Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 17 : Les vertus de la communication

2659 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2015 23:48

1

Stanley

 

Enfin. La Psy me recevait dans son cabinet.

Donna Whitaker m'avait simplement adressé un sourire poli avant de me laisser entrer, puis de refermer la porte blanche derrière moi. Vêtue, comme toujours, avec élégance, ses lunettes sur le nez, elle dégageait un charisme incroyable pour une femme d'apparence aussi fragile. Toutefois, si les fantômes peuvent vieillir, c'était bien ce qui lui arrivait à présent. Je discernais même quelques cheveux blancs au milieu de sa coiffure soignée et quelques rides naissaient autour de ses yeux. Quel âge avait-elle, avant de mourir ? La quarantaine, non ?

« Bonjour, Stanley. Comment allez-vous ?

— Difficile à dire, lui avouai-je, secoué par le souvenir de mon précédent rêve.

— Freddy Krueger a appris votre existence, c'est cela ? »

Elle s'installa à son bureau et m'invita à m'asseoir face à elle. Le cabinet n'avait pas changé : quelques plantes vertes agrémentaient la blancheur des murs nus, les volets étaient fermés, le mobilier de chêne somnolait et le plafonnier rayonnait au-dessus de nos têtes. On s'y sentait bien, mais peut-être un peu à l'étroit.

« Oui, acquiesçai-je, c'est ça. Je... je ne sais pas ce qui se passe. Je crois que...

— Calmez-vous et racontez-moi tout. Commençons par le début. »

Je lui déballai tout aussi rapidement que mon élocution me le permettait, la voix de plus en plus faible, et m'effondrai sur son bureau, la tête dans les mains et le souffle haché. Ça n'allait pas bien, pas bien du tout.

J'aurais tant aimé pouvoir... voir Freddy le torturer... J'aurais aimé, aimé...

Mon esprit n'était plus tourné que vers une chose : Krueger dépeçant ses victimes, lentement, avec une minutie dont lui seul était capable si l'on considérait que ses victimes lui hurlaient à la gueule de s'arrêter...

Il était en train de me changer. J'avais repris une dose de drogue, juste une petite dose, et ça avait suffi à foutre tous mes efforts en l'air. J'avais fait une terrible bêtise en retournant le voir. Parce que, jusque-là, je ne m'étais pas rendu compte à quel point tout ça m'avait manqué. À croire que... que le lien ténu qui nous unissait, lui et moi, était devenu l'une des choses les plus importantes de ma vie. À croire que je voulais, quel qu'en fût le prix, conserver cette promiscuité sordide avec l'écorcheur de Springwood.

C'était vrai. Oh mon Dieu, c'était vrai. Et le docteur Whitaker le savait. Elle me jaugeait, navrée mais pas répugnée comme Oliver avait pu l'être. Sans doute avait-elle l'habitude de traiter ce genre de cas. Les dingues, ça la connaissait.

Dingue. C'était bien ça, j'étais complètement malade. Aucune personne saine d'esprit n'agirait comme je le faisais désormais. Ou du moins, elle voudrait reprendre la situation en main. Mais même cela, je n'étais plus sûr de le souhaiter.

Freddy m'avait fait une proposition. Si j'acceptais, j'aurais définitivement une relation privilégiée avec lui. Une idée affreusement grisante, tentante, insensée. Avais-je envie de faire souffrir les rêveurs de Springwood comme lui le faisait si bien ? J'espérais de tout cœur que non, et j'avais raison. Je n'étais pas un assassin.

Sauf que.

Sauf que je désirais quelque chose que je ne comprenais absolument pas ; son approbation. Qu'il me respecte autant qu'il me fascinait, que je sois le seul habitant de cette ville maudite qu'il estimât suffisamment pour ne pas vouloir le tuer. Kanra Gallagher faisait peut-être équipe avec lui, mais s'entendaient-ils aussi bien qu'ils nous le montraient ? Ça sonnait trop faux. Oliver saurait probablement en tirer profit... et moi aussi.

Arrête, m'ordonnai-je. C'est vraiment abominable et fou de penser à des choses pareilles. Tu perds la tête ou quoi ?

