Noriko

Chapitre 51 : Ace (2)

8249 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/09/2025 22:24

    Noriko se réveilla difficilement en gémissant, ne sachant pas combien de temps elle avait dormi. Elle sentait que son sommeil avait été de plomb, améliorant légèrement son humeur. Le médicament avait fait son effet, mais la douleur de sa cheville la rattraperait très vite. Elle se redressa péniblement dans son lit et remarqua deux béquilles posées près de sa table de nuit. Nul doute quant à la personne qui les avait déposées là.

« Il les a achetées hier ? Ou il est retourné au village pendant que je dormais ? songea-t-elle. J'imagine qu'il a enfin quitté la maison. »


Elle se surprit cependant à penser qu'elle était déçue qu'il ne lui ait pas dit au revoir et regretta de ne pas l'avoir assez remercié. Finalement, il n'avait pas mauvais fond et il avait été la seule personne à l'avoir vraiment aidée depuis sa première fugue. Elle secoua la tête afin de le chasser de ses pensées et surtout de se ressaisir, elle ne devait pas lui faire confiance. De retour à la réalité, elle se redressa sur un coude puis attrapa les béquilles qu'elle cala sous ses aisselles et s'en servit pour atteindre la salle de bain avant de s'y enfermer. Elle mit presque dix minutes pour y arriver et manqua de s'effondrer lorsqu'elle arriva devant le miroir, se rattrapant au lavabo. S'observant devant la glace, elle ne pu qu'admirer sa mine affreuse. Des cernes creusaient ses joues et son œil était devenu violet, lui donnant une allure de panda. Se déshabiller et retirer ses habits était beaucoup plus compliqué et plus douloureux que prévu. Ne pouvant pas prendre le risque de mouiller le bandage de sa cheville, elle fit apparaître une bulle d'eau au niveau de ses genoux, y plongea un savon et fit remonter le tout en la tournant très vite jusqu'au sommet de son crâne. Elle procéda de même avec une nouvelle bulle d'eau puis aspira jusqu'à la dernière goutte déposée sur son corps. C'était sa manière de se laver lorsqu'elle n'avait pas accès à une salle de bain.


    Contrairement à la pièce principale, la salle d'eau était assez grande et Noriko avait pu y entreposer le peu de vêtements qu'elle avait. Elle farfouilla dans sa penderie, y prit des dessous dans un des tiroirs, puis y trouva une robe noire à manches courtes qu'elle pourrait enfiler par la tête, laissant sa cheville tranquille. Elle en profita également pour se laver les dents et se coiffer. Lorsqu'elle fut prête, elle ressortit, toujours armée de ses béquilles et tomba nez à nez avec Ace qui fut étonné de la voir debout. Avec incompréhension, Noriko ressentit un soulagement de constater qu'il n'était toujours pas parti et qu'elle aurait l'occasion de le remercier comme il se devait. Elle se surprit à le regarder de haut en bas et le questionna d'un regard dubitatif. Ace tenait une serviette de bain derrière sa nuque, ses cheveux dégoulinant dessus. Il se passa une main dans sa chevelure et la plaqua en arrière.

- Pourquoi es-tu trempé ? demanda-t-elle les yeux ronds.

- Tu ne devrais pas te lever.

- Il ne fallait pas m'acheter des béquilles dans ce cas. De toute façon, je devais utiliser la salle de bain. C'est douloureux, mais je suppose qu'elles servent à ça.

- Tu marques un point.

- Et donc ? Pourquoi es-tu ruisselant ?

- Bah. Je me suis lavé, répondit-il comme s'il s'agissait d'une évidence.

- Mais où ça ?

- Dans le lac, dit-il fièrement.

Elle sembla ne pas comprendre ce qu'il lui disait.

- Mais ? Tu ne peux pas nager.

- Pas besoin pour se laver. Il n'est pas profond le long de la rive, l'eau m'arrive presque à la taille. J'avais moins de force, mais je pouvais quand même bouger.

Elle le regarda avec une bouche bée, un nez retroussé et des sourcils froncés.

- Mais tu es fou ? Et si tu avais glissé ?

- Tu t'inquiètes pour moi ? demanda-t-il avec un sourire en coin.

- N'allons pas jusque là, lâcha-t-elle avant de détourner son regard, toujours perchée sur ses béquilles. Tu peux... Tu peux utiliser la salle de bain si tu veux, ça ne m'ennuie pas.

- Tu es sûre ?

- Oui.

- D'accord. Merci, sourit-il joyeusement.

Un petit silence s'installa entre eux.

- Tu comptes rester debout ?

- Je ne sais pas, tu comptes continuer à me bloquer le chemin ?

- Oh, désolé.

Il se recula et alla s'appuyer contre le plan de travail de la cuisine.

- Tu veux que je...

- Je peux me débrouiller. Merci.


Bien qu'elle se déplaçait très difficilement vers son lit, Ace la regarda faire, respectant sa promesse de ne pas la toucher.

- Tu... Tu as l'air d'aller mieux, osa-t-il lui dire.

- Ma migraine est passée, répondit-elle sans se retourner.

- Tu as faim ?

- Non, ça va aller.

C'était faux, elle mourrait de faim.

- Je t'ai déjà dit que tu mentais mal, viens vite t'asseoir.

Arrivée à mi-chemin entre la salle de bain et son lit, Noriko lança un regard noir vers son compagnon d'infortune, comme si elle était capable de faire rapidement ce qu'il venait de lui demander. Ce dernier tendit ses deux mains devant lui avant des les secouer de gauche à droite, comme s'il lui faisait coucou, l'air visiblement confus.

- Je suis désolé, ce n'est pas ce que je voulais dire! Assieds-toi sur ton lit, je vais t'apporter un plateau.


Pour toute réponse, Noriko contina son chemin en poussant un soupir, puis esquissa un faible sourire en coin avant de finalement réussir à s'asseoir sur son lit.

- Tu veux un verre d'eau ?

- Non merci, je n'ai pas besoin de m'hydrater.

Ace plissa les yeux et tenta de traduire mentalement de ce qu'elle venait de dire.

- Tu n'as pas besoin...

