Noriko
La nuit était bien avancée désormais et d’énormes nuages noirs emplissaient le ciel, grondant à cause du tonnerre. De part et d’autre, des éclairs striaient l’horizon tandis que l’océan gonflait à vue d’œil ne laissant plus aucune place au doute : l’Aqua Laguna était toute proche.
Allongés à plat ventre sur un toit, bravant le vent et le froid, Sanji et Noriko observaient le fameux Train des Mers qui était à quai, entourés de dizaines de soldats de la Marine ainsi que d’agents qui portaient un uniforme noir. Ces derniers semblaient donner des ordres aux premiers et parmi eux, se trouvait Robin, se tenant bien droite, les yeux fixant le vague. Elle semblait éteinte.
— Ça en fait du monde, commenta le cuisinier à voix basse.
— Ça grouille de Marines, mais ceux-là ne sont pas de simples soldats, remarqua Noriko sur le même ton en fronçant ses sourcils, et à en juger par leur comportement, je dirais qu’ils sont plus gradés qu’eux.
Ils baissèrent la tête en même temps, s’écrasant un peu plus contre le toit, car un des soldats venait de lever le nez pour s’étirer le cou.
— Selon le panneau qui se trouvait en ville, le train devrait partir à 23h en direction d’Enies Lobby, rappela Sanji.
— C’est une escorte, devina Noriko en marmonnant, ils sont tous là pour Robin, mais…, on dirait qu’ils attendent quelqu’un d’autre. Bon sang, soupira-t-elle en se mordant la lèvre inférieure, soudainement frappée par un tremblement, si elle arrive là-bas, ce sera une catastrophe.
Elle eut un hoquet de stupeur et ses yeux s’agrandirent lorsque leur amie fut sommée de monter à bord du train et qu’elle obéit sans broncher.
—Nous ne pouvons rien faire pour le moment, ce serait du suicide de sauter dans le tas, lui rappela Sanji d’un ton sans appel. Tachons de garder notre sang-froid, la moindre erreur pourrait nous être fatale.
Sachant qu’il avait raison, Noriko soupira en se tournant sur le dos, puis frissonna à cause de la fraicheur de la pluie qui s’abattait sur son visage. Elle avait usé de ses pouvoirs pour qu’elle et Sanji soient gardés au sec, mais ce dernier avait allumé une cigarette par réflexe dans l’attente de voir Robin et elle avait dû l’éteindre en urgence avant que la fumée expirée ne révèle leur position. Depuis, elle laissait la pluie les tremper jusqu’aux os afin d’être certaine qu’il ne craquerait plus, malgré les remontrances de ce dernier quant au fait qu’elle pouvait tomber malade par sa faute.
Les yeux rivés vers le ciel, Noriko songea à ce qu’elle avait répété à Sanji – appris de la bouche de Mihawk lorsqu’elle était plus jeune.
Enies Lobby. L’île justicière flottant au-dessus d’un trou creusé à même l’océan, descendant dans les profondeurs de la terre et cernée d’immenses chutes d’eau. Cet endroit demeurait inviolé depuis plus de 800 ans et tout pirate ou criminel qui y était amené en sortait obligatoirement jugé coupable et emmené à la Porte de la Justice.
Cette dernière était l’une des trois portes mises en place par le Gouvernement Mondial. Elle étaient si hautes qu’elles atteignaient les nuages et toutes menaient sur un immense courant défiant toutes les lois de Grand Line.
Lorsqu’elles étaient fermées, le courant tournait en continu dans un sens unique, tel un immense tourbillon empêchant tout navire d’y manœuvrer et lorsqu’elles étaient ouvertes, seules deux destinations sans retour étaient alors accessibles : Marine Ford, le quartier général du Gouvernement Mondial ou bien Impel Down, la prison sous-marine où étaient retenus les criminels les plus dangereux du monde.
Noriko déglutit avec peine. Elle comprenait mieux l’utilité du Train des Mers, seul moyen possible d’accéder à l’île sans risquer d’être précipité dans le grand vide par les courants. Si Robin passait la Porte de la Justice qui se trouvait à l’extrémité d’Enies Lobby, elle vivrait l’enfer. Seule la Marine avait accès aux portes et les contourner étaient tout bonnement impossible.
La manieuse d’eau se fichait éperdument de connaître la vraie raison des agissements de Robin car si elle franchissait cette porte, il leur serait impossible d’aller la secourir et ils ne la reverraient plus jamais.
Entendant rire bêtement Sanji, elle tourna la tête vers lui, puis leva un sourcil.
— Je peux savoir ce qu’il t’arrive ? s’étonna-t-elle.
— Robin d’amour, répondit-il vaguement comme s’il parlait pour lui-même, soit elle est avec eux par intérêt, soit quelque chose l’empêche de s’enfuir. Dans tous les cas, je serai celui qui la délivrera tel un prince charmant accourant pour sauver sa princesse. Oui, elle a dû faire exprès pour que je la délivre, c’est sûr !
— Mais t’es dingue ! s’exclama Noriko en se redressant. Tu crois que c’est le moment pour rêver à des contes de fées !? Elle a fui la Marine pendant vingt ans et d’un coup, elle accepterait de les suivre bien gentiment ? Elle serait parfaitement capable de s’enfuir toute seule, c’est évident qu’elle agit sous la contrainte ! rétorqua-t-elle pour se convaincre elle-même qu’il n’y avait pas d’autre raison.
— Ne t’en fais pas, Nori-jolie, reprit Sanji sans prêter attention à ses propos, Robin d’amour est peut-être une princesse, mais toi, tu restes la reine de mon cœur.
— Arrête tes bêtises et concentre-toi un peu, s’agaça-t-elle en lui attrapant le col de la chemise avant de le secouer, tandis qu’il gloussait bêtement comme un adolescent qui parlait à une fille pour la première fois de sa vie. J’ai besoin de toi là !
Les yeux de Sanji s’écarquillèrent et un immense sourire envahit son visage. Noriko eut un regard blasé en comprenant son erreur : elle venait de lui dire qu’elle avait besoin de lui et ce n’était clairement pas tombé dans l’oreille d’un sourd.
Il alla répliquer lorsqu’une immense vague vint se fracasser contre l’immeuble sur lequel ils étaient perchés, les éclaboussant de la tête aux pieds.
Sanji attrapa Noriko par la taille et la tint contre lui, s’assurant qu’elle ne risquait pas d’être emportée avec le courant.
— Si nous restons ici, nous finirons noyés, on n’a plus le temps pour atteindre les hauteurs, affirma Noriko en crachant de l’eau salée.
— Nous devons nous infiltrer dans le train, répondit son ami qui venait de retrouver son sérieux, c’est notre seule chance de ne pas la perdre pour le moment et accessoirement, de survivre à l’Aqua Laguna.
Il relâcha son emprise pour remettre une distance respectueuse entre eux, puis sortit son paquet de cigarette trempé de sa poche avant de l’observer avec tristesse tandis que Noriko plaquait ses cheveux blancs en arrière pour dégager sa vue.