La Psy enleva ses lunettes et les posa devant elle, comme toujours, mais au lieu de m'interroger sur les solutions que je croyais envisageables, elle me dit :

« Je vois. Je ne voudrais pas en tirer des conclusions hâtives, bien évidemment, mais il me semble aussi évident que ce Krueger cherche à vous atteindre et à vous manipuler, que vous n'avez pas de réelle intention de vous rebeller, si je puis m'exprimer ainsi. N'importe quel psychologue vous dirait ceci : vous avez eu, votre enfance durant, le sentiment de ne pas être aimé de vos parents, alors vous cherchez de l'attention ailleurs, parfois auprès des personnes les plus improbables. Il y a une part de vérité là-dedans, je suppose, mais ce n'est pas tout. Depuis combien de temps connaissez-vous Freddy, exactement ?

— Je n'en sais rien. Ça fait des années.

— C'est donc votre « addiction » qui a atteint un nouveau degré de gravité. Et la solution, sourit-elle enfin, vous la connaissez.

— Éviter la chaufferie.

— Tout à fait !

— Et si je veux aider Yellowspring à s'en sortir ?

— Eh bien... Que feriez-vous ? »

Je haussai les épaules.

« Je ne sais pas. Je ne peux pas faire grand-chose, en fait. Je ne peux pas influer sur les rêves, moi. »

Mais si Freddy m'apprend, je saurai le faire.

« C'est à demi exact, en vérité. Vous avez réveillé Oliver Yellowspring, n'est-ce pas ? Lorsque vous avez tenté de frapper ce Krueger et que vous avez ordonné à votre professeur de se réveiller, c'est ce qui s'est produit.

— Peut-être, oui... C'est ce qu'il pense...

— Si vous avez vraiment peur de faire une bêtise en remettant les pieds dans la chaufferie, eh bien, ne le faites pas, c'est d'ailleurs ce que je vous conseille. Mais n'oubliez pas : vous êtes capable de plus de choses que vous ne le croyez. Freddy le sait parfaitement et ne se privera pas de s'en servir contre vous et, peut-être, contre d'autres personnes si vous vous laissez influencer. Si vous voulez aider Oliver, la meilleure chose à faire est de le soutenir à l'état d'éveil.

— Je ne pense pas qu'il veuille encore de mon soutien...

— Bien sûr que si. Je le connais très bien, en réalité. Je ne vous en ai jamais parlé, secret professionnel oblige, mais si cela peut vous rassurer et sans entrer dans les détails, j'ai suivi son fils, Daniel, pendant quelques mois.

— C'est vrai ? fis-je, étonné.

— Mais oui. Et je connais assez bien son père pour vous dire que, si quelqu'un a besoin de soutien, c'est bien lui, quelle que soit la situation, et il le sait.

— Même de la part d'un pervers ?

— La confiance ne sera pas facile à obtenir, ça c'est certain. »

Elle fit quelque chose que je ne l'avais jamais vu faire : elle s'alluma une cigarette. Là, dans son cabinet.

« Si l'odeur vous dérange...

— Non, non, ça va, mais... j'ignorais que vous fumiez, c'est tout.

— J'estime qu'en l'état actuel des choses, je peux me le permettre sans trop de soucis. »

Elle inspira longuement une bouffée avant de me dire :

« J'ai une proposition à vous faire. Faites venir Oliver ici.

— Quoi ? Comment ça ?

— Faites-le venir, qu'on discute un moment.

— D'habitude, c'est plutôt vous qui m'amenez ici.

— C'est exact, mais je ne vous demande pas de l'appeler dans votre rêve ! Allez donc le voir demain, et dites-lui de nous rejoindre la nuit suivante. D'ailleurs, s'il sait que nous nous connaissons, vous et moi, il sera peut-être plus enclin à vous écouter.

— Mais pourquoi le faire venir, docteur ?

— Parce que j'ai décidé de vous aider. Nous allons établir un plan d'attaque. Du moins, nous allons essayer. »

Je n'éprouvai aucun soulagement. Aucun. Juste de la colère. Elle cherchait à coincer Freddy ? Vraiment ?

***

2

Kanra

 

Rester calme. Rester calme. Ne pas se lever pour aller éclater la gueule aux parents de Rooney. Ne pas balancer le téléphone sur le sol.

Elle vient de m'appeler. Il est quatre heures du matin. Elle me dit encore qu'elle est désolée de téléphoner si tard. M'en fous, lui dis-je, m'en fous. Je dormais pas, de toute façon. J'ai pas dormi de la nuit. À un moment, hier soir, elle m'a dit qu'elle rentrait chez elle, je sais même plus quelle heure il était. J'ai juste dit : « OK, passe une bonne nuit. » Elle m'a dit de bien dormir, elle m'a embrassée, puis elle est partie et je me suis recouchée en me disant que, vu qu'elle était plus là, ça allait être encore plus difficile de dormir. Je crains toujours qu'il lui arrive une merde pendant la nuit.