- Mon fruit, se contenta-t-elle de lâcher en guise d'explication.

- Oh ? Oh, je vois ! C'est pratique, ça.


    Ace la laissa s'installer et s'attarda aux fourneaux. Ne sachant quoi lui dire, Noriko resta silencieuse jusqu'à ce qu'un plateau orné d'une assiette et d'un couvert soit posé à côté d'elle. Elle le prit sur ses genoux. L'odeur alléchante du bacon et de l'omelette qu'il venait de lui servir la fit saliver. Malgré tout, elle ne toucha pas son plat et attendit, ne sachant comment réagir. En silence, Ace se leva soudainement armée d'une fourchette et s'approcha d'elle les mains bien en évidence. Il lui piqua un petit bout d'omelette qu'il avala devant elle, lui prouvant ainsi que la nourriture n'était ni empoisonnée, ni droguée, avant de retourner s'asseoir sans un mot.

- Merci, souffla la jeune fille en prenant une petite bouchée à son tour.

Le goût salé lui secoua les papilles et l'extase que lui procura la nourriture était incroyablement forte. Il y avait très longtemps qu'elle n'avait plus mangé un repas digne de ce nom. Sans pouvoir se retenir, elle goba les trois quarts de l'assiette avant de s'apercevoir que le jeune homme était assis à table en face d'elle, son menton posé dans la paume de sa main gauche, l'observant de manière très étonnée. Elle se sentit rougir et bafouilla.

- Je... Je suis désolée. C'est... C'est très bon. Vraiment très bon.

Il ouvrit plusieurs fois la bouche avant de finalement réussir à bien choisir ses mots, ne voulant pas prendre le risque de la froisser.

- Depuis combien de temps n'avais-tu pas mangé ?

Le visage de la jeune fille s'assombrit aussitôt.

- Je... Je ne sais plus. Quelques jours ? Peut-être plus. Je repousse toujours les moments où je dois aller chercher de la nourriture.

- Tu as peur d'être repérée ? devina-t-il.

Elle reposa lentement sa fourchette, regarda la porte d'entrée avant de se concentrer sur la fenêtre, puis, sentant sa méfiance la quitter légèrement, décida de se confier un peu à lui, sans vraiment savoir pourquoi.

- J'ai l'habitude de me teindre les cheveux quand j'y vais, soupira-t-elle. Je propose de l'aide à qui le souhaite en échange d'un repas ou de provisions, mais je n'ai pas encore trouvé de travail.

- Depuis combien de temps vis-tu ici ?

- Environ six mois.

- Tu ne manges donc jamais à ta faim ?

- Rarement, avoua-t-elle en grimaçant. J'essaye de répartir un repas sur plusieurs jours, pour pouvoir économiser un maximum de nourriture.

Ace sentit son cœur se serrer face à cette révélation.

- Mais... Depuis combien de temps vis-tu de cette manière ?

Elle regarda de nouveau la porte d'entrée avant de répondre de manière évasive.

- Depuis mes 13 ans environ et j'en ai 18...

- Tu n'as jamais rencontré de gens de confiance ?

- Non. Tu le premier avec qui je baisse autant ma garde et je ne peux même pas t'expliquer la raison.

- Je ne te trahirai jamais Noriko, lui déclara Ace d'un ton solennel.

- J'espère, lâcha-t-elle avec un faible sourire.


Un silence s'installa entre eux et elle en profita, une fois encore, pour regarder la porte. Elle récupéra sa fourchette, prit une dernière bouchée, la reposa sur le plateau et mit le tout sur le lit, à côté d'elle. Sentant le regard du jeune homme posé sur elle, elle voulu changer de sujet.

- Qui est la personne que tu cherches ? finit-elle par demander.

- Il s'appelle Barbe Noire.

- Je crois que j'en ai entendu parler, songea-t-elle.

- Tu me connais, tu le connais, comment es-tu au courant si tu vis isolée de tous ?

- Je me suis renseignée sur toutes les personnes recherchées, les chasseurs de prime et les zones militaires, j'ai toujours choisi l'endroit où j'allais vivre en fonction de tout ça. J'avais peur d'être retrouvée.

- Je comprends.

- Je peux te demander pourquoi tu le recherches ? questionna-t-elle timidement.

Ace l'observa du coin de l'œil.

- Excuse-moi, c'était indiscret, se justifia-t-elle en baissant les yeux.

- Il a tué un de mes amis, lâcha-t-il.

- Oh... Je suis sincèrement désolée.

- C'était le commandant de la première flotte de Barbe Blanche. Il l'a assassiné donc je cherche vengeance et justice.

- Je comprends et je trouve ça honorable de ta part.

- Tu ferais la même chose ?

Elle fit une petite moue.

- Si une personne que j'aime venait à mourir, oui. Je n'hésiterais pas.

- Ça t'ai déjà arrivé ?

- Quoi donc ? De chercher à me venger ?

- D'aimer quelqu'un ?

Piquée au vif par cette question, elle sembla hésiter quelques instants.

- Non. Pas à ce point, je le croyais, mais ma confiance a été trahie.

- Je ne voulais pas être indiscret.

- Ce n'est rien, c'est juste que je ne me sens pas prête à te dévoiler ma vie, j'espère que tu me comprendras.

- Bien sûr. Tu ne me connais pas et tu ne me fais pas encore confiance.

- Est-ce si flagrant que ça ? demanda-t-elle vaguement en haussant les sourcils.

- Tu n'arrêtes pas de regarder la porte d'entrée, rétorqua-t-il, personne ne viendra.

Elle reporta son regard sur lui.

- Je suis désolée, c'est un vieux réflexe. Les premiers soirs ou j'ai commencé à vivre ici étaient un enfer. Je sursautais au moindre bruit, la forêt qui m'entoure est dense et profonde et je m'endormais tous les soirs en étant effrayée.

- Personne ne viendra, répéta-t-il. Je n'ai contacté personne lorsque j'étais au village.

- Alors pourquoi restes-tu à mes côtés ? Tu m'as dit que tu allais partir, rétorqua-t-elle.

- Et je le ferai. Je ne suis pas pressé.