Une voix familière parvint soudainement à ses oreilles et elle échangea un regard paniqué avec son ami. Aussi discrètement que possible, ils se remirent à plat ventre et jetèrent un œil vers le train pour confirmer leurs soupçons avant de reculer de nouveau.
— Mais qu’est-ce qu’il fiche ici ? Je lui avais pourtant dit de partir, paniqua Noriko en faisant mine de s’arracher les cheveux.
— Ce crétin a dû rester sur le Merry et ils l’ont arrêté pour complicité. Même s’il maintient de plus faire partie de l’équipage, il reste un pirate, pesta Sanji avant de se tourner vers son amie. Comment ça, tu lui as dit de partir ?
Noriko sentit le rouge monter à ses joues et laissa tomber son front entre ses bras pour dissimuler sa gêne.
— Je… je suis allée le voir pour… pour le prévenir de l’Aqua Laguna, avoua-t-elle avec une voix étouffée. Tu comprends, je ne pouvais pas le laisser comme ça, j’avais peur qu’il se noie et…
— Ne t’en fais pas, sourit Sanji en lui posant une main réconfortante sur l’épaule, on l’avait prévenu aussi avec Chopper en parlant très fort près du Merry. Toi au moins, tu as eu le cran de le confronter, même si je devine qu’il n’a pas dû apprécier.
Noriko se rembrunit au souvenir des paroles cinglantes d’Ussop puis releva soudainement la tête.
— C’était vous les deux gars dont il me parlait !
— Les deux gars ? demanda Sanji avec incompréhension.
Des injures coupèrent leur conversation et ils reportèrent leur attention vers le train. Un homme immense avec des cheveux bleus, uniquement vêtu d’un slip et d’une chemise ouverte à manches courtes, était ligoté des pieds à la tête près d’Ussop et hurlait à qui voulait l’entendre de le laisser partir.
— Mais c’est qui ceux-là ? grommela Noriko qui ne reconnaissait ni les quatre agents qui venaient d’apparaitre accompagnés de leur ami, ni le second prisonnier.
— Aucune idée, je comprends plus rien.
Cette fois, ce fut le cri de leur ancien compagnon qui les interrompit et ils observèrent en silence la scène qui se déroulait quelques mètres plus bas, s’attardant cette fois sur les détails qui leur avaient échappés.
Le menteur invétéré était ligoté et n’arrêtait pas de hurler qu’il avait toute une armée à disposition qui n’attendait que son signal pour intervenir. De telles inepties firent grincer des dents Sanji qui l’insulta de boulet qui ne perdait jamais une occasion de se taire.
Un des agents coiffé d’un chapeau haut-de-forme devait être de son avis, car il décocha soudainement un coup de pied dans la tête d’Ussop afin de le faire taire.
Le voyant atterrir quelques mètres plus loin, Noriko manqua de crier et Sanji eut le réflexe de lui plaquer sa main sur sa bouche avant de l’étouffer dans ses bras pour l’empêcher de regarder la suite.
Alors qu’elle tremblait, le visage coincé contre le torse de son ami, Noriko entendit clairement deux coups portés contre Ussop et elle dû se mordre la lèvre inférieure pour s’empêcher de réagir.
Il la relâcha quelques secondes après et elle constata en levant les yeux vers lui qu’il était fou de rage. Impuissants, ils regardèrent de nouveau en contrebas deux hommes habillés en noir qui relevèrent Ussop pour l’embarquer à bord du train, sous les ordres de l’homme qui l’avait frappé.
— Sanji, nous devons agir, souffla Noriko en regardant les nouveaux venus monter à bord avec l’homme aux cheveux bleus qui hurlait toujours à tout va.
— Nous allons nous infiltrer parmi eux, déclara son ami, on ne peut pas se permettre de perdre Robin d’amour de vue et si ce train est le seul moyen de rejoindre Enies Lobby, on n’a pas le choix, quitte à n’agir qu’à deux. Les autres trouveront un moyen de nous rejoindre.
— Si on libère Ussop, on sera trois, corrigea Noriko, et si le gars aux cheveux bleus est un pirate ou un ennemi du gouvernement, on pourra peut-être le rallier à notre cause.
— Pour l’instant, on ne peut compter que sur nous-même, répondit son ami en fouillant dans la poche de sa veste avant d’en ressortir un petit escargophone. Tiens-toi prête, on va devoir sauter à l’arrière du dernier wagon.
Ils redescendirent prudemment près de la gare aux alentours du quai, attendant que le train démarre pour s’y faufiler sans se faire voir.
Sanji avait déposé l’escargophone acheté plus tôt dans la journée dans un coin ainsi qu’un mot pour Nami leur indiquant leur plan et prévenant qu’ils trouveraient un moyen de les contacter. Le tout avait été accompagné d’un énorme message parfaitement indiscret, indiquant où trouver la note, inscrit à même le mur d’un bâtiment et Noriko avait cru qu’elle allait s’étrangler avec sa propre salive en le voyant faire.
Le Train des Mers siffla, indiquant que les moteurs étaient en marche. Par chance et certainement à cause de l’Aqua Laguna qui menaçait d’arriver à tout moment, le quai était vide et Noriko et Sanji n’eurent aucun mal à s’en approcher.
— Prête ? demanda le cuisinier.
Noriko acquiesça en écartant les bras, les paumes ouvertes vers le ciel. Le train démarra en douceur et, au signal de son ami, elle fit apparaître un torrent d’eau qui se mêla aux vagues qui frappaient violemment le quai, se servant de la houle pour écraser son eau contre les fenêtres du train, masquant ainsi leur présence à ceux qui se trouvaient à l’intérieur.
Profitant de ce laps de temps, les deux amis se précipitèrent vers l’arrière du train et sautèrent sur la plate-forme collée à la porte du dernier wagon.
Le Train des Mers accéléra et, se cramponnant à la rambarde pour garder l’équilibre malgré les vagues et la pluie, Sanji et Noriko regardèrent en silence le quai de Water Seven s’éloigner d’eux à une vitesse folle.
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Accoudé à la barrière, tentant de se faire entendre malgré la tempête qui faisait rage, Sanji débattait avec Noriko de la manière la plus efficace pour se faufiler discrètement à bord lorsque la porte sur laquelle elle était adossée s’ouvrit à la volée, la faisant tomber en arrière.
Allongée au sol et figée par la peur, elle se retrouva face à une quarantaine de soldats qui la regardaient tous d’un air éberlué, se demandant sans doute ce qu’elle fichait ici. Tous se relevèrent, prêt à en découdre et Noriko se sentit blêmir.
Une cigarette pas encore allumée à la bouche, l’homme qui avait ouvert la porte poussa un juron et voulut la saisir par le bras pour la relever, mais un coup de pied placé entre les deux yeux qui l’envoya valser à l’autre bout du wagon l’en empêcha.
