Chat noir
Kiku avait le sommeil lourd.
Elle ouvrit cependant les yeux une nuit de printemps.
Tira les rideaux et constata que la nuit ne pouvait être plus paisible, se recoucha avec dépit en pensant à la longue journée qui l'attendait le lendemain avant de se redresser, les nerfs à vif.
Tout était parfaitement silencieux. Elle dévala sur la pointe des pieds les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée pour ne pas réveiller ses parents endormis et grimaça en faisant sonner le carillon de la porte de l'atelier.
Elle l'avait caché quelque part sous le comptoir...
Kiku s'accroupit dans le noir.
Elle avait été assignée pour faire les comptes et gardait précieusement une part de la recette de la journée.
Non ce n'était pas une voleuse, seulement, la maigre pension qu'elle recevait ne suffisait pas à engager des paris à l'auberge.
Et les revenus de ses parents étaient après tout, par extension, aussi les siens...
Les grosses brutes qui mettaient leurs poings au service des parieurs ne juraient que par la fille du potier. Ses prévisions se révélaient rarement fausses et il valait mieux être de ses élus. On l'y accueillait en véritable gourou, la faisait monter sur l'arène pour annoncer le nom du vainqueur avant même le début du combat (ce qui avait aussi pour effet de déstabiliser d'ores et déjà le futur perdant) puis célébrait les jeux à flots de sake. C'était aussi le moment où la jeune femme répandait un tissu de monstruosités sur les Uchiwa avec lesquels elle aurait définitivement rompu.
« Y a une espèce de complexe d’œdipe malsain chez les Uchiwa : Itachi et son père n'ont jamais été sur la même longueur d'onde. Avec sa mère en revanche, c'est plus ambigu... »
« C'est pas pour rien qu'on se marie aussi entre cousins : il faut bien assurer la pérennité du sang. » Ironisait-elle en faisant une drôle de grimace.
Suivait la fomentation de complots grossiers pour détruire les Uchiwa présumés à l'origine des maux du village et lorsque la boisson excitait l'imagination, amener à terme la chute de l'ordre shinobi. Kiku se mettait alors péniblement debout sur la table et tournait en ridicule le credo ninja avant d'appeler à l'insurrection générale :
« Il faut aussi enfermer le vieux papi sénile qui a profité de notre « sauve-qui-peut, un renard à neuf queues ! » pour s'autoproclamer encore un coup hokage ! »
« Et si vous voulez mon avis : ce n'est personne d'autre que lui (manipulé par les Uchiwa, oui, si vous y tenez) qui a lâché Kyubi sur nous ! »
Au petit matin, les grands projets révolutionnaires tombaient à l'eau : on avait bien trop mal à la tête pour les mener à exécution...
Kiku compta mille deux-cent ryôs et referma la porte derrière elle.
Il lui arrivait de croiser Akisada-sensei au détour d'une rue. Il s'arrêtait pour l'interroger sur ses agissements qu'il avait, disait-il du mal à comprendre : elle avait toujours soutenu les Uchiwa, qu'est-ce qu'il lui prenait tout à coup à attiser l'hostilité des villageois dans un contexte aussi tendu que celui qu'ils connaissaient ?
Elle aurait même gagné une réputation d'agitatrice politique...
Quant à Itachi Uchiwa, il passait son chemin en silence lorsqu'ils se rencontraient. Orino, sa fiancée, était en revanche plus expressive et l'apostrophait en pleine rue :
« Je ne sais pas à quel jeu tu joues mais tu ferais mieux de cesser de cracher ton venin. La situation est bien plus critique que tu ne l''imagines et nous n'avons pas besoin d'une frondeuse des tavernes par-dessus le marché. »
Kiku lui tirait pour toute réponse la révérence.
Elle ne savait elle-même pas ce qui motivait véritablement ses actions. Et ce n'était pas son altercation passée avec Itachi. Elle croyait encore moins à ses propres discours.
