papa me fait entièrement confiance maintenant pour gérer l'affaire. » Acheva-t-elle en tirant un petit coffret peint.

Elle avait au moins l'air plus enthousiaste que lorsqu'ils s'entraînaient ensemble.

Elle était aussi plus menue dans ses souvenirs...

« Tu diras à Itachi de passer un de ces quatre ? Un matin de préférence, histoire de pouvoir attirer plus de clientèle. »

Kiku atterrit devant eux. Elle tira un kunaï de la poche avant de son tablier et força le couvercle de la petite boîte.

« Il faudra penser à huiler la serrure. » Marmonna-t-elle en l'examinant de plus près.

Elle présenta le coffret à Sasuke qui s'en empara avec précaution puis se redressa, un étrange sourire sur les lèvres. Shisui l'interrogea du regard.

« Vous croyez que je n'ai pas remarqué votre petit manège ? Sasuke est l'appât idéal, n'est-ce pas ? Je vous ai déjà surpris, toi et Itachi, le trimballer dans le village. Vous n'avez pas besoin de ça, je vous assure : suffit de mettre en évidence l'emblème des Uchiwa pour trouver de nouvelles prétendantes. »

Elle lui lança un clin d’œil malicieux :

« Vous n'avez même pas idée de ce qui se dit de vous au village... »

Shisui laissa échapper un petit rire et serra ses doigts autour de la main de Sasuke.

« Ça m'a fait très plaisir de te revoir, Kiku. »

Le tintement du carillon s'évanouit.

Kiku croisa les bras avec satisfaction : elle avait vendu une de ses pièces maîtresses à un très bon prix.

 

[…]

 

Kiku se hissa sur le toit de la boutique. Une bourrasque de vent l'enveloppa. Elle s'emmitoufla dans son chaperon.

Elle n'avait pas complètement renoncé à son passé de ninja comme tout le monde le pensait : il lui arrivait de s'entraîner à l'occasion. Elle glissait, la nuit venue, jusqu'au terrain vague qui n'avait fait l'objet d'aucun aménagement depuis maintenant quatre ans et déroulait ses parchemins de justu.

Le chat des voisins s'asseyait sur son arrière-train pour l'observer comme il avait l'habitude de faire et puis il ne vint plus. Elle apprit les jours suivants, qu'il avait finit ses vieux jours au soleil.

Kiku se sentit dès lors très seule. C'était en quelque sorte devenu le gardien de son secret. Il ne miaulait jamais pour s'annoncer mais se contentait de traverser la haie à pas de loups pour prendre place à distance raisonnable. Il ne ronronnait pas non plus lorsqu'elle posait une main entre ses oreilles mais elle avait néanmoins remarqué le frémissement léger de ses moustaches. Il posait ensuite un regard sage sur elle avant de s'allonger sous ses caresses.

Elle lui avait érigé une petite stèle à l'entrée du terrain vague : « Ici repose le chat. ».

Il lui arrivait encore de lui parler alors qu'elle resserrait les lanières de ses sandales autour de ses mollets. Elle dégainait ensuite ses shurikens pour les aligner contre un tronc d'arbre nu puis se tournait vers lui, l'air triomphant.

Cette nuit là, étrangement, elle n'aperçut pas son ombre. Elle renonça à s'entraîner et rebroussa chemin.

 

Les rues de Konoha étaient peu animées en début de semaine. Elle tira sur sa capuche et traversa l'allée dallée où s'alignaient les tavernes mal famées du village. Les noceurs scandaient des chansons paillardes en se bousculant, tournaient des yeux vitreux dans sa direction et cherchaient à l'aborder avant d'aller chanceler contre la façade la plus proche.

Deux hommes déboulèrent soudain devant elle. L'un empoigna l'autre violemment et le couvrit de jurons. La tavernière tenta de s'interposer sans succès alors que les passants prirent soin de contourner la querelle. Kiku hésita d'abord. Elle ne portait plus son bandeau ninja et ne représentait aucune autorité légitime mais la dispute s'envenima bientôt sous l'effet de la boisson.