— Que les choses soient claires, les gars, celui qui posera les mains sur ma Nori-jolie aura à faire à moi, avertit Sanji en ramenant sa jambe au sol, un air furieux dessiné sur le visage.
Toujours au sol, Noriko n’avait même pas eu le temps de réagir qu’ils se précipitèrent tous vers son ami pour le terrasser. Sans le moindre effort, ce dernier les dégagea de son chemin un par un à grands coups de pieds.
La bouche bée, gisant désormais au milieu de soldats inconscients, la jeune femme se releva les jambes tremblantes, toujours impressionnée par l’efficacité dont son ami avait fait preuve. Elle referma la porte du wagon et le vacarme provoqué par la tempête fut enfin réduit au silence.
— Pas un seul agent en noir, remarqua Sanji qui n’était même pas essoufflé, ce qui veut dire qu’ils doivent nous attendre dans les autres wagons. On va remonter petit à petit jusqu’à ce qu’on trouve Robin d’amour. Nori-jolie, ça va ? demanda-t-il en remarquant son silence.
— Oui, oui, merci. Je… juste un peu surprise, s’excusa-t-elle d’un air gêné, mais je serai prête pour la suite.
— Avant de continuer, je souhaiterais te demander un service, lui dit-il solennellement en s’approchant d’elle.
Noriko écarquilla ses yeux lorsqu’il s’agenouilla devant elle et qu’il plongea sa main à l’intérieur de sa veste avant d’en ressortir une chose qu’elle n’arrivait pas à identifier.
— Ma chère Nori-jolie, c’est un bonheur d’assurer ta protection, je ne pourrai connaître de joie plus immense ! Me ferais-tu l’honneur d’user de tes pouvoirs sur moi ? s’égosilla-t-il des étoiles plein les yeux en lui tendant son paquet de cigarettes.
— Mais t’es malade ! s’insurgea-t-elle. Si tu voulais que je te sèche, il suffisait juste de le demander !
Elle s’exécuta sur le champ en bougonnant, revigorée par le soulagement de ne plus être trempée jusqu’aux os et Sanji la remercia en s’allumant une cigarette la seconde d’après.
Il aspira la fumée, la laissa agir quelques secondes dans ses poumons, et puis l’expira lentement en faisant face à la porte avant du wagon. Il invita ensuite son amie à le suivre, la rassurant sur le fait qu’il la protègerait.
Une fois que Sanji eut le dos tourné, Noriko se mordit la lèvre inférieure. Une fois de plus, elle avait été prise au dépourvue, n’avait pas réussi à agir et quelqu’un avait dû l’aider. Les paroles qu’elle avait balancées à Ussop lui revinrent en mémoire. Oui, elle ne savait que trop bien ce qu’était de devoir dépendre des autres et surtout, d’être inutile.
Ses pensées se dirigèrent vers ses amis. Sans train, ils ne pourraient pas les rejoindre. Naviguer par un temps pareil était impossible, même pour le plus aguerri des navigateurs, même pour Nami.
À cet instant précis, le seul apte à faire quelque chose de par sa force était Sanji. Elle leva les yeux vers lui, observant sa démarche assurée qui indiquait que rien ne l’empêcherait de sauver leur amie.
Elle serra ses poings jusqu’à enfoncer ses ongles dans ses paumes. Non. Sanji n’était pas seul, elle était avec lui et à eux deux, ils empêcheraient ce train d’arriver à destination, quoi qu’il puisse leur en coûter. Elle prit une profonde inspiration, puis le suivit prestement.
Se moquant dorénavant de la discrétion, Sanji ouvrit la porte du deuxième wagon comme si de rien n’était et s’enfonça à travers les allées, à la surprise générale de ses occupants. Noriko, qui le suivait de près le somma de la laisser faire lorsqu’ils leur sautèrent tous dessus en même temps.
D’un geste rapide et contrôlé, elle fit apparaître une bulle d’eau dans chacune de ses mains et les transforma en torrents qui balayèrent les jambes de ses assaillants, les faisant tomber ainsi à la renverse.
Se tenant près de Sanji qui s’allumait une nouvelle cigarette sans se préoccuper de ce qu’il se passait, elle fit tourner de plus en plus vite les torrents autour d’eux, emportant tout ce qui se trouvait dans la rame.
L’eau monta rapidement sous les cris des agents qui peinaient à maintenir la tête hors de l’eau et qui tentaient vainement d’attraper leurs armes.
Concentrée, Noriko donna davantage de puissance à ses torrents, repoussant violemment les agents contre les parois du train et arrachant même les sièges et les bancs qui étaient jusque-là fixés au sol.
L’eau atteignit rapidement le plafond et seuls Sanji et elle furent épargnés par l’inondation improvisée.
Remarquant que les agents ne bougeaient plus, inconscients à cause du manque d’oxygène pour la plupart, assommés pour certains ou encore noyés pour d’autres, Noriko fit disparaître brusquement l’eau et retomber tous les hommes ainsi que les assises dans un terrible fracas.
Le silence qui suivit régna en maître dans la rame, uniquement perturbé par sa respiration haletante ainsi que l’expiration de Sanji qui recrachait sa fumée de cigarette. Un sourire en coin apparut sur le visage de ce dernier, relevant la fierté dont il faisait preuve.
— Alors là, Nori-jolie…, commença-t-il.
Noriko rabaissa ses mains le long de son corps et se tourna vers son ami, attendant la suite. Elle sursauta lorsque ce dernier fit une pirouette sur lui-même avant de venir lui prendre les deux mains, une aura romantique se dégageant de lui.
— C’était tout bonnement incroyable ! Si j’osais, je te ferai même un petit bisou, s’enjoua-t-il en la faisant tourner sur elle-même, avant de porter sa cigarette à ses lèvres.
— Sanji, l’interpella Noriko, sans qu’il ne la prenne en considération.
— Non, ne me dis rien, continua le cuisinier en dansant autour d’elle avec entrain, mon cœur saigne à l’idée que le tien soit déjà pris, mais je suis heureux de te savoir heureuse. Dans une autre vie, peut-être que…
Il s’interrompit soudainement et s’effondra à genoux, s’étouffant avec la fumée de sa propre cigarette.
— San-ji ! répéta Noriko un plus fort en lui attrapant le visage entre ses deux mains afin d’ancrer son regard dans le sien et en souriant d’un air faussement joyeux. Nous sommes tous les deux ébahis par nos prouesses respectives, mais notre temps est compté, alors continuons, tu veux bien ?
— Comme tu voudras, Nori-jolie ! répondit Sanji avec un immense sourire avant de foncer vers la porte arrière du wagon, revigoré par ce dernier contact physique.
Au troisième wagon, ils attaquèrent tous les deux et les corps des agents volèrent de part et d’autres à travers les allées et les sièges, passant à travers les fenêtres pour certains et s’enfonçant à moitié dans le toit pour d’autres.
Dos à dos, Sanji contrait ceux s’approchait de trop près tandis que de son côté, Noriko envoyait des bulles d’eau à ceux qui tentaient d’utiliser leurs armes à feu.
