Après 5 ans

Chapitre 3 : Changements

3581 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:52

Après 5 ans

Chapitre 2

Il avala sa salive, fit un pas en arrière, puis rapidement volte-face. Une sorte de peur lui nouait subitement le ventre. Dire qu'il avait pensé ne peut-être jamais les revoir… ils étaient vivants, ils étaient venus. Sa main accrocha frénétiquement la porte, il ressortit, prenant l'air froid de la nuit en plein visage. Le blond n'avait quasiment pas changé d'apparence. Toujours ses yeux clairs le faisaient douter. D'un pas qu'il voulait calme mais qui était tout de même saccadé, il longea la façade du bar en se maudissant de son envie de les revoir, de sa lâcheté, des décisions qu'il avait dû prendre.

- Attends, Zorro.

Satané cuistot. C'était sûr qu'il l'avait reconnu. Le blond courut jusqu'à sa hauteur, le força à s'arrêter, posant une main amicale sur son épaule.

Sans bien sûr le montrer, Sanji était mal à l'aise. Non seulement parce que désormais il était légèrement plus grand que celui qu'il avait toujours considéré comme son égal, mais aussi parce que lui adresser de nouveau la parole lui rappelait… énormément de choses.

Leurs disputes perpétuelles, leur rivalité furieuse, les surnoms ridicules qu'ils employaient mutuellement. Ce devait d'ailleurs être une des premières fois qu'il appelait l'ancien épéiste par son vrai nom. Maintenant ils étaient des adultes, ils avaient 27 ans. Ils ne devaient plus se comporter comme des gamins batailleurs.

- Ils veulent tous te revoir, tu ne dois pas douter de l'amitié qu'ils te portent.

- Tu te souviens que c'est moi qui leur ai ordonné d'abandonner… Luffy ?

Le nom de son capitaine lui arracha la gorge. Il ne l'avait jamais prononcé depuis qu'ils s'étaient quittés. Seule l'image souriante du jeune homme à l'apparence d'adolescent était encore présente dans sa mémoire. Sa voix aussi. Mais son nom, ce D, porté par les plus grands pirates de ce monde lui rappelait la part qu'il avait prise dans la destruction de la vie de son capitaine.

- Nous avons très bien compris.

- Tu ne peux pas comprendre mes responsabilités de… de lieutenant.

L'homme aux cheveux verts avait un mal fou à parler des Mugiwaras, de leur ancienne vie, de la piraterie. L'autre pensait le comprendre. Il essayait de s'imaginer ce qu'avait bien pu ressentir son nakama. Mais celui-ci sous-estimait la propre capacité de compréhension du reste de l'équipage.

- Si. Tu as obéis quand Luffy t'as dit de nous éloigner. Tu as agis comme un ami loyal qui exécute la volonté de son chef. Chacun l'aurait fait.

Il se tût, percevant une lueur de doute dans le regard noir de son ancien camarade. Tous avaient approuvé la décision de Zorro, après coup. Ils avaient d'une certaine façon accompli le vœu de leur capitaine en le laissant aux mains de la Marine.

- Viens.

Sanji tendit le bras vers la porte d'où sortait la lumière trouble et tamisée du bar. Le vacarme étouffé des clients leur parvenait. L'homme balafré grogna, avant de suivre la direction indiquée. Le blond le vit pour la première fois complètement, légèrement surpris du changement qui s'était opéré sur le corps aminci pourtant dissimulé de son nakama.

- En tous cas, tu es celui qui a le plus… changé.

Une ombre passa sur le visage de l'ancien lieutenant, il entra dans la taverne sans un mot de plus, se dirigeant d'un pas décidé vers la table de ses amis. Vaguement incrédule, Sanji vit l'autre prendre le temps d'une seconde une démarche involontairement lascive avant de corriger son habitude. Ses mains fourrées dans ses poches tremblaient nerveusement. Nami se leva, un sourire épanoui sur ses lèvres pulpeuses.

- Ça me fait tellement plaisir, Zorro !

- Assieds-toi ! l'invita l'homme à la réputation de menteur en lui tirant une chaise.

Chopper sauta sur ses jambes, en entourant une de ses bras, émettant des bruits à mi-chemin entre des ronronnements de chaton et des gloussements de dindon, la mine réjouie, ses joues rosies.