Elle me dit qu'elle s'excuse de ne pas avoir attendu encore un peu plus longtemps. M'en fous. Elle s'excuse de m'avoir dérangée. T'inquiète, je dormais pas, j'ai fait une nuit blanche.

Bordel, mon flanc me gratte. Ça pèle sur tout le côté gauche, maintenant. Et merde !

Elle m'a expliqué que ça faisait deux jours qu'elle ne mettait plus les pieds chez elle. Elle a fait son coming out et ses vieux l'ont foutue dehors. Elle me dit de rester calme.

J'essaie.

Et puis merde. Rien à carrer. Je me lève illico et je vais leur rectifier le portrait. Ce n'est pas ce que je lui dis. Je lui dis juste que je connais un coin où elle pourra dormir quelque temps, en espérant que roupiller à Elm Street ne lui paraîtra pas bizarre. « Bon, je te cache pas que c'est en rénovation, hein, mais t'en fais pas, ce sera vite fini.

Tu veux que je dorme dans une maison en travaux ? Tu es folle ou quoi ?

Aucun danger, t'inquiète pas, va. J'ai pris mes précautions.

Hein ?

La baraque, je l'ai achetée. Et les travaux, c'est moi qui les paie.

Quoi ? s'exclame Rooney, estomaquée. Mais t'as pas d'argent !

Maintenant si.

Tu l'as trouvé où ?

Je t'expliquerai. Tu sais, ça m'a pas coûté grand-chose, hein. Personne d'autre en voulait, de cette baraque. »

Je viens de dire une connerie.

« Ah, mais pourquoi ça ?

J'en sais rien, mens-je. Mais elle est bien, tu sais.

Pour quelle raison l'as-tu achetée ?

J'ai plus envie de vivre chez les Gallagher.

Je peux comprendre. Surtout à ton âge, quoi... A vingt-cinq ans, ça craint. »

Ma main se crispe sur le téléphone.

« Qui t'a dit que j'avais vingt-cinq ans ? »

Silence.

« Tu me l'as dit.

Je vois pas pourquoi je t'aurais dit un truc pareil.

Par honnêteté ? »

Bon sang de chiasse, Rooney, tu cherches la merde ou quoi ? Culpabilise-moi pour éviter le sujet, vas-y !

Je ne lui dis pas ça. Je lui dis juste ;

« J'ai dix-huit ans, Rooney.

C'est à l'hôpital qu'ils t'ont sorti ça, dis ? »

Parce qu'en plus elle sait, pour l'hôpital ? Les Gallagher sont les seuls au courant, et je leur ai fait promettre de garder ça pour eux. Aussi cons qu'ils soient, on peut leur faire confiance pour certaines choses.

Oh, j'oublie quelqu'un.

« C'est Olly Yellowspring qui t'a tout raconté, c'est ça ?

Attends, de quoi tu parles ?

Rien, on s'en fout ! Comment tu sais, pour l'hosto ? Réponds-moi, et tout de suite ! »

Ne pas crier. Ne surtout pas crier. Mais j'en ai foutrement envie.

« Écoute, je crois qu'il faut qu'on parle, toi et moi, soupire-t-elle. Je sais pas si t'es prête à entendre tout ce que j'ai à...

Dis-moi où t'es. Je viens te chercher et je t'emmène à Elm Street, OK ? Et on pourra causer. »

Très long silence. « Kendra... Tu as dit... Elm Street ? »

Kendra. J'ai changé de nom, à présent. Oh, elle m'a déjà appelée comme ça, une ou deux fois...

Non, non ! Mais bien sûr ! Kendra, avec un D ! C'est ça !

Oh putain... Je commence à comprendre.

« Juste une question, Rooney Earl. Je pense qu'elle va te paraître bizarre, mais elle va éclaircir pas mal de trucs. Tu répondras honnêtement, pas vrai ?

Bien sûr, ma belle.

Cesse de m'appeler comme ça et réponds : on se connaît depuis combien de temps, toi et moi ? »

Le plus long silence de la conversation. J'ai envie de lui hurler dans les oreilles de se grouiller de me répondre avant que je ne lui raccroche au nez et ne la laisse se débrouiller toute seule. Mais je ne le fais pas non plus. Je l'entends finalement me dire :

« Ça fait un bon moment. Peut-être bien dix ans. »

Combien ?!

Bon. Le cassage de gueule chez les Earl, ça attendra.

Laisser un commentaire ?