- Rien ne te retiens ici.

- Ma compagnie te déplaît-elle à ce point ?

- Je ne sais pas... C'est la première fois que quelqu'un prend autant soin de moi, c'est... Disons que c'est inhabituel.

- Est-ce déplaisant ? sourit-il malicieusement.

- Non. Mais incompréhensible, répliqua-t-elle sans lui rendre son sourire.

- J'aimerais rester jusqu'à ce que tu te rétablisses, si tu le permets... Tant que tu ne seras pas autonome par toi-même, je me sentirais coupable si je devais t'abandonner.

Elle resta silencieuse un court instant, imprimant chacune de ses paroles et sembla réfléchir.

- Je ne sais pas. Je ne veux pas être un fardeau pour toi.

- Ce n'est pas un fardeau puisque c'est une volonté de ma part.

- Je ne veux pas être de nouveau trahie ou déçue.

- Tu n'as qu'à continuer à ne pas me faire confiance.

Elle leva des sourcils étonnés.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Au moins, tu ne pourras pas être déçue et tu ne pourras qu'être surprise.

- C'est une drôle de manière de voir les choses.

- Ça reste efficace.

Elle ne répondit pas, et entreprit de se rapprocher du bord du lit.

- Tu veux que j'examine tes blessures ?

- Ça va vraiment devenir une habitude chez toi, marmonna-t-elle suffisamment fort pour qu'il puisse l'entendre.

- Je suis là, autant me rendre utile.

- D'accord, mais...

- Je ne te toucherai pas plus que nécessaire, assura-t-il.

Elle acquiesça et attrapa son plateau contenant son assiette vide.

- Que fais-tu ?

- La vaisselle, tu as fait à manger, je vais nettoyer.

- Hors de question.

- Mais je...

- Tu comptes faire comment sur un seul pied ? Tu peux à peine te lever.

Il s'approcha d'elle et voulu lui prendre le plateau des mains, mais Noriko le lâcha au même moment et le tout s'éclata au sol, la rendant confuse.

- Je suis désolé, je ne voulais pas te faire de mal, s'excusa Ace, je ne voulais pas te toucher, je t'assure.

- Ce n'est pas ta faute, je... C'est la mienne.

- Reste au lit, je vais nettoyer.

- Je suis désolée, s'excusa-t-elle en mettant une main sur sa bouche.

- Tout va bien, ce n'est rien.

Ace empila les morceaux de porcelaine sur le plateau et se redressa.

- Tu vois ? C'est fini, il n'y a plus rien, c'est déjà...

Il ne termina pas sa phrase et serra le plateau jusqu'à blanchir les jointures de ses doigts. Devant lui, Noriko pleurait silencieusement.

- Je suis désolée, répéta-t-elle, je ne voulais pas...

- Tout va bien, Noriko, regarde-moi. Tout va bien.


La jeune fille tremblait et se tenait maintenant la tête entre ses mains.

- Mais que t'ont-ils fait ? Qu'est-ce que tu as bien pu traverser ? murmura Ace.

Il la regarda pleurer, s'empêchant de lui mettre une main sur l'épaule. Il se retourna donc vers la cuisine pour mettre la vaisselle dans l'évier, puis attrapa un sopalin et le lui tendit, en restant à distance. Lorsqu'elle l'attrapa, les bouts de leurs doigts s'effleurèrent, ce qui ne la fit pas réagir. En revanche, Ace recula sa main par réflexe, de peur de la froisser.

- Merci, souffla-t-elle en s'essuyant les yeux.

- Je vais regarder ton pied, déclara-t-il pour changer de sujet.

- Oui, renifla-t-elle. Très bien.

Doucement, il se pencha vers sa cheville et commença à enlever le reste du bandage de la veille en étant le plus délicat possible.

- Je ne te fais pas mal ?

Noriko serra la couverture avec force, jusqu'à s'en faire trembler les mains.

- J'ai mal tout le temps, admit-elle en fermant les yeux, la douleur est constamment présente.

- Je vais regarder, d'accord ?

- D'accord.

Sa cheville était noire et avait triplé de volume.

- Tu es sûr que ce n'est pas cassé ?

- Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir, mais....

- Mais ?

- Il faudrait que je touche ton os, que je le palpe, mais tu aurais très mal, je veux dire, encore plus.

- Vas-y.

- Noriko, je...

- Vas-y, somma-t-elle.

- Tu t'évanouirais, enfin !

- Tu crois que je ne connais pas la douleur !? Alors, vas-y ! ordonna-t-elle avec rage.

Ace la fixa, ouvrit la bouche pour répondre, mais ne trouva rien à dire face au regard dur et froid de Noriko. Il laissa un petit temps et déglutit avec peine avant de secouer la tête de droite à gauche. Il baissa ses yeux et, sans attendre, sans prévenir, enfonça ses doigts dans la cheville gonflée de Noriko, cherchant l'os, avant de le palper et de remonter lentement jusqu'à son tibia. La jeune fille cru qu'elle allait s'évanouir de douleur, s'écroulant sur le dos en gémissant. Ace dû lui maintenir son genou gauche à l'aide de sa main libre afin de l'empêcher de gigoter et évita de justesse un coup de pied droit qui manqua sa tempe. De son côté, Noriko attrapa un oreiller, puis le plaça sur sa bouche afin de minimiser ses cris et finit par mordre dedans de toutes ses forces.

- Je suis désolé, tellement désolé..., gémit Ace en continuant d'appuyer sur l'os de haut en bas, avant de s'attaquer au péroné, au talus et ainsi qu'à la voûte plantaire, continuant sa torture involontaire, cherchant le moins petit os cassé.


Lorsqu'il eut terminé, il la relâcha soudainement mais en douceur, hissa un de ses genoux sur le lit et se pencha vers elle afin de s'assurer qu'elle était toujours éveillée. Il lui retira le coussin de son visage avant de le jeter derrière lui et trouva la jeune fille à moitié inconsciente, haletante et blanche comme un linge. Il lui dégagea une mèche de ses yeux et lui tapota légèrement les joues.

- Noriko ? Tu m'entends ?

Elle gigota faiblement et reprit peu à peu des couleurs.

