Le secret du triangle Florian

Chapitre 5 : Le journal d'un Robinson

1777 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/06/2014 17:51

  

Chapitre V : Le journal d’un Robinson

 

             La viande n’avait aucun goût. Elle n’était pas mauvaise, et à vrai dire, n’importe quoi suffirait à combler son estomac lorsqu’il était ainsi vide. Mais elle était dure, s’effilochait entre les dents du pirate et laissait sa bouche pâteuse. Usopp s’en rendait compte : les bons petits plats de Sanji lui manqueraient beaucoup. Il rumina sa nostalgie en mâchant, si l’on pouvait réellement appeler cela de la nostalgie. Est-ce qu’il regrettait son choix, guidé uniquement par sa fierté ? Non. Après tout, il était le grand Capitaine Usopp, il ne pouvait pas s’abaisser à supplier un gamin tel que Monkey D. Luffy simplement pour récupérer une place dans un équipage auquel il avait délibérément tourné le dos. Certes, la bouille mignonne de Chopper au réveil allait lui manquer. Les idioties de son ancien capitaine et la soumission du cuisinier à la gente féminine, aussi. Sûrement un peu les colères de leur navigatrice et les siestes impromptues du bretteur aux cheveux verts et il allait regretter les seules discussions ayant un minimum de profondeur qu’il avait parfois avec Robin. Mais il ne regretterait pas son choix. Même si un grand vide allait se faire ressentir—et il le savait—, il ne reviendrait pas sur sa décision. Ces considérations lui firent monter les larmes aux yeux et il ne se rendit pas compte qu’il mâchait le même morceau de viande depuis quelques minutes. Le feu crépitait sereinement devant lui, son intensité diminuant lentement ; il faudrait remettre du bois. La couleur du ciel n’avait pas changé. La mer était calme, la forêt silencieuse, et à quelques dizaines de mètres de là, l’inconnu, impassible, regardait le pirate sangloter doucement.   

 

             Le feu s’était éteint. Une légère brise frôla Usopp, endormi, et un frisson parcourut son corps. Ses poils étaient hérissés, le pirate tremblait. Il s’était allongé le plus près possible du bûcher, de façon à ce que les flammes viennent lécher délicatement sa peau sans la blesser, mais désormais, seule une odeur désagréable de brûlé venait chatouiller les narines du garçon. Le vent en accentuait la puanteur et Usopp se recroquevilla sur lui-même, marmonnant quelques mots inintelligibles. La brise ne s’effaçait pas, cependant le pirate ressentit une douce chaleur recouvrir son corps. Retrouvant de la tranquillité dans son repos, Usopp agrippa la couverture qui avait été déposée sur son corps frigorifié et s’autorisa même un petit sourire apaisé. Dans son sommeil, il entendit, sans y prêter attention, une voix fatiguée lui parler, puis des bruits de pas s’éloignant de lui.

 

            Le feu était toujours éteint. Combien de temps avait-il dormi ? Il est probable qu’il n’en ait jamais la réponse. L’île semblait figée dans une aube éternelle, hors du temps. Peut-être s’était-il assoupi quelques minutes, peut-être un jour entier, comme cela lui était déjà arrivé après un combat éreintant. Le vent soufflait toujours, mais l’odeur de bois brûlé s’était estompée. Usopp remarqua alors l’épais tissu vert crasseux qui le recouvrait, et se sentit soudainement reconnaissant envers cet homme qui l’inquiétait pourtant. Le pirate scruta les alentours et remarqua l’absence de l’homme en question.

   - Il a dû partir chercher du bois, pensa Usopp à haute voix.

Alors qu’il regardait en direction de la forêt, le jeune homme remarqua une forme étrange à droite de son son champ de vision. Une grotte. L’idée d’un abri sec et le protégeant du vent rendit toute son énergie au pirate. Il se leva d’un bond et se dirigeait vers la cavité creusée dans la roche.