Elle rejoignit la tavernière et s'apprêta à élever la voix lorsque les agents de police en charge du périmètre se frayèrent un passage jusqu'aux lieux de la discorde.

Kiku leur céda aussitôt le passage.

Elle remarqua aussitôt l'emblème rouge et blanc du clan Uchiwa qui faisait sailli sur leur épaule, bien plus visible que celui de la feuille sur leur bandeau frontal.

Le clan Uchiwa et était garant de la sécurité du village.

« Cessez de vous battre. » Ordonna un des shinobi en s'imposant entre eux.

Un des ivrognes vacilla sur le côté et cracha à leurs pieds :

« Allez-vous faire voir, vous et les membres de votre clan. » Articula-t-il au prix d'un gros effort de concentration.

Les agents de police tiquèrent, les yeux rouges.

« Vous ne voulez pas passer la nuit en cellule pour trouble de l'ordre public ? » Reprit son interlocuteur sur un ton plus menaçant.

« Les Uchiwa sont tous des traîtres ! Ce sont eux qui ont conduit le biju à Konoha ! » Cria alors à tue-tête son compère.

L'un des Uchiwa brandit le poing et le réduit brutalement au silence devant une foule interdite.

Kiku suivit des yeux le cortège : les agents de police tenaient en respect les deux voyous au visage boursouflé et ordonnèrent à l'attroupement qui s'était formé autour d'eux de se disperser.

Une rumeur réprobatrice ponctua leur sortie de scène :

« Pour qui se prennent-ils ? Ces pauvres garçons n'ont rien fait de mal si ce n'est dire la vérité. »

« Les Uchiwa n'hésitent pas à violenter tous ceux qui s'opposent à leur autorité. »

« Ils ont toujours été fiers et irascibles. Ils ne supportent plus d'être mis à l'écart des affaires publiques et déchaînent leur frustration sur des innocents. »

Kiku se mordit nerveusement la lèvre inférieure : elle aurait juré que tout se passait bien entre les Uchiwa et le village...

Aux lendemains de la troisième grande guerre ninja, le clan s'était replié sur lui-même sous les invectives de leurs compatriotes, soupçonné de s'être défilé pendant l'invasion de Kyubi, alors que ses membres avaient bien été mobilisés sur le terrain pour évacuer les civils.

Elle n'avait pas entendu quelqu'un tenir ce genre de discours depuis longtemps.

 

Kiku rentra en traînant les pieds. Elle n'en toucherait pas un mot aux garçons : d'abord parce qu'elle ne voulait pas les froisser, ensuite parce qu'elle n'en aurait pas l'occasion avant une nouvelle rencontre fortuite.

Maman adressa un regard interrogateur à sa mine sombre comme elle refermait la porte d'entrée derrière elle.

« Suis fatiguée. » Marmonna-t-elle en se déchaussant.

Elle monta dans sa chambre et se laissa tomber toute habillée dans son lit. Sa tunique lui collait désagréablement à la peau. Elle se débarrassa mollement de son chaperon et s'éventa avec un des parchemins froissés glissés dans sa sacoche.

La photo encadrée de l'équipe n° 4 trônait encore sur sa table de chevet. Elle allongea le bras et la tira vers elle.

Akisada-sensei avait les lèvres pincées, Shisui et Itachi, encore enfants, souriaient tranquillement.

Cette époque lui manquait un peu. Elle y avait certes porté le bonnet d'âne mais le souvenir de ses échecs n'était plus âpre, elle ne retenait plus que les journées passées en mission au village ou ensemble : le soleil de plomb au-dessus de leur tête et la glace qui leur était offert s'ils avaient du bon travail, le minuscule parapluie qu'ils partageaient au temps des moussons, Shisui et Itachi qui s'amusaient comme des petits fous comme ils avaient consenti à faire le mur avec elle pour participer aux festivités de la nouvelle année...

C'était le bon vieux temps.

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