- Noriko !

- Oui, je...

- Tu vas bien? Je suis tellement désolé.

Voyant qu'elle finirait par s'en remettre, il se redressa soudainement, gêné par la proximité et surtout confus de l'avoir touchée sans sa permission. Il se précipita vers la cuisine, attrapa un torchon, le passa sous l'eau et vint le lui tapoter le front avant de faire un pas en arrière.

- C'est fini, tout est fini. L'os n'est pas cassé, je l'ai senti tout le long en parfait état. J'ai tout vérifié, non seulement ta cheville, mais également l'intégralité de ton pied par précaution. C'est seulement foulé ou alors ce sont tes tendons ou peut-être tes ligaments. Noriko, tu dois voir un médecin.

Elle ouvrit enfin les yeux et le regarda, les larmes coulant sur ses joues.

- Non... murmura-t-elle en secouant faiblement la tête.

Il se passa une main sur le visage et l'implora.

- Je viendrai avec toi, je te porterai jusqu'au village, je te prêterai mon chapeau pour masquer tes cheveux, je les teindrai s'il le faut, je...

- Non, Ace.

- Et si tu avais besoin d'une opération ?

- Non ! cria-t-elle plus fort qu'elle ne l'aurait voulu en se redressant péniblement sur son coude, laissant retomber le torchon humide. Je t'en supplie, ne m'oblige pas à... Ne m'oblige pas à voir quelqu'un.

Elle était épuisée et respirait difficilement. Ace parut hésiter un bref instant qui sembla durer une éternité.

- D'accord, capitula-t-il en soupirant. Je ne te forcerai à rien. On va attendre quelques jours pour voir ce que ça donne. Tu vas continuer les anti-douleurs, mais en attendant, il te faut une attelle.

- Avec quoi veux-tu en faire une ? lâcha-t-elle en s'asseyant tout doucement. Il n'y a rien ici.

Il se tourna soudainement, prit une chaise et en dévissa deux pieds.

- Ça fera l'affaire, murmura-t-il. Mais il me faut quelque chose pour l'attacher, je vais prendre une lanière de mon sac.

- Prends ça, haleta-t-elle en déliant le bandeau qui ornait son avant-bras, ce qui dévoila son tatouage.

Il prit un air dubitatif.

- Tu es sûre ?

- Prends !

Il obtempéra, prit le bandeau qu'elle lui tendait en tremblant, puis l'attacha sur sa cheville en maintenant les deux morceaux de bois en place.

- Je suis désolé, je suis obligé...

Il noua les liens si fort que Noriko serra les dents en grimaçant de douleur, retombant sur le dos, avant de mettre ses mains sur ses yeux.

- Ça fera l'affaire pour le moment, annonça-t-il toujours accroupi à ses pieds. Tu vas bien ?

La jeune fille resta allongée.

- Que puis-je faire d'autre ? demanda Ace en se levant.

- Rien, tu... Tu en as déjà assez fait, je te remercie.

- Tu veux dormir un peu ?

Elle retira les mains de son visage et les passa dans ses cheveux.

- Combien de temps ai-je déjà dormi ?

- Toute la nuit et toute la journée, nous sommes le soir.

Elle ancra son regard dans le sien.

- Mais, tu as passé la nuit ici ?

- Oui... Je ne voulais pas m'imposer, mais je voulais m'assurer que tu allais bien.

- Où as-tu dormi ?

- Ta baignoire est très confortable.

Elle se redressa doucement et écarquilla ses yeux.

- Tu plaisantes ?

Il parut soudain extrêmement gêné et se gratta le front.

- J'aurais dû te demander ton autorisation, je suis désolé. Je dormirais dehors ce soir.

- Mais non, ça ne m'ennuie pas, mais je parlais du confort.

Les traits du visage du jeune homme se détendirent aussitôt, soulagé de ne pas avoir froissée la jeune fille. Il avait pourtant dormi à quelques mètres d'elle, mais ça ne semblait pas la déranger. Commençait-elle à lui faire confiance ou bien est-ce que la douleur lui avait fait perdre l'esprit ?

- Tu sais, je dors au coin d'un feu quand je suis dehors, je t'assure que tu n'as pas à t'en faire pour moi, sourit-il.

Noriko prit de profondes inspirations, tentant de penser à autre chose qu'à la douleur qui martelait sa cheville et qui se propageait jusqu'à son crâne.

- Tu devrais prendre mon lit, on pourrait alterner, je dormirai par terre cette nuit.

Le sourire du jeune homme s'évanouit aussitôt et ses sourcils se froncèrent.

- Pas question, tu as besoin de bien dormir et d'avoir un vrai lit.

- Mais...

- Ce n'était pas une question. Et puis, tu es chez toi et ce n'est pas comme si j'étais ton invité, jamais je ne te demanderai une telle chose.

- C'est vrai que je voulais que tu partes...

- Tu veux dire que ce n'est plus le cas ?

Noriko devint toute rouge.

- Je n'ai pas dit ça! s'agaça-t-elle. Je cherche seulement un moyen de te remercier.

- Eh bien, dors, ça m'aidera, conclut-il en riant.

La jeune fille fut tellement prise au dépourvu par autant de répartie qu'elle ouvrit sa bouche sans pouvoir en sortir le moindre son. Ace se retourna et alla ranger la cuisine, sans attendre de réponse. De son côté, Noriko ne s'attarda pas à être vexée et attrapa la boîte d'anti-douleur afin d'en fourrer cinq dans sa bouche avant de s'endormir très rapidement.


    Elle ne se réveilla pas avant le lendemain au milieu de la nuit, la bouche pâteuse et la tête beaucoup plus légère, malgré une douleur fulgurante qui lui traversait le ventre. Après avoir vérifié l'état de sa cheville qui ne s'était pas amélioré, elle regarda dans la pièce et constata qu'Ace n'était pas là. Elle alla péniblement dans la salle de bain, comme la veille et le trouva endormi dans la baignoire. Soulagée de le voir, elle prit la couette de son lit et revint lui mettre dessus, puis retourna se coucher.