La dernière arrivée avait tout de même changé l'ambiance. Sûrement que l'expression sombre du vert y était pour quelque chose, mais tous avaient cessé de rire et se fixaient silencieusement, attendant qu'un d'eux prenne la parole pour évoquer le passé. C'était inévitable. Le sujet devait être abordé. Ils s'étaient arrangés pour quitter leurs vies actuelles le temps d'une semaine, et durant celle-ci, ils allaient renouer avec leurs souvenirs bons ou mauvais fussent-ils.

- Vous avez des nouvelles ? avança Sanji, lentement.

- Ils sont toujours aux G1, murmura la femme rousse.

- Peut-être qu'un jour, le gouvernement les relâchera…! Dit le renne avec un enjouement feint.

- Peut-être, soupira Zorro.

- Il faut dire les choses comme elles le sont. Avec tous les secrets, les techniques, les pouvoirs qu'ils possèdent, c'est vraiment peu probable, répliqua Ussop avec une fermeté que personne ne lui connaissait.

- L'espoir fait vivre.

- S'ils sont encore vivants, souffla Chopper.

Finalement, c'était les deux plus optimistes de la bande qui étaient sombrement clairvoyants. La probabilité pour que la Marine laisse quatre pirates aux pouvoirs encore bien présents dans la nature était tout simplement nulle. Jamais ils ne seraient fous au point de libérer eux-mêmes une de leurs plus grandes menaces.

- Et pour les autres pirates, les empereurs et tout ? demanda l'homme à la boucle d'oreille argentée étincelant froidement dans la pénombre de plus en plus présente.

- Je crois que ça n'a pas beaucoup évolué. Barbe Noire s'est fait exécuter par les neuf supernovaes. Et Law est devenu empereur, je crois, leur apprit Nami.

- Le nom des « pirates au Chapeau de Paille » ne représente plus que l'histoire tragique d'inconscients aux pouvoirs fabuleux qui se sont heurté à la force inébranlable de la Marine, ajouta le chef blond.

Zorro soupira. Dans le milieu où il avait évolué ces dernières années, il n'en avait pas du tout entendu parler.

- J'imagine que le Gouvernement nous recherche encore ? intervint-il.

- C'est fort probable.

Ils se levèrent et payèrent, derniers clients du bar à être resté en salle. Ils gravirent un escalier poussiéreux menant au couloir où se trouvaient leurs numéros de chambre, où ils en avaient réservé cinq pour une semaine.

- Au fait, qu'est-ce que tu fais maintenant, Zorro ? Tu as encore tes sabres ? demanda Nami, au moment où ils s'apprêtaient à se séparer.

- Non. J'ai changé de d'orientation professionnelle.

Et pas que. Son orientation sexuelle en avait prit en coup elle aussi. Maintenant, il ne se refusait plus rien. Homme ou femme, le plaisir était différent mais il avait le pouvoir de faire oublier sa vie présente autant que ses erreurs passées.

- Oh.

Chacun comprit que l'ancien épéiste n'en dirait pas plus. Les actes de celui-ci étaient de plus en plus dissimulés sous des secrets qu'ils ne pourraient peut-être jamais percer.

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Le prostitué ôta ses vêtements et s'allongea entre les draps usés de son lit. Pour une fois qu'il dormait seul, il allait en profiter. La proximité de ses nakamas avait aussi quelque chose d'apaisant. Il se rappelait les traversées mouvementées, les nuits blanches de garde en haut du mat du Sunny, celles des victoires où il finissait ivre mort au fond de son hamac. Et puis le matin leur vie d'aventure recommençait, avec les plats délicieusement énergétiques du cuisinier, les élucubrations du squelette, les accès de fureur de la navigatrice.

C'était derrière lui. Dans une semaine, il retrouverait son travail, sa patronne, sa chambre, les mains avides et les râles rauques de ses clients.

Pendant les prochains jours, il profiterait de l'amitié de ses amis. Ils iraient sans doute sur le lieu de la bataille qui avait bouleversé leurs destins. Ils se souviendraient, évoqueraient leurs anciennes vies heureuses. Lui, se souviendrait de son échec. Sa tentative solitaire de sauvetage de son capitaine. Après avoir écarté ses amis encore libres. Le souvenir de l'homme qui l'avait préservé une seconde fois de la mort.

Les excuses qu'il lui avait faites. Ses larmes de rages.

Le passé. Si douloureux.