 

            L’absence de feu et la faible lumière naturelle n’aidaient pas le pirate à se repérer. Et, bien qu’il n’ait jamais eu véritablement peur du noir—ce qui, il faut l’avouer, était assez étonnant—se retrouver seul dans une grotte, sur une île inconnue, dans l’obscurité presque totale n’était pas des plus rassurant. Le pirate avançait lentement en s’aidant des parois, raclant le sol à chaque pas. L’endroit semblait vide ; les murs étaient lisses, aucun obstacle ne venait gêner la marche hésitante du jeune homme. Rien ne semblait pouvoir alimenter son imagination, débordante lors des situations similaires à celle-ci : pas d’œil jaune vif brillant dans le noir, pas d’odeur nauséabonde d’un corps en putréfaction, pas non plus de respiration hatelante—mis à part sa propre respiration. Alors qu’il tentait vainement de se rassurer, un bruit assourdissant retentit à l’extérieur. Pris de panique, Usopp se mit à courir droit devant lui, s’enfonçant à l’aveugle au plus profond de la caverne. Dans sa course, il trébucha sur une pierre et s’étala de tout son long sur le sol, gobant une quantité non négligeable de sable et de poussière sur son passage. Il aurait dû être sonné, mais quelque chose avait amorti le choc au niveau de sa tête. Il n’identifia pas l’objet tout de suite, mais alors qu’il se redressait et s’en emparait, ce fut évident : un livre. Ou un carnet, pensa le pirate. Alors qu’il en caressait doucement les bords pour mieux en déterminer la forme, il sentit quelque chose ramper sur sa cuisse. Ne sachant pas de quoi il s’agissait, dans le doute, Usopp se leva et se rua vers la sortie.

 

            Un éboulement. Un morceau de roche de la taille d’un homme s’était écrasé sur le sol. Voilà ce qui avait provoqué le bruit qu’avait entendu le pirate. Il en était à la fois rassuré et honteux. Le grand Capitaine Usopp, avoir peur d’une pauvre pierre ! pensa-t-il, la peur rapidement remplacée par un air suffisant. Un rapide coup d’œil au dessus de lui le ramena à la réalité, et le « capitaine » décida de s’éloigner avant d’être percuté par l’un des morceaux de roche menaçant de s’effondrer. L’inconnu n’étant toujours pas revenu, Usopp pris le chemin de la plage, espérant ne pas être dérangé. Il s’assit confortablement dans le sable fin, face à l’océan, et observa plus attentivement l’objet qu’il avait récupéré.

   - C’est un carnet…un carnet de voyage, peut-être ? se demanda-t-il.

Il était couvert de poussière. Le pirate souffla dessus, puis retira ce qui restait avec la main qui ne tenait pas le livre. Alors qu’il se débattait avec une toile d’araignée qui s’était accrochée, il examina la couverture. Elle était rouge brun, peut-être était-ce le temps et l’usure qui l’avaient assombrie. Aucune écriture ne venait en gâcher la simplicité immaculée. Usopp l’ouvrit avec une hésitation respectueuse, comme s’il s’agissait d’une sorte de relique, et découvrit les premières lignes écrites à la main.

 

            Je viens de m’échouer sur cette île. Je ne suis pas certain des raisons qui me poussent à écrire ceci. Sans doute ai-je au fond de mon cœur l’espoir vain que quelqu’un le trouvera à temps, avant que je ne tombe dans la folie ou dans l’oubli.

            Nous ne sommes que quatre à avoir survécu. Sur ces quatre personnes, je suis le seul à être conscient.  Je ne dois cela qu’à mon ami de toujours, qui m’a encore une fois sauvé d’une mort certaine. Je ne pourrai jamais le remercier assez pour cela.

            Je me nomme Florian, et j’ai vingt-trois ans. J’ai une femme et un petit garçon, qui m’attendent à la maison…

 

            Des larmes avaient déformé l’encre sur ces mots.

 

            Je les aime. Je vous aime, je vous aime plus que tout, et je suis désolé. 

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