Une fois tous les agents vaincus, Noriko comprit pourquoi ils étaient moins nombreux que les wagons précédents ; la moitié de ce dernier était occupé par des tables et au-dessus se trouvait une dizaine d’escargophones.
— Bingo, lâcha Sanji avec un sourire avant de sortir une nouvelle cigarette.
— La salle de transmission, s’extasia-t-elle en collant son nez aux différentes créatures, on va pouvoir parler aux autres !
Constatant que son ami ne lui répondait plus et qu’il était absorbé par un recoin du wagon, elle l’imita et regarda par-dessus son épaule.
Un air renfrogné sur le visage, Ussop les fixait tous les deux, toujours ligoté et à ses côtés, dans le même état que lui, se trouvait l’homme aux cheveux bleus.
Noriko ressentit un pincement au cœur en voyant son ancien ami, soulagée de constater qu’il se portait plutôt bien. En d’autres circonstances, elle aurait même été contente, mais ses paroles ainsi que ses actes lui revinrent en mémoire et une fureur folle s’empara d’elle.
Elle voulut s’approcher de lui, mais Sanji l’en empêcha en mettant son bras devant son ventre. Fixant toujours Ussop, il expira silencieusement la fumée de sa cigarette.
— Je peux savoir ce que vous fichez ici ? cingla leur ancien camarade.
— On pourrait te retourner la question, tu crois pas ? réprima Sanji en continuant de fumer. Et d’abord, je ne sais même pas qui tu es.
— Oui, bon ça va, n’exagères pas ! s’emporta le menteur invétéré.
— Si je comprends bien, vous faites partie du même équipage ? les interrompit l’homme aux cheveux bleus, des lunettes de soleil posées sur sa tête.
— Plus maintenant, lui répondirent les trois jeunes gens en chœur.
— Mais t’es qui toi à la fin ? s’agaça le jeune cuistot en le détaillant de haut en bas. Pourquoi t’es à moitié à poil ?
— Je suis le plus grand désosseur de navires de tout Water Seven, Franky ! se présenta-t-il avec fierté.
Un coup de pied entre ses deux yeux l’éjecta en arrière et Noriko ne put s’empêcher de sursauter.
— Enfoiré, je vais te défoncer ! cria Franky qui se redressait déjà.
— Espèce de pourriture, fulmina Sanji, c’est donc toi et ta stupide family qui avez levé la main sur notre pote, dis-moi, combien de fois je devrais te laminer ?
Ussop rampa à toute vitesse entre les deux hommes pour calmer le jeu.
— Arrêtez ! La situation a changé, il n’y a pas lieu de se battre !
— Eh, la fille, pesta Franky à l’intention de Noriko, libère-moi que je puisse faire la fête à ce blondinet de malheur.
— Tu crois qu’elle va t’écouter !? rétorqua Sanji. D’ailleurs, ne t’avises même pas de lui parler !
— Noriko, mais fais quelque chose, gémit Ussop.
La jeune femme lui décocha un regard noir en croisant ses bras.
— Parce que tu as besoin de mon aide ? Toi ? cracha-t-elle. Je pensais que tu voulais me faire évaporer.
Ussop déglutit bruyamment, choqué par ses propos, puis secoua la tête afin de reprendre ses esprits.
— Bon d’accord, je n’aurais pas dû te dire ça, mais ce n’est pas ce que vous croyez, Franky a sauvé le Merry et…
Les larmes aux yeux, il s’interrompit avant de baisser la tête.
— C’est pas le moment de pleurer toi ! Bon allez, détachez-moi ! râla Franky
Il grinça des dents, comme si demander de l’aide lui était insurmontable.
— S’il-vous-plaît, ajouta-t-il en roulant des yeux.
— Mais tu rêves tout éveiller là, je vais te laisser mourir dans ce train et…
— Tu vas me les casser longtemps ? s’impatienta Franky en venant coller son front à celui de Sanji. Je t’ai demandé gentiment !
— Bon ça suffit, j’en ai marre, arrêter vos gamineries maintenant, intervint Noriko se mettant entre eux deux avant que son ami cuisinier ne réplique.
— Te mêle pas de ça, la fille ! cria Franky.
— Je m’appelle Noriko, s’agaça-t-elle.
— Mais fermez-la, abrutis ! On va finir par se faire repérer, hurla Ussop.
— Répète un peu ! scanda Franky en se tournant vers lui.
— Qu’est-ce que t’as dit, là ? cria Sanji en l’attrapant par le col de son t-shirt.
— Détache-moi, toi ! aboya le désosseur de navires à l’intention de Noriko tandis que Sanji commençait à se battre avec son ancien ami.
— Ne lui donne pas d’ordres ! hurla le cuisinier en lâchant son emprise pour venir se placer devant Noriko.
Ils continuèrent de s’engueuler quelques instants avant de se rendre compte qu’ils risquaient effectivement d’attirer l’intention lorsqu’ils entendirent des voix provenir du wagon suivant.
Sans se concerter, Noriko s’occupa de défaire les liens de ses compagnons d’infortune tandis que Sanji se chargeait de prendre un escargophone. Une fois prêts, ils montèrent sur le toit afin de semer leurs éventuels poursuivants.
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Trempés par la pluie ainsi que les embruns rejetés par les vagues et surtout tremblants de froid, Sanji, Ussop, Franky et Noriko étaient assis en rond sur le toit du train qui filait à vive allure, risquant à tout moment de passer par-dessus bord au moindre petit écart. La tempête battait son plein et le vent sifflait si fort dans leurs oreilles qu’ils avaient eu du mal à entendre les révélations de Nami qu’ils avaient réussi à contacter.
Leurs amis étaient à bord d’un deuxième Train des Mers lancé à toute vitesse, le Rocketman – un vieux prototype laissé à l’abandon et remis en marche par Icebarg – conduit par Kokoro, la vieille dame qu’ils avaient rencontrée avant d’accoster à Water Seven.
Nami n’avait omis aucun détail. Icebarg avait survécu à une nouvelle attaque et il avait compris que les Chapeaux de Paille étaient innocents quant aux tentatives de meurtre après avoir parfaitement reconnu Robin accompagnée par les traitres qui avaient infiltré sa compagnie et qui n’étaient autre que deux de ses charpentiers, sa secrétaire et le gérant du bar dans lequel ils avaient l’habitude d’aller.
Ces traitres faisaient en réalité partie du CP9, une unité secrète du Gouvernement Mondial autorisée à tuer quiconque se mettrait sur leur chemin, y compris les civils. Ils avaient obligé Robin à les suivre avec pour menace de réduire l’équipage des Chapeaux de Paille en cendre grâce à un Buster Call, la plus grande attaque connue du Gouvernement Mondial. Elle consistait à envoyer cinq vice-amiraux ainsi que dix navires de guerre pour raser l’intégralité d’une île ou même d’un pays et était généralement ordonnée par l’un des trois amiraux, mais à titre exceptionnel, cet ordre pouvait être temporairement lancé par le chef du CP9.