    Lorsqu'elle se réveilla une seconde fois en milieu d'un après-midi, elle remarqua que la couette était de nouveau sur elle et qu'Ace était déjà aux fourneaux, lui tournant le dos.

- Tu as faim ? lança-t-il en guise de bonjour.

- Je meurs de faim, mais j'ai une douleur au foi.

Ace se retourna soudainement vers elle, un air soucieux sur le visage. Elle était en train de se masser le ventre.

- Tu veux que je te prépare une tisane ?

- Non, ça passera...

- Tu as beaucoup dormi, presque deux jours, c'est curieux. Peut-être à cause de la faim, ou alors... Mais qu'est-ce que tu as ?

Il se précipita vers elle et observa son visage et plus précisément, sa bouche. Mal à l'aise, Noriko eut un mouvement de recul et devint méfiante.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Tu as... De la mousse blanche sur les lèvres. Mais qu'est-ce que tu as fait ? Tu as vomi ce matin ?

La jeune fille se sentit rougir et s'essuya la bouche du revers de sa main.

- Mais non. J'ai pris des cachets avant de dormir et c'est tout.

- « Des » ? Combien en as-tu pris ?

- Cinq, je crois. Je ne voulais plus avoir mal.

- Mais tu es complètement folle ? C'est pour ça que tu as mal au ventre ! Ton corps a voulu tout évacuer. C'est aussi pour ça que tu as dormi tout ce temps. Et si tu t'étais étouffée dans ton sommeil en n'arrivant pas à recracher !?

Pour seule réponse, Noriko tâta le deuxième oreiller qui était à ses côtés et découvrit une substance blanche visqueuse et épaisse.

- Je vais le nettoyer. Ça ne me prendra qu'un instant.

Elle fit apparaître une bulle d'eau et frotta vigoureusement le coussin avec en la faisant bouger du bout de ses doigts, puis la fit disparaître dans les airs.

- Tu m'écoutes quand je te parles ?

- Tu peux me passer du savon ?

Ace n'avait pas bougé d'un pouce et continuait de l'observer, les mains sur les hanches et un air sévère sur son visage. Il finit par pousser un profond soupir en se plaquant une main sur son front tout en baissant son menton.

- Tu es vraiment têtue, ce n'est pas possible. Tu vas mettre ta santé en danger à ce rythme-là.

Noriko sursauta et se contenta de le fixer en silence d'un air blasé.

- Les cachets se sont pas à prendre à la légère, tu dois faire attention.

- Tu comptes me faire des reproches toute la journée ? argumenta-t-elle froidement.

- C'est juste que... Hmm, tu as raison, maugréa-t-il en attrapant un plateau chargé d'une assiette pleine. C'est ton corps après tout. Tiens, aujourd'hui c'est pommes de terre avec de la viande, ça te fera du bien.

- Merci.

Elle reposa l'oreiller qu'elle avait séché, comprenant qu'elle n'aurait pas de savon, attrapa le plateau et mangea en silence.

- C'est très bon, finit-elle par lâcher.

Ace ne répondit pas et mangea sa part à la table de la cuisine.

- Excuse-moi, dit soudainement Noriko.

- Pour quoi ? demanda-t-il en levant un sourcil sans pour autant la regarder.

- D'avoir réagi de la sorte. Je ne voulais pas te parler sur ce ton.

Bien qu'elle paraissait triste, Ace rigola franchement.

- Je ne suis pas vexé, rassura-t-il en ancrant ses yeux dans les siens. Ce n'est rien.

Elle fut étonnée par sa réaction, mais continua sur sa lancée en balayant la pièce de son regard, comme si elle cherchait ses mots.

- Je vois bien que tu te démènes pour moi. J'ai été stupide de prendre autant de cachets et... Je n'ai pas l'habitude que quelqu'un s'inquiète pour moi, c'est tout, alors je ne sais pas comment réagir. J'ai l'impression que tout ce que tu fais cache quelque chose, que tu attends un retour de ma part.

- Noriko, trancha Ace d'un air sérieux.

Elle redressa la tête vers lui.

- Oui ?

- Je ne peux pas te prouver mes dires et je ne peux pas te forcer à me faire confiance, mais je peux te garantir que je n'attends rien de toi et que jamais je ferai quoique ce soit qui puisse nuire à ta santé ou à ta sécurité.

La jeune fille resta interdite, ne comprenant toujours pas pourquoi Ace l'aidait autant. Elle baissa les yeux et pressa ses lèvres l'une contre l'autre.

- Je ne suis pas une hôte facile, je le conçois.

- La couverture que tu as mise sur moi cette nuit, sourit-il. C'est un bon début, je te remercie.

Elle sentit ses joues s'empourprer, ce qui la fit bégayer.

- Ce n'est pas... Ce... Ce n'est rien. Tu as droit à un minimum de confort. Et puis tu me l'as rendue, alors merci à toi.

Ils s'échangèrent un regard gêné et finirent de manger en silence.


    Après qu'Ace eut terminé de nettoyer la cuisine, il décida de changer de sujet.

- Est-ce que tu me permets de vérifier la blessure à l'arrière de ta tête? Je voudrais m'assurer que tu n'aies pas d'infection.

- Je n'ai pas de fièvre, lui indiqua-t-elle en se touchant le front.

- On ne sait jamais.

Pour toute réponse, elle soupira, puis pencha son crâne en avant et attendit. Avec son autorisation, Ace s'approcha et dégagea ses cheveux pour observer la plaie qui avait bien cicatrisé.

- Ça fait quelques jours, je pense que je peux te retirer les points. Tu ne sentiras rien, je vais juste enlever les fils.

Elle se contenta d'hocher la tête et le laissa faire. Effectivement, elle ne ressentit rien lorsqu'il passa à l'action et elle en fut soulagée et satisfaite.

- Je vais continuer ton potager aujourd'hui, lui dit-il en se dirigeant vers la sortie. J'ai déjà creusé des tranchées, mais il reste beaucoup à faire. Repose-toi.

Noriko se rapprocha un peu plus du bord du lit et chercha ses béquilles dans l'idée de se lever.

- Je veux t'aider.