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Il n'était plus habitué qu'aux draps de flanelle. La vie luxueuse qu'il menait laissait des traces. Généralement, il s'endormait vers deux heures et se réveillait tard, très tard dans la matinée pour pouvoir préparer le premier service du déjeuner. Seulement, après une nuit entière dans le lit hors d'usage du bar-hôtel, il avait l'impression de ne pas avoir fermé l'œil. Il chercha mollement son paquet de cigarette dans la veste qu'il venait d'enfiler, en sortit une et la mâcha pensivement en l'allumant. Nami, Ussop et Chopper étaient déjà descendus pour manger, le laissant émerger tranquillement. Il sortit sur le palier, hagard, et frappa à la porte de son nakama le moins matinal.

- Oï, Zorro. Dépêche-toi où ils vont partir sans nous.

Grognement.

- T'es levé au moins ?

Silence.

- Bouges toi, ok ?

Le blond poussa la porte et découvrit un marimo vert entre son oreiller et sa couverture. Rien d'autre qu'une tête soyeuse qui dormait paisiblement, le reste du corps vraisemblablement à plat ventre.

- J'aimerais savoir comment tu fais pour dormir correctement là-dedans.

- Je vis pas dans un palace, moi.

La tête se retourna, découvrant un visage anéantit de sommeil. Anéantit. Comme s'il avait enchaîné des dizaines de nuits blanches à la suite.

- On a un peu de route. On va au mémorial de notre défaite.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Parait qu'ils ont fait une plaque qui célèbre la puissance écrasante de la Marine.

Zorro ne comprenait pas vraiment l'attitude détendue du Mugiwara qui évoquait le cataclysme qui avait ruiné leurs vies et leurs rêves. Lui ne pouvait y penser qu'avec douleur. Une douleur qui ne s'était jamais estompée, malgré tous les efforts qu'il avait fournis pour. Son corps appartenait au présent et à sa profession inavouable, son esprit au passé et au bonheur qu'il avait pu effleurer du bout des doigts.

Il se redressa, émergeant des couvertures, son torse halé coupé d'une cicatrice blanchie presque effacée tranchant avec la pâleur douteuse du drap. Sanji remarqua les arabesques qui s'enroulaient de ses poignets à ses coudes.

- Pas mal.

- Ouai, le résultat est acceptable.

- Et pourquoi…

- Ça te dérange de sortir le temps que je m'habille ?

Ne reposant pas sa question avortée, le blond s'exécuta, légèrement dérouté par la soudaine pudeur de son nakama. Avant, ils ne cachaient rien entre eux, l'amitié qui les unissait leur permettant tout. Il se doutait que désormais, l'homme aux cheveux verts était plus âgé, et avait sans doute des choses à cacher. C'était son droit.

Ils descendirent une minute après, le balafré vêtu comme la veille, vêtements flottants et blouson dissimulateur. Ils furent arrêtés par le tenancier, à qui une jolie femme rousse avait dit que deux hommes bien faits de leurs personnes allaient payer sa note. Avant qu'il ait fait un geste, Sanji vit son camarade sortir une liasse de sa poche et déposer négligemment des billets sur le comptoir.

- Toi, tu vis pas dans un palace, mais ça ne t'empêche pas d'avoir du fric.

- Je me débrouille.

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Habillée comme à ses 18 ans, la seule femme du groupe laissait le vent faire voler ses longs cheveux roux dénoués dans son dos. Short et décolleté provocant, elle avait retrouvé l'apanage de la détrousseuse séductrice sans états d'âme. L'animal qui était selon toute vraisemblance un cerf et qui avait l'obligeance de la porter grignotait innocemment la chevelure volumineuse d'un jeune homme qui comptait ses exploit dans la vie active à un fumeur vêtu d'un costume de marque et à une personne peu convaincue de l'histoire qui les suivait en ricanant.

Somme toute un groupe légèrement étrange.

Ils n'avaient plus l'énergie débordante qui les faisait commettre des gaffes irréparables toutes les dix minutes. Vieillis et assagis, sans doute. Désillusionnés, un peu. La vie leur avait appris beaucoup de choses, autant la peine que la joie pure de l'amitié. En marchant côte à côte, ils retrouvaient une chaleur qu'ils avaient oubliée. Les absents étaient présents. Leur mémoire accompagnait chacun de leurs pas, et même lourde à porter, elle les animait d'une flamme oublié. Celle de l'aventure.

- Splendide.

- Ils ne se refusent rien.

- Pauvres de nous.

- S'ils nous voyaient ici, ils n'en croiraient pas leurs yeux.

- Pourquoi ? On a bien le droit de venir honorer le souvenir de notre plus grande défaite.