Cette opération de destruction massive menaçait les Chapeaux de Paille si Robin ne coopérait pas et elle avait donc choisi de se sacrifier pour eux.
Son rôle était de les aider à récupérer les plans de Pluton, une arme antique capable de réduire la piraterie à néant et dont elle était la seule à pouvoir les interpréter grâce à sa connaissance des Ponéglyphes.
Durant des années, ces plans avaient été en possession d’un célèbre charpentier appelé Tom. Ce dernier, qui était un homme-poisson, avait été condamné à mort il y a quelques années pour avoir construit le navire de Gold D. Roger, l’ancien Roi des Pirates. Pour se racheter, il avait proposé de construire le Puffing Tom, le Train des Mers dans lequel ils avaient embarqué clandestinement.
Malheureusement, une attaque perpétrée par des navires de guerre construits par l’un de ses apprentis nommé Cutty Flam et qui avait tué une centaine d’innocents ainsi que de soldats l’avait de nouveau conduit vers la peine de mort, car il avait proclamé en être l’auteur.
Finalement, il s’était avéré que c’était un coup monté par le gouvernement lui-même afin de faire pression sur Tom pour récupérer les plans de Pluton.
Tom avait cependant choisi le silence pour les protéger et s’était donc laissé accusé pour sauver la vie de son jeune apprenti qui n’était autre que Franky. Ce dernier, fou de rage par tant d’injustice et criant à qui voulait l’entendre que c’était lui le responsable, s’était jeté sous le Train des Mers qui emmenait son maître vers une mort certaine afin de l’arrêter. Ayant survécu par miracle, il s’était depuis fait passé pour mort et seuls Kokoro, l’amie et la secrétaire de Tom, ainsi qu’Icebarg, son deuxième apprenti, savaient qu’il était toujours en vie.
Le CP9 avait toujours soupçonné qu’Icebarg possédait les plans, mais le maire de Water Seven savait qu’ils tenteraient de s’en emparer et, par sécurité, les avait donc confiés à Franky quelques années plus tôt. Les agents l’avaient appris et l’avaient embarqué sous prétexte de l’arrêter pour les machines de guerre construites, mais voulaient en réalité mettre la main sur les plans.
Aux côtés de Nami, Luffy, Zoro et Chopper se trouvaient trois charpentiers de la Galley-La Company qui avaient jurer de venger Icebarg ainsi que la totalité de la Franky Family qui elle, voulait sauver leur chef, car tous avaient le même ennemi commun. Ils arrivaient donc tous en trombe pour leur prêter main forte.
Zoro avait pris la parole et avait incité Sanji et Noriko de se tenir tranquille en attendant leur arrivée, mais Luffy avait compris qu’il était inutile de les en empêcher, car il savait pertinemment qu’ils ne resteraient pas les bras croisés maintenant qu’ils connaissaient la vérité, et leur avait ainsi donner l’autorisation de se déchainer.
Sanji en avait été plus que ravi et avait précisé que même si son capitaine avait tenté de l’en dissuader, il n’aurait pas pu l’écouter.
— Robin ne nous a pas trahis, lâcha finalement Noriko.
— J’ignorais tout ça, enchaina Ussop, je suis désolé pour Robin.
— Elle ne sait pas pour le Merry, ni pour ton altercation avec Luffy, précisa la jeune femme avec un ton de reproche, ce qui veut dire qu’elle nous a tous mis à l’abri, toi y compris. Je pense qu’ils t’ont emmené avec eux parce que tu as clamé haut et fort que tu ne faisais plus partie de notre équipage, sinon ils ne t’auraient pas touché.
Ussop baissa la tête et resta silencieux.
— Mais pourquoi est-ce qu’il pleure cet imbécile ? questionna soudainement Sanji en regardant Franky qui était roulé en boule.
— C’est vos histoires, gémit-il en cachant ses yeux à l’aide de ses lunettes, c’est trop touchant ! Et puis d’abord, je pleure pas ! On m’a toujours dit que cette femme était un démon et qu’elle pourrait tous nous tuer grâce à cette arme, alors qu’il n’en est rien !
— Si tu crois que Robin est un démon, alors attends de voir Luffy à l’action, marmonna Noriko toujours énervée par le comportement d’Ussop. Le gouvernement n’est pas prêt pour ce qui les attend.
— Vous avez conscience que vous allez leur déclarer la guerre et qu’après ça, il n’y aura aucun retour possible en arrière ? demanda Franky en reniflant.
Un air furieux sur le visage, Sanji se releva sans prendre la peine de lui répondre.
— Robin est quelque part dans ce train, il est temps d’aller lui porter secours.
Noriko crispa sa mâchoire. Déclarer la guerre au Gouvernement Mondial n’allait pas changer grand-chose à sa vie, elle qui était déjà recherchée ; et si elle y survivait, nul doute que l’influence de Mihawk ne pourrait plus rien pour elle. Elle songea au fait qu’en plus d’augmenter, sa prime passerait certainement de « recherchée vive » à « recherchée morte ou vive ».
Elle sourit intérieurement, songeant l’ironie de la situation. Elle qui avait passé sa vie à se cacher allait désormais se jeter à corps perdu dans la gueule du loup. La mort les attendait peut-être, elle et ses compagnons, cependant, jamais elle n’abandonnerait ses amis et encore moins si l’un d’entre eux décidait de se sacrifier pour elle.
Franky avait raison, il n’y avait pas de retour possible en arrière, son équipage aurait besoin de toutes les forces nécessaires pour sortir vainqueur de cette bataille et elle comprit qu’elle n’aurait pas le droit à l’erreur, elle n’aurait pas le droit d’avoir peur.
Sanji la sortit de ses pensées en lui tendant une main tout en sondant son regard qui indiquait qu’il devait pouvoir compter sur elle en toute circonstance.
Elle serra son poing et pensa à son pouvoir, longtemps enfoui au fond d’elle : il était enfin temps de montrer de quoi elle était capable.
D’un air entendu, elle attrapa la main de Sanji et se releva.
— Bien ! Pour des raisons qui me sont propres, cette femme et moi sommes liés par cette saleté d’arme ! Comme je ne peux pas la laisser entre leurs mains, je vais vous aider, s’enjoua Franky en se levant à son tour avant de se tourner vers Ussop. Tu t’amènes ?
— Non, lâcha ce dernier, ce ne sont plus mes affaires. Vous allez vous battre contre le Gouvernement Mondial et je ne veux pas être mêlé à ça.
— Tu rigoles ou quoi ? s’insurgea Sanji. Robin a besoin de nous tous, elle s’est sacrifiée pour toi je te rappelle !
— Vous avez oublié ce qu’il s’est passé ? Je me suis ridiculisé !
Noriko, qui était restée silencieuse, se dirigea soudainement d’un pas ferme vers Ussop. Sanji voulut la retenir par le bras, mais elle se dégagea d’un geste brusque et alla se planter devant le menteur invétéré.