La frivolité était un peu sa manière de lutter contre le regain de tension que connaissait Konoha : la multiplication des discordes au-delà des frontières avec les pays voisins et le malaise qui en même temps couvait à l'intérieur entre clans dominants.
Ce dont elle était en revanche persuadée c'était le caractère inoffensif de son oratoire qui n'était en quelque sorte qu'une thérapie de groupe pour exorciser les angoisses de chacun en ruminant.
Combattre le mal par le mal et à terme, les villageois auront épuisé le sujet Uchiwa pour se découvrir un nouvel bouc-émissaire.
Les nuits de printemps s'annonçaient douces et roses.
Kiku dirigea ses pas dans les rues du village, les doigts serrés autour de son butin. Elle s'arrêta tant bien que mal devant l'enceinte des Uchiwa, frappée de plein fouet par l'odeur de brûlé.
« Un incendie ? »
Elle gonfla les narines, posa une main sur son nez et se dirigea en courant vers le domaine.
Dans sa précipitation, elle ne remarqua pas les premiers corps en sang étendus sur les côtés. Ce n' est que lorsqu'elle percuta celui de Teyaki Uchiwa qu'elle interrompit sa course.
Elle se pencha sur le visage figé dans la terreur du propriétaire de la boulangerie. Son épouse gisait un peu loin, inerte.
Il lui arrivait autrefois de manger des senbeis chez les grands-parents d'Itachi et Sasuke.
Kiku se précipita sur les corps suivants, posant une oreille sur les poitrines, à la recherche d'un infime signe de vie.
Elle fut convaincue, un bref instant, que Kuybi était de retour. Elle chassa néanmoins très vite cette idée saugrenue.
Imprégnée par ses souvenirs, elle avait même confondu l'odeur du sang avec celle du feu.
Kiku décida de poursuivre ses recherches avant d'alerter les autorités du village et remonta l'allée dallée.
Elle aperçut bientôt la propriété de Fukagu Uchiwa. Kiku entendit miauler sous le porche. Elle se pétrifia en apercevant l'ombre du chat.
Voulut poser une main moite sur la poignée de la porte avant de se raviser.
Elle était observée.
Kiku fit volte-face et reconnut les yeux rouges d'Itachi dans l'obscurité. Il se matérialisa devant elle mais ne rangea pas son sabre.
Kiku s'attarda sur la lame ensanglantée qui tranchait avec l'allure stricte qu'elle lui connaissait : ses longs cheveux étaient toujours retenus en queue de cheval et portait, comme de coutume, l'uniforme gris des membres des services secrets et le bandeau frontal avec l'insigne de Konoha.
« Il va vraiment falloir lever un couvre-feu maintenant. » Lâcha-t-elle sans détourner les yeux.
Itachi esquissa un triste sourire :
« Ton insouciance est touchante, Kiku. »
« Lucidité. » Rectifia-t-elle en crispant la mâchoire.
Si leurs vérités à eux lui échappait, elle pouvait néanmoins percevoir de plus en plus nettement une proche réalité palpable, faite d'un amalgame confus de sensations.
Elle eut une furtive pensée pour Shisui,
S'il ne restait plus rien à sauver pour Shisui, sa mort avait précipité quelque chose : les messes basses des Uchiwa, l'isolement d'Itachi et ses yeux rouges incisifs, et enfin l'alarme des Grands au palais du hokage.
Seulement voilà : elle avait simplement laissé faire.
«Où sont Orino et Sasuke ? » Demanda-t-elle enfin.
Il ne répondit pas. Kiku commença à reculer lentement.
« Je ne vais pas te tuer. J'ai besoin d'un témoin. D'une vie misérable épargnée pour propager la peur. »
Son ton était méconnaissable.
Kiku chercha une dernière fois son ami d'enfance dans ses yeux rouges avant de s'enfuir en courant.
FIN DE LA DEUXIEME PARTIE