- Non. Je pense que tu devrais rester alitée. Te déplacer sur tes béquilles te demande beaucoup d'efforts, tu ne devrais pas bouger du tout.

- Je dois utiliser la salle de bain de toute manière, argua-t-elle sans se laisser abattre.

- Je peux t'y mener.

- Ça va aller, merci.

Elle attrapa ses béquilles et se redressa difficilement, cachant au mieux sa douleur. Ace n'était pas dupe, mais décida de ne pas intervenir. Il se passa une main derrière la nuque et soupira de lassitude.

- Très bien. Je serai dehors.


    Plusieurs jours s'écoulèrent ainsi, Noriko était parfois sur la défensive, mais la plupart du temps, elle se montrait coopérative avec Ace, ayant accepté qu'elle avait besoin d'aide. Le potager avait rapidement été mis en place. Ace s'était occupé de creuser des tranchées et de planter des tuteurs ainsi que les graines, tandis que Noriko les arrosait quotidiennement à l'aide de ses pouvoirs. Sa cheville la faisait beaucoup souffrir et elle n'avait pas pu sortir de la maison, se contentant de remplir des seaux d'eau pour aider Ace. Elle avait finalement admis que le jeune homme avait raison et avait été convaincue qu'elle ne devait pas quitter son lit, ce qui la rendait souvent triste et maussade.


            ——————————


    Un soir, Ace vint la voir.

- Tu veux prendre l'air ?

- Je ne dois pas marcher, répondit-elle avec un faible sourire.

Il lui tendit une veste et s'accroupît devant elle.

- Je te porterai, lui dit-il en lui présentant son dos.

Un air soucieux passa soudainement sur le visage de la jeune fille alors qu'elle enfilait le vêtement.

- Ace ? Et si ma cheville ne guérissait jamais ?

- Tu es encore en convalescence. Ne sous-estime pas tes capacités de guérison, ton corps sait ce qu'il fait et ces choses-là prennent du temps, lui expliqua-t-il gentiment.

- J'espère que tu as raison, répondit-elle avant de grimper sur son dos.

Une fois dehors, l'air frais de la nuit vint mordre les joues de la jeune fille. Le jeune homme la conduisit vers un énorme feu de camp à une vingtaine de mètres en amont de la maison.

- Je ne te mettrai pas dedans, ne t'en fais pas, plaisanta-t-il.

Il la déposa délicatement sur un gros coussin et s'assit à son tour.

- Je ne risque rien s'il est contrôlé, répondit-elle amusée.

- C'est le cas, lui dit-il en bougeant le bout de ses doigts, faisant obéir quelques flammes au passage.

Ace se retourna et attrapa deux édredons qu'il lui mit sur les épaules et sur les jambes et se fit chaleureusement remercié par Noriko.

- La lune se lève tard aujourd'hui, nous pourrons observer les étoiles.

La jeune fille suivit le mouvement de celui qu'elle considérait dorénavant comme un ami et leva le nez vers le ciel.

- C'est quelque chose que tu as l'habitude de faire ?

- Quand je suis en mer oui. J'aime beaucoup les regarder. Le fait que ce soit les mêmes dans le monde entier me fascine. Je me dis toujours que je ne suis pas le seul à les observer.

Noriko sourit face à tant de pureté et de poésie.

- Je n'y avais jamais songé, lui répondit-elle.

- Attends, on les verra mieux sans lumière, s'exclama-t-il en absorbant tout le feu dans la paume de sa main.

Désormais dans le noir, Noriko s'allongea, calée entre ses couettes, faisant attention de ne pas bouger sa cheville. Ses yeux s'habituèrent petit à petit à l'obscurité et très vite, une marée d'étoiles apparut au-dessus de sa tête.

- C'est beau, souffla-t-elle.

- Tu veux que je te montre les constellations ? proposa-t-il avec excitation.

- Si tu veux, oui, répondit-elle en souriant.

- Je peux me rapprocher de toi ? Tu verra mieux si je te montre de ton point de vue.

- Oui, tu peux.

Il vint assez près d'elle et s'allongea également sur le dos, si près que leurs deux épaules se touchèrent. Noriko sentit de nouveau cette odeur de sapin qui lui était désormais familière et comprit que ce n'était pas la forêt alentour mais bien Ace qui sentait naturellement bon. Surprise de ne pas l'avoir réalisé plus tôt, elle remit de l'ordre dans ses esprits et pensa soudainement qu'il pouvait avoir froid. Elle lui tendit un édredon qu'il refusa avec un sourire.

- Je n'en ai pas besoin, lui expliqua-t-il. Lorsque c'est le cas, il me suffit d'augmenter la température de mon corps.

- C'est pour ça que tu es toujours torse nu?

- Oui, s'amusa-t-il. Je ne survivrai sans doute pas à une tempête de neige, mais ce soir, il fait assez doux pour moi. Tu veux toucher ?

Elle sentit ses joues devenir devenir plus chaudes que la normale.

- Heu...

- Je parlais de mon bras, se justifia-t-il en riant. Touche, tu verras.

Noriko tendit une main maladroite vers lui et la posa sur ton triceps. La chaleur qui émanait de son bras lui insuffla un sentiment de bien être immédiat.

- Tu es très chaud.

- Tu trouves ?

- Oui, enfin je veux dire, plus que la moyenne... Plus que n'importe qui d'autre, bafouilla-t-elle en rougissant.

Ace rigola puis tendit son doigt vers le ciel, lui montrant une des constellations que l'on pouvait apercevoir. Il lui fit un monologue d'une trentaine de minutes, lui expliquant tout ce qu'il savait. Noriko l'écoutait passionnément en se contentant de lui poser quelques questions de temps en temps.

- Ça va ta cheville ?

- Oui j'ai pris un anti-douleur il y a quelques heures, je pense qu'il fait effet.

- Au moins, ton œil n'a plus aucune trace, tu as guéri vite de ce côté-là.

- Oui, souffla-t-elle en se tâtant la paupière.

- J'ai peut être quelque chose qui te fera du bien, mais tu n'es obligée d'accepter.

- Qu'est-ce que c'est ?