Sans prévenir, elle le gifla violemment sous les cris de protestation de Sanji et Franky.
— J’en ai plus qu’assez de t’entendre débiter des conneries ! On s’en fout de ce qu’il s’est passé !
— Mais ça va pas !? s’enflamma Ussop en brandissant son poing, prêt à riposter.
Sanji voulut intervenir, mais Franky lui posa une main sur l’épaule pour l’en dissuader.
Noriko attrapa le tireur d’élite par les bretelles de sa salopette et, furieuse, le tira vers elle.
— D’abord tu quittes l’équipage pour une raison qui t’es chère et j’admets que je te comprends, commença-t-elle, la voix saccadée par la rancœur. On est tous attristés par l’état de Merry et on aurait tous voulu que ça se passe autrement, mais toi, tu t’es entêté à ne pas vouloir entendre la vérité, quitte à tourner le dos à tes amis ! Tu t’es battu avec Luffy, bon sang !
Une veine apparut sur le front d’Ussop, indiquant que sa colère menaçait d’exploser à tout moment.
— Si c’est pour remuer le couteau dans la plaie, tu peux garder tes remontrances pour toi, cracha-t-il avant de se dégager. C’est pour ça que tu es énervée contre moi ? Parce que j’ai voulu garder le Merry ?
— La ferme ! hurla-t-elle, à deux doigts de l’étrangler. Que tu me menaces de me brûler vire pour me réduire en vapeur, passe encore, s’enragea-t-elle ; tu n’as toujours pas pris la peine de t’excuser, d’accord, c’est toi que ça regarde, mais Robin…, s’interrompit-elle pour contrer les larmes qui lui montaient aux yeux, Robin est prête à sacrifier sa vie pour toi, prête à subir les pires tortures infligées à Impel Down et toi…, tu oses dire que ça ne te concerne pas !? C’est de sa vie dont il s’agit ! Sa vie contre la nôtre !
Un silence s’installa entre les deux anciens amis, ponctué par la respiration haletante de Noriko dont la voix avait fini par se briser à cause de la colère.
— Je suis désolée pour elle, souffla finalement Ussop sans la quitter des yeux, mais je peux plus lui porter secours, je n’appartiens plus à l’équipage.
Il fit soudain volte-face et s’engouffra à l’intérieur du wagon qu’ils venaient de quitter.
— Tu comptes aller où, imbécile ? hurla soudainement Franky. On est au milieu de l’océan !
— Laisse tomber, marmonna Sanji avant de s’approcher de Noriko.
Il posa une main sur l’épaule de la jeune fille qui continuait de fixer l’endroit où Ussop venait de disparaître.
— Quelle crétin, cracha-t-elle alors que ses larmes se mêlait aux embruns de la mer et à la pluie qui tombait du ciel.
— Noriko...
Tout comme Luffy, il était rare que Sanji l’appelle par son prénom.
— Il faut y aller, prévint-il doucement. Nous devons nous dépêcher avant d’atteindre Enies Lobby et on aura besoin de toutes nos forces pour y arriver.
Elle hocha vivement la tête avant de renifler, puis prit une grande inspiration, la gorge enrouée par un sanglot.
— Mais vous êtes là !! cria subitement un soldat sortant de nulle part, agrippé au toit, le reste de son corps certainement coincé à travers une des fenêtres du train.
— Ils nous ont repérés ! prévint Franky sur le qui-vive.
— BILLE EXPLOSIVE !
Le soldat fut soudainement éjecté dans l’eau, à cause d’un projectile lancé à pleine vitesse.
Les trois compagnons d’infortune se retournèrent d’une seule traite vers l’origine de l’attaque et, n’en croyant pas leurs yeux, aperçurent Ussop qui portait un masque et une cape.
— Mais qu’est-ce que c’est que ce foutoir encore ? cingla Sanji d’un air blasé.
— Votre ami m’a tout raconté ! cria Ussop. Une demoiselle en détresse, je n’ai pas besoin d’en savoir plus ! On m’appelle Sniperking et vous pouvez compter sur mon aide !
Sanji prit un air dépité et s’enfonça ses doigts dans les yeux, cherchant certainement à se réveiller.
— Il se fiche de nous ? demanda Franky. Il croit vraiment qu’on va pas le reconnaître ?
— Cette fois, je me le fais ! cria Noriko, hors d’elle.
Elle voulut se précipiter sur lui, mais Sanji fut plus rapide et passa ses bras autour d’elle et pour soulever dans les airs sans aucun effort en faisant un quart de tour sur lui-même.
— Lâche-moi ! hurla-t-elle en battant des jambes dans le vide. Laisse-moi juste l’étrangler !
— Mais c’est une vraie furie, remarqua Franky en relevant ses lunettes de soleil. Calme-toi, ça nous avancerait à rien de le tuer.
La furie en question serra des dents et avisa les bras de Sanji prête à mordre dedans, mais ce dernier la tenait fermement au niveau de son ventre et elle comprit rapidement qu’elle ne pourrait rien faire contre sa force. Dépitée, elle cessa de gigoter et prit une profonde inspiration pour calmer ses nerfs.
— Vous êtes tous des excités du bocal dans votre équipage, remarqua Franky avec un sourire en coin. Vous me plaisez bien, on doit pas s’ennuyer avec vous.
— Alors quoi, c’est sa manière de s’excuser ? pesta Noriko fusillant du regard Ussop qui restait planté au bout du wagon.
— Faut le comprendre, lui expliqua Sanji en la relâchant, il a dit ne plus pouvoir sauver Robin parce qu’il ne faisait plus partie de l’équipage, c’est sa manière de compenser, je suppose.
— Il serait pas un peu chiant, votre pote ? demanda Franky.
— Bon ça va, ramène-toi ! cria Sanji à l’attention d’Ussop qui se précipita ensuite vers eux. L’opération « Sauvez Robin d’amour » peut commencer. Le train est composé de huit wagons, je les ai comptés quand il était à quai, sachant que vous étiez dans le numéro 6, il nous en reste donc cinq à explorer. Le but étant de la libérer, mais si on se précipite, on pourrait vite être cernés à cause de l’étroitesse du train.
— Ça ne te dérangeait pas jusqu’à maintenant, ironisa Noriko, particulièrement agacée par la présence d’Ussop.
— Vous devez vous demander qui je suis, mes braves, coupa ce dernier qui était toujours dans son personnage.
— On est plus nombreux maintenant, expliqua Sanji en guise de réponse, et on s’est débarrassé de toute la bleusaille, ce qui veut dire qu’il nous reste probablement que les gros bras.
— Vous devez vous poser des questions, vous demandez d’où je viens, continua Ussop.
— Vous trouvez pas ça bizarre que les renforts ne soient pas encore arrivés ? demanda Franky en faisant allusion au soldat balancé dans l’eau.
— Ils doivent nous chercher un peu partout, il devait être seul, mais les autres ne vont pas tarder à arriver, supposa Noriko, il ne faut pas trainer.