Cinq ans tout juste. Un peu moins qu'une étincelante plaque dorée marquant l'emplacement « de la bataille qui prouva une fois de plus au monde la force inébranlable de la marine » a été gravée et abandonnée sur un terre-plein bien en vue des visiteurs. Plus aucune quelconque trace de sang ou de rocs brisés. Juste une étendue d'herbe verte, ondulant sous la brise.

- Tu crois que nos anciens ennemis sont un jour venus ici pour savourer notre chute ? demanda Chopper à l'ancien canonnier de l'équipage.

- C'est possible, mais alors…

La rousse fit un geste pour couper la parole à Ussop. Son regard noisette fixait au loin un point brillant. Elle laissa échapper un rire.

- Ils ne sont plus aussi discrets qu'autrefois.

- Autrefois ? Tu dis ça comme si c'était il y des décennies qu'on était pourchassés, marmonna le blond décoiffé.

Ils s'entre-regardèrent. En venant ici, ils avaient accepté une part de risque, et ils n'avaient pas pris de précautions autres que se loger dans un hôtel discret. Sûrement, la Marine n'avait jamais relâché sa surveillance et sûrement elle attendait ce jour depuis longtemps.

- Bien. Il est donc temps de nous quitter, décréta la voleuse.

- Chopper, ça ne te dérange pas ? fit Zorro, encore indécis.

- Moi aussi, j'ai gagné en maturité ! s'indigna le raton-laveur.

Le blond partit de son côté avec Ussop, laissant leur ancien médecin devant la stèle, la rouquine et Zorro s'éloignant à l'opposé. Le tireur d'élite sur ses gardes fit retrouver au chef étoilé des sensations qu'il n'avait pas éprouvé depuis longtemps. Cette prudence, ces pas étouffés, ce regard qui cherche la moindre menace, il ne s'en était pas servi durant cinq ans. Oui, à ce niveau, il était un peu rouillé, feignant l'aisance alors que son cœur battait anormalement vite. Il n'avait pas souvent eu l'occasion de s'esquiver discrètement de ses cuisines.

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La jeune femme s'arrêta derrière une avancée rocheuse. Après s'être faufilés entre les reliefs peu marqués du terrain, ils étaient maintenant tout près de la source lumineuse qu'elle avait repérée tout à l'heure. Elle fit un signe à l'ancien bretteur, tendu, pour qu'il se rapproche d'elle. Tout de suite elle avait su ce qu'elle ferait. A force d'aventures dans la vie hostile des grandes villes, elle avait acquis un sens de la stratégie… affuté.

- Nous n'avons pas d'armes, alors on va faire les choses plus… délicatement. Tu vois ce que je veux dire ?

- Tu es sûre que je suis la bonne personne pour ça ?

- Tu rigoles, j'espère ! Tu es simplement idéal. Il y a cinq ans j'aurais dit le contraire, mais là, tu seras parfait.

- Si tu le dis, murmura le balafré, légèrement surpris par ce que la rousse allait lui demander de faire.

Il se leva et marcha directement vers les trois soldats qui guettaient le moindre geste de la part de l'étrange peluche et de ses quatre compagnons immobiles. Un des hommes se retourna et sursauta en voyant la personne qui se dirigeait vers lui, d'une démarche provocante qu'il savait si bien utiliser, ses hanches ondulant légèrement au rythme de ses pas. Les deux autres le fixèrent à leur tour. Le prostitué ne retint pas le sourire aguicheur qui lui vint naturellement aux lèvres.

Ils furent fascinés quelques secondes de trop par la sensuelle apparition. Une voleuse qui n'avait rien perdu de sa vitesse coupa court à leur éblouissement en maniant avec une précision redoutable la barre métallique dont elle venait de s'emparer. Elle vérifia qu'ils étaient hors d'état de nuire avant de tendre ses deux pouces levés vers son nakama.

- Magnifique !

Sans doute pensait-elle qu'il avait été inspiré par une impulsion du moment. Si elle savait qu'il faisait cela chaque jour… c'était impossible pour une personne non dépourvue d'émotion de détourner immédiatement le regard après l'avoir vu à l'œuvre. Ses mouvements lascifs traduisait trop bien quel plaisir il était capable de donner dans d'autre situations. Seulement la rousse était bien loin de s'imaginer cela.

Elle attrapa un sabre accroché à la ceinture d'un des soldats, le prenant par la face inoffensive de la lame avant de la lancer vers Zorro. L'homme tressaillit, leva le bras, la main prête à attraper la garde de l'arme. A l' instant où ses doigts entrèrent en contact avec le sabre, il tressaillit violemment. Impossible.

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