Ace se releva pour retourner à l'intérieur de la maison avant de revenir avec deux bouteilles de rhum dans les mains, un grand sourire ornant son visage.

- Tu aimes ?

Elle se redressa doucement et lâcha un petit ricanement en arquant un sourcil.

- La première fois que j'ai bu, c'était une mauvaise expérience.

- Oh, je suis désolé.

Elle balaya l'air à l'aide de sa main.

- C'est du passé. En grandissant, j'ai décidé de laisser une nouvelle chance à l'alcool, s'amusa-t-elle, et tu sais quoi ? Je dois avouer que ce n'est pas si mauvais.

- Alors trinquons.

Ils s'assirent tous les deux l'un à côté de l'autre et trinquèrent ensemble avant de boire goulûment. Noriko laissa passer un petit silence, puis prit une profonde inspiration.

- Merci Ace.

- Pour ?

- Pour tout ça. Je veux dire, pour ton aide, les béquilles, tes repas, ta patience face à ma méfiance, ta gentillesse... Je n'ai pas toujours été très facile à vivre. Je te dois des excuses.

- Pourquoi t'excuser ? s'étonna-t-il.

- Parce que j'aurais dû être plus gentille avec toi, tout simplement.

Il leva une main réconfortante vers son épaule avant de se raviser et de reporter son regard sur le bois calciné qui fumait légèrement. Il attrapa un bâton et joua avec les cendres, puis sans prévenir, raviva les flammes éteintes ce qui leur prodigua une chaleur intense.

- Noriko, tu avais peur et tu ne me connaissais pas. J'ignore les épreuves que tu as traversées jusqu'ici, mais je ne pouvais que comprendre ta crainte. Je suis simplement content que tu te sentes mieux à mes côtés.

- C'est vrai, admit-elle. Merci pour tout...

Plus le temps passait et plus l'alcool diminuait à vue d'œil à l'intérieur de la bouteille, plus Noriko sentait qu'elle avait chaud, si bien qu'elle finit par enlever l'édredon qui étaient sur ses épaules, ainsi que sa veste, dévoilant ses épaules partiellement nues qui étaient ornés de fines bretelles. Ace l'observa du coin de l'œil, avant de boire une nouvelle gorgée.

- Les robes te vont bien.

Elle rougit jusqu'au oreilles jusqu'à obtenir la couleur de son vêtement.

- C'est pour éviter de forcer sur ma cheville, se justifia-t-elle. C'est plus facile pour moi de m'habiller.

Ace s'essuya la bouche avec le dos de sa main et lutta pour garder ses sens éveillés.

- Ça te va bien quand même.

Noriko éternua sans prévenir et remercia intérieurement son métabolisme de lui permettre de changer de sujet.

- Nous devrions rentrer, tu vas attraper froid, continua le jeune homme.

- Mais non, ça va, répondit-elle en reniflant ce qui fit sourire Ace.

Elle ne ratait décidément aucune occasion pour être têtue.

- Il se fait tard, dit-il en se redressant péniblement à cause du rhum. Tu te sens capable de grimper sur mon dos?

Sentant soudainement l'alcool lui monter à la tête, Noriko dû cligner plusieurs fois des yeux afin de rendre sa vision plus claire et tangua légèrement.

- Je crois que oui, répondit-elle avant de finir par s'écrouler sur son dos.

Le jeune homme se précipita vers elle et lui releva la tête en lui mettant un main sous la nuque.

- Ça va !?

Elle éclata de rire, ne réagissant même pas à ce contact, et s'essuya une larme.

- Oui ! Je ne m'étais pas sentie aussi bien depuis longtemps !

Il eut un sourire en coin.

- C'est l'alcool qui parle.

- Possible...

- Je crois que j'en tiens une bonne moi aussi, confia-t-il en tanguant également avant de manquer de s'écrouler à ses côtés. Est-ce que je peux te porter?

- Oui.

Sans réfléchir, Ace se redressa, puis cala une de ses mains sous les genoux de Noriko et la deuxième sous ses omoplates, avant de la soulever avec douceur et sans aucune difficulté. Se retrouvant soudainement nez à nez, il se rendit compte de son erreur.

- Je suis désolé je... Je ne voulais pas te toucher, je t'ai portée comme ça par réflexe.

La tête de Noriko tournait et elle lâcha un sourire sincère.

- Ce n'est rien, ce... Ce n'est pas grave, dit-elle en s'accrochant à son cou. Essaye de ne pas nous faire tomber.

Il rigola face à cette taquinerie tout en se dirigeant vers le porche de la maison sans un mot de plus et alla la placer dans son lit. Tout en s'esclaffant, la jeune fille roula sur le côté en faisant attention à sa jambe, puis se cala contre le mur, commençant à s'assoupir sous les effets de l'alcool. Elle sourit bêtement en étirant ses bras au-dessus de sa tête avant de bailler.

- Tu peux dormir ici si tu veux, il y a assez de place.

- Tu... Tu es sûre ? demanda Ace, aussi alcoolisé qu'elle.

- Ce sera toujours mieux qu'une baignoire, marmonna-t-elle dans un demi-sommeil.

- Je ne veux pas te gêner...

Elle ne répondit pas, s'étant profondément endormie complètement ivre.


Le matin suivant, elle se réveilla en sursaut avec un mal de crâne épouvantable. Elle se concentra sur l'eau qui était dans son corps et envoya le tout hydrater à la fois son cerveau, ses organes et sa gorge. La gueule de bois passa aussitôt, il y avait tout de même des avantages à son pouvoir. De son poing fermé, elle se frotta vigoureusement un œil, puis sentant une présence près d'elle, regarda sur le côté droit du lit et constata avec effroi qu'Ace y était endormi, un avant-bras sous la nuque et le deuxième sur ses yeux. Elle ne put retenir un cri qui le réveilla en sursaut. Ne sachant plus où il était, il se retourna et en tomba par terre. Noriko se mit précipitamment sur sa hanche droite, agrippa le rebord du lit pour se hisser et se pencha vers lui.

- Oh bon sang, tu vas bien !?

- Je survivrai..., gémit-il toujours allongé par terre.

- Je suis désolée, tu m'as fait peur, je ne m'attendais pas à te voir ici.