— Au fait, tu sais te battre ? demanda Sanji à l’intention de Franky.
— Ouais et pas qu’un peu, répondit ce dernier avec un sourire en coin, je l’ai bien prouvé cette semaine.
— Bien, alors allons faire une petite mise au point, déclara Sanji avec un sourire machiavélique.
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Assise sur le toit au-dessus de la porte arrière du wagon numéro 5, trempée jusqu’aux os, les cheveux collés au crâne malgré sa capuche et grelottant de froid, Noriko attendait le signal. Par réflexe, elle tira un pan de sa robe courte pour tenter de réchauffer ses jambes avec qu’une seule hâte en tête, celle de se sécher.
Sanji, Franky et Ussop, qui portait toujours son masque qu’il avait certainement trouvé à bord et sa cape qu’il avait fabriqué avec un rideau, étaient allés à la porte arrière du dernier wagon pour l’ouvrir en grand. Ils avaient ensuite hurlé à tous les soldats de venir les rejoindre avant de condamner la porte avec une planche en bois et des clous pris à l’intérieur du sac d’Ussop qui se baladait toujours avec du matériel de bricolage.
Noriko leva sa main vers Sanji qui venait de lui faire signe. Discrètement, elle sauta entre les deux wagons et entreprit de les décrocher l’un et l’autre en forçant sur l’attache métallique qui les reliait entre eux. Si Sanji avait préféré qu’elle s’en occupe pour ne pas prendre le risque de se faire tirer dessus par un soldat, elle remarqua que donner l’épreuve de force à la personne la plus faible du groupe n’était pas une si bonne idée que ça. Se demandant où était sa force surhumaine quand elle en avait besoin, elle continua de forcer, sentant qu’elle était sur le point d’y arriver.
Elle sursauta lorsque Sanji atterrit près d’elle et qui, rapidement, l’aida dans sa tâche.
L’attache céda au moment où Franky et Ussop les rejoignirent et ensemble, ils regardèrent avec fierté l’expression sidérée des soldats qui venaient d’apparaître à la porte avant du wagon numéro 6 qui s’éloignait à vue d’œil, emportant avec lui les wagons numéro 7 et 8.
— Dites, nos copains qui les suivent devront emprunter les mêmes rails, vous savez ? remarqua Franky.
— Ils se débrouilleront, répondit Sanji qui avait le culot de faire coucou aux soldats qui disparaissaient maintenant vers l’horizon.
— Trois wagons de moins ! s’enjoua Ussop en brandissant un poing victorieux.
Ensemble, ils pénétrèrent à l’intérieur du wagon numéro 5 et y trouvèrent quelques soldats, tous n’étant pas tombés dans leur piège.
— Ordures ! cria l’un d’eux, vous vous en tirerez pas comme ça !
Les Marines se mirent tous en position et, à couvert derrière les banquettes, pointèrent leurs fusils sur eux.
— Sniperking en action ! cria Ussop en envoyant une bille explosive dans le tas.
Franky mit son poing devant lui et soudainement, ce dernier se détacha de son corps, uniquement retenu par une chaîne, avant d’aller s’écraser dans la figure d’un Marine.
La mâchoire de Noriko manqua de se décrocher et ses yeux s’écarquillèrent de dégoût en voyant la main de son compagnon de voyage revenir lentement vers son propriétaire et Sanji en fut même déconcentrer du combat.
— Mais qu’est-ce que c’est que…
— Tirez ! hurla un soldat.
Soudainement ramené à la réalité et sachant pertinemment qu’ils n’auraient pas le temps d’éviter les balles, le cuisinier flanqua un coup de pieds dans les côtes d’Ussop pour le coucher derrière une banquette puis se jeta au sol en embarquant Noriko avec lui.
Franky lui, resta en plein milieu de l’allée sans bouger d’un pouce et se prit toutes les balles de plein fouet.
— Mais il est fou, paniqua Sanji, un bras sur la tête de la jeune femme pour la protéger.
Les balles s’aplatirent sur le torse de Franky, puis retombèrent au sol, sans l’avoir blessé. Il eut un sourire en coin et pointa son bras en direction des Marines.
— À mon tour, hurla-t-il avant d’éclater d’un rire machiavélique. Je vais vous faire regretter d’être venus au monde, ça va saigner !
Dans un fracas épouvantable, plusieurs détonations explosèrent dans le wagon et les soldats s’écroulèrent tous en hurlant d’agonie.
Une fois le calme revenu, Noriko, les mains plaquées sur ses oreilles à cause du raffut, s’agenouilla aux côtés de Sanji puis jeta un œil par-dessus la banquette, avant de constater que tous les soldats étaient à terre.
Debout et en plein milieu de l’allée, Franky remettait son avant-bras en place, celui-ci s’étant complètement désarticulé.
En voyant qu’un des soldats bougeait toujours, il attrapa le haut d’une banquette entre son pouce et son index, puis, sans aucun effort de sa part, la décrocha du sol et l’envoya s’écraser sur l’homme qui poussa un cri de terreur.
— Mais comment c’est possible ? demanda Sanji en tendant une main chevaleresque à Noriko pour la relever.
— Il est malade, s’insurgea cette dernière en tremblotant, c’est quoi cette force ?
— Sniperking en action ! hurla de nouveau Ussop en pointant son lance-pierres vers les soldats qui étaient désormais inoffensifs.
— Merci de ton aide, long-pif, ironisa Franky en lui tendant un pouce levé.
Abasourdie, Noriko cligna plusieurs fois des yeux, puis en profita pour sécher tout le monde tandis que Franky s’émerveilla devant ses pouvoirs.
— Ah, je vois que tu as bouffé un Fruit du Démon. Eh, t’as plutôt la classe en fait.
— Dis-donc toi ! s’indigna Sanji en le pointant du doigt, tu nous explique ce qu’il vient de se passer, t’es quoi au juste ? C’est un Fruit du Démon ?
— Ah ça… Bah non, je suis juste un cyborg.
— Un cyborg, s’étonna Ussop la bouche grande ouverte, mais c’est génial !
— Juste un cyborg, répéta lentement Noriko en hochant la tête sans grande conviction, c’est possible, ça ? Je veux dire, c’est… intéressant, ajouta-t-elle en haussant ses sourcils, enfin je suppose.
— Mon corps entier est un assemblage d’acier et d’armes en tout genre. J’ai toujours une partie humaine, donc je peux saigner et avoir un peu mal, mais ça s’arrête là, expliqua fièrement Franky en faisant gonfler ses biceps.
—Eh bah, on voit de ces trucs de nos jours, commenta Sanji.
Franky se mit soudainement à hurler, puis montra un poing rageur à Ussop que s’était faufilé derrière lui.
— Mais t’es malade ou quoi !? s’emporta-t-il. Ça fait super mal ! Tu veux que je t’éclate la tronche ?
— Ça va, détends-toi, se défendit le tireur d’élite, une aiguille entre son pouce et son index. Je voulais voir si elle allait se tordre sur ta peau.
— Mon dos n’est pas blindé, crétin ! Je me suis arrangé moi-même le jour où j’ai failli crever, alors j’y ai pas accès, c’est évident !
— Quel caractère, bougonna Ussop avant de rire bêtement. Du coup, je suppose que c’est pour ça que tu ne portes pas de pantalon ? En bas aussi, c’est de l’acier ?
Franky leva un sourcil et retroussa le coin de sa lèvre supérieure.
— Hein ? rétorqua-t-il sans comprendre. Bah non, c’est juste que j’ai l’impression de pas respirer, ça me serre trop les roubignoles.
— Non mais un peu de décence, ragea Sanji en pointant Noriko du doigt, on est en présence d’une dame, je te signale !
Les yeux de cette dernière se baladèrent malgré elle jusqu’à l’entre-jambes du cyborg ; elle enfonça ensuite son pouce et son index dans ses yeux pour chasser l’image qui venait d’apparaître dans son esprit, puis souffla longuement pour tenter de contrôler un fou-rire nerveux.
— Matez-moi plutôt ça, s’enjoua subitement Franky sans prêter attention à la fumée qui sortait des oreilles du cuisinier, j’ai toujours froid au ventre, mais au moins, je suis jamais à sec.
À ces mots, une porte apparut au niveau de son ventre et ses abdos s’ouvrirent sur un petit réfrigérateur, dans lequel se trouvaient trois bouteilles de sodas, là où auraient normalement dû se trouver ses organes.
— Pratique en cas de canicule, remarqua Ussop avec amusement.
— Je crois que je vais tourner de l’œil, prévint Noriko qui essuyait une larme, le regard perdu sur la peau parfaitement découpée sur la paroi métallique. Comment tu fais si on t’attaque par derrière ?
— Facile, rétorqua le cyborg d’un air dédaigneux, j’ai juste à m’allonger sur le dos et je suis invincible.
— C’est la chose la plus stupide qu’il m’ait été donnée d’entendre, marmonna Ussop d’un air blasé.
Le silence qui suivit, durant lequel Sanji et Noriko s’échangèrent un regard dépité, suffit à faire comprendre que la conversation ne valait pas la peine d’être poursuivie.
Les compagnons continuèrent le chemin jusqu’au wagon numéro 4 et tombèrent nez à nez avec un homme se prétendant être le cuisinier du Train des Mers, et surtout, le meilleur cuisinier du monde, puis leur fit rapidement une démonstration en leur montrant son plat favori.
Noriko crut que Sanji allait s’évanouir devant tant de médiocrité et elle remarqua que ses poings se serrèrent tant il était furieux. Comprenant que ce nouveau venu avait l’intention de leur barrer la route, il leur ordonna de continuer sans lui, voulant à tout prix s’occuper personnellement de ce cuisinier de pacotille.
Dépité par la situation, Franky fit volte-face et suggéra à Ussop et Noriko de repasser par les toits.
Le cyborg devant eux, Ussop fit la courte échelle à Noriko et lorsqu’elle tendit la main pour que Franky l’aide à se hisser, il changea brusquement d’avis sans qu’elle ne comprenne pourquoi.
Penché vers elle, un genou posé à terre, il la prévint discrètement qu’un homme les attendait de pieds ferme sur le toit et qu’il allait s’en occuper. Pour ne pas perdre de temps et ainsi retrouver Robin au plus vite, il lui ordonna de se débrouiller pour passer par le côté du train avec l’aide d’Ussop car l’homme ne les avait pas vus. Sans attendre de réponse de sa part, il les planta là et s’approcha de son adversaire, prêt à en découdre.
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— « Passer par le côté du train », je le retiens celui-là, bougonna Ussop.
— Arrête de râler et concentre-toi, pesta Noriko en tremblant malgré elle.
Le vent mêlé aux vagues leur giflait le visage et le tonnerre au-dessus de leur tête ainsi que les éclairs qui striaient le ciel menaçait de faire tomber la foudre à tout moment. Se tenant de toutes ses forces avec ses bras autour du cou d’Ussop et ses jambes serrées autour de sa taille pendant qu’il rampait à l’horizontale, la manieuse d’eau se laissait guider en fermant les yeux pour ne pas voir la mer qui risquait de les avaler au moindre faux pas.
— Tu regardes dans les wagons, j’espère !?
— Oui, oui, mentit-elle, la voix affaiblie par la peur.
— Arrête de paniquer, je t’ai dit que tu ne risquais rien. Je sais ce que je fais !
Noriko n’en était pas sûre. Elle faisait toujours confiance à Ussop malgré leur différend, mais elle dû admettre que lorsqu’il avait sorti de son sac des chaussures en forme de poulpe qu’il avait fièrement appelé « octo-pantoufles », elle avait perdu toute foi en lui.
Alors qu’elle se demandait encore où il avait bien pu trouver ces horreurs qui, paraît-il, adhéraient à n’importe quelle surface, Ussop en avait chaussé une paire et ses pieds et avait calé ses mains dans la deuxième. Sûr de lui, il l’avait ensuite incitée à montrer sur son dos, tandis qu’il remonterait le long du côté des wagons jusqu’à ce qu’ils trouvent Robin.
Frappée par la houle et la pluie, Noriko se demandait pourquoi elle perdait son temps à se sécher si c’était pour retrouver mouillée toutes les cinq minutes.
Elle profita d’une pause d’Ussop pour jeter un œil à travers la fenêtre du wagon numéro 3 et constata que ce dernier était vide. Elle supposa que l’homme qui aurait dû se trouver à l’intérieur était certainement celui qui se battait en ce moment-même avec Franky et ordonna donc à sa monture de fortune de continuer.
Arrivés au milieu du wagon numéro 2, elle répéta le même procédé et tomba cette fois sur les agents qui avaient embarqué Ussop et Franky à bord du train : un homme qui devait être à peine plus âgé qu’elle avec une casquette enfoncée sur la tête, une femme qui avait un air hautain, un autre homme avec les épaules deux fois plus large que Noriko elle-même et enfin, un dernier homme, plus mince coiffé d’un chapeau haut-de-forme et avec ce qui semblait être un pigeon perché sur son épaule.
Elle les décrivit au menteur invétéré et ce dernier, qui se prenait toujours pour Sniperking, lui expliqua que son ami – en parlant de lui-même – ne connaissait pas l’homme aux larges épaules qui devait être le gérant du bar dont Nami parlait. Il dit également que les autres étaient bien les traitres qu’il avait rencontré sur le chantier naval : Kaku pour le plus jeune, Kalifa pour l’ancienne secrétaire et Lucci pour le dernier qui était bien leur chef.
Constatant que Robin n’était pas avec eux, ce qui rassura Ussop qui avait pris peur rien qu’à l’idée de devoir les affronter, les deux amis continuèrent de braver le froid et la nuit avant d’arriver enfin au wagon numéro 1.
Noriko se redressa et c’est là qu’elle la vit. Robin.