Il se redressa et se frotta l'arrière de la tête.

- Ce n'est rien. Je... Je me suis endormi, tu avais le sommeil agité, je voulais m'assurer que tu allais bien, alors je me suis posé une minute. Je suis désolé.

- J'étais ivre, je devais faire un cauchemar.

- Je crois que c'est l'odeur de noix de coco qui m'a apaisé.

Elle sembla perplexe.

- La noix de coco, mais de quoi tu parles ?

- Non rien, je crois que je suis encore endormi. Je vais aller pendre une douche, ça me réveillera, annonça-t-il en se levant difficilement.

- D'accord, oui. Prends ton temps.

Il se traîna jusqu'à la salle de bain, complètement amorphe et en ressortit vingt minutes plus tard, une main posée sur son front.

- Tu... Tu n'as pas la gueule de bois ?

Assise sur son lit, adossée au mur et tentant d'ignorer sa cheville, Noriko secoua la tête en rigolant.

- Je suis faite à 100% d'eau. Quand l'alcool monte, il est facile pour moi de m'hydrater et d'en baisser les effets.

- Tu as de la chance, répondit-il en arquant un sourcil.

- Tu as faim ?

- Tu crois que je vais te laisser te lever ? Tu n'as pas intérêt à bouger.

Elle roula des yeux en pinçant ses lèvres, puis claqua sa langue contre son palais.

- Ai-je l'autorisation d'aller me laver au moins ?

- Oui, tu peux, lui dit-il en lui tenant une main.

Elle regarda ses doigts, puis finit par accepter l'aide proposée comme à l'accoutumé. Ace la souleva dans ses bras et avant qu'elle ne puisse réagir, se sentit très gêné, leurs visages étant relativement proches.

- Je... je suis désolé, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Je sais que tu ne veux pas que je te touche mais je ne me suis pas contrôlé, c'était un réflexe, comme hier. Peut-être que l'alcool n'a pas entièrement disparu de mon corps, argumenta-t-il pour sa défense.

- Ce n'est rien. Maintenant qu'on en est là, tu veux bien me déposer dans la salle de bain, s'il-te-plaît ?

Il fronça les sourcils d'un air entendu.

- Bien sûr.

Lorsque Noriko ressortit de la salle d'eau avec une nouvelle robe, le repas était prêt et il pleuvait des cordes dehors. Elle se dirigea à cloche-pieds vers son lit en s'aidant du mur et Ace vint lui proposer son bras qu'elle accepta avec soulagement.

- Merci. Bon, au moins, le potager sera arrosé, annonça-t-elle en regardant par la fenêtre.

- Tu as le droit d'admettre que tu n'avais pas envie de sortir le faire toi-même.

- C'est bien toi qui m'a dit que je ne devais bouger, taquina-t-elle.

- Je pense que tu en profites...

- Exact. Ce n'est pas tous les jours que j'ai quelqu'un pour prendre soin de moi, annonça-t-elle fièrement en s'asseyant sur son lit.

Ace croisa ses bras et la défia du regard.

- C'est-à-dire ?

- Heu... Je... Je... Rah! Non, je... Je voulais dire que... Je n'ai pas l'habitude qu'on soucie de moi, d'accord ? Et je...

Il leva un sourcil.

- Oui ?

- Je dois admettre que ce n'est pas désagréable, conclut-elle en baissant la tête.


             ——————————


Quelques semaines plus tard, à la nuit tombée, ils étaient de nouveau assis dehors près d'un feu préparé par Ace avec soin.

- Ta cheville a complètement dégonflé, lui déclara-t-il en se redressant après lui avoir retiré l'attelle. Tu pourras bientôt marcher sans béquilles.

Il lui tendit son bandeau bleu qu'elle plia soigneusement avant de le poser à ses pieds.

- Je le fais déjà, tu sais ?

- Oui, je sais ! Et je t'avais dit de ne pas le faire !!

- Je vais bien ! Je guéris, je connais mes limites.

- Bah voyons.

- Aïe, gémit-elle en baissant soudainement la tête.

- Tu vois que tu as encore mal ! se moqua-t-il.

- Mais non, ce n'est pas ma cheville.

- Qu'est-ce que c'est ?

- J'ai un truc dans l'œil.

- Décidément, tu n'en rates pas une... Fais voir.

Elle se frotta vigoureusement le visage.

- Ça va partir, attends.

- Mais fais voir.

- Roh ! Mais tu ne veux pas me laisser souffrir en paix de temps en temps ? ricana-t-elle.

- Qu'est-ce que tu es têtue, la taquina-t-il en lui lui relevant le menton pour mieux l'observer.

Surprise par ce contact, Noriko sursauta, puis se figea. Il s'approcha de son visage et plongea dans son regard.

- Je ne vois rien, murmura-t-il.

- Je... Je crois que c'est bon, bégaya-t-elle.

- Tu as un cil, indiqua-t-il en lui posant son index sur le bout du nez.

Ce geste chatouilla Noriko qui secoua légèrement la tête en expirant par ses narines, faisant apparaître une mèche de cheveux devant ses yeux.

- Noriko ?

- Oui ?

Il lui dégagea doucement le front en remettant sa mèche derrière son oreille.

- Je....

- Oui ? attendit-elle en le fixant.

- Je sais que tu ne veux pas que je te touche, mais tu as...

- De quoi tu parles ? demanda-t-elle en se frottant le nez, pensant avoir encore quelque chose sur la figure. Qu'est-ce que j'ai ?

- Rien, mais si tu continues à me regarder avec ses yeux-là, je... Je... Je crois que je vais finir par t'embrasser.

Elle ouvrit la bouche sans pouvoir en sortir un seul son, puis cligna plusieurs fois des yeux.

- Ace, je...

- Je ne le ferai pas, la rassura-t-il en souriant avant de se reculer, mais j'en ai très envie.

Il se leva puis étira ses bras au-dessus de sa tête.

- Bien, je vais aller chercher du bois, ce serait dommage que le feu s'éteigne.

Il lui fit un petit sourire, puis tourna les talons avant de disparaître dans la